Epilepsie chez la personne âgée

Aussi bien l’ incidence que la prévalence de l’ épilepsie augmentent après 65ans. Au vu du vieillissement de la population, la prise en charge de l’ épilepsie chez la personne âgée devient un enjeu de santé publique. La prise en charge de ces patients implique de tenir en compte l’ étiologie, les comorbidités, les risques inhérents à une récidive de crise ou au traitement anticonvulsivant, ainsi que les changements pharmacodynamiques et pharmacocinétiques survenant dans l’ âge avancé.

Both the incidence and prevalence of epilepsy increase after the age of 65. In view of the ageing population, the management of epilepsy in the elderly is becoming a public health issue. The management of these patients implies taking into account the etiology, comorbidities, the risks inherent in a seizure recurrence or anticonvulsant treatment, as well as the pharmacodynamic and pharmacokinetic changes that occur in old age.
Key Words: epilepsy, elderly,public health, anticonvulsant treatment

L’ épilepsie est la troisième maladie neurologique la plus fréquente >65ans, après l’ AVC et les démences, tous deux majorant le risque d’ épilepsie (1). Cette tendance va s’ accentuer au vu du vieillissement de la population, avec estimation d’ une augmentation de 60 % des personnes de > 65ans dans les prochain 15ans (2). La prise en charge de l’ épilepsie chez la personne âgée implique des considérations particulières au vu des différentes étiologies, comorbidités, risque accru d’ effets secondaires du traitement, comédications, et changements pharmacodynamiques et pharmacocinétiques. De plus, la personne âgée est particulièrement vulnérable en cas de survenue de crise épileptique : risque de lésion traumatique, perte de confiance et diminution de l’ autonomie. Malgré tout cela, l’ épilepsie est souvent diagnostiquée avec retard chez la personne âgée, et ces patients ont moins facilement accès à des centres spécialisés (3).

Epidémiologie

Quand nous parlons de crises épileptiques chez la personne âgée, il convient de bien définir trois scénarios:
1) Crises épileptiques provoquées (ou symptomatique aigues), survenant dans la phase précoce d’ une lésion cérébrale ou suite à des troubles toxico-métaboliques. L’ incidence augmente linéairement dès la troisième décade, avec risque estimé à 3.6 % à 80ans (4). Suite à une première crise il convient d’ effectuer un bilan biologique large, une imagerie cérébrale et une anamnèse détaillée à la recherche d’ un facteur favorisant. Ce type de crise ne permet pas de retenir automatiquement un diagnostic d’ épilepsie. En effet, l’ épilepsie est définie par la survenue de ≥2 crises non provoquées espacées de 24h ou une crise unique avec risque de récidive à 10ans estimé ≥60 % (par le biais des examens complémentaires, tels qu’ EEG, imagerie) (5).

2) Epilepsie ayant débuté dans le jeune âge et se poursuivant dans l’ âge avancé.

3) Epilepsie survenant de novo à l’ âge avancé (>60ans).

L’ incidence de l’ épilepsie est accentuée dans le très jeune âge et l’ âge avancé (augmentation graduelle dès 40-50ans), et est estimée à 90-150/100’000 à 65ans. Ce pattern bimodal a été répétitivement démontré aussi bien dans des pays développés que en voie de développement (3, 6). Au vu du vieillissement de la population et de l’ amélioration des soins avec survie plus longue des patients souffrant d’ épilepsie dans le jeune âge, la prévalence de l’ épilepsie suit une même courbe bimodal (5.4 % chez la personne âgée et jusqu’ à 7.5 % chez les patients en EMS (7, 8)). L’ incidence de l’ état de mal épileptique (EME), soit une crise prolongées de plus de 5 à 10 minutes, est estimée à 86/100’ 00 chez la personne âgée, soit 5x plus élevé que chez les plus jeunes (9). De plus la mortalité associée à l’ EME augmente avec l’ âge pour atteindre 38 % > 60ans (9, 10) et représente un des facteurs pronostiques principaux (11). Ces données confortent le fait que l’ épilepsie chez la personne âgée ne doit pas être considérée comme une maladie bénigne.

Etiologies et facteur de risque

Les maladies cérébrovasculaires sont responsable de plus d’ un tiers des épilepsie chez la personne âgée (12) avec une incidence d’ épilepsie, suite à un AVC, de 6.4-15 % (13). Les maladies neurodégénératives et les étiologies indéterminées représentent environ un quart des cas (6). Les étiologies tumorales sont responsables d’ environ 10 % (14). Plusieurs études reportent une association entre les facteurs de risque cérébro-vasculaire et la survenue d’ épilepsie (15-18). Dans la cohorte ARIC (Atherosclerosis Risk in Communities) incluant plus de 10’000 patients suivi durant une décennie, la survenue d’ épilepsie était est associée à l’ HTA, le diabète et les AVC (18). Cette observation ouvre la possibilité d’ une approche holistique permettant peut-être de réduire l’ épileptogenèse en traitant les facteurs de risque cérébo-vasculaire.

