Une infection commune, à ne pas banaliser et prévenable par la vaccination !

En dépit de décennies de surveillance et d’ interventions (pharmacologiques et non-pharmacologiques), les virus de la grippe saisonnière continuent de causer de lourdes épidémies dans le monde chaque année. Sous nos latitudes, les affections dues aux virus influenzae A/H1N1, A/H3N2 et influenzae B surviennent chaque hiver. Le processus clé qui sous-tend ces épidémies récurrentes est la capacité évolutive des virus à échapper à la mémoire immunitaire induite par les contacts antérieurs (infection et/ou vaccination).

Bien que nous commencions à comprendre les mécanismes qui sous-tendent cette dynamique, le moment et la nature de l’ émergence de nouvelles souches demeurent encore pour la plupart imprévisibles (1). Trop souvent considérée comme une affection bénigne, la grippe est très contagieuse et à l’  origine de 1000 à 5000 hospitalisations et 1500 décès chaque année en Suisse (www.bag.admin.ch). Sa prévention par la vaccination est actuellement la mesure la plus efficace (2-5) et les recommandations ont d’ ailleurs peu changé depuis 2013 (www.infovac.ch). Le vaccin est recommandé annuellement chez toutes les personnes dites à risque accru de complications (Tableau 1, 2) sans qu’ il y ait d’ évidence d’ une réduction de l’ efficacité de protection avec ce schéma de vaccination. En Suisse, les affections grippales sont surveillées par le système de déclaration Sentinella et toutes les infections confirmées en laboratoire sont enregistrées dans un système de déclaration obligatoire.
Cette surveillance et les données collectées permettent aux chercheurs de surveiller les tendances épidémiques des virus grippaux et d’ accumuler les séquences virales dans les bases de données publiques. Une meilleure sélection des virus candidats aux vaccins et la détection précoce des virus résistants aux médicaments en est une résultante directe tout comme les avancées prometteuses en matière de prévention et de traitement.

La saison grippale 2018/19 en chiffres

En Suisse, les virus qui ont circulé pendant la dernière saison étaient très majoritaire des virus influenzae A de type A/H1N1pdm09 et A/H3N2. La résultante a été que la couverture vaccinale était excellente (99.5%). Le vaccin quadrivalent n’ a présenté qu’ un très faible avantage, car les virus de la lignée influenzae B-Yamagata n’ ont que très peu circulé. Selon les études, l’ efficacité vaccinale chez les personnes non hospitalisées a été estimée à 32-68 %. Elle était nettement plus élevée vis-à-vis des virus A/H1N1pdm09 (45-72 %) qu’ A/H3N2 (-39 à 45 %).
Sur l’ ensemble de la saison 2018/19, la surveillance entre du 30 septembre 2018 au 20 avril 2019, a été estimé que 209 200 personnes (2.5% de la population Suisse) ont consultés un médecin de premier recours pour une affection grippale, soit une incidence globale de 2466 premières consultations pour 100 000 habitants. Ce chiffre est de 13% plus bas que l’ incidence saisonnière globale moyen sur les dix dernières saisons (2846/100 000). Le seuil épidémique pour la saison 2018/19 se situait à 68 cas de suspicion de grippe pour 100 000 habitants. L’ incidence des consultations hebdomadaire a dépassé ce seuil de la mi-janvier (semaine 2/2019) à la mi-mars (semaine 12/2019) pour une durée totale de 11 semaines avec un pic épidémique atteint à la sixième semaine de 2019 (306 consultations / 100 000 habitants) qui était le plus bas mesuré depuis 2012/13. Si l’ incidence était maximale chez les enfants de 0-4 ans (4993 consultations / 100 000 habitants), les 65 ou plus étaient la catégorie de la population qui a été la moins infectée avec tout de même 1426 consultations / 100 000 habitants (www.bag.admin.ch).

Cette catégorie d’ âge par contre, le nombre de décès a très légèrement dépassé les valeurs attendues au début mars 2019. Chaque année, cette surmortalité témoigne de la gravité de l’ épidémie dans cette population et du risque d’ évolution grave chez les personnes vulnérables. Parmi l’ ensemble des cas de grippe déclarés, 7.6% appartenait au groupe des personnes présentant un risque accru de complication et 36.6% aux 65+. La proportion la plus élevée d’ hospitalisation pour suspicion de grippe était aussi enregistrée dans cette population (4.7%) et le plus faible chez les 5-29 ans (0%). Une pneumonie a été diagnostiquée chez 3,4 % des cas de suspicion de grippe déclarés, le plus souvent chez les plus de 64 ans (10.5 %), le plus rarement chez les enfants de 0 à 4 ans (1.5 %) (www.bag.admin.ch).
Durant la saison 2018/19, environ 7.9% des personnes déclarées pour suspicion de grippe avec un statu vaccinal connu étaient vaccinés. Cette proportion était plus importante dans les groupes chez qui l’ OFSP recommande la vaccination (Tableau 1) avec 33.5% chez les 65+ et 40.1% avec un risque accru de complications. Un traitement antiviral, dans la plupart des cas par un inhibiteur de la neuraminidase a été administré chez 2.2% des personnes ayant déclaré une grippe ; 10.4% ont reçu un traitement antibiotique probablement en raison d’ une surinfection
bactérienne (www.bag.admin.ch).

La grippe est contagieuse avant les symptômes et parfois même asymptomatique

La grippe se transmet par contact direct avec une personne infectée (éternuement, toux jusqu’ à 1 mètre), notamment dans des espaces clos. Mais, les virus grippaux peuvent aussi rester vivants jusqu’ à 48 heures sur des surfaces inertes. Comme il a été estimé qu’ un individu adulte peut avoir jusqu’ à 40 contacts facial par heure avec ces mains, les contacts avec des objets et des surfaces inertes « contaminés » (table, poignées de portes, bouton d’ ascenseur, rampe d’ escalier, billet de banque, etc.) sont une voie de transmission à ne surtout pas banaliser (6). Les personnes contaminées peuvent transmettre les virus de la grippe à d’ autres même si elles ne se sentent pas (encore) malades (6). De plus, près d’ un tiers des personnes infectées ne présente aucun des symptômes spécifiques et ne se sent même pas malade (7). Ces personnes peuvent être des vecteurs de transmission qui s’ ignorent.
La vaccination contribue fortement à diminuer le risque de transmission chez les personnes vaccinés, mais aussi chez les non vaccinés lorsque le taux de couverture vaccinale est suffisant (≥ 75% de la population) par le biais de l’ immunité de groupe (8). Les professionnels de la santé sont parmi les personnes les plus fortement exposées au risque de contracter la grippe (9). De plus, les arrêts de travail pour maladie qui en résultent impliquent souvent une charge de travail supplémentaire pour les collègues en période épidémique et/ou des contraintes de réorganisation en rapport avec le recours à du personnel intérimaire notamment dans les EMS et les hôpitaux (10).

La grippe en clinique

Après contamination, les symptômes grippaux apparaissent généralement en un à trois jours. La grippe saisonnière se manifeste par une sensation de malaise général, une brusque poussée de fièvre, des frissons, des maux de tête, des arthro-myalgies, une perte d’ appétit et de vertiges. La seconde phase se caractérise par l’ intensification des symptômes respiratoires (toux sèche, maux de gorge, enrouement, rhinite). La fièvre dure en générale 3 à 8 jours et la convalescence 7 à 15 jours mais peut se prolonger au-delà (11). Cependant chez les personnes âgées et/ou celles présentant des affections chroniques, la grippe est loin d’ être une maladie bénigne et peut s’ accompagner des complications (12). Les complications les plus fréquentes sont les pneumonies infectieuses. Primaires, elles sont dues à la virulence directe du virus de la grippe ; secondaires, à une surinfection bactérienne (12).

La vaccination, recommandée chaque année reste la prévention la plus efficace

La vaccination reste la prévention la plus simple, efficace et économique chez les personnes à risque accru de complication et/ou de transmission de l’ infection grippale (Tableau 1). La diversité antigénique des virus grippaux humains représente cependant encore un défi pour le développement de vaccins dotés d’ une protection immunitaire durable (1).

Les alternatives à la vaccination – Les autres moyens de lutter contre la grippe, notamment les mesures d’ hygiène (même si elles sont indispensables) restent un complément à la vaccination et ne peuvent la remplacer. En l’ absence de vaccin ou de traitement spécifiques des autres infections respiratoires hivernales, les masques, les appareils de protection respiratoire et l’ hygiène des mains ainsi que les mesures barrières (isolement «’  gouttelettes’  », éloignement social) restent de ce fait les seules armes efficaces (13-15). De façon intéressante, les effets immunomodulateurs de la VitD ont été considérés dans la prévention de la grippe et des infections respiratoires saisonnières (16). Dans essai randomisé contrôlé en long séjour, il a été montré qu’ une supplémentation par 100 000 UI/mois de VitD réduisait l’ incidence des infections respiratoires aiguës (2) comparativement à une supplémentation standard (400-1000 UI/jour) (17). Si les effets anti-infectieux de la VitD sont de mieux en mieux documentés, aucune donnée actuellement ne confirme un effet de la VitD sur l’ immunogénécité des vaccins antigrippes (18).

Les vaccins actuellement disponibles et autorisés pour les adultes – Ils contiennent par dose de 0,5 ml, 15 µg d’ hémagglutinine (HA) de chacune des souches virales constitutives. Il existe des vaccins trivalent (3 souches grippales = A/H1N1pdm2009, A/H3N2, et B-Victoria – Agrippal®, Fluarix®, Influvac® et Mutagrip®) et un vaccin quadrivalent (4 souches virales = trivalent + B-Yamagata – Fluarix Tetra®). Chez l’ adulte, il n’ y a pas d’ arguments cliniques à privilégier un vaccin trivalent ou un vaccin tétravalent. Le vaccin trivalent Fluad® a la particularité de contenir un adjuvant (MF59C) qui en renforce l’ immunogénicité et l’ efficacité (19). Il est particulièrement recommandé pour les adultes à partir de 65 ans (www.sevaccinercontrelagrippe.ch) (20). Si les vaccins sont disponibles pour tous, la priorité est la vaccination des personnes appartement à un groupe à risque accru de complications (Tableau 1) (www.infovac.ch). Tous les vaccins autorisés en Suisse sont inactivés et exempts de mercure et d’ aluminium. En mars dernier, l’ Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié ses recommandations pour la composition des vaccins Influenza pour l’ hémisphère nord pour la saison 2019/2020. En comparaison avec les vaccins 2018/2019, la composition du vaccin trivalent a été modifiée en ce qui concerne les A/H3N2 (A/Kansas/14/2017) et A/H1N1 (A/Brisbane/02/2018) afin de mieux couvrir les virus en circulation. La souche B-Victoria (B/Colorado/06/2017) reste inchangée tout comme la souche supplémentaire influenzae B contenue dans le vaccin tétravalent (B / Phuket/3073/2013-like). Sans adjuvant, les vaccins sont disponibles depuis la fin du mois de septembre.

