- Fatigue et somnolence dans la pratique
Les troubles tels que « fatigue », « somnolence », besoin de sommeil prolongé avec réveil difficile (hypersomnie) ou « épuisement » avec durée de récupération prolongé doivent être définis le mieux possible par des questions ciblées en raison des conséquences thérapeutiques. En cas de fatigue ou de somnolence diurne, il convient d’ envisager à temps une narcolepsie, en plus des causes fréquentes telles que le manque de sommeil, l’ apnée du sommeil et la dépression. En règle générale, une vidéo-polysomnographie est indispensable pour exclure les troubles respiratoires ou moteurs liés au sommeil. En cas de suspicion de narcolepsie ou d’ hypersomnie, elle doit être complétée par l’ actigraphie et un test de latence au sommeil (MSLT). Le médecin traitant doit informer chaque patient souffrant de somnolence diurne, dès la première consultation, de sa grande responsabilité au volant et, en cas de doute, l’ adresser à un centre du sommeil pour un test de maintien de l’ éveil (TME).
Complaints such as «tiredness», «sleepiness», prolonged need for sleep with difficult awakening (hypersomnia) or «exhaustion» with prolonged recovery time must be defined as precisely as possible with targeted questions because of the therapeutic consequences. In the case of any tiredness or sleepiness, narcolepsy should be considered at an early stage in addition to the common causes such as sleep deficiency, sleep apnea and depression. As a rule, a video-polysomnography is necessary to exclude sleep-related breathing or movement disorders. If narcolepsy or hypersomnia is suspected, actigraphy and multiple sleep latency test (MSLT) should be added. The attending physician should inform every patient with daytime sleepiness already at the first consultation about his great responsibility at the wheel and refer the patient in case of doubt to a sleep center for a maintenance of wakefulness test (MWT).
Key Words: Hypersomnolence centrale, somnolence diurne, hypersomnie, narcolepsie, fatigue, syndrome de fatigue chronique
La « somnolence diurne », l’ « hypersomnie », la « fatigue » ou l’ « épuisement » (fatigue) sont des symptômes fréquents dans le cabinet de chaque médecin, qui nécessitent un diagnostic aussi précis que possible avant qu’ une thérapie et des conseils ciblés ne soient possibles (1, 2, 3). Lors de l’ anamnèse, il convient tout d’ abord de clarifier autant que possible ce que le patient entend par ses troubles, même s’ il faut être conscient que plusieurs troubles peuvent être présents simultanément.
Terminologie
Le terme « somnolence diurne » est utilisé pour désigner l’ augmentation de la pression de sommeil pendant la journée avec des endormissements fréquents dans des situations passives ou même actives. Contrairement à la fatigue, la somnolence s’ améliore lors d’ activités physiques et généralement aussi après une power-nap. Une somnolence diurne se traduit par un score élevé (>10/24 points) au questionnaire d’ Epworth (tab. 1) et peut être objectivée par une latence moyenne d’ endormissement raccourcie (< 10 minutes) au test de latence au sommeil (MSLT).
Le terme « hypersomnie » désigne un besoin de sommeil de >11 heures par 24 heures, généralement associé à un réveil difficile parce que le réveil n’ est pas entendu. La meilleure méthode pour quantifier l’ hypersomnie est la polysomnographie (PSG) « ad libitum », au cours de laquelle le patient peut faire la grasse matinée. Le terme « fatigue » est utilisé pour désigner la sensation d’ un manque d’ énergie prononcé, qui s’ accroît encore en cas d’ activité mentale ou physique. Le score de fatigue (4) (tab. 2) est nettement augmenté, le score d’ Epworth peut également être augmenté ou normal. La latence à l’ endormissement lors du test MSLT est cependant généralement normale (>10 minutes). Le lever matinal est également souvent retardé, non pas parce que le réveil n’ est pas entendu, mais parce que l’ énergie pour se lever manque après le réveil (= clinophilie). Le terme « épuisement (fatigue) » décrit la baisse de performance au cours d’ un effort mental ou physique, généralement suivie d’ un temps de récupération fortement prolongé (> 1 heure à une journée entière) avec un fort désir de repos mais pas forcément de sommeil.
Les causes
En plus de l’ anamnèse détaillée, y compris l’ évolution longitudinale et les éventuels liens avec des maladies somatiques ou psychiatriques, et d’ un examen clinique, le médecin de famille effectuera également quelques examens de laboratoire pour exclure des causes internes (tab. 3). La mise en évidence en laboratoire d’ une hypothyroïdie, d’ une anémie ou d’ une carence en fer ne devrait toutefois que rarement constituer la seule explication d’ une fatigue chronique ou d’ une somnolence.