Challenge diagnostic

Les crises épileptiques chez la personne âgée sont majoritairement focales et peuvent passer inaperçues de par leur sémiologie moins « motrice » que chez le jeune. Elles peuvent se manifester uniquement par des épisodes paroxystiques d’ arrêt d’ activité, perte de contact, chute ou confusion (3). Une épilepsie n’ aurait pas été considérée initialement chez 26 % de patients âgés avec diagnostic final d’ épilepsie (19). Jusqu’ à 70 % des crises, lors d’une maladie d’Alzheimer, se présenteraient purement avec des troubles de l’ état de conscience (20). De plus, le diagnostic différentiel est très large, incluant fluctuations dans le cadre d’ une maladie neurodégénérative, syncopes, AIT ou troubles toxico-métaboliques. L’ anamnèse auprès du patient et des proches est essentielle. Il convient de chercher activement le caractère stéréotypé des épisodes, les circonstances de survenue et d’ éventuels signes associés tel que des automatismes (Tab. 1). Les patients âgés tendent à avoir une confusion post-critique ou des phénomènes de Todd prolongés (plusieurs heures, voir jours), pouvant mener au diagnostic erroné de démence ou d’ AVC (21). Le diagnostic d’ épisode fonctionnel (PNES ; Psychogenic Non epileptic Seizures) est souvent peu considéré chez la personne âgée. Toutefois dans une cohorte de 94 patients de >60ans sous monitoring EEG à but de caractérisation d’ épisode, 27 ont présenté des épisodes non-épileptiques, principalement des PNES (22). Il s’ agit souvent de sujets avec une lourde comorbidité somatique (23). L’ EEG peut évidemment aider au diagnostic. Il convient toutefois de souligner qu’ un enregistrement interictal ne présente ni une spécificité ni une sensibilité parfaite. L’ EEG détecte des anomalies irritatives interictales chez environs un tiers des patients âgés souffrant d’ épilepsie. Inversement des anomalies irritatives interictales sont rapportées, principalement dans le sommeil, chez 2 à 6 % des patients souffrant de maladie neurodégénérative, sans nécessairement d’ épisode clinique compatibles avec des crises (20). L’ anamnèse et le jugement clinique doivent donc primer. En de cas forte suspicion clinique, un traitement d’ épreuve, voire un enregistrement EEG prolongé incluant du sommeil peuvent être discutés au cas par cas.

Traitement

Bien que la majorité des personnes âgées soient libres de crises après un an sous monothérapie (6), l’ introduction d’ un traitement est potentiellement complexe, et implique de tenir en compte les changements pharmacodynamiques et pharmacocinétiques liés à l’ âge, les comédications, et les comorbidités spécifiques à chaque patient. Le choix de la médication doit être fait au cas par cas avec balance de la tolérance et de l’ efficacité. Une consultation spécialisée, au moins dans la phase initiale, est donc recommandée. La lamotrigine et le lévétiracétam (24, 25) sont les anticonvulsivants les plus utilisés, et présentent, avec la gabapentine/prégabaline, les molécules de premier choix chez la personne âgée. Le lévétiracétam pouvant engendrer des troubles du comportement, il convient d’ en informer le patient et ses proches et de les chercher activement. La lamotrigine présente un effet éveillant et stabilisateur de l’ humeur, pouvant être bénéfique. Ce traitement peut toutefois majorer les myoclonies et son schéma d’ introduction lentement progressif au vu des risques de réaction cutanées sévères, peut être difficile à suivre en cas d’ atteinte cognitive. De manière générale, les inducteurs enzymatiques sont à éviter si possible au vu de leur effet sur le métabolisme osseux et leurs interactions médicamenteuses. Les tables 2 et 3 résument les caractéristiques des anticonvulsivants les plus communs. Lors de l’ introduction d’ un traitement, il convient d’ effectuer un schéma de titration lent et de viser une dose plus faible que chez le jeune.