La controverse sur la vaccination annuelle – Plusieurs études observationnelles ont suggéré qu’ une vaccination annuelle répétée aurait un effet négatif sur la protection pendant certaines saisons. Cette interférence négative a été principalement observée pour l’ influenzae A/H3N2 (21, 22). Ce phénomène doit cependant être interprété avec prudence et ne doit pas encore conduire à modifier la pratique et la politique en matière de vaccination (23). En effet, le recul temporel est trop court et trop peu d’ études ont été réalisées. De plus, l’ hétérogénéité des résultats est très grande. Peu de travaux ont analysé l’ effet de plusieurs vaccinations annuelles sur l’ efficacité du vaccin, même si elles suggèrent que l’ efficacité antigrippale pourrait être influencée par le schéma de vaccination des saisons précédentes. Bien que l’ hypothèse de la «distance antigénique» offre un cadre théorique simplifié pour expliquer les effets d’ une vaccination répétée contre la grippe, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour bien comprendre ce phénomène, et également dans un contexte où le vaccin serait administré sur plus de deux saisons consécutives (www.vaxinfopro.be/spip.php?rubrique28). D’ autres travaux ont confirmé que la vaccination répétée, tant chez les jeunes que les personnes âgées, contribuait à des réponses immunitaires largement réactives tant au sein de différents sous-types viraux que de réponses croisées entre sous-types antigéniques différents (24, 25, 26). Cela illustre l’ impact de l’ âge et des antécédents d’ exposition à la grippe sur la capacité d’ une personne à réagir à de futures infections grippales.

Quel est le futur en matière de vaccination ? – Les vaccins actuellement disponibles permettent en théorie de réduire de 70 % le risque de grippe chez un adulte en bonne santé lorsque les souches vaccinales correspondent bien aux souches circulantes (ce qui n’ a pas été le cas notamment durant la saison 2015/16 par exemple) (4). Cette réponse immunitaire spécifique aux souches vaccinales présente parfois une efficacité sous-optimale. Si l’ âge et les capacités immunitaires du vacciné (20) contribuent à expliquer pourquoi la protection vaccinale s’ abaisse à 30-40 % chez les seniors (2, 3), la qualité de la protection virale est dépendante aussi de la qualité de la reformulation annuelle du vaccin (27). L’ ajout d’ un adjuvant est un moyen simple et efficace d’ améliorer l’ immunogénicité, mais cela augmente de facto la réactogénicité. Si cela se résume le plus souvent à des réactions au point d’ injection plus intenses (28), cela induit surtout un rejet de la vaccination au sein des populations (29). De nouveaux vaccins dits «universels», sont actuellement en cours de développement. Ils devraient permettre de surmonter les problèmes liés à la forte variabilité des virus grippaux nécessitant la mise à jour annuelle de la composition des vaccins saisonniers et la revaccination. Ces vaccins sont actuellement principalement élaborés à partir des épitopes hautement conservés du domaine HA, NA ou extracellulaire de la protéine M2 de la grippe, ainsi que ceux basés sur les protéines internes telles que NP et M1. Ces vaccins devraient pouvoir induire une protection contre les souches homologues, dérivées et celles issues d’ un glissement antigénique du virus grippal en évitant ainsi la nécessaire reformulation annuelle et surtout atténuer le fardeau de la maladie. Si ces vaccins démontraient leur immunogénicité, efficacité et leur capacité à conférer une immunité durable, ils pourraient être intégrés à la composition des vaccins actuels voir les remplacer (29).

La place et l’ efficacité des antiviraux dans la lutte antigrippe

Des antiviraux contre la grippe sont disponibles et leur utilisation contribue en cas d’ infection à éviter des complications sévères dans les situations à risque. Ils doivent idéalement être administrés au plus tôt après le début des symptômes grippaux. Le traitement empirique des patients suspects d’ avoir une grippe n’ est habituellement pas recommandé. Un traitement antiviral est indiqué pour les patients dont la maladie respiratoire est sévère, durant la période d’ épidémie avec des symptômes grippaux de moins de 48 heures (30).
Les principaux antiviraux utilisés actuellement sont les inhibiteurs de la neuraminidase représentés par l’ oseltamivir, le zanamivir et le peramivir (non disponible en Suisse) (31). Ils limitent la diffusion des virus en dehors des cellules infectées. Les inhibiteurs de la protéine M2 tels que l’ amantadine et la rémantadine limitent la pénétration du virus dans la cellule. Ils réduisent efficacement les complications et plus généralement l’ évolution des symptômes. Si la grande majorité des virus y sont encore sensibles, certaines mutations conduisent à des résistances (neuraminidase : H275Y et E119V ; gène de la protéine M2 : Ser31). Les taux de résistance pour les virus grippaux en circulation sont sous étroite surveillance. L’ OMS peut fournir en temps réel les informations relatives à l’ utilisation possible dans la prise en charge thérapeutique ou prophylactique (par ex. épidémie en communautés fermées, institution, etc.) (30, 32). Durant la saison 2018/19, un seul frottis a montré une résistance contre l’ oseltamivir (www.bag.admin.ch).

Même si les cas de résistance sont rares (Europe < 0.3% et USA : 1% des A/H1N1pdm09, et 0% pour les autres virus) en raison de la possibilité de mutations virales et de résistance, une certaine énergie est engagée dans le développement d’ antiviraux dotés de différents mécanismes, surtout dans le cas d’ une nouvelle souche pandémique.

Les nouveaux antiviraux – Plusieurs nouveaux antiviraux en sont à divers stades de développement et peuvent représenter de nouvelles classes de traitements qui pourraient réduire les symptômes et les complications chez les patients à risque élevé (Tableau 1). Par exemple, le baloxavir est une molécule dotée d’ un nouveau mécanisme d’ action qui vient juste d’ être approuvée par la Food and Drug Administration aux États-Unis (31). Il est le premier agent d’ une nouvelle classe que sont les inhibiteurs de l’ endonucléase du virus influenza qui est nécessaire pour la réplication du virus dans la cellule hôte. D’ autres cibles sont encore à l’ étude, notamment les kinases virales, l’ endocytose et la fusion virale.

Les alternatives thérapeutiques – Au cours de la dernière décennie, un certain nombre d’ anticorps monoclonaux humains ont démontré leur capacité à se lier à une vaste gamme de virus grippaux A et B et surtout à les neutraliser. La plupart de ces anticorps monoclonaux sont dirigés contre la tige de l’ hémagglutinine virale et certains ont maintenant été évalués dans le cadre d’ essais cliniques de stade précoce à intermédiaire (33). Une conclusion importante de ces études cliniques est que ces anticorps sont sûrs et réduisent les symptômes de la grippe. Des anticorps antigrippaux bi- et multi-spécifiques ont également été identifiés, mais n’ ont par contre pas encore fait l’ objet d’ essais cliniques. À l’ avenir, les thérapies à base d’ anticorps pourraient faire partie intégrante de notre arsenal pour prévenir et traiter la grippe (33).

Conclusion

La grippe est l’ infection qui, en Suisse, cause chaque année le plus de décès et notamment parmi les plus vulnérables. Bien que les antiviraux et les vaccins contribuent à réduire le fardeau sanitaire et économique de la grippe, les épidémies continuent de faire des ravages. Si les mesures de protection individuelles (port de masque et hygiène des mains) sont un bon complément, la vaccination reste le pilier en matière de prévention. Il faut continuer à redoubler d’ effort pour améliorer les taux de couverture vaccinale chez les patients à risque et les professionnels de santé
(Tableaux 1, 3A et 3B).

Dr. med. Pierre-Olivier Lang, PhD

Genolier Klinik und Montchoisi Klinik
Route du Muids 3
1272 Genolier
plang@genolier.net

plang@genolier.net

L’ auteur n’ a déclaré aucun conflit d’ intérêts en relation avec cet article.

  • La grippe est une infection virale aiguë très contagieuse.
  • La grippe provoque des épidémies annuelles avec un pic hivernal.
  • La grippe est un problème majeur de santé publique notamment dans les populations dites à risque (cf. tableau 1).
  • Dans 30% des cas, la grippe peut rester asymptomatique mais la
    personne est contagieuse et donc potentiellement vecteur du virus au sein de son entourage.
  • Les professionnels de la Santé sont particulièrement à risque d’ être infectés et de transmettre la grippe.
  • La vaccination est actuellement le moyen de prévention le plus efficace ; les mesures de protection individuelles sont un bon complément
  • En cas de grippe, les antiviraux sont plus efficaces s’ ils sont administrés durant les 48 premières heures.

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Analgésiques non opioïdes en gériatrie

La pharmacocinétique et la pharmacodynamique de la pharmacothérapie liée à l’ âge en général et de la pharmacothérapie liée à la douleur en particulier doivent tenir compte des modifications de la pharmacocinétique et de la pharmaco-dynamique liées à l’ âge. Dans cet article, ces changements sont présentés et, en s’ appuyant sur eux, des suggestions pour l’ utilisation raisonnable des analgésiques chez les
personnes âgées sont proposées.

Pour avoir un effet sans restriction, les médicaments doivent être absorbés, distribués, métabolisés et éliminés selon les lois de la pharmacocinétique. Avec l’ âge, ces paramètres sont sujets à des changements significatifs : L’ absorption dans le tractus gastro-intestinal est habituellement retardée, la distribution et le métabolisme sont habituellement réduits et l’ élimination rénale ralentie. Cela peut mener à une évaluation négative des avantages et des risques d’ une médication à long terme pour les personnes âgées : Les risques de la thérapie peuvent dépasser les avantages.
Pour aggraver la situation, plusieurs maladies sont souvent traitées en même temps ; la probabilité d’ une polymédication avec un risque d’ interaction correspondant est élevée. A cela s’ ajoute la menace d’ une « cascade de prescriptions » : un effet indésirable médicamenteux (EI) est considéré comme un symptôme indépendant nécessitant un traitement pharmacologique, et la personne âgée en particulier reçoit un grand nombre de substances dont on ne peut guère se faire une idée d’ ensemble du bénéfice cumulé – et des interactions possibles.
De nombreuses publications et recommandations de traitement abordent la pharmacothérapie des patients gériatriques. Aux Etats-Unis, l’ American Geriatrics Society publie régulièrement les Beers Criteria®, qui ont identifié 65 substances dont les risques potentiels dépassent les bénéfices pour les personnes âgées. Dans les pays germanophones, par exemple, la liste PRISCUS des médicaments potentiellement inadéquats pour les personnes âgées peut être consultée de manière analogue.