La fréquente insuffisance de sommeil d’ origine sociale ou une hygiène du sommeil déficiente avec des heures de coucher et de lever variables et un rythme veille-sommeil décalé doivent être exclus dans une période de test de quelques semaines avec un rythme régulier et une durée de sommeil adaptée individuellement. Une insuffisance de sommeil d’ origine sociale d’ une heure par nuit par rapport au besoin de sommeil individuel peut déjà entraîner une somnolence/fatigue diurne. Le décalage du rythme veille-sommeil, qui apparaît surtout à l’ adolescence, se caractérise par l’ apparition simultanée d’ une insomnie d’ endormissement et d’ un réveil difficile, qui disparaît pendant les vacances lorsque le rythme est « libre ».
L’ étape suivante consiste à déterminer, au moyen d’ une vidéo-polysomnographie (PSG), les causes les plus fréquentes du sommeil non récupérable, telles que les troubles respiratoires et moteurs liés au sommeil et diverses parasomnies, y compris les crises d’ épilepsie pendant le sommeil (1). Dans le cas du syndrome d’ apnées obstructives du sommeil, la somnolence diurne ou la fatigue sont bien connues. En revanche, la relation de cause à effet entre un indice élevé de mouvements périodiques des jambes pendant le sommeil (PLMS) et une fatigue ne devrait pas être présumée d’ emblée, tant qu’ un traitement probatoire des PLMS n’ a pas permis d’ améliorer la fatigue. Une fois que le sommeil non récupérable a été exclu, il reste un petit groupe d’ « hypersomnolences centrales », dont font partie, outre la narcolepsie avec ou sans cataplexie, l’ hypersomnie idiopathique (HI) et l’ hypersomnie non organique. En raison des séquences thérapeutiques, ces causes doivent être distinguées et différenciées du syndrome de fatigue chronique (SFC) (7). Le diagnostic est posé sur la base des symptômes cliniques typiques (tab. 4A) et des résultats des examens complémentaires de médecine du sommeil (tab. 4B).
On distingue la narcolepsie avec cataplexie (NC ; type 1) de la narcolepsie sans cataplexie (NSC; narcolepsie monosymptomatique ; type 2) (1, 2).
Il s’ agit d’ un trouble potentiellement invalidant de la « structure du sommeil et de l’ éveil », caractérisé par la pentade 1. attaques de sommeil, 2. pertes de tonus affectif (cataplexie ; type 1 uniquement), 3. hallucinations hypnagogiques, 4. paralysies du sommeil et 5. troubles de sommeil nocturne, y compris des rêves perturbants. La maladie débute souvent entre 15 et 25 ans, pendant l’ apprentissage ou l’ école, mais plus rarement bien plus tard. La plupart du temps, la somnolence diurne extrême apparaît en premier et les cataplexies souvent au cours des mois suivants, mais rarement des années plus tard, voire jamais dans le cas du type 2. Des hallucinations hypnagogiques ou des paralysies du sommeil sont décrites par environ 60 % des patients, mais ne sont pas spécifiques pour la narcolepsie.
La somnolence diurne prononcée, souvent avec un score d’ Epworth > 15 points et/ou sous forme de crises d’ endormissement irrésistibles avec des actions automatiques dans le demi-sommeil, est pratiquement toujours la plainte principale. Les adultes font généralement état d’ un réveil sans problème le matin, voire d’ une insomnie de la nuit et d’ un sommeil diurne récupérable. Les enfants et les adolescents indiquent plus souvent un besoin de sommeil prolongé par 24 heures avec un réveil difficile et des siestes non récupérables.
Le type 1 se caractérise par des crises de faiblesse (= cataplexie) de la musculature de la nuque, des paupières, de la mâchoire inférieure ou une dysarthrie, déclenchées après les premières secondes de l’ émotion. La faiblesse dans les genoux est fréquente, mais moins spécifique de la narcolepsie. Pour un diagnostic clair, surtout pour la recherche, mais aussi en l’ absence de cataplexie classique, un taux d’ hypocrétine fortement réduit dans le liquide céphalorachidien (LCR) est diagnostique en cas d’ une NC.
La cause de la narcolepsie est supposée être une réaction auto-immune avec une production d’ hypocrétine largement absente dans l’ hypothalamus latéral, ce qui se produit chez les personnes génétiquement prédisposées avec un HLA DQB1*0602 positif, spontanément ou après certaines influences exogènes comme par exemple une infection streptococcique ou virale et très rarement après une vaccination (6).
