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Maladie d’ Alzheimer – préparation du système dans le contexte de nouveaux développements

L’ autorisation éventuelle de nouvelles thérapies à base d’ anticorps monoclonaux pour la maladie d’ Alzheimer pose des défis aux systèmes de santé du monde entier. Dans le présent travail, l’ association Swiss Memory Clinics (SMC) procède à une analyse des ressources disponibles et identifie les éventuels points de tension dans leur déploiement. La gestion d’ éventuelles limitations en matière de capacités représente un défi qui nécessite des mesures à différents niveaux. Notre analyse montre aussi que nous disposons en Suisse de bonnes conditions pour intégrer de nouveaux développements dans les structures de soins existantes.



The potential authorisation of new monoclonal antibody therapies for Alzheimer’s disease poses challenges for healthcare systems around the world. In this paper, the Swiss Memory Clinics (SMC) association analyses the available resources and identifies potential points of tension in their deployment. Managing potential capacity limitations is a challenge that requires measures at various levels. Our analysis also shows that we have good conditions in Switzerland for integrating new developments into existing care structures.
Keywords: Alzheimer’ s disease, dementia, therapy, health care

Contexte

Actuellement, environ 156 900 personnes vivent avec une démence en Suisse, et ce chiffre devrait atteindre 315 000 personnes en 2050. Chaque année, 33 800 nouvelles démences sont diagnostiquées (1). Depuis sa création le 20 mai 2008, la SMC s’ engage dans toute la Suisse en faveur d’ un diagnostic et d’ un traitement de haute qualité et largement disponible des troubles neurocognitifs – en particulier des différentes formes de démence (2, 3, 4, 5).

Les thérapies anti-amyloïdes (AAT) ne sont pas encore disponibles en Suisse. Deux études de phase 3 avec les anticorps monoclonaux lecanemab (6) et donanemab (7) ont pu montrer des résultats positifs significatifs sur tous les critères d’ évaluation cliniques et paracliniques (p. ex. qualité de vie) dans le traitement des troubles cognitifs légers (MCI) et de la démence légère de la maladie d’ Alzheimer (MA) sur une période de 18 mois. Ces médicaments sont déjà utilisés dans certains pays (par exemple aux États-Unis, au Japon et en Chine). L’ Agence australienne des mèdicaments s’ est prononcée contre l’ autorisation du lecanemab. En Grande-Bretagne, l’ autorité d’ homologation s’ est prononcée en faveur d’ une autorisation en excluant les personnes présentant le plus grand risque d’ effets secondaires, mais le National Institute for Health and Care Excellence s’ est prononcé contre une prise en charge par le National Health Service pour des raisons médico-économiques. L’Agence européenne des médicaments (EMA) et la Commission européenne se sont finalement elles aussi prononcées récemment en faveur d’une autorisation du lecanemab, à l’exclusion des personnes présentant le plus grand risque d’effets secondaires. En Suisse, les préparations sont actuellement soumises à la procédure d’ autorisation auprès de Swissmedic.

Les AAT nécessitent de nombreuses ressources du système de santé en ce qui concerne le diagnostic, l’ application des thérapies et le monitoring. Une analyse de Hlavka et al. menée dans six pays européens montre que des limitations au niveau des capacités pourraient conduire à ce que plus d’ un million de patients souffrant de troubles cognitifs légers dus à la MA évoluent vers le stade de la démence, alors qu’ ils sont sur une liste d’ attente pour un traitement spécialisé (8). Ce chiffre est toutefois nettement surestimé, car nous savons désormais que seule une minorité de la population éligible est susceptible de bénéficier de l’ AAT (voir ci-dessous).

Nous aimerions expliquer ci-dessous dans quelle mesure nous estimons que le système de santé suisse pourrait gérer l’ introduction d’ une telle thérapie.

Aperçu des Swiss Memory Clinics (SMC)

Les données présentées ci-après reposent pour la plupart sur une enquête menée par l’ association SMC auprès de ses membres afin de recenser les caractéristiques structurelles et procédurales du traitement interdisciplinaire.

Les médecins de famille sont souvent le premier point de contact pour les patients et leurs proches et fonctionnent comme les principaux référents pour le traitement dans les cliniques de la mémoire (MC). Les processus de cette collaboration ont été décrits dans le cadre des recommandations diagnostiques SMC au sens d’ une stratégie de «case finding» (3, 4).