Changements physiologiques chez les personnes âgées avec influence sur la pharmacocinétique
De nombreuses fonctions corporelles sont sujettes à des changements physiologiques dans le processus de vieillissement, qui ont une influence sur la pharmacocinétique et la pharmacodynamique. Par exemple, la masse corporelle et le métabolisme de base diminuent, le volume de distribution des substances lipophiles augmente avec l’ augmentation de la masse grasse, celui des substances hydrophiles diminue avec la réduction de l’ eau corporelle et la liaison aux protéines plasmatiques est réduite. La motilité gastro-intestinale et la sécrétion de prostaglandines protectrices sont réduites et l’ atrophie gastrique peut réduire la surface d’ absorption des substances. Une diminution de la sécrétion pancréatique exocrine s’ accompagne d’ une diminution du flux sanguin hépatique. En particulier, les réactions hépatiques de phase 1 sont ralenties, de sorte que les médicaments ne peuvent souvent être métabolisés que plus tardivement. Enfin, la filtration glomérulaire et le flux sanguin rénal sont réduits lors de la vieillesse, ce qui retarde l’ élimination.

Changements physiologiques avec l’  âge qui affectent la pharmacodynamique

Les changements dans le système nerveux autonome s’ accentuent avec l’ âge, de sorte que les substances anticholinergiques peuvent entraîner une augmentation des EI. Les substances sédatives augmentent le risque de chute et réduisent la cognition. Les opioïdes et les AINS en particulier font partie des médicaments qui augmentent le nombre de chutes (fall-risk-increasing drugs, FRIDs) qui devraient être évités dans ce contexte. La dysrégulation orthostatique avec étourdissements et syncope est plus facilement causée par l’ utilisation de substances hypotensionnelles. Au cours du processus de vieillissement, le système nerveux subit un changement dans le traitement de la douleur et l’ expérience de la douleur. Les processus endogènes inhibiteurs de la douleur et la vitesse de conduction nerveuse sont réduits. Par la diminution et l’ inhibition des fibres Aδ la tolérance à la douleur est augmentée, par une réponse renforcée des fibres C la douleur est retardée, mais perçue plus intensément. La distribution des neurotransmetteurs et le nombre de récepteurs postsynaptiques sont réduits, par exemple les récepteurs dopaminergiques ou les récepteurs adrénergiques α et β. L’ efficacité des opioïdes augmente.
Les changements physiologiques s’ accompagnent de symptômes fréquents chez les personnes âgées : Par exemple la dysphagie qui rend difficile l’ ingestion de comprimés et qui est fréquente – chez les personnes âgées vivant à domicile, la prévalence est supposée se situer entre 30 et 40 %; chez les patients âgés en institution, elle est de 60 %. Dans ce cas, l’  administration de substances sous forme de gouttes ou sous forme de système transdermique est avantageuse.

Analgésiques chez les personnes âgées

La douleur chronique est le symptôme le plus courant chez les personnes âgées qui nécessite un traitement, et sa prévalence augmente avec l’ âge. La douleur chronique a une énorme influence sur la qualité de vie et la compétence personnelle et favorise le risque de maladies affectives, de dysfonctionnements dans la vie quotidienne et le besoin permanent de soins. En plus de l’ analgésie, le traitement de la douleur chez les personnes âgées vise à éviter les EI pertinents, à favoriser l’ activité, la mobilité et à maintenir la qualité de vie. Dans le cadre d’ un concept de thérapie multimodale, on utilise à la fois des préparations sur ordonnance et en vente libre, telles que des analgésiques non opioïdes, des opioïdes faibles et forts ainsi que des adjuvants comme les corticostéroïdes, les antidépresseurs ou les antiépileptiques. Avant d’ utiliser des analgésiques non opioïdes, il faut évaluer les facteurs de risque individuels des effets indésirables gastro-intestinaux, hépatiques, rénaux, hématologiques et cardio-vasculaires et les inclure dans la décision thérapeutique.

Les opioïdes sont administrés avec plus de prudence et avec une indication stricte chez les personnes âgées : constipation, tendance accrue à tomber avec risque de fracture, danger de dépendance, de sédation, déficience cognitive jusqu’ à délirium limitent leur usage. L’ usage à long terme des AINS n’  est recommandé qu’  avec prudence en général et spécialement pendant la vieillesse. Dans ce groupe de patients, les saignements gastro-intestinaux et les ulcérations, une réduction de la fonction rénale et la favorisation d’  un délire ou d’ autres symptômes nerveux centraux font partie des risques. Une insuffisance rénale grave (DFG < 30 ml/min) doit être exclue avant l’ administration d’ AINS.
Les inhibiteurs sélectifs de la COX-2 se sont également avérés défavorables chez ce groupe de patients, principalement en raison de l’ incidence accrue d’ infarctus du myocarde et d’ AVC.
Des exemples d’ analgésiques non opioïdes administrés en gériatrie sont présentés dans le tableau 1.

Exemples d’  analgésiques non opioïdes administrés en gériatrie (tab. 1)

Acide acétylsalicylique, AAS

L’ AAS n’ est approuvé comme analgésique dans l’ automédication que pour le traitement à court terme sur trois jours. L’ utilisation prolongée doit être surveillée par un médecin. En plus de ses propriétés analgésiques, antiphlogistiques et antipyrétiques, l’ AAS a également une activité antiplaquettaire importante. Les effets rénaux comprennent la rétention d’ eau. Les patients âgés souffrant d’ hypertension artérielle ou d’ insuffisance cardiaque qui souffrent d’ insuffisance rénale et qui prennent éventuellement des diurétiques ou des inhibiteurs de l’ ECA devraient être traités très prudemment avec l’ AAS en doses analgésiques. L’  AAS montre la gamme complète d’  effets indésirables typiques des AINS. De plus, de faibles doses d’ AAS réduisent l’ excrétion d’ acide urique et peuvent causer des crises de goutte chez les patients prédisposés. L’ AAS est disponible sans ordonnance, même si selon Swissmedic 2018, les saignements gastro-intestinaux surviennent chez environ un patient traité sur 1 000 et peuvent être mortels.

Célécoxib

Bien que cet inhibiteur de la COX-2 soit approuvé pour le traitement de maladies chroniques telles que l’ arthrose, la polyarthrite rhumatoïde ou la spondylarthrite ankylosante, le fabricant déconseille son administration à long terme ou recommande une surveillance attentive et une évaluation répétée des avantages et des risques. Le risque de saignement gastro-intestinal est le même que pour les inhibiteurs non sélectifs de la COX. De plus, une incidence accrue d’ événements cardiovasculaires et cérébrovasculaires thrombotiques a été démontrée. Le risque d’ infarctus du myocarde augmente spécialement à des doses plus élevées. Le célécoxib n’ a pas de propriétés antiplaquettaires. Comme les autres AINS, le célécoxib peut être toxique pour les reins surtout chez les personnes âgées.

Diclofénac

Cette substance n’ est pas recommandée chez les patients atteints d’ une maladie cardiovasculaire. Si un traitement est nécessaire, il faut que les patients âgés ne reçoivent que des doses allant jusqu’ à 100 mg par jour pendant plus de 4 semaines. L’ insuffisance rénale, l’ insuffisance hépatique (classe C de Child Pugh) et l’ insuffisance cardiaque (NYHA III-IV) sont des contre-indications. Selon le fabricant, aucune donnée n’ est disponible sur l’ insuffisance hépatique ou rénale, et « la prudence est de mise ».

Etodolac

L’ étodolac est approuvé pour l’ analgésie à long terme chez les patients gériatriques. Aucune différence dans la pharmacocinétique ou le profil des EI n’ a pu être démontrée dans ce groupe de patients. De plus, la concentration d’ étodolac actif n’ est pas altérée par une insuffisance rénale ou hépatique. Selon le fabricant, une dysfonction hépatique grave, une insuffisance rénale ou une insuffisance cardiaque sont néanmoins des contre-indications. Selon le fabricant, l’ inhibition de la prostaglandine E2 dans l’ estomac est également faible et de courte durée. L’ étodolac s’ accumule dans le liquide synovial, ce qui offre des avantages dans le traitement de la douleur arthritique.

Ibuprofène

Il est approuvé uniquement pour le traitement à court terme de la douleur aiguë. Les contre-indications comprennent une dysfonction hépatique grave, une insuffisance rénale (clairance de la créatinine <30 ml/min) et une insuffisance cardiaque (NYHA III-IV). Il y a des indices que des doses élevées (2 400 mg/jour) augmentent le risque d’ événements thrombotiques artériels comme l’ infarctus du myocarde ou l’ AVC.

Indométacine

Parmi les AINS, il présente le risque le plus élevé de saignements gastro-intestinaux, d’ ulcérations et de perforations, y compris mortelles, chez les patients âgés, en outre, l’ incidence la plus fréquente d’ EI nerveux central de tous les AINS. Cette substance ne doit pas être utilisée dans les troubles gastro-intestinaux, l’ hypertension, l’ insuffisance cardiaque NYHA III-IV, les dysfonctionnements hépatiques graves et les états consécutifs à un pontage aortocoronarien.

Métamizole

Il agit par une combinaison d’ effets centraux et périphériques et a également des propriétés spasmolytiques. Si le profil de risque est positif, le métamizole est aussi fréquemment utilisé en gériatrie. Les risques manquants (voir les EI cardiaques, rénaux et gastro-intestinaux mentionnés ci-dessus), qui surviennent régulièrement sous traitement AINS, sont mis en balance avec les EI graves mais très rares d’ agranulocytose.

Paracétamol

Chez les personnes âgées, aucun ajustement posologique n’ est nécessaire tant que la fonction hépatique n’ est pas restreinte et qu’ il n’ y a pas d’ abus d’ alcool. En pareil cas, la monooxygénase hépatique CYP2E1 est induite et une production accrue du métabolite toxique NAPQI. Chez les individus en bonne santé, 2-4 % de la dose de paracétamol produit le NAPQI, qui est ensuite lié par le glutathion. Chez les patients atteints de cachexie gériatrique, les réserves de glutathion peuvent être réduites. En cas d’ insuffisance hépatocellulaire légère à modérée, le fabricant prescrit une dose maximale de 2 g/j ; en cas de dysfonction hépatique grave, le paracétamol est contre-indiqué. Les restrictions fonctionnelles rénales, par contre, ne sont normalement pas une contre-indication ; ce n’ est qu’ à une clairance de créatinine inférieure à 10 ml/min que l’ intervalle posologique est étendu à huit heures. Le paracétamol peut également être utilisé comme médicament à long terme. Cependant, une puissance relativement faible et l’ absence de propriétés anti-inflammatoires limitent le bénéfice.

Piroxicam

Le piroxicam a une biodisponibilité orale élevée et une longue demi-vie, donc une seule prise quotidienne est appropriée. Avec le piroxicam, le risque de saignements gastro-intestinaux, d’ ulcérations et de perforations est élevé chez les personnes âgées et sa prise entraîne également une augmentation de la tension artérielle. Les contre-indications comprennent les ulcères gastro-intestinaux, le dysfonctionnement rénal et hépatique, l’ hypertension, l’ insuffisance cardiaque NYHA III-IV, la condition après un pontage cardiaque.

