Praxis-Fall

Rare entité d’un lymphome gastrique



Anamnèse et investigations

Une patiente de 36 ans, d’origine somalienne, mère de 2 enfants, consulte dans notre service des urgences pour des épigastralgies avec nausées et vomissements. Elle décrit aussi des épisodes d’hématémèse et de méléna. Selon ses dires elle avait perdu 20 kg en quelques semaines. Facteurs de risque: un tabagisme actif (15UPA) et une consommation de cannabis, à but anxiolytique. Elle était sous traitement par Pantoprazole et Primpéran par son médecin traitant. À l’examen clinique, l’abdomen est souple avec une douleur à l’épigastre sans défense ni détente. Les paramètres vitaux étaient dans la norme.

Un mois auparavant, une OGD à l’extérieur avait mis en évidence une pangastrite, Hélicobacter pylori positif et un grand ulcère (Forrest IIc) s’étendant entre le bulbe duodénal et l’antre de l’estomac. Un traitement par Pyléra 3-3-3 pour 10 jours avait été instauré, accompagné par Pantoprazole pour un mois. Une OGD de contrôle deux mois plus tard montra une légère régression de l’ulcère. Des biopsies révélèrent une négativité pour Hélicobacter pylori sans signes de dysplasie ni de malignité. Le test à l’uréase revenait négatif. Pour écarter un syndrome de Zollinger-Ellison, la gastrine fut dosée donnant une valeur de 99.6 (< 150) pmol/l, soit dans la norme ; et pour écarter une tumeur neuro-endocrinienne, la chromogranine A se trouva légèrement élevée à 238 (< 94) ug/l. Par la suite, la patiente était hospitalisée plusieurs fois pour des épigastralgies et vomissements. Son hémoglobine était normale et stable avec des valeurs > 160 g/l. Le laboratoire montrait une légère hypokaliémie (3.3 mmol/l) et une légère perturbation des tests hépatiques (ASAT 73 U/l, ALAT 83 U/l) sans choléstase ni syndrome inflammatoire. Un CT thoraco-abdominal n’a montré qu’un épaississement pariétal modéré de l’estomac, mais pas d’autres pathologies. Des traitements par Pantoprazole i.v. et p.o. ont été poursuivis. Parallèlement, un traitement nutritif (2 x Fresubin/jour) a été prescrit. À noter dans l’anamnèse de patiente aussi des antécédents de troubles de l’adaptation avec des symptômes anxio-dépressifs et des troubles alimentaires à l’âge de 20 ans. Un accompagnement psychiatrique incl. médication par Mirtazapine 15 mg/jour fut établi.

À la dernière hospitalisation, 4 mois après la 2ième OGD, elle ne pesait qu’encore 41 kg, mais cette fois aussi son Hb est à la baisse avec une valeur initiale de 108 g/l, le lendemain même à 96 g/l. De plus, nous trouvons un syndrome inflammatoire avec une leucocytose à 27.7 g/l et une CRP à 59 mg/l. En plus des épigastralgies, nous constatons aussi des ganglions axillaires et inguinaux, indolores. Un 2ème scanner abdominal montre toujours un épaississement pariétal de la partie basse de l’estomac et de la région du pylore (Fig. 1). Une sérologie virale et un test quantiferon reviennent négatifs. Une 3ième gastroscopie sous intubation protective (risque de broncho-aspiration) montre une grande ulcération antrale et intra-pylorique (Fig. 2), sténosante, très suspecte d’une néoplasie, ainsi que des signes d’une hémorragie digestive haute avec 350 ml d’hématine dans l’estomac. Des biopsies sont prélevées.

Diagnostic

Lymphome (MALT gastrique) a cellules T, ALK négatif, CD30 positif. (Fig. 3)

Discussion

La patiente fut transférée au service d’oncologie à l’Inselspital de Bern, notre centre de référence.

Le bilan extensif (CT, ponction de la moelle osseuse) n’a pas montré d’autres manifestations du lymphome. Mais un carcinome papillaire de la vessie urinaire, asymptomatique, a été découvert fortuitement, traite par TUR-B. Concernant le lymphome T, la patiente a bénéficié d’un traitement de chimiothérapie par CHOEP et A-CHP avec une bonne réponse. Une année plus tard, elle est en rémission complète et a gagné 12 kg de poids.