Relation bidirectionnelle entre épilepsie et démence

Après une première crise non provoquée, chez un patient souffrant d’ une démence d’ Alzheimer, le risque de récidive est estimé à 70 % (26), remplissant les critères diagnostic pour une épilepsie. Un risque majoré de crises épileptiques en cas de démence est connu de longue date (27). Au vu d’ études animales décrivant que l’ accumulation de β-amyloïde favoriserait la survenue de crises électriques et qu’ en retour, les crises contribueraient à la dysfonction hippocampique et donc au trouble mnésique (28), l’ intérêt pour cette relation bidirectionnelle s’ est accru récemment. Dans la cohorte Framingham on rapporte un risque de démence doublé chez les patients souffrant d’ épilepsie, et de manière similaire un risque d’ épilepsie accru en cas de démence (29). De même, dans la cohorte ARIC, on observe 3x plus de risque de démence chez les patients avec épilepsie tardive (30) et 3x plus de risque de survenue d’ épilepsie chez les patients déments (18). La physiopathologie sous-jacente reste non élucidée. Des patients avec épilepsie ayant débuté dans l’ enfance présentaient, après plus de 50ans, plus de troubles cognitif et un PET-amyloïde plus altéré que des contrôles (31). Une étude récente n’ a par ailleurs pas retrouvée d’ association entre les anticonvulsivants et des troubles cognitifs (32), mais plutôt entre la fréquence des crises et le déclin cognitif. Inversement plus de 50 % des patients avec une épilepsie tardive présentent un MCI au moment du diagnostic (33, 34). Plusieurs études anatomopathologiques chez des patients, sans démence, ayant bénéficié d’ une lobectomie temporale pour traitement de l’ épilepsie, décrivent plus d’ accumulation de β-amyloïde ou de Tau-hyperphosphorylée chez les patients souffrant d’ épilepsie que chez des contrôles (20, 35, 36). Finalement des anomalies irritatives intercritiques à l’ EEG sont associés à un mauvais pronostic cognitif dans la maladie d’ Alzheimer (29, 37). Il n’ est pas encore compris si cela est dû à des crises infra-cliniques entravant la cognition, si ces anomalies EEG sont délétères en elles-mêmes, ou si elles témoignent d’ une pathologie sousjacente plus sévère. Ceci a amené à étudier les possibilités d’ un traitement anticonvulsivant prophylactique (Fig 1). Des études animales ont montré que le lévétiracétam, en réduisant l’excitotoxicité liée au glutamate et en supprimant l’ hyperactivité neuronale hippocampique, pouvait amener à une restauration de la fonction synaptique et une diminution des dépôts de β-amyloïde. Une étude récente a randomisé des patients souffrant de maladie d’ Alzheimer entre placebo et lévétiracetam à très basse dose : chez le petit sous-groupe présentant une activité irritative à l’ EEG (9 patients !) certaines fonctions cognitives s’ amélioraient après le lévétiracetam (38).

Conclusion

L’ épilepsie est une maladie fréquente chez la personne âgée, et peut avoir d’ innombrables conséquences aussi bien physiques que sociales ou psychiatriques. Au vu de la relation bidirectionnelle entre l’ épilepsie et la démence, un screening rigoureux à la recherche de phénomènes cliniques évocateurs de crises épileptiques chez les patients souffrant de démence, ou de plaintes cognitives chez ceux souffrant d’ épilepsie devrait être effectué. Le diagnostic et la mise en route d’ un traitement requiert le recours à un/e spécialiste.

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Dre méd. Isabelle Beuchat, MD

CHUV, NLG, BH07
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) et université de Lausanne, Suisse ; Département des neurosciences cliniques, Service de neurologie, Unité d’épileptologie
Rue du Bugnon 46
1011 Lausanne

Isabelle.beuchat@chuv.ch

Pr Andrea O. Rossetti, MD, FAES

CHUV, NLG, BH07
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) et université de Lausanne, Suisse ; Département des neurosciences cliniques, Service de neurologie, Unité d’épileptologie
Rue du Bugnon 46
1011 Lausanne

Andrea.rossetti@chuv.ch

Les auteurs n’ ont pas déclaré de conflits d’ intérêt en rapport avec cet article.

◆ L’ épilepsie est plus fréquente chez la personne de plus de 65ans
que dans n’ importe quelle autre tranche d’ âge.
◆ La sémiologie des crises épileptiques est différente, avec moins de manifestations motrices ou de généralisation.
◆ Le traitement anticonvulsivant chez la personne âgée doit être adapté, avec pondération de l’ efficacité et de la tolérance, et prise en compte des comorbidités spécifiques de chaque patient.
◆ Il existe une relation bidirectionnelle entre l’ épilepsie et la démence ;
la démence représente un facteur de risque indépendant pour la
survenue d’ épilepsie, et l’ épilepsie un facteur de risque indépendant pour la survenue de démence.

 

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La sexualité des personnes âgées – il est temps de briser un tabou

La sexualité est un facteur positif important de la qualité de vie jusqu’ à un âge avancé. Les personnes âgées pratiquent aussi régulièrement le sexe et sont majoritairement satisfaites de leur vie sexuelle. Les changements biologiques, les comorbidités existantes, les limitations fonctionnelles et les effets secondaires des médicaments sont des facteurs qui influencent négativement la satisfaction sexuelle. L’ optimisation de ces facteurs, comme les pertes fonctionnelles ou la réduction des médicaments, sont des mesures simples. Le passage d’ une forme d’ habitat autonome à une forme d’ habitat assisté peut modifier dramatiquement l’ expérience sexuelle. La qualité de vie dans de telles formes d’ habitat peut être améliorée de manière significative grâce à la détabouisation de la sexualité, à des conseils compétents et à l’ ouverture des institutions aux besoins sexuels des résidents.