Traitement de la douleur chronique chez les personnes âgées

Dans les établissements médico-sociaux, le paracétamol est le plus souvent utilisé dans le traitement de la douleur chronique, suivi de près par le métamizole, au deuxième rang des analgésiques. En Allemagne, le métamizole même est l’ analgésique le plus fréquemment administré dans les institutions de soins.
Le redouté EI sévère d’ agranulocytose sous métamizole, indépendant de la dose, est inférieur à 0,01 % des traitements. En Suisse, l’ incidence minimale de l’ agranulocytose associée au métamizole a été estimée entre 0,46 et 1,63 cas par million de traitements quotidiens, d’ après une récente étude de Bâle. Dans certains cas documentés d’ agranulocytose, on a observé une association avec une substance myélosuppressive. Tout patient à qui l’ on prescrit du métamizole doit être informé des premiers symptômes de l’ agranulocytose.
Le risque relatif d’ issue fatale du métamizole est plus faible que pour les autres analgésiques : Andrade et al. ont calculé le nombre de décès par 100 millions d’ utilisateurs pour une semaine d’ utilisation. Pour le diclofénac, ce sont 529 décès, pour l’  ASS 185, pour le métamizole 25 et pour le paracétamol 20. Si l’ on exclut les personnes souffrant d’ ulcère gastroduodénal de l’ anamnèse, on obtient 139 décès pour le diclofénac, 79 pour l’ ASS, 5,5 pour le métamizole et 3,6 pour le paracétamol. Ces dernières années, les besoins en analgésiques ont considérablement augmenté en Suisse. Le métamizole est affecté de façon disproportionnée : le nombre d’ ordonnances a plus que quadruplé entre 2006 et 2013. Cette substance pour le traitement des douleurs intenses est à privilégier chez les patients souffrant d’ insuffisance rénale qui ont développé des symptômes gastro-intestinaux dus aux AINS ou qui présentent d’ autres contre-indications pour ce groupe de substances.
En général, le gold standard pour le traitement analgésique des patients gériatriques, chez qui le succès du traitement à long terme et une fonctionnalité accrue dans la vie quotidienne devraient être atteints, est un comportement prudent en matière de prescription : Start Low, Go Slow. Dans la mesure du possible, les douleurs chroniques légères doivent être traitées avec du paracétamol et les douleurs plus intenses avec du métamizole. L’ utilisation à long terme d’ AINS devrait être évitée.
Bien sûr, l’ utilisation de coanalgésiques tels que les anticonvulsivants, les antidépresseurs, les stéroïdes, etc. devrait être envisagée dans le traitement de la douleur chronique chez les personnes âgées. Dans le cadre d’ un concept thérapeutique global, les thérapies physiques, la physiothérapie, la psychothérapie et la thérapie interventionnelle de la douleur sont fournies par une équipe de traitement interdisciplinaire. L’ effet global de ces mesures devrait garantir aux personnes âgées une thérapie de la douleur sûre et efficace, dans laquelle l’ évaluation des risques et des avantages est correcte.

Article traduit de « der informierte arzt » 09_2019

Dr. med. Antje Heck

Fachärztin für Klinische Pharmakologie und Toxikologie FMH
Fachärztin für Anästhesie FMH, Schmerzspezialistin SGSS
Leiterin Sprechstunde Medikamente in Schwangerschaft und Stillzeit
Oberärztin Psychiatrische Klinik Königsfelden
Postfach 432
5201 Brugg

antje.heck@pdag.ch

Prof. Dr. med. Eli Alon

Facharzt für Anästhesiologie FMH, Schmerzspezialist SGSS
Professor für Anästhesiologie und Schmerzmedizin an der
Universität Zürich
Praxis für Schmerztherapie
Arzthaus Zürich City
Lintheschergasse 3
8001 Zürich

eli.alon@arzthaus.ch

Une réunion d’ experts a été soutenue financièrement par Sanofi (sans participation). Le sponsor n’ a eu aucune influence sur le reportage.

  • Les changements physiologiques de la vieillesse entraînent une modification de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamique. De plus, les effets désirés et non désirés des médicaments peuvent être influencés par des maladies à un stade avancé de la vie.
  • Les indications des fabricants concernant l’ indication, la posologie, l’ efficacité et les effets indésirables des analgésiques non opioïdes sont principalement fondées sur des études menées auprès de patients jeunes et plutôt en santé sur une période d’ observation relativement courte. Ces données ne sont pas transférables sans réserve à une utilisation chronique chez les personnes âgées.
  • Les maladies aiguës et chroniques des personnes âgées nécessitent également une évaluation des avantages et des risques modifiée dans le choix et la posologie d’ un analgésique.
  • Les opioïdes sont utilisés assez prudemment dans la vieillesse et avec des indications strictes : la constipation, la tendance accrue à tomber avec risque de fracture, le danger de dépendance, la sédation ainsi que la limitation cognitive jusqu’ au délire limitent leur usage.
  • En général, le gold standard pour l’ analgésie des patients gériatriques est le comportement de prescription restreint : Start Low, Go Slow. Les douleurs chroniques plus légères doivent être traitées avec du paracétamol si possible, et les douleurs plus intenses plutôt avec du métamizole. L’ utilisation à long terme d’ AINS devrait être évitée.
  • Si des AINS sont utilisés pour soulager la douleur inflammatoire aiguë, il est recommandé que les patients âgés reçoivent simultanément l’  administration d’  une protection gastrique dès le premier jour de la prescription.

S’  adresser aux auteurs.

Plaies chroniques

Les plaies chroniques concernent majoritairement des patients âgés, polymorbides, bien souvent polymédiqués et dénutris. Elles sont fréquemment d’ origine multifactorielle et les conséquences sur la qualité de vie sont dramatiques (douleurs chroniques, perte d’ autonomie, isolement social, dépression contextuelle etc.), faisant de la plaie chronique un facteur de morbidité important. Il s’  agit d’ un problème de santé publique. La prise en charge est donc complexe, avec plusieurs chevaux de bataille, et nécessite donc l’ installation d’ un réseau de soin multidisciplinaire au centre duquel se situe le patient dont l’ éducation thérapeutique est primordiale. Nous aborderons dans cet article la prise en charge globale des plaies chroniques, spécifiquement celle des ulcères des membres inférieurs, sous forme de guide pratique selon notre expertise.

Les plaies chroniques sont un problème de santé publique. Elles concernent environ 1 à 1.5 % de la population des pays industrialisés. La prévalence augmente avec le vieillissement de la population. La prise en charge est complexe, souvent longue (mois, voire années) comprenant visites médicales, examens complémentaires, soins de plaie spécialisés le plus souvent quotidiens, physiothérapie etc. Pour l’ Union Européenne, ces coûts s’ élèvent à 2-4 % des coûts de la santé globaux (1). Sur le plan individuel, les coûts peuvent être un frein à la prise en charge créant des situations sociales dramatiques, encore peu fréquentes heureusement en Suisse.
Le risque majeur d’ une plaie chronique est la complication infectieuse, i.e. la surinfection locale ou loco-régionale pouvant entraîner une hospitalisation de moyenne à longue durée.
Au quotidien, l’ impact sur la qualité de vie peut être dramatique en fonction de la sévérité de la plaie, si elle s’ accompagne d’ écoulement, de douleurs, d’ odeur nauséabonde etc. Une impotence fonctionnelle peut s’ installer de même qu’ un isolement social voire un état dépressif réactionnel.
La plaie chronique est donc une pathologie fréquente aux causes et conséquences multiples, mettant à rude épreuve le patient et les professionnels de la santé. Il convient d’ instaurer un partenariat solide entre les différents intervenants et avec le patient, clé principale au succès de la prise en charge, avec comme objectif commun la cicatrisation de la plaie et l’ amélioration de la qualité de vie du patient.

Etape 1 : recherche des facteurs favorisants

Une plaie chronique est par définition une plaie de plus de 6 semaines, qui ne cicatrise pas. Elle est donc témoin d’ un trouble ou retard de la cicatrisation.
Ce retard de cicatrisation peut être secondaire à des problèmes vasculaires (artériel et/ou veineux), une stase chronique, des défauts d’ oxygénation (ischémie), un état de malnutrition ou dénutrition. Un ou plusieurs de ces facteurs peuvent se retrouver chez le même patient. Il nous faut donc considérer le patient dans sa globalité avec ses co-morbidités.
Le tableau 1 illustre les facteurs favorisants la survenue de plaies chroniques.
Les 3 types de plaies les plus fréquemment rencontrés sont : les escarres, les ulcères des membres inférieurs et les plaies liées au pied diabétique.
Dans cet article nous considérerons uniquement les ulcères des membres inférieurs. Les ulcères des membres inférieurs sont principalement d’ origine vasculaire, avec une prédominance veineuse (70 %) suivie des ulcères artériels et artério-veineux (20 %) (2).

Etape 2 : recherche des signes cliniques orientant vers une cause vasculaire

Le tableau 2 illustre les caractéristiques sommaires des ulcères veineux et artériels.
Bien souvent, une bonne anamnèse associée à un examen cutané, neurologique et vasculaire détaillé permet d’ identifier dans la majorité des cas l’ origine de l’ ulcère (2).

Etape 3 : Examens complémentaires

Dépistage d’ une malnutrition / dénutrition

La dénutrition est fréquente et touche 4-10 % des personnes âgées vivant à domicile (3). La prévalence est également importante chez les patients hospitalisés. La dénutrition est un facteur favorisant et/ ou la conséquence d’ un retard de la cicatrisation pouvant engendrer un cercle vicieux.
Pour rappel, la cicatrisation est un processus complexe dépendant de l’ interaction entre différents types cellulaires (kératinocytes, fibroblastes, cellules endothéliales et immunocompétentes) et comprenant grossièrement 4 phases ; détersion, phase hémorragique et inflammatoire, réparation (cicatrisation dermique, cicatrisation épidermique) et phase de remodelage.
Les facteurs métaboliques et nutritionnels ont une place importante car ils interviennent dans la réaction inflammatoire, la prolifération cellulaire et la synthèse protéique. Lors du processus de cicatrisation, les dépenses énergétiques augmentent
par conséquence et les réserves nutritionnelles sont mobilisées. L’ intensité de ce processus est proportionnelle à la sévérité de la lésion pouvant ainsi induire ou aggraver un état de malnutrition ou dénutrition.
Il est ainsi important de faire un dépistage nutritionnel à la première visite et à chaque changement de l’ état clinique. En pratique, nous réalisons un score à l’ aide du Nutrition Risk Screening (NRS) ou Mini Nutritional Assessment (MNA). A ce stade, nous ne réalisons pas nécessairement de bilan biologique. S’ il existe un état de malnutrition ou dénutrition, nous adressons les patients à la consultation diététique ou nutritionnelle pour suite de bilan et prise en charge.

Frottis bactériologique

Une plaie chronique est par définition colonisée par différents germes. Lorsqu’ une ou plusieurs colonies bactériennes prennent le dessus et engendre une réaction de l’ hôte, on parle alors d’ infection. Les signes cliniques sont alors : rougeur, douleur (nouvelle ou aggravée), écoulement + / - jaune, vert, mauvaise odeur, nécrose, augmentation de la taille de la plaie, œdème. Cette surinfection peut être locale ou loco-régionale : on parle alors de dermohypodermite infectieuse.
Il n’ est pas recommandé de réaliser d’ emblée un frottis bactériologique car l’ attitude thérapeutique ne sera pas modifiée devant l’ absence de signe clinique de surinfection.
A retenir donc que le frottis bactériologique n’ est réalisé que lors d’ une suspicion clinique de surinfection.