Les lymphomes gastriques primaires sont rares. Ils repré- sentent moins de 5 % de tous les cancers gastriques (1). La physiopathologie des lymphomes gastriques n’est pas com- plétement élucidée, mais le rôle primordial de l’infection à H. pylori est bien reconnu (1, 2). Une gastrite chronique à H. pylori génère par son antigénicité un recrutement des lymphocytes T et ensuite une prolifération de lympho- cytes B, sous influence de plusieurs cytokines et de facteurs pro-inflammatoires (NF-KB) (1, 2).

Les symptômes sont souvent aspécifiques comprenant nausée et vomissements, épigastralgie, perte pondérale jusqu’à des saignements gastrointestinaux occults (1). Les aspects endoscopiques ne sont pas forcément spécifiques non plus. Entre un érythème de la muqueuse suggérant une gastrite érosive et des ulcères de différentes tailles, parfois grandes, tout est possible (1, 2).

Le bilan biologique peut montrer une anémie, une élec- trophorèse des protéines pathologique, et une LDH et une béta-2 microglobuline élevées. Les sérologies virales (HIV, hépatites B et C) sont conseillées sous l’hypothèse d’une association entre infections virales chroniques et les lym- phomes (1). Le bilan extensif se fait par CT thoraco-abdo- mino-pelvien, evtl. IRM (1).

La première ligne de traitement des MALT gastriques est le traitement par éradication de H. pylori qui peut amener une rémission (1, 2). Tout de même il existe aussi une entité de lymphomes gastriques qui sont H. pylori négatifs (3, 4). Dans ces cas une radiothérapie ou chimiothérapie est indiquée. Le pronostic des MALT gastriques est très bon, avec une survie globale de 80% à 5 ans (1).

Historique:
Manuscrit reçu le: 12.12.2025
Accepté après révision: 26.02.2025

Remerciement
Nous remercions Pr Dr. MA Ortner pour toutes les informations concernant les 2 premières OGD et des analyses complémentaires et le Dr K. Houegnifiouh dans la coordination de la prise en charge de la patiente lors de ses hospitalisations. Photos cliniques avec l’aimable autorisation de l´Institut de radiologie de l´hôpital St-Imier et l´Institut de pathologie de l´Inselspital de Berne.

Polyxeni Lampropoulou 1
Elena-Cristina Fantana 2
Nathalie Marnas 3
Janina Wolf 4,
Marie-Noëlle Kronig 5
Solange Porret 2
Uwe Schiemann 1

1 Service de médecine interne, Hôpital de St-Imier, Réseau de l’Arc
2 Service d’anésthésie, Hôpital de St-Imier, Réseau de l’Arc
3 Institut de radiologie, Hôpital St-Imier, Réseau de l’Arc
4 Institut de pathologie, Inselspital, Berne
5 Service d’oncologie, Inselspital, Berne

Prof. Dr. med. Uwe Schiemann

Médecin-chef du service de médecine et gastroentérologie,
Hôpital du Jura bernois SA
Rue des Fontenayes 17
2610 St-Imier

uwe.schiemann@bluewin.ch

Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en rapport avec cet article.

Un ulcère gastrique, Hélicobacter pylori positif, réfractaire après une thérapie d’éradication, doit faire penser à la rare entité d’un lymphome gastrique. À noter également que l’incidence des lymphomes gastriques, Hélicobacter pylori négatifs, est en augmentation, ce qui suggère d’autres pa-thogènes ou antigènes dans la physiopathogénèse.

1. Matysiak- Budnik T. et. al. Gastrointestinal lymphomas : French Intergroup clinical practice recommandations for diagnosis, treatment and follow-up. Dig Liver Dis 2018 feb ;50 (2) :124-131,
2. Nakamura S.et al., Diagnosis and Treatment for Gastric Mucosa-Associated Lymphoid Tissue (MALT) Lymphoma, J Clin Med. 2023 Jan; 12(1): 120
3. Gu SX et al. Helicobacter pylori–negative mucosa-associated lymphoid tissue (MALT) lymphoma of the stomach: A clinicopathologic analysis, Am J Clin Pathol. 2023 Dec; 160(6): 612–619
4. Lemos FFB et al. Role of non-Helicobacter pylori gastric Helicobacters in helicobacter pyloris negative gastric mucosa-associated lymphoid tissue lymphoma. World J Gastroenterol 2023 Aug28;29 (32):4851-4859