Sexuality is an important contributor to quality of life even in advanced age. Older persons are regularly engaged in sexual activities and report a high level of satisfaction. Age associated biological changes, functional decline, comorbidities and medication side effects are common factors with negative impact upon sex life. Optimizing such factors and a thorough medication review are simple measures in daily practice.
Moving into a logterm care facility has the risk of a significant influence on sexual life in older persons. Thus, an open minded approach respecting privacy and sexual desire of older persons in such institution may improve quality of life.
Key Words: sexuality, older persons, geriatric patients

Les consultations « régulières » dans les cabinets médicaux se concentrent souvent sur des thèmes somatiques. Certains sujets tabous sont alors volontiers occultés. Même chez les jeunes patients, il est difficile d’ aborder le thème de la sexualité. Qui aime poser volontairement des questions sur la vie sexuelle d’ autrui, et qui plus est chez des personnes âgées ? Peut-on et doit-on aborder le thème de la sexualité des personnes âgées en consultation ? Nous pensons que oui et donnons dans l’ article suivant un bref aperçu des travaux récents sur ce thème souvent tabou.

Que signifie la sexualité dans le contexte du vieillissement en bonne santé ?

Le vieillissement en bonne santé a été défini en 2015 dans un document détaillé du Rapport mondial de l’ OMS sur le vieillissement et la santé (1). Il s’ agit d’ un processus qui, malgré la présence éventuelle de maladies chroniques, permet de développer ou de maintenir des capacités fonctionnelles qui vont de pair avec le bien-être. Dans cet ouvrage de plus de 200 pages, une page est consacrée à la sexualité des personnes âgées et regrette en premier lieu le peu de données disponibles, mais formule clairement que la fonction sexuelle représente un critère important de la qualité de vie des personnes âgées. Le même rapport présente des données qui montrent que jusqu’ à l’ âge de 64 ans, près des trois quarts des personnes ont encore des rapports sexuels au moins une fois par semaine et que la moitié des 65-74 ans sont également encore sexuellement actifs. Même un quart des 75-85 ans ont des relations sexuelles (avec pénétration) au moins une fois par semaine (1). Une étude récente décrit même des fréquences de 70 % chez les personnes de 75 ans et plus (2).

La société ne comprend souvent pas la vie sexuelle des personnes âgées, bien qu’ elles considèrent elles-mêmes que le sexe fait partie de leur qualité de vie personnelle. Dans une analyse récente sur le thème du sexe chez les personnes âgées, le groupe de recherche a pu identifier au total 5 thèmes importants pour l’ encadrement et le conseil des personnes âgées (3) (tab. 1).

Le fait que les personnes en Suisse aient aujourd’ hui des rapports sexuels plus tôt qu’ il y a 60 ans a été mis en évidence en 2009 par la Commission fédérale pour l’  enfance et la jeunesse. Alors qu’ en 1972, environ 20 % des hommes et 30 % des femmes avaient déjà eu des rapports sexuels à 17 ans, ces chiffres sont passés à 56 % et 66 % en 2007. A notre connaissance, il n’ existe pas d’ enquête sur la question de savoir si l’ activité sexuelle a également augmenté avec l’ âge. Une tendance dans ce sens est toutefois envisageable. Le statut de la relation (seul(e) ou avec un(e) partenaire) est un critère décisif. Une enquête de 2017 a examiné la fréquence de l’ activité sexuelle et des caresses en fonction de l’ âge, du sexe et du statut de la relation (2). Les personnes en couple étaient sexuellement actives dans plus de 80  % des cas, quel que soit leur sexe, alors que la fréquence tombait à environ 5 % pour les femmes et 18 % pour les hommes lorsqu’ ils n’ avaient pas de partenaire. L’ âge croissant est en outre corrélé positivement au dysfonctionnement sexuel et négativement au désir sexuel (4). Même avec l’ âge, la sexualité ne se réduit pas à l’ aspect physique. D’ autres facteurs au moins aussi importants sont l’ attitude personnelle et les expériences antérieures en matière de sexe, leur importance subjective pour la qualité des relations ainsi que les déterminants culturels (5). La sexualité des personnes âgées est souvent considérée comme une intimité vécue de la même manière par les deux sexes. En revanche, les hommes âgés font plus souvent état de pensées et d’ activités sexuelles que les femmes. 27 % des personnes âgées de 60 à 82 ans expriment plus souvent des pensées sexuelles que la moyenne d’ une population de référence de 22 à 36 ans (6). Cela montre que le sujet est tout à fait pertinent pour la pratique quotidienne.

Qu’ est-ce qui influence notre vie sexuelle avec l’ âge ?