Bilan artériographique et/ ou veineux

Une alliance avec le/la médecin angiologue est nécessaire. Il convient en effet de réaliser un examen artériographique et / ou veineux des membres inférieurs selon la suspicion clinique afin de déceler une cause traitable ; stadifier l’ artériopathie et / ou rechercher des varices alimentant l’ ulcère. S’ il existe une cause traitable sous-jacente, il convient de la traiter afin de garantir une cicatrisation optimale et durable (diminution des risques de récidive).

Etape 4 : Traitement

Dans un premier temps, il convient de traiter la cause comme discuté plus haut. En association, des soins locaux sont proposés dont le choix sera en fonction de l’ état de la plaie (infectée ou pas) et de son stade d’ évolution. Le but d’ un pansement est d’ assurer un milieu favorable pour la cicatrisation, ni trop humide ni trop sec. Les stades d’ évolution de la plaie suivent les phases de la cicatrisation ; détersion (phase inflammatoire), granulation (cicatrisation dermique, revascularisation) et épidermisation (cicatrisation épidermique) (4). A chaque stade d’ évolution, les pansements doivent répondre à un objectif précis, résumé dans le tableau 3.
L’ infirmier (-ère) agissant en première ligne est sentinelle et garant de l’ adéquation du traitement local. L’ alliance médico-infirmière est vitale.

Décontamination de la plaie

En l’ absence d’ infection aigue, les antiseptiques ne sont pas nécessaires. Ils peuvent être au contraire délétères et freiner la cicatrisation. Un nettoyage simple à l’ eau et savon sous la douche ou avec NaCl 0.9 % permet de réduire la colonisation bactérienne et d’ éliminer en partie le matériel fibrinonécrotique. Si la plaie est infectée, des soins locaux antiseptiques suffisent la plupart du temps sans nécessité de recourir aux antibiotiques locaux ou systémiques sauf en cas de dermohypodermite infectieuse bien évidemment.

Débridement

Le débridement permet d’ éliminer les tissus fibrinonécrotiques qui sont un obstacle à la cicatrisation. Deux techniques de détersion sont possibles : chimique ou mécanique. En pratique, nous utilisons conjointement les deux méthodes.

  • Débridement chimique (autolytique)

Les hydrogels, les hydrofibres, les alginates et certains hydrocolloïdes ont cette propriété (7).

  • Débridement mécanique

Il se pratique à l’ aide d’ un scalpel, pince ou Stieffel® (lame circulaire). L’ application d’ une antalgie topique permet de diminuer la douleur et d’augmenter la qualité de ce geste (cf. partie douleur).
En cas de zone nécrotique étendue ou douleur importante malgré les anesthésiants topiques et antalgiques, la détersion peut s’ effectuer au bloc opératoire.

  • La larvothérapie (biochirurgie)

Lucilia sericata est l’ espèce de mouche utilisée pour la larvothérapie. Ces larves se nourrissent exclusivement de tissus morts et de cette manière défibrinent les ulcères. C’ est une méthode rapide mais temporaire. Les études in vitro ont montré que les sécrétions de ces larves agissaient comme des facteurs de croissance sur les fibroblastes, favorisant la cicatrisation (5).

Pansements

Les pansements assurent une protection mécanique et diminuent les douleurs pouvant être occasionnées par la mise à nu du derme. Le but est d’ obtenir un milieu propice à la cicatrisation ; apport d’ humidité, pouvoir absorbant plus ou moins important, propriétés fibrinolytiques, actions sur le biofilm etc.Le tableau 4 résume les pansements classés en fonction de leurs propriétés (6).

La greffe cutanée et les substituts cutanés

Il existe différents types de greffe cutanée ; peau mince, demi-épaisse, totale ou en pastille (7). Le but est de recouvrir la plaie à des fins de cicatrisation et d’ antalgie. La zone receveuse doit être propice, à savoir : fond propre (pas de fibrine, pas de nécrose), absence d’ infection ou de suintement trop important, bien vascularisée. Ce geste peut se pratiquer en ambulatoire, mais l’ hospitalisation est préférable pour assurer une bonne prise de greffe dépendante notamment d’ un maintien du membre au repos.
Le domaine des substituts cutanés, issus des biothérapies, est actuellement en plein essor. Ils sont une alternative moderne et rapide à la greffe cutanée.
Par exemple l’ Apligraf® qui est composé d’ une couche épidermique (kératinocytes humains néonataux) et d’ une couche dermique (collagène bovin et fibroblastes humains néonataux). Son efficacité a été démontrée supérieure aux pansements classiques si les indications sont respectées (8).
Dernièrement, il est possible de réaliser des greffes de membrane amniotique humaine (couche interne de placenta) ayant des propriétés cicatrisantes, anti-inflammatoires et anti-bactériennes (9).Cette pratique est courante en ophtalmologie et n’ est en pratique pas encore réalisée dans notre service. Les résultats sont prometteurs selon les études. Il existe également des pansements fait de placenta complet déshydraté (NuShield®). Les études ont montré la supériorité de ce pansement par rapports aux pansements classiques (10).
Autre nouveauté, la thérapie avec des cellules souches dérivées du tissu adipeux autologue. Le tissu adipeux est constitué d’  adipocytes et des cellules vasculaires stromales. Ces dernières contiennent des cellules progénitrices mésenchymateuses pluripotentes et des cellules souches. Cette thérapie favorise la cicatrisation des ulcères avec un retard de cicatrisation (11).

Thérapie hyperbare

La thérapie hyperbare est l’ administration d’ oxygène à une pression supérieure à la pression atmosphérique, augmentant ainsi la pression partielle d’ oxygène dans le sang et les tissus. Les ulcères sont ainsi mieux oxygénés. L’ oxygénation intermittente de l’ ulcère accroît la production des facteurs de croissance ; elle a un effet microcirculatoire avec réduction des oedèmes et des effets anti infectieux (12). L’ hyperbarie peut donc être envisagée comme association thérapeutique afin de potentialiser la prise en charge.
Les HUG sont les seuls hôpitaux universitaires en Suisse à disposer d’un centre de médecine hyperbare.

La scarification

Elle se fait à l’ aide d’ un bistouri après le nettoyage de la plaie et consiste à inciser les berges de l’ ulcère. Le but est de faire saigner la plaie afin de « relancer » /stimuler l’ inflammation et d’ apporter ainsi des facteurs de cicatrisation. Ce geste concerne les ulcères atones, i.e. sans signes d’ inflammation ni dynamisme (« ulcère sec qui stagne »), car pour rappel, il n’ y a pas de cicatrisation possible sans inflammation.

Etape 5 : Gestion de la douleur

Elle est souvent négligée bien qu’ impérative. Nous avons la possibilité d’ utiliser des traitements anesthésiants et/ou antalgiques locaux associés à l’ antalgie classique per os et/ou MEOPA. Les traitements antalgiques topiques sont utiles pour les soins locaux, notamment la détersion mécanique. Le tableau 5 résume les anesthésiques/antalgiques locaux disponibles. Si la gestion de l’ antalgie reste difficile, nous faisons volontiers appel à l’ équipe mobile de la douleur.

Etape 6 : Gestion des facteurs favorisants et prévention

Contention élastique et drainages lymphatiques

Une alliance avec le/la physiothérapeute est primordiale. La contention élastique est essentielle dans la prise en charge des ulcères veineux. La pression de compression recommandée est entre 30 et 40 mmHg. Il est démontré que le port de bas de contention non seulement favorise la cicatrisation mais diminue également les risques de récidive (13). En cas d’ insuffisance artérielle avec un IPS < 0.5, la contention élastique est contre-indiquée. Chez les patients avec une artériopathie légère à modérée (IPS entre 0.5 et 0.8), une contention est possible avec des bandes de contention moins comprimantes et un suivi clinique (2). En pratique, si le pouls pédieux est palpé, la contention est prescrite. Les drainages lymphatiques ont une place également importante. Le but est de diminuer la stase chronique, l’ œdème et le lymphoedème, réduisant ainsi la pression aux membres inférieurs (frein à la cicatrisation) et le risque de surinfection loco-régionale.

Facteurs de risque cardio-vasculaires

Une alliance avec le/la médecin traitant est primordiale.
L’ état hyperglycémique et le tabac contribuent au retard de cicatrisation, les facteurs de risque cardio-vasculaires doivent être pris en charge.

Etape 7 : enseignement thérapeutique du patient

Une alliance avec le/la patient(e) est primordiale. Elle ne survient qu’ à l’ étape numéro 7 pour des soucis rédactionnels, mais détrône bien évidemment toutes les étapes et est à considérer en premier lieu.
L’ éducation thérapeutique permet au patient d’ acquérir des connaissances et compétences nécessaires pour qu’ il puisse vivre de façon optimale avec sa maladie chronique et son traitement. Il est ainsi acteur de sa prise en charge. Nos recommandations auprès du patient sont nombreuses et parfois fastidieuses, l’ éducation thérapeutique augmente les chances du suivi de celles-ci et est affaire de tous les soignants.
Prenons en exemple la contention, quiconque ne comprenant pas l’ intérêt du port de bas / bandes de contention ne peut se soumettre à les enfiler (mesure souvent pénible) en pleine canicule. Une étude américaine faite sur 203 patients a démontré l’ impact de 1 heure d’ éducation thérapeutique sur la prévention d’ ulcère et amputation chez les patients diabétiques. Dans le groupe bénéficiant de l’ éducation thérapeutique, il y a eu une diminution significative de l’ amputation et de la survenue des ulcères (14).

Dr Marem Abosaleh

Service de dermatologie et vénéréologie
Hôpitaux Universitaires de Genève
Rue Gabrielle-Perret-Gentil 4
1205 Genève

Dr Yassaman Alipour Tehrany

Service de dermatologie et vénéréologie
Hôpitaux Universitaires de Genève
Rue Gabrielle-Perret-Gentil 4
1205 Genève

Dr Laurence Toutous-Trellu

CC (Chargée de Cours)
Service de dermatologie et vénéréologie
Hôpitaux Universitaires de Genève
Rue Gabrielle-Perret-Gentil 4
1205 Genève

laurence.trellu@hcuge.ch

Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en rapport avec cet article.

  • Une prise en charge optimale fait intervenir différentes spécialités devant s’organiser en réseau solide où le patient est l’acteur central.
  • Nous n’avons abordé que les aspects médicaux, mais les aspects sociaux et économiques (pansements non remboursés à la hausse etc.) sont à considérer au même titre.
  • La plaie chronique est un problème de santé publique, dont la prévalence est en augmentation, et consiste un vrai challenge thérapeutique.