Avec environ 5.44 MC pour 1 000 000 d’ habitants, la Suisse présente une densité élevée d’ unités de soins interdisciplinaires spécialisées en comparaison internationale. S’ y ajoutent des offres en dehors du réseau SMC.

Le Tab. 1 ci-dessous présente l’ évolution au sein du réseau SMC entre 2018 et 2023. On constate une nette augmentation du nombre de MC et des ressources en personnel par MC accompagnée d’ une augmentation des délais d’ attente.

Disponibilité du diagnostic
L’ accès au diagnostic est globalement très bon. Des examens neuropsychologiques par MC et par an sont réalisés dans 83 % des cas. Tous les MC ont accès, au sein de leur institution ou par le biais de coopérations, aux examens de laboratoire, à l’ IRM, au FDG-PET, au diagnostic du LCR et à l’ EEG, 89 % ont également accès au PET amyloïde.

Répartition des diagnostics
La répartition des diagnostics en 2023 est présentée dans la Fig. 1. Les données sont basées sur des estimations. Une MA représente 65 % des cas. Dans 39 % la MA est un stade de MCI ou de démence légère.

Manque potentiel de soins dans le contexte de l’ AAT

Malgré l’ infrastructure suisse relativement développée en ce qui concerne les soins aux personnes atteintes de démence, la question se pose de savoir dans quelle mesure l’ autorisation d’ une AAT pourrait entraîner une limite dans la trajectoire des soins. Il y a encore quelques inconnues à ce sujet, par exemple on dispose encore de peu de données sur les effets cliniques à long terme et sur la sécurité en cas d’ utilisation prolongée. Néanmoins, une évaluation est d’ ores et déjà nécessaire pour estimer si la Suisse sera en mesure de fournir ces traitements en temps voulu.

Diagnostic
En Suisse, on estime que le taux d’ incidence annuel des démences est de 32 900. Environ 15 000 cas sont examinés chaque année dans les MC. En cas d’ augmentation des orientations vers le diagnostic précoce dans le contexte des nouvelles possibilités thérapeutiques, les MC estiment que l’ amélioration de l’ efficacité et l’ extension de l’ offre permettraient de réaliser 3000 examens supplémentaires par an dans toute la Suisse.

Une augmentation progressive de la demande de bilans MC jusqu’ à 20 000 à 25 000 par an (60–75 % de l’ incidence annuelle) est un scénario réaliste, ce qui pourrait dans un premier temps avoir une influence négative sur les délais d’ attente jusqu’ au premier bilan.

Traitement
Les premières données issues de la prise en charge montrent que, compte tenu des recommandations actuelles d’ utilisation des nouvelles substances dans une population de MA dans les MC, seuls environ 8 à 17 % des cas pourraient éventuellement être éligibles pour une AAT, selon les critères d’ inclusion et d’ exclusion appliqués (9, 10, 11). Pour les MC en Suisse, cela signifierait actuellement, pour une population initiale de MA d’ environ 5850 cas (39 % des 15 000 cas de MC), approximativement 468 à 995 nouveaux patients éligibles pour une AAT par an. Ce nombre pourrait augmenter au fur et à mesure que le diagnostic précoce se développe (voir ci-dessus). Il n’ est pas encore possible d’ estimer combien d’ entre eux consentiront effectivement pour un traitement et cela dépendra fortement des évaluations du rapport bénéfice/risque des groupes d’ intérêt concernés. Il est probable que seule une fraction des patients éligibles accepterait de suivre une AAT.

Les ressources pour la mise en œuvre de thérapies par perfusion sont loin d’ être disponibles dans toutes les MC. Dans 65 % des cas, on ne sait pas encore dans quelle mesure il est possible d’ implémenter des places de thérapie dans les réseaux MC. Dans 32 % des MC, 15 places de thérapie hebdomadaires sont directement ou indirectement indiquées comme disponibles, ce qui correspond à une capacité moyenne d’ environ 180 thérapies par perfusion par semaine. En fonction de la fréquence d’ application, cela donne une capacité annuelle de 360 à 720 patients AAT. La capacité de perfusion dans le réseau MC pourrait vraisemblablement être augmentée au fil du temps par des mesures organisationnelles et des coopérations ciblées. En outre, une durée de traitement limitée dans le temps ainsi que des formes d’ application sous-cutanées en cours de développement pourraient améliorer la situation.