Le plus grand «organe sexuel» est le système nerveux central (SNC). Les impulsions provenant de différentes zones du cerveau, des nerfs crâniens et du tronc cérébral régulent et contrôlent la libido, l’ excitation et, surtout, les processus physiologiques qui mènent finalement à l’ orgasme et à la satisfaction qui en découle (7). Des zones plus ou moins similaires sont impliquées chez les deux sexes. Seul le noyau sexuellement dimorphe du thalamus contrôle la sexualité de manière différente chez les femmes et les hommes (8). De nombreux neurotransmetteurs jouent un rôle dans ce processus ; la dopamine et la sérotonine, par exemple, sont des neurotransmetteurs de la sexualité.

Les médiateurs de la satisfaction sexuelle semblent être particulièrement importants (7). Mais d’ autres formes de sexualité, telles que les câlins, les caresses ou les embrassades, sont également appréciées jusqu’ à un âge avancé comme faisant partie d’ une bonne qualité de vie. Avec l’ âge, elles deviennent plus importantes que la sexualité associée au coït. Parallèlement, les organes sexuels de la femme et de l’ homme se modifient. Chez la femme, de nombreux changements sont déclenchés dans le cadre de la ménopause. Souvent, les femmes ménopausées souffrent d’ une diminution de la production de sécrétions vaginales, ce qui peut entraîner une pénétration douloureuse. L’ introïtus se rétrécit, la paroi vaginale s’ épaissit et se raccourcit. Les femmes subissent en outre une diminution de l’ excitabilité sexuelle (arousal). La diminution de la production endogène de testostérone chez les hommes, liée à l’ âge, est beaucoup plus lente que celle de la ménopause, mais elle est également liée à des modifications de la sexualité. Outre la diminution de l’ éveil et de la quantité de sécrétion de prostate, c’ est la dysfonction érectile avec ses effets sur la tumescence, la vidange du corps caverneux et le retard de la régénérescence qui est au premier plan.

Comorbidités et médicaments

Les comorbidités existantes ont un effet négatif sur les changements physiologiques mentionnés précédemment. Elles vont de l’ arthrose aux polyneuropathies, des douleurs chroniques aux troubles psychiques ou cognitifs (dépression, démence). A cela s’ ajoutent les effets des stimulants et des addictions comme l’ alcool, la nicotine et autres drogues. Un grand nombre de médicaments agissant sur le SNC (y compris la moelle épinière) influencent par leurs effets les deux neurotransmetteurs la dopamine et la sérotonine. C’ est pourquoi l’ indication de ces substances doit toujours être vérifiée de manière critique en cas de troubles. Une réduction de la dose peut déjà entraîner une amélioration des symptômes (tab. 2).

La sexualité dans les soins de base, un tabou ?

Dans la pratique, le thème de la sexualité semble tabou. Seuls un peu plus de 20 % des femmes et près de 40 % des hommes de plus de 50 ans en parlent. Plus la personne est âgée, plus souvent « les deux parties » se taisent. Les femmes semblent particulièrement désavantagées. Une grande enquête britannique a montré que seules 68 % des femmes de plus de 65 ans ont parlé de la sexualité des personnes âgées, alors que 97 % des personnes interrogées auraient aimé en parler et qu’ une grande partie (80 %) aurait même été prête à fixer un deuxième rendez-vous sur ce thème (10). Le résultat de la même enquête montre que tant les médecins que les femmes ont certains préjugés, connaissent peu la sexualité des personnes âgées, sont pressés par le temps et réduisent souvent la sexualité aux troubles de l’ érection. D’ autre part, les patients ont honte et espèrent que le sujet sera abordé par leur « vis-à-vis » (10).

Et dans le domaine du long terme ?

En Suisse, environ 90’ 000 personnes âgées vivent dans des institutions de long séjour, dont les trois quarts ont 80 ans et plus (11). Malheureusement, la pratique de la sexualité dans ces institutions est souvent perturbée, par exemple par une intimité insuffisante, le manque de partenaire, l’ attitude (négative) des propres membres de la famille, des soignants, mais aussi des médecins de famille, ainsi que des connaissances insuffisantes sur la sexualité des personnes âgées (12).

Conseils pour la vie quotidienne

Nous n’ apprenons certaines choses que si nous les demandons activement. Cela signifie toutefois que nous devons surmonter notre propre pudeur, saisir le « bon moment » et apprendre à lire entre les lignes. Il n’ est pas rare que le thème de la sexualité soit abordé à la fin d’ une conversation. Idéalement, il devrait faire partie d’ une anamnèse « typique », même chez les personnes âgées. Il est en outre décisif de savoir qui est la personne idéale pour aborder le sujet. Il faut être conscient de sa propre attitude et de ses propres valeurs (13). Une bonne option est également de « s’ entourer d’ une personne idéale » pour aborder le sujet. Les questions directes, claires et ouvertes constituent une bonne entrée en matière : « Comment va votre vie sexuelle » ? Êtes-vous encore sexuellement actif ? » Dans le contexte des troubles psychiques et de leur médication, on peut par exemple mentionner en introduction la maladie de base ou les effets secondaires potentiels des médicaments sur la sexualité. Chez les femmes en péri-ménopause, les questions sur les troubles de la ménopause sont une bonne introduction à la thématique (13). Des questions sur l’ orientation sexuelle (si elle n’ est pas déjà connue) ou des contacts avec des travailleuses du sexe (en particulier chez les hommes) peuvent en outre aider à comprendre le problème.