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2. Singer AJ, Tassiopoulos A, and Kirsner R. Evaluation and Management of LowerExtremity Ulcers. N Engl J Med. 2017;377:1559
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La fibrose pulmonaire idiopathique

La fibrose pulmonaire idiopathique (FPI) est la plus fréquente des pneumopathies interstitielles idiopathiques. Elle survient principalement à un âge avancé, et son évolution demeure fatale. Elle doit être évoquée dans toutes les situations associant toux sèche, dyspnée et râles crépitants. La découverte d’  agents anti-fibrotiques, la pirfenidone et le nintedanib, a modifié de manière significative le pronostic de cette affection en ralentissant son évolution. Ces progrès thérapeutiques ainsi que la possible indication à une transplantation pulmonaire requièrent donc une rigueur diagnostic afin de les initier sans délai. Une approche palliative précoce est également essentielle à la prise en charge de la FPI.

La FPI appartient au groupe des pneumopathies interstitielles, groupe hétérogène de plus de 150 affections, et en représente le 55 % (1). Elle consiste en un remaniement de l’ épithélium alvéolaire entraînant une atteinte bibasale du parenchyme, associée à une dilatation des bronchioles et à une fibrose progressive interstitielle, qui a pour conséquence une diminution de la capacité vitale forcée (CVF), une altération des échanges gazeux, et une hypoxie progressive (2).
Son incidence augmente avec l’ âge, et se manifeste le plus souvent au-delà de 60 ans avec une prédominance masculine. Le tabagisme (70 % des patients sont des fumeurs), l’ exposition aux poussières et aux virus, ainsi que les facteurs génétiques représentent de potentiels facteurs de risque (3). Elle est souvent associée à des comorbidités : hypertension pulmonaire, reflux gastro-œsophagien, BPCO, diabète et coronaropathie (1).
L’ évolution est difficilement prévisible et varie entre une progression lente (décès survenant 3 à 5 ans après le diagnostic avant l’ introduction d’ anti-fibrotiques efficaces), ou rapide à la faveur d’ une exacerbation aiguë (2).

Diagnostic

La démarche diagnostique a fait l’ objet d’ une mise à jour publiée par l’ ATS/ERS/JRS/ALAT en 2018 (4). Le diagnostic doit être évoqué par la triade toux sèche, dyspnée, et râles inspiratoires crépitants. La spirométrie peut être initialement normale et évolue vers un syndrome restrictif. Il doit écarter les autres causes de pneumopathies interstitielles idiopathiques. Sa confirmation se fonde sur l’ imagerie CT en haute résolution (image en nid d’ abeilles) et sur la biopsie chirurgicale. Cette dernière, non dénuée de risque chez les patients âgés souffrant de comorbidités, peut être omise en présence d’ une imagerie suffisamment évocatrice (2). Un diagnostic précoce est un élément déterminant du pronostic.

Traitement

Le traitement, pharmacologique et non pharmacologique, vise à ralentir le déclin de la CVF, à maintenir une oxygénation satisfaisante, à réduire les symptômes et les exacerbations, et à minimiser les effets secondaires des anti-fibrotiques (1).
Avant 2014, seuls des traitements empiriques tels que l’ association prednisone-azathioprine, inefficace et entraînant une augmentation de la morbi-mortalité, ou l’ acétylcystéine, également inefficace, étaient proposés.
L’ arrivée sur le marché d’ anti-fibrotiques ayant fait la preuve de leur sécurité et efficacité au terme d’ études de phase 3 (5 – 6), a radicalement changé le pronostic de la FPI, et entraîné de nouvelles recommandations thérapeutiques. La prise en charge par les assureurs maladie de ces traitements requiert une démarche diagnostique conforme aux recommandations internationales (4).

Les anti-fibrotiques

La pirfenidone (Esbriet®)

Il s’ agit d’ un anti-fibrotique oral dont le mécanisme d’ action est peu clair. Il inhibe la prolifération des fibroblastes et la synthèse du collagène en régulant l’ activité du facteur de croissance transformant β et du TNFα.
L’ étude ASCEND (5) a montré, lorsque l’ on compare la pirfenidone à un placebo, une diminution de 54 % du déclin de la CVF après 1 an de traitement (122 vs 262 ml, p < 0,001) ainsi qu’ une survie à 5 ans significativement améliorée (55,9 % vs 31,5 %, p < 0.02).
En pratique, la posologie est progressive : 3 x 1 gélule de 267 mg/j la première semaine, 3 x 2 gélules/j la 2ème semaine, puis 3 x 3 gélules/j ou 1 gélule de 801 mg/j dès la 3ème semaine.

Le nintedanib (Ofev®)

Bien que le mécanisme d’ action soit incomplètement élucidé, le nintedanib présente des propriétés anti-inflammatoires et anti-fibrotiques, en interférant avec la migration, la prolifération, la différenciation des fibroblastes, et la synthèse du collagène. C’ est un inhibiteur intracellulaire de plusieurs tyrosine-kinases impliquées dans le processus fibrotique.
Comparé à un placebo, le nintedanib réduit le déclin de la CVF de 52 % (115 vs 240 ml, p < 0,001) après 52 semaines de traitement chez 1000 patients. Il réduit également la fréquence des exacerbations (5,3 vs 8,2 / 100 patients-années) (6). En pratique, la posologie est de 2 x 150 mg/j, susceptible d’ être réduite à 2 x 100 mg/j lors d’ intolérance.
Des méta-analyses montrent que la pirfenidone et le nintedanib ont un effet similaire sur le déclin de la CVF. Ni l’ un ni l’ autre n’ ont cependant d’ effet significatif sur l’ amélioration des symptômes cliniques.

Les traitements combinés

L’ étude INJOURNEY (7) a évalué la sécurité et la tolérance du nintedanib + pirfenidone vs nintedanib seul chez 105 patients sur une période 12 semaines. Le déclin de la CVF s’ est avéré moindre dans le groupe combiné (-13,3 ml vs -40,9 ml). Nausées et vomissements ont néanmoins été observés plus fréquemment dans le groupe combiné. Bien que cette étude soit prometteuse, une étude de plus longue durée sur un plus grand collectif, évaluant son efficacité, est néanmoins nécessaire avant de recommander un tel traitement combiné.
D’ autres études sont en cours pour déterminer l’ utilité d’ associations basées sur les comorbidités, anti-fibrotiques + sildénafil dans l’ hypertension pulmonaire par exemple.

Les effets secondaires des anti-fibrotiques

Les effets secondaires les plus fréquents liés aux anti-fibrotiques touchent le système gastro-intestinal (2).
Sous nintedanib, les diarrhées ont été reportées chez 61,5 % des patients. La majorité ont cependant pu poursuivre leur traitement après une réduction de la posologie associée à des anti-diarrhéiques. Nausées, vomissements, inappétence, douleurs abdominales, perturbations des tests hépatiques, perte de poids et hypertension ont également été observés (1). Un risque hémorragique augmenté a encore été reporté en raison de l’ inhibition du récepteur du facteur de croissance de l’ endothélium vasculaire (VEGF), ce qui exige une pesée du risque-bénéfice chez les patients à risque hémorragique. De même des cas de thromboses artérielles ont été décrits, requérant la prudence chez les patients présentant des risques cardio-vasculaires élevés.
Sous pirfenidone, l’ effet secondaire le plus fréquemment reporté est la nausée (35,5 % des patients). Cet effet secondaire est géré par la réduction de dose, la prise du traitement avec les repas, voire son interruption. Une photosensibilisation et un rash cutané ont également été décrits imposant aux patients de minimiser leur exposition au soleil (1).
Le nintedanib et la pirfenidone peuvent entraîner une perturbation des tests hépatiques, ALAT et ASAT, généralement réversible après réduction de dose ou arrêt. Le nintedanib est à proscrire lors d’ atteinte hépatique préexistante (Child B, C) et la posologie réduite à 2 x 100 mg/j pour une atteinte Child A.

Traitements non-pharmacologiques

Si les anti-fibrotiques occupent une place essentielle dans le traitement de la FPI, d’ autres approches font également partie de leur prise en charge.
C’ est le cas de l’ oxygénothérapie qui est clairement indiquée chez les patients hypoxémiques au repos (8).
De même, la réhabilitation pulmonaire doit être envisagée pour améliorer la tolérance à l’ effort et la qualité de vie des patients. Elle permet également d’ apporter conseils et soutien psychologique aux patients et à leurs proches (8).
La transplantation pulmonaire (uni-pulmonaire, bi-pulmonaire, cœur-poumons) représente une option thérapeutique pour une minorité de patients en raison des fréquentes comorbidités et de l’ âge avancé des patients. Elle doit néanmoins faire l’ objet d’ une évaluation au stade précoce de la maladie, avant même la détérioration spirométrique, afin de maximaliser les chances d’ éligibilité chez les patients de moins de 65 ans (9). En Suisse, la fibrose pulmonaire représente le quart des transplantations, bi-pulmonaires le plus souvent.
La progression de la maladie et la fréquence des exacerbations sont par ailleurs significativement réduites par l’ arrêt du tabac et la vaccination (grippe et pneumocoques).

Le traitement des comorbidités et des exacerbations

Les comorbidités, hypertension pulmonaire, reflux gastro-œsophagien (RGO), BPCO, diabète et coronaropathie, sont responsables de 30-40 % des décès de la FPI, et sont associées à un mauvais pronostic. Leur traitement fait donc partie intégrante de la prise en charge de la FPI, et permet d’ améliorer l’ espérance de vie de la FPI.
Ainsi lors de comorbidités cardio-vasculaires, les inhibiteurs de la thrombine, tel que le dabigatran, seront préférés aux coumariniques qui peuvent péjorer le pronostic de la FPI. Les statines ayant une action anti-inflammatoire ont également un effet protecteur dans l’ évolution de la FPI.
Lors de RGO, malgré le faible niveau d’ évidence et le risque majoré d’ infection, les inhibiteurs de la pompe à protons sont recommandés dans la FPI.
Les exacerbations aiguës peuvent survenir n’ importe quand et sont associées à une mortalité de 50 %. Si les corticoïdes ne font plus partie des recommandations du traitement chronique de la FPI, leur place reste avérée, souvent en association avec des antibiotiques, lors d’ exacerbations aiguës malgré l’ absence d’ études contrôlées. Par ailleurs les autres immunosuppresseurs (tacrolimus, cyclophosphamide) sont également une option envisagée dans certaines recommandations cliniques (8).

Perspectives futures

Afin d’ améliorer le diagnostic et le traitement de la FPI, les recherches actuelles portent sur le développement de bio-marqueurs. Le diagnostic pourrait bénéficier de marqueurs sanguins des lésions épithéliales et de la dégradation de la matrice (métalloprotéinase MMP7, chitinase-like protéine) afin d’ éviter des biopsies à risque. De même des marqueurs pronostiques sont étudiés, telle que la C réactive protéine. Des marqueurs génétiques sont aussi étudiés dans le cadre de la médecine prédictive. Ces marqueurs n’ ont cependant pas encore d’ application clinique (9).
Plusieurs évidences mettant en avant le rôle d’ une altération du microbiome dans la progression de la maladie, l’ utilisation d’ antibiotiques, tels que le co-trimoxazole, susceptibles de réduire la charge bactérienne des voies aériennes, est en cours d’ étude (9).