Aperçu
L’ augmentation anticipée des besoins en ressources pour les examens spécialisés en cas d’ autorisation de nouvelles AAT contraste avec les pénuries de ressources dans le domaine du personnel spécialisé, avec une tendance à l’ augmentation des temps d’ attente et une capacité d’ extension limitée à environ 18 000 de bilans par an. Les estimations des lacunes potentielles en matière de capacités pour les thérapies par perfusion sont incertaines et vont de 0 à 635. Nous ne prévoyons toutefois pas de lacunes importantes à long terme. L’ accès aux diagnostics complémentaires par appareillage ou par chimie de laboratoire semble poser peu de problèmes à la Suisse. Les mesures qui peuvent contribuer à compenser le manque de ressources comprennent l’ intensification des coopérations à l’ intérieur et à l’ extérieur des institutions respectives ainsi que les développements diagnostiques et thérapeutiques (voir ci-dessous, Tab. 2).

Mesures et conditions-cadres

En raison des connaissances spécialisées nécessaires, qui requièrent de longues périodes de formation et de perfectionnement, ainsi que de la pénurie générale de personnel qualifié dans le secteur de la santé, une augmentation rapide du personnel pour compenser le manque de soins semble irréaliste. Des processus d’ amélioration continue visant à augmenter la productivité des professionnels existants, tels que la numérisation ou la délégation, ainsi que la mise en place de coopérations semblent plus appropriés. Il sera essentiel de savoir dans quelle mesure il sera possible de poser des indications précises et efficaces avec des processus d’ évaluation allégés et d’ étendre les capacités de perfusion. Les aspects suivants doivent notamment être pris en compte:
• Utilisation de nouvelles technologies de biomarqueurs, comme les biomarqueurs sanguins et l’ augmentation par l’ intelligence artificielle.
• Nouvelles formes de collaboration entre les soins primaires et les MC.
• Mise en place et développement de capacités de perfusion par des coopérations ciblées.
• Formes d’ administration limitées dans le temps et par voie sous-cutanée.
• Gestion efficace des effets secondaires potentiels grâce à des coopérations ciblées.

Conditions cadres nécessaires:
• Rôle central de coordination des experts en démence pour garantir la qualité du traitement et de l’ indication, et grande importance accordée à une information minutieuse et centrée sur le patient ainsi qu’ aux aspects médico-éthiques.
• Recommandations professionnelles concernant le diagnostic et le traitement appropriés ainsi que l’ élaboration de procédures opératoires standard.
• Amélioration des données de base par la promotion de la recherche sur les soins et le développement d’ un registre.
• Procédure uniforme de garantie de prise en charge des coûts pour la période entre une éventuelle décision positive de Swissmedic et l’ admission sur la liste des spécialités.

Conclusions

Le système de santé suisse ne sera pas facilement en mesure d’ offrir un accès à tous les patients dans un délai raisonnable en cas d’ autorisation d’ une AAT. Des ajustements importants seront nécessaires. Au vu de notre analyse, il apparaît toutefois que nous disposons de structures et de mesures permettant de minimiser le risque que les patientes et les patients connaissent une progression de leur maladie en attendant un traitement spécialisé.

La gestion d’ éventuelles limitations en termes de capacités constitue un défi qui nécessite des mesures à différents niveaux. Le manque de ressources en personnel, notamment, rend difficile la mise en œuvre de la création et de l’ extension d’ autres offres. La politique (nationale et cantonale), les universités, les hôpitaux/cliniques, les sociétés de discipline médicale, les établissements de formation postgraduée et les cadres sont ici sollicités.

Les auteurs sont d’ avis qu’ en cas d’ autorisation, l’ accès à l’ AAT devrait être possible pour tous les patients éligibles et intéressés.

Abréviations
SMC Association Swiss Memory Clinics
AAT Thérapie anti-amyloïde
MCI Trouble cognitif léger
MA Maladie d’ Alzheimer
MC Memory Clinics
FTLD Dégénérescence lobaire frontotemporale
LBD Démence à corps de Lewy
SCD Déclin cognitif subjectif

Copyright
Aerzteverlag medinfo AG

Cet article est une deuxième impression de PRAXIS 11_12_2024:
Rafael Meyer et al, Alzheimer-Krankheit – Systembereitschaft im Kontext neuer Entwicklungen

Andreas Monsch 3, Gilles Allali 7, Nadège Barro-Belaygues 1, 4, Stefanie Becker 6, Markus Bürge 8, Giovanni B. Frisoni 9, Dan Georgescu 1, 2, Anton Gietl 1, Hans H. Jung 10, Aurelien Lathuiliere 1, 5, 9, Kathrin Lindheimer 11, Karl-Olof Lovblad 9, Tatjana Meyer-Heim 1, 4, Julius Popp 1, 2, Olivier Rouaud 1, 7, Marc Sollberger 12, Ansgar Felbecker 1, 5