Comment continuer ?

En levant le tabou sur la sexualité lors d’ un entretien personnel et en réaffirmant que le sexe est un facteur important de la satisfaction de la vie, même à un âge avancé, on a déjà fait beaucoup sur le plan thérapeutique. Il est tout à fait possible que les femmes reçoivent des conseils sur l’ œstrogénisation de la muqueuse vaginale ou sur les lubrifiants. Selon les troubles, un suivi gynécologique est indiqué. Chez les hommes, la dysfonction érectile peut être au premier plan des plaintes, mais la sexualité des personnes âgées ne se résume pas au Viagra. La prudence est de mise avec les substances destinées à augmenter la libido, car les effets sont anecdotiques. Dans les cas d’ hyperactivité sexuelle, on utilise parfois des anti-androgènes chez les hommes souffrant de troubles cognitifs, dont les effets sur les taux de testostérone déjà physiologiquement bas sont très discutables.

Existe-t-il des centres de consultation ou des établissements modèles ?

Malgré des recherches intensives sur Internet, nous n’ avons pas trouvé de recueil spécifique à la thématique de la sexualité des personnes âgées. La page d’ accueil Santé sexuelle Suisse (www.sante-sexuelle.ch) contient toutefois une liste de centres de conseil régionaux et de thérapeutes actifs dans le domaine de la sexualité. Pour les personnes homosexuelles, le site de l’ association www.queerAltern.ch est tout indiqué. Tant Pro Senectute Suisse que l’ association suisse des homes Curaviva traitent de cette thématique en ligne. Les institutions modèles, qui sont considérées comme un exemple de concept sexuel vécu, ne sont toutefois pas répertoriées. Les facteurs suivants peuvent toutefois contribuer à la qualité de vie « sexuelle » dans les maisons de retraite et les établissements médico-sociaux (tab. 3).

Cet article est une traduction de « der informierte arzt » 02_2023

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PD Dr méd. Thomas Münzer

Clinique gériatrique de Saint-Gall
Rorschacher Str. 94
9000 St. Gallen

Dre méd. Annette Ciurea

Age Medical – Zentrum Gesundheit im Alter
Hardturmstrasse 131
8005 Zürich

L’ auteur n’ a pas déclaré de conflits d’ intérêts en rapport avec cet article.

1. World Health O. World report on ageing and health. Geneva: World Health Organization; 2015 2015.
2. Freak-Poli R, Kirkman M, De Castro Lima G, Direk N, Franco OH, Tiemeier H. Sexual Activity and Physical Tenderness in Older Adults: Cross-Sectional Prevalence and Associated Characteristics. J Sex Med. 2017;14(7):918-27.
3. Bauer M, Haesler E, Fetherstonhaugh D. Let’s talk about sex: older people’s views on the recognition of sexuality and sexual health in the health-care setting. Health Expectations. 2016;19(6):1237-50.
4. Wang V, Depp CA, Ceglowski J, Thompson WK, Rock D, Jeste DV. Sexual health and function in later life: a population-based study of 606 older adults with a partner. Am J Geriatr Psychiatry. 2015;23(3):227-33.
5. Srinivasan S, Glover J, Tampi RR, Tampi DJ, Sewell DD. Sexuality and the Older Adult. Curr Psychiatry Rep. 2019;21(10):97.
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10. Morton L. Sexuality in the Older Adult. Prim Care. 2017;44(3):429-38.
11. (BAG) BfG. Sozialmedizinische Betreuung in Institutionen und zu Hause 2019 [Medienmitteilung]. 2019 https://www.bfs.admin.ch/bfs/de/home/statistiken/gesundheit/gesundheitswesen.assetdetail.14817268.html.
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13. Taylor A, Gosney MA. Sexuality in older age: essential considerations for healthcare professionals. Age Ageing. 2011;40(5):538-43.