Soins palliatifs

Bien que la qualité de vie et l’ espérance de survie soient souvent inférieures à de nombreux cancers, plusieurs études montrent que le recours à une approche palliative est souvent oublié dans la FPI (10-12). Or, l’ intolérance à l’ effort, la dyspnée progressive, les hospitalisations, et les exacerbations péjorent la qualité de vie des patients souffrant de FPI.
Si les besoins d’ une approche palliative augmentent avec la progression de la maladie, il est essentiel d’ y recourir dès la confirmation du diagnostic afin de minimiser l’ angoisse engendrée par l’ incertitude du pronostic. Un accompagnement individualisé permet de prendre en compte les aspects psycho-sociaux des patients et de leurs proches, ainsi que leurs besoins, tout en leur apportant informations et soutien du diagnostic au décès. L’ accompagnement dans la rédaction de directives anticipées permet de s’ assurer que les traitements entrepris sont conformes aux souhaits du patient et évite des traitements futiles, tels qu’ une intubation ou la mise en place d’ une circulation extracorporelle non désirées.
Des outils tels que le NECPAL (13) peuvent aider les médecins à évaluer de manière qualitative et quantitative les patients susceptibles de bénéficier d’ une approche palliative et du moment le plus approprié d’ intervention.
La gestion des symptômes, dyspnée, toux, fatigue, dépression et anxiété, qui ne doit pas être négligée dans la prise en charge de la FPI, est résumée dans le tableau 1 (10). La plupart des traitements symptomatiques proposés le sont cependant avec un faible niveau d’ évidence.

Conclusion

On estime qu’ en Suisse 2000 personnes souffrent de FPI, une maladie mortelle, dont la médiane de survie est de 3-5ans. De nombreux patients ne bénéficient pas d’ un diagnostic et d’ un traitement initié précocement.
L’ évolution imprévisible de la FPI relève d’ une évaluation initiale interdisciplinaire et holistique dans des centres spécialisés.
L’ instauration d’ un traitement anti-fibrotique, un bilan pré-greffe chez les moins de 65 ans, le traitement des comorbidités, les mesures préventives ainsi qu’ une approche palliative précoce, représentent actuellement la meilleure attitude susceptible d’ améliorer le pronostic et la qualité de vie des patients souffrant de fibrose pulmonaire idiopathique.

Dr Gérard Pralong, MD, MSc

Hôpital de Lavaux, service de médecine et réadaptation
Colombaires 31
1096 Cully

gerard.pralong@hopitaldelavaux.ch

L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

  • Un diagnostic précis et précoce permet l’ instauration d’ un traitement anti-fibrotique, pirfenidone ou nintedanib, lequel a changé le pronostic de la FPI en ralentissant le déclin de la CVF.
  • L’ arrêt du tabac, la vaccination contre l’ influenza et le pneumocoque, la réhabilitation pulmonaire, ainsi que le traitement des comorbidités peuvent contribuer à ralentir la progression de la maladie.
  • La transplantation pulmonaire doit être évoquée chez tous les patients de moins de 65 ans.
  • Les soins palliatifs et les directives anticipées font partie de la prise en charge de la FPI.

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Le patient se plaignant de raclement de gorge chronique

Un toussotement ou raclement de gorge compulsif est un motif fréquent de consultation en pneumologie, ORL et médecine générale, les plaintes pouvant être basées sur différents tableaux cliniques. Le symptôme principal est une sensation de corps étranger dans la gorge («  un chat dans la gorge »)
accompagnée d’ un raclement de gorge compulsif, parfois associé à une toux chronique, un enrouement ou une sensation de sécheresse dans la bouche et la gorge. Dans cet article, les causes typiques sont présentées ainsi qu’un diagnostic différentiel et des propositions thérapeutiques.

Lors d’ un raclement de gorge ou d’  une toux, de l’  air est expulsé de manière volontaire ou par reflexe à travers les cordes vocales. Si, par exemple, des corps étrangers pénètrent dans les voies respiratoires, un effort expiratoire est d’   abord exercé contre les cordes vocales fermées, ce qui permet d’  éjecter ces corps étrangers après l’ ouverture de la glotte, ce qui correspond au raclement de gorge ou à la toux. Ce mécanisme peut lui-même irriter les cordes vocales et les muqueuses et favoriser ainsi un toussotement
chronique de la gorge dans le sens d’  un cercle vicieux.

Motifs

Au centre de la physiopathologie se trouve une muqueuse laryngée trop sèche. Chaque jour, environ 1,5 l de mucus se forme physiologiquement dans les voies respiratoires supérieures et les voies d’  alimentation. Ce mucus forme un film fin sur la muqueuse qui, en plus de son effet protecteur, assure également la capacité de glissement de la muqueuse pendant la déglutition. Si trop peu de mucus se forme, sa viscosité augmente. Le film de mucus devient épais et adhère à la muqueuse, ce qui provoque la sensation de corps étrangers et la contrainte d’  éclaircir la gorge. Par ce mécanisme du mucus épaissi et plus ou moins incolore, peut être expulsé. Une surproduction de mucus peut également provoquer les symptômes, car ce mucus peut également irriter localement en tant que « corps étranger »  et doit être évacué. En plus des modifications laryngées locales, les maladies inflammatoires et non inflammatoires des organes voisins (amygdales, nez, sinus paranasaux, reflux gastro-œsophagien, diverticule de Zenker, syndrome d’  apnée nocturne) doivent être considérées comme une possible étiologie possible. L’  une des causes les plus fréquentes d’ un raclement de gorge chronique est le « syndrome descendant » ou « Post-nasal Drip Syndrom » (PNDS) dans lequel une sensation persistante de corps étranger se développe dans la gorge en raison du mucus particulièrement visqueux. Le PNDS survient souvent pendant ou après une infection virale des voies respiratoires supérieures. Une inflammation permanente des voies respiratoires, comme dans l’  asthme bronchique, peut entraîner une hypersensibilité et un gonflement des muqueuses ainsi qu’ une une surproduction de mucus qui entraîne fréquemment un raclement de gorge et une toux chronique, une respiration sifflante, voire une image obstructive avec expiration prolongée et, dans les cas plus prononcés, une dyspnée et une oppression thoracique. D’ autres causes possibles de raclement chronique de la gorge comprennent le reflux gastro-œsophagien ou laryngo-pharyngé, dans lequel la muqueuse bronchique est irrité par l’ acidité gastrique refluant à travers la glotte, des allergies ou des pathologies avec compression du larynx, par exemple un goitre. Un résumé des différentes causes est présenté dans le tableau 1. 40 % de tous les patients atteints de toux chronique ou forcée souffrent de PNDS, d’ une maladie de reflux ou d’  un asthme bronchique, ou alors d’  une combinaison de différentes pathologies, qui peuvent avoir été asymptomatiques en elles-mêmes, mais qui ensemble entraînent une irritation laryngée chronique importante. Ces symptômes peuvent être favorisés par une atmosphère trop sèche, une hydratation insuffisante, l’ ingestion de substances nocives telles que la nicotine, l’  alcool, certains produits chimiques, la poussière, certains médicaments et une respiration par la bouche en cas d’ obstruction nasale.

Diagnostic différentiel

Dans la plupart des cas, le diagnostic est principalement basé sur l’  anamnèse et l’ observation d’   une muqueuse laryngée sèche et/ou surchargée en mucus. L’  examen clinique et, si nécessaire, des examens spécialisés complémentaires à la recherche d’ un diagnostic causal ou associé comme l’asthme, le PNDS ou le reflux gastro-œsophagien sont importants pour déterminer un traitement adéquat. La règle No 1 est de ne pas manquer un processus malin dans la gorge. En ce sens, un statut ORL complet spécialisé est recommandé pour les patients à risque ou avec des symptômes persistants. Très suspects à cet égard sont une dysphagie ou odynophagie ainsi que des maux de gorge diffus, qui ne font généralement pas partie du tableau d’ un raclement de gorge « bénin ». En plus des mécanismes organiques, un stress psychosocial peut aussi jouer un rôle dans l’ étiologie ou renforcer les plaintes.

Thérapie

Toute maladie sous-jacente doit être traitée de manière conséquente. Des mesures de soutien comme l’ augmentation de la quantité de boisson, l’ abstention de substances nocives ainsi que des mesures visant une meilleure hydratation des muqueuses, par exemple l’ administration de pommades nasales, de sprays nasaux/pharyngiens, de sprays d’ eau saline ou de pastilles anesthésiques locales peuvent être tentées. Un stress psychosocial doit être pris au sérieux et abordé. Il faut généralement attendre au moins deux semaines pour observer les premiers résultats thérapeutiques des mesures locales.

Résumé

Le raclement de gorge ou un toussotement chronique sont des symptômes fréquents. Au centre de la pathophysiologie se trouve un assèchement de la muqueuse et du pharynx avec généralement une production anormale de mucus. Le symptôme peut être causé par des pathologies concernant différentes sous-spécialités et nécessite par conséquent une approche pluridisciplinaire. Le traitement s’ appuie sur l’ identification d’ une cause et peut être soutenu par des mesures locales favorisant l’ hydratation.

Article traduit de « der informierte arzt »  11_2019

Dr. med. Nicole Mosca

LungenZentrum Hirslanden
Witellikerstrasse 40
8032 Zürich

n.mosca@lungenzentrum.ch

Prof. Dr. med. Peter M. Ott

2im Grund 21
8123 Ebmatingen

Dr. med. Jürg Barandun

LungenZentrum Hirslanden
Witellikerstrasse 40
8032 Zürich

Les auteurs n’ ont déclaré aucun conflit d’ intérêts en relation avec cet article.

  • Les compulsions chroniques de la gorge sont souvent dues à la sécheresse des muqueuses locales. L’éclaircissement de la gorge elle-même provoque d’autres irritations locales.
  • Les maladies des organes voisins sont des (co)causes fréquentes de l’éclaircissement chronique de la gorge et devraient être exclues ou traitées, comme le syndrome descendant (PNDS), le reflux ou l’asthme bronchique.
  • Les maux de gorge diffus, la dysphagie ou l’odynophagie sont des signes précurseurs de la présence d’ une tumeur maligne et doivent être clarifiés par un médecin ORL.

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Pléthore

L’ origine de la vie ne s’ explique pas par la science, éventuellement aidée du hasard. « La dynamique du cosmos et son évolution sont fondées sur la physique quantique (la matière est à la fois onde et corpuscule) : trou noir, naissance des étoiles et expansion de l’ Univers. Par contre elle n’ a pas encore contribué à la compréhension de la conscience et de la vie » (1).