- L’ hypersomnie idiopathique se caractérise par une augmentation du besoin de sommeil de plus de 2 heures par rapport au passé ou à une valeur > 11 heures par jour. Typiquement, ces patients présentent un réveil difficile et des siestes diurnes non récupérables, ce qui doit également être pris en compte dans la thérapie comportementale, car une prolongation supplémentaire de la durée du sommeil n’ entraîne pas d’ amélioration de la vigilance diurne.
- L’ hypersomnie non organique s’ observe souvent dans le cadre d’ une dépression partiellement rémittente et peut être suspectée par le début et l’ évolution parallèle des symptômes affectifs
Thérapie et conseil
Le traitement est axé sur les symptômes et se compose de mesures non médicamenteuses et médicamenteuses (tab. 5), dans le but de réussir l’ école ou l’ apprentissage et de permettre l’ exercice de la profession apprise. Pour lutter contre la somnolence diurne, on associe des pauses de sommeil fixes pendant la journée à des stimulants comme le Modasomil®, la Ritaline® ou, « off label », le Wakix®, le Sunosi® ou les amphétamines. Pour le traitement des cataplexies, Xyrem® est aujourd’ hui considéré comme un médicament de premier choix, qui a en même temps un effet positif sur le sommeil nocturne souvent fragmenté et qui, de manière intéressante, peut également atténuer les difficultés de réveil le matin en cas d’ hypersomnie idiopathique (8). En cas de causes non organiques et surtout en cas de syndrome de fatigue chronique, le traitement de premier choix consiste en un programme d’ entraînement progressif dans le cadre d’ une thérapie comportementale, soutenu par des antidépresseurs activateurs (Wellbutrin®, Venlafaxine®).
Le conseil porte sur le choix d’ une profession, les possibilités de compensation des désavantages à l’ école et en apprentissage, le planning familial, l’ aptitude à la conduite et, selon les activités, sur d’ autres domaines de la vie, une étroite collaboration entre le patient, le médecin de famille, le spécialiste du sommeil et, selon la situation, les employeurs et les psychologues étant un grand avantage (tab. 6). L’ association de patients (www.narcolepsy.ch) offre la possibilité d’ un accompagnement par d’ autres personnes concernées qui ont déjà fait l’ expérience de stratégies d’ adaptation (système de pairs).
Cet article est une traduction de « der informierte arzt – die informierte ärztin» 10_2022
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3013 Berne
johannes.mathis@hin.ch
L’ auteur n’ a pas déclaré de conflits d’ intérêts en rapport avec cet article.
1. Mathis J. and Hatzinger M. Praktische Diagnostik bei Müdigkeit/Schläfrigkeit. Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie 2011; 162:300-9
2. International Classification of Sleep Disorders (ICSD), 3. Aufl. American Academy
of Sleep Medicine: 2014
3. Stadje R, Dornieden K, Baum E, et.al. The differentil diagnois of tiredness:
a systematic review. BMC Family Practice 2016; 17: 1-11
4. Bloch KE, Schoch OD, Zhang JN, Russi EW. German version of the Epworth Sleepiness Scale. Respiration 1999; 66(5):440-447.
5. Krupp LB, LaRocca NG, Muir-Nash J, Steinberg AD. The fatigue severity scale. Application to patients with multiple sclerosis and systemic lupus erythematosus. Arch Neurol. 1989;46:1121–3.
6. J. Mathis, S. Strozzi. Narkolepsie, eine Folge der H1N1-Grippeimpfung? Schweiz. Med. Forum 2012; 12: 8-10
7. Mathis J. Narkolepsie und andere «Zentrale Hypersomnolenzen». Praxis 107: 1161-1167 (2018)
8. Leu-Semenescu, Smaranda; Louis, Pauline; Arnulf, Isabelle (2016): Benefits and risk of sodium oxybate in idiopathic hypersomnia versus narcolepsy type 1: a chart review. Sleep Medicine 17, S. 38–44. DOI: 10.1016/j.sleep.2015.10.005.
9. Mathis J, Seeger R, Ewert U. Excessive daytime sleepiness, crashes and driving capability. Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie 2003; 154:329-338.
10. Mathis J, Kohler M, Hemmeter U-M, Seeger R. Fahreignung bei Tagesschläfrigkeit: Empfehlungen für Ärzte und akkreditierte Zentren für Schlafmedizin. Swiss Med Forum 2017; 17: 442-447 oder www.swiss-sleep.ch/driving
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