Diabète de type 2 et néphropathie 2022

Depuis le dernier article paru dans la Gazette Médicale en 2017 (01 _ 2017 _ la gazette médicale _ info@geriatrie), il y a eu un changement historique de la prise en charge de patients diabétiques de type 2 présentant une néphropathie diabétique albuminurique. En effet des études randomisées contrôlées de haute qualité ont été publiées entre 2019 et 2022 et ont changé l’ algorithme de prise en charge (1,2). Cet article a pour but de refaire le point par rapport à la néphropathie diabétique

Epidémiologie et dépistage

La prévalence de la néphropathie diabétique est en augmentation en raison du vieillissement de la population et de l’ augmentation de la prévalence du diabète de type 2. Le médecin de premier recours et le diabétologue restent en première ligne pour le dépistage de la néphropathie diabétique. Une évaluation annuelle avec une estimation de la filtration glomérulaire (eGFR selon CKD-EPI basé sur la créatinine) et un rapport albumine/créatinine urinaire sur un spot est recommandée chez tout adulte diabétique. Un stix ou sédiment urinaire sera fait pour compléter ce bilan et d’ autres causes d’ atteinte rénale seront recherchées en cas de sédiment pathologique. La fréquence des contrôles sera augmentée chez les personnes présentant déjà une néphropathie (Tab.1). On parle de maladie rénale chronique en cas d’ eGFR < 60ml/min/année et/ou lors d’ un stade A2-A3 de l’ albuminurie. Mais adapté à l’ âge, cette classification peut être affinée (si âge<40 ans <75ml/min/1.73 m2, si âge >65 ans <45ml/min/1.73 m2). Finalement tout patient avec un stade A3 de l’ albuminurie présente un déclin accéléré de la fonction rénale et nécessite une prise en charge multifactorialle intensive (contrôle glycémique, tensionnelle, lipidique, poids, tabac, adhésion au traitement…).

Algorithme de prise en charge

La prise en charge du patient avec une néphropathie diabétique est multiple et complexe. Un consensus suisse sur la néphropathie diabétique résume en détail les connaissances actuelles et la prise en charge thérapeutique (Fig.1) (2). Il y aura des objectifs chiffrés (glycémique, tensionnelle, lipidique) mais aussi des objectifs de protection rénale (IEC ou Sartan, SGLT2i, finérénone). Il sera important d’ exclure d’ autres causes d’ atteinte rénale (dans 20% des cas) et d’ adresser le patient au néphrologue en cas de doute. L’ objectif thérapeutique est d’ améliorer la qualité de vie tout en ralentissant le déclin de la fonction rénale et en diminuant le risque cardiovasculaire. La très grande majorité de patients diabétiques avec une néphropathie vont mourir de maladie cardiovasculaire avant d’ atteindre l’ insuffisance rénale terminale. La prise en charge multidisciplinaire s’ impose parfois avec un suivi médical, infirmier, diététique, pharmacien et podologique. L’ amélioration de l’ auto-soin et l’ adhésion au traitement sont aussi des facteurs qui peuvent avoir un impact positif sur le pronostic.

Médicaments néphroprotecteurs

IEC/Sartans: Le blocage du système rénine-angiotensine par les inhibiteurs de l’ enzyme de conversion ou les sartans sont en première ligne lors de néphropathie albuminurique. Les études qui remontent il y a plus de 20 ans montrent une diminution des événements rénaux. Par contre leur association (IEC, sartan, inhibiteur de la rénine) n’ est pas proposée car les études ont montré une augmentation des effets indésirables. Un dosage de la créatinine et de la kaliémie est proposé 1-2 semaines après le début du traitement qui sera mis en suspens en cas d’ élévation de la créatinine de plus de 30%. Une kaliémie élevée fera rechercher d’ autres causes favorisants comme les AINS, l’ acidose métabolique et l’ alimentation riche en potassium.

SGLT2 inhibiteurs (SGLT2i) (3,4,5,6) : Les SGLTi induisent une glucosurie en inhibant la réabsorption rénale de glucose/sodium. Ces médicaments améliorent le contrôle glycémique lors de eGFR>45ml/min/1.72 m2, diminuent le risque d’ hospitalisation pour insuffisance cardiaque (lors de eGFR > 20ml/min/1.73m2) et ralentissent le déclin de la fonction rénale et l’ albuminurie (lors de eGFR > 25ml/min/1.73m2). L’ introduction d’ un SGLT2i dès un stade KDIGO G2A3 de l’ albuminurie peut retarder la survenue de l’ insuffisance rénale terminale de plus de 10 ans. Ces médicaments de prix moyen sont pris en une prise orale par jour. La tolérance est le plus souvent bonne. Il est néanmoins important d’ informer le patient des effets secondaires, en particulier le risque de mycose génitale (5-10% de risque) et l’ importance d’ une bonne hydratation. Leur utilisation est contre-indiquée pour l’ instant chez les diabétiques de type 1 en raison du risque d’ acido-cétose. Ce risque est bas chez le diabétique de type 2 mais doit être recherché en cas de douleurs abdominales /nausées. Finalement, comme pour les bloqueurs du système rénine-angiotensine, un contrôle de la créatinine/kaliémie est recommandée 1-2 semaines après l’ introduction d’ un SGLT2i chez les personnes avec une atteinte rénale ou des antécédents d’ insuffisance rénale aigue. Il faut relever que les analyses récentes montrent une diminution du risque d’ insuffisance rénale aigue et d’ hyperkaliémie sous SGLT2i.