La source de la vie ne se comprend pas davantage par les écrits religieux « relatant des phénomènes proches de la science-fiction, à l’  exemple de la Bible qui décrit la résurrection de Jésus ou le réveil de Lazare du monde des morts » (2).
Certes, la création de la Terre et de l’ Homme rapportée dans le livre de la Genèse ne convainc aucun esprit rationnel mais un précepte «  croissez et multipliez, remplissez la terre  » a été suivi au-delà de toute espérance : environ 250 millions d’ êtres humains peuplent la Terre à la naissance du Christ, 7,6 milliards en 2019 et probablement 10 milliards en 2050 (ONU). Leur augmentation quotidienne est estimée à 250 000 unités en dépit des catastrophes naturelles, des épidémies et de nombreux foyers de guerre et des famines qui en résultent.

Quo usque tandem ?

Un diagnostic médical ne relève d’ aucune appartenance politique ou religieuse. Dans le même esprit de neutralité, certains signes autorisent à poser un autre diagnostic, plus global celui-ci : notre planète souffre de surpopulation.
En de nombreux endroits croissent des mégapoles, souvent bordées de bidonvilles dont les habitants luttent pour la survie. Les logements manquent, les parcs de stationnement aussi. Le transport routier, ferroviaire, aérien et maritime s’ accroît de façon exponentielle, nécessitant d’ agrandir autoroutes, gares, aéroports et bateaux. Les paquebots d’ aujourd’ hui tiennent davantage d’ un immeuble locatif flottant (fig. 1) en comparaison de nos élégants vieux transatlantiques (fig. 2).
Des « mégaconcerts » rassemblent une pléiade de jeunes incultes que la « musique » véhiculée par des acteurs agités fait basculer dans l’ hystérie collective. « La preuve du pire c’ est la foule » (Sénèque, entre 4 av. J.-C. et 1 après J.-C. - 65). De gigantesques stades de tous sports résonnent d’ une bruyante multitude venue encourager des joueurs aux énormes revenus : panem et circenses depuis plus de 2000 ans. Aujourd’ hui, les jeux rapportent assurément plus que le pain ne coûte !

Le tourisme de masse pollue des endroits autrefois préservés et d’ innombrables déchets non dégradables encombrent la surface terrestre et les océans. Dans nos contrées dites riches et pourtant fortement endettées, chaque période de congés ou de vacances voit des centaines de milliers de quidams, tels les saumons remontant les rivières pour se reproduire, se bousculer sur terre ou dans les airs vers la destination de leurs loisirs auxquels ils ont droit, ou du moins le pensent-ils. La réflexion de Blaise Pascal (1623-1662) prend alors un caractère prophétique : « Tout le malheur des hommes vient d’ une seule chose, qui est de ne savoir pas se tenir en repos dans une chambre » (3).
La transition démographique (les taux de natalité et de mortalité élevés d’ une nation deviennent progressivement faibles), dont il est attendu qu’ elle finisse par atteindre tous les pays de la planète, ne devrait toutefois pas empêcher l’ augmentation de la population mondiale à l’ avenir en raison du phénomène de l’ héritabilité de la fécondité (4). A l’ appui de cette projection, l’ Afrique, empreinte de polygamie, qui exporte des migrants et dont le peuplement devrait doubler d’ ici 30 ans. L’ Inde n’ est pas en reste et la Chine vient d’ autoriser 2 enfants par couple au lieu de 1 précédemment.
La limite vient, non pas de l’ Homme, mais de notre globe qui à la fois souffre et se rebelle contre le trop plein et le pillage dont il est l’ objet. Arrive le réchauffement climatique avec ses potentielles dramatiques conséquences, réalité sacrifiée par certains sur l’ autel de la prospérité économique : « … il se pourrait tout à fait qu’ il soit trop tard demain et que les écosystèmes s’ effondrent, entraînant la disparition de la plupart des êtres vivants. L’ humanité dans son ensemble est aujourd’ hui confrontée à l’ une des décisions les plus difficiles de son histoire » (5).
Une analyse de 148 propositions de réduction de l’ empreinte carbone individuelle dans les pays développés (UE, USA, Canada, Australie) identifie de nombreuses mesures peu efficaces mais généralement encouragées tandis que 4 actions à fort potentiel de diminution d’ émission de CO2  – régime végétarien, éviter les voyages en avion, vivre sans voiture, avoir un enfant de moins
(en ordre d’ impact croissant) – ne font que rarement l’ objet de recommandations gouvernementales ou de messages éducatifs pour les adolescents. Avoir un enfant de moins diminuerait environ 20 fois plus l’ empreinte carbone à l’ origine du réchauffement climatique que vivre sans voiture (6, 7). « La mesure de loin la plus efficace, à savoir se restreindre en matière de procréation, celle-là est exemptée de tout appel à la responsabilité individuelle, au nom d’ un droit illimité à procréer » (8).
Entre autres défenses de ce droit, on ne peut ignorer la position de l’ Eglise, opposée à la contraception et à l’ IVG (cette dernière interdite en mai 2019 par l’ Etat de l’ Alabama !), comme d’ ailleurs le sont, à quelques nuances près, les religions musulmane et judaïque. Le pape et ses homologues d’ autres obédiences porteraient-ils une once (apostolique !) de responsabilité dans le dérèglement du climat ?
Voilà qui jette un certain éclairage sur la PMA et, a fortiori, sur la GPA, tandis que tant d’ enfants abandonnés ou orphelins seraient comblés par un foyer qu’ ils ne peuvent même pas imaginer.
Tout le règne animal est marqué par l’ instinct de conservation de l’ espèce qui pousse à la reproduction. L’ Homme n’ y échappe pas mais, par un dramatique paradoxe, plus il se reproduit et plus sont en voie de disparition de nombreuses espèces animales et peut-être, in fine, la sienne. La Nature (ou Dieu ou le hasard) a lié, non sans une certaine perversité, la procréation au plaisir. Dans son incommensurable imagination, elle eût pu dissocier l’ une de l’ autre avec comme possible conséquence une natalité moindre voire une extinction de l’ Humanité. Il n’ en fut rien. « A la cadence supposée de deux rapports sexuels par semaine, il en a fallu 2399200000000 pour obtenir 7,5 milliards d’ êtres humains » (9).
C’ est un lieu commun d’ affirmer que chaque vie est unique et qu’ elle a, parmi toutes les autres, sa valeur. Est-ce une raison de mettre au monde tant et tant d’ individus auxquels la banalité et la ressemblance vont servir de dénominateur commun ? Quel est le sens de cet incontrôlable emballement qui forcément fait prévaloir la quantité sur la qualité ? En quoi est-il nécessaire ? La vie est un bien trop précieux pour qu’ on la donne sans réflexion ni retenue parce que les humains le veulent, la nature le permet et la religion l’ encourage.
Voici ce qu’ écrivaient il y a 50 ans déjà, dans leur satirique analyse de notre civilisation, Laurence Peter (1919-1990) et Raymond Hull (1919-1985) : « L’ homme s’ est élevé dans la hiérarchie thérapeutique … jusqu’ à la médecine et la chirurgie modernes. Il fabrique maintenant des pièces détachées humaines, naturelles ou synthétiques. Ce pas en avant est une promotion qui le fait passer de guérisseur à créateur. Mais, devant la menace d’ une explosion démographique et d’ une famine générale, l’ homme a-t-il vraiment besoin de cette promotion ? » (10).
De cette croissance populationnelle on parle moins que de la croissance économique qui obsède Etats et particuliers.
Une énorme disparité frappe les habitants de notre Terre dont 1 % possèdent plus que les 99 % restant (11). 2018 bat le record mondial de réfugiés : 78 millions dont la moitié sont des enfants. Pendant que les armes ou la faim tuent nombre d’ entre eux, d’ indécents milliardaires étalent leur «  réussite  » matérielle. Le « Rabbit » de Jeff Koons (né en 1955), moulage en acier d’ un lapin gonflable, vendu pour 91,1 millions de dollars à New-York le 15 mai 2019, illustre le niveau de bêtise et la perte de repère affectant certains milieux.
Le montant de la dette publique et privée globale est passé de 115 900 milliards de dollars en 2007 à 184 000 milliards de
dollars en 2017 (12). La dette des pays riches est colossale et ne sera à l’ évidence jamais remboursée. L’ équation semble simple : plus les taux sont bas, plus la dette augmente et plus elle s’ accroît, moins les taux peuvent remonter (13). En dépit des multiples déclarations de politiques ou de prétendus experts, plus personne ne contrôle la situation dont profite une minorité. Le chômage plombe la jeunesse croissante d’ Etats qui, paradoxalement, font appel à des
travailleurs étrangers.
Dans les pays développés, le vieillissement de la population, à la fois victoire et menace, inquiète l’ économie : trop de retraités « coûteux » par rapport aux actifs. On encourage donc la natalité et on se réjouit de l’ apport de forces vives venues de l’ extérieur. Mais qu’ on ne s’ y trompe pas : l’ expansion démographique, bien que moindre, y est réelle et les jeunes productifs d’ aujourd’ hui devenant vieux à leur tour, il en faudra de nouveaux pour les assumer demain. Sauf un cataclysme imprévu mais toujours possible, il n’ y a aucune raison que le phénomène s’ arrête.
Et voilà que l’ Homme, mû par une alchimie de savoir scientifique, de curiosité et de vanité, envisage de s’ exporter sur d’ autres astres, longs voyages pourtant dérisoires en regard de l’ immensité de l’ Univers.
Le philosophe français Luc Ferry (né en 1951) distingue une première mondialisation (16ième – 18ième siècle), celle de la révolution scientifique, portée par un « gigantesque projet de civilisation », d’ une deuxième mondialisation (19ième – 21ième siècle), « essentiellement compétitive ». « Pour des raisons essentielles, structurelles, l’ histoire née de la deuxième mondialisation échappe presque intégralement à l’ emprise des politiques nationales. Jamais sans doute le monde n’ aura été aussi opaque, aussi imprévisible qu’ aujourd’ hui, parce que nous ne savons ni où nous allons, ni pourquoi nous y allons » (14).
En 1919, au sortir de la première guerre mondiale, Paul Valéry (1871-1945) fait déjà un diagnostic aussi saisissant que lucide : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’ empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles, avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et … leurs dictionnaires. … Et nous voyons maintenant que l’ abîme de l’ histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’ une civilisation a la même fragilité qu’ une vie » (15). C’ était il y a 100 ans et la population mondiale n’ était « que » d’ environ 1,7 milliard d’ individus.
Les astrophysiciens prédisent, dans un avenir lointain mais de façon certaine, l’ extinction du soleil et avec lui celle de l’ Humanité. Il se pourrait cependant que cette dernière se soit auto-détruite avant, comme si le génome humain contenait un gène encore non identifié, celui de sa «  disparition programmée  » !
« Notre court passage sur une planète banale tournant autour d’ une étoile ordinaire ne sera qu’ un épisode insignifiant au sein d’ une immense histoire ; il ne laissera guère de trace. L’ univers nous ignore » (16).
Mais l’ Univers ne sait pas qu’ il existe, contrairement à l’ Homme, à ce jour seul et périssable témoin de son existence.

 

Pr Jean Jacques Perrenoud

Cardiologue FMH
Chemin Thury 12
1206 Genève

jean-jacques.perrenoud@unige.ch