1 Swiss Memory Clinics (SMC), 2 Schweizerische Gesellschaft für Alters­psychiatrie und -psychotherapie (SGAP), 3 Schweizerische Vereinigung der Neuropsychologinnen und Neuropsychologen (SVNP), 4 Schweizerische Fachgesellschaft für Geriatrie (SFGG), 5 Schweizerische Neurologische Gesellschaft (SNG), 6 Alzheimer Schweiz, 7 Centre hospitalier universitaire vaudois, 8 Berner Spitalzentrum für Altersmedizin Siloah BESAS, 9 Hôpitaux Universitaires de Genève, 10 Memory Clinic, Klinik für Neurologie, Universitätsspital Zürich, 11 Spital Affoltern, 12 Felix Platter Spital, Universitäre Altersmedizin Basel

Dr. med. Rafael Meyer

Psychiatrische Dienste Aargau AG
Klinik für Konsiliar-, Alters- und Neuropsychiatrie
Husmatt 1
5405 Baden-Dättwil

rafael.meyer@pdag.ch

Les auteurs de cette publication ont déclaré tous les conflits d’intérêts pertinents. Si vous souhaitez de plus amples informations, veuillez contacter le Secrétariat à l’adresse suivante: info@swissmemoryclinics.ch.

  • L’ autorisation (éventuelle) de nouvelles thérapies à base d’ anticorps monoclonaux pour la maladie d’ Alzheimer pose des défis aux systèmes de santé, aussi en Suisse.
  • Notre analyse montre que nous disposons en Suisse de bonnes conditions pour intégrer de nouveaux développements dans les ­structures de soins existantes.
  • En cas d’ autorisation l’ accès à l’ AAT devrait être possible pour tous les patients éligibles et intéressés.

1. https://www.alzheimer-schweiz.ch/fileadmin/dam/Alzheimer_Schweiz/Dokumente/Ueber_Demenz/Zahlen-Fakten/Factsheet_DemenzCH_2024_DE.pdf
2. https://www.swissmemoryclinics.ch/smc-ueber-uns/portraet/
3. Bürge M, Bieri G, Brühlmeier M, Colombo F, et al. Die Empfehlungen der Swiss Memory Clinics für die Diagnostik der Demenzerkrankungen [Recommendations of Swiss Memory Clinics for the Diagnosis of Dementia]. Praxis (Bern 1994). 2018;107(8):435-451
4. Popp J, Meyer-Heim T, Bürge M, Ehrensperger M, et al. Die Empfehlungen der Swiss Memory Clinics für die Diagnostik der Demenzerkrankungen – ein Update. Swiss Memory Clinics, Nationale Plattform Demenz. 2024
5. Klöppel S, Meyer-Heim T, Ehrensperger M, Rüttimann A, et al. Therapieempfehlungen Demenz. Swiss Memory Clinics, Nationale Plattform Demenz. 2024
6. Van Dyck CH, Swanson CJ, Aisen P, Bateman RJ, et al. Lecanemab in Early Alzheimer’ s Disease. N Engl J Med. 2023;388(1):9-21
7. Sims JR, Zimmer JA, Evans CD, Lu M, et al. Donanemab in Early Symptomatic Alzheimer Disease: The TRAILBLAZER-ALZ 2 Randomized Clinical Trial. JAMA. 2023;330(6):512-527
8. Hlavka JP, Mattke S, Liu JL. Assessing the Preparedness of the Health Care System Infrastructure in Six European Countries for an Alzheimer’ s Treatment. Rand Health Q. 2019;8(3):2
9. Pittock RR, Aakre JA, Castillo AM, Ramanan VK, et al. Eligibility for Anti-Amyloid Treatment in a Population-Based Study of Cognitive Aging. Neurology. 2023;101(19):e1837-e1849
10. Chiabotti PS, Rouaud O, Allali G. Reader Response: Eligibility for Anti-Amyloid Treatment in a Population-Based Study of Cognitive Aging. Neurology. 2024;102(9):e209375.
11. Dobson R, Patterson K, Malik R, et al. Eligibility for antiamyloid treatment: preparing for disease-modifying therapies for Alzheimer’ s disease. Journal of Neurology, Neurosurgery & Psychiatry. 2024;95:796-803.

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  • Vol. 14
  • Ausgabe 3
  • Mai 2025