Finérénone (7-9) : La finérénone est un antagoniste non stéroïdien des récepteurs minéralocorticoïdes (MRA). Il se distingue des MRA stéroidiens (aldactone, eplérénone) par l’ absence d’ effets secondaires sexuels collatéraux. C’ est le premier MRA avec preuve de néphro- et cardio-protection des patients diabétiques de type 2 avec une néphropathie albuminurique. Le risque d’ hyperkaliémie est par contre un facteur limitant, ce traitement ne peut être introduit lors de kaliémie ≤4.8mmol/l et nécessite un monitoring fréquent avec retrait lors de kaliémie au dessus de 5.5mmol/l. Son utilisation chez des patients diabétiques avec une atteinte rénale (jusqu’ à 25ml/min/1.73m2) est reconnue par Swissmedic mais son prix est encore en négociation. En raison de l’ abondance d’ étude positives avec les SGLT2i, le recours à la finérénone se fera en 2ème intention, après l’ introduction des SGLT2i. Même si les études manquent, leur association pourrait être intéressante avec des effets synergiques et une diminution du risque d’ hyperkaliémie.

Cibles thérapeutiques

Contrôle glycémique : en prévention primaire de la néphropathie diabétique, une cible d’ HbA1C <6.5-7% est recommandée. Dès un eGFR<60ml/min, les cibles peuvent être assouplies, comme le risque d’ hypoglycémie augmente lors d’ atteinte rénale et de traitement d’ insuline, de sulfonyurées ou de glinides. Une personne âgée en dialyse avec une espérance de vie limitée aura une cible de <8.5%. Si les SGLT2i seront choisis en priorité chez les personnes avec une néphropathie albuminurique, ce traitement ne suffira pas toujours à obtenir un bon contrôle glycémique. En cas de BMI au-dessus de 28kg/m2, un GLP1a sera proposé comme il apporte une protection cardiovasculaire et ralentit la progression de l’ albuminurie. L’ association GLP1a et SGLT2i nécessite cependant un accord préalable de l’ assurance maladie.

Contrôle tensionnelle : chez la personne diabétique de 18-64 ans la cible est une pression artérielle systolique de 130mmHg au cabinet ou plus bas si cela est toléré. Pour les personnes de 65ans ou plus, la cible est une pression artérielle systolique de 130-139mmHg. En cas d’ atteinte rénale, la cible est de 130-139mmHg si toléré avec une cible pour la pression artérielle diastolique de 70-79mmHg.

Contrôle lipidique : lors de diabète et d’ atteinte rénale (non dialysé, selon KDIGO >G3b ou G3aA2 ou A3) le risque cardiovasculaire est considéré comme très élevé. Dans ce cas, la cible initiale est un Ldl cholesterol <1.8mmol/l avec 50% de réduction. Dans un deuxième temps, une cible <1.4mmol/l est proposée surtout en cas de maladie cardiovasculaire avérée. Les statines restent en première ligne thérapeutique lors de néphropathie diabétique.

Bilan des complications

Dès une atteinte rénale significative, un bilan plus étendu des complications est proposé, incluant le bilan de l’ anémie, l’ acidose métabolique, le bilan phosphocalcique. Une collaboration étroite avec le néphrologue est indiquée en cas d’ altérations.

Conclusions

De nouvelles thérapies efficaces dans la néphropathie diabétique albuminuriques sont à présent disponibles, comme les SGLT2i et la finérénone. Ces nouvelles thérapies diminuent le risque rénal et cardiaque chez ces patients à haut risque. La prise charge de ces patients est complexe, doit être multifactorielle et multidisciplinaire, avec un accompagnement thérapeutique pour améliorer l’ adhésion au traitement.

Dre Anne Zanchi Delacrétaz

Médecin adjoint, PD
Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme
et Service de néphrologie
Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)
Rue du Bugnon 17
CH-1011 Lausanne

L’ auteur n’ a pas déclaré de conflits d’ intérêts en rapport avec cet article.

1. ElSayed NA, Aleppo G, Aroda VR, Bannuru RR, Brown FM, Bruemmer D,
Collins BS, Hilliard ME, Isaacs D, Johnson EL, et al. 11. Chronic Kidney Disease and Risk Management: Standards of Care in Diabetes-2023. Diabetes Care. 2023;46:S191-S202.
2. Zanchi A, Jehle AW, Lamine F, Vogt B, Czerlau C, Bilz S, Seeger H and de Seigneux S. Diabetic kidney disease in type 2 diabetes: a consensus statement from the Swiss Societies of Diabetes and Nephrology. Swiss Med Wkly. 2023;153:40004.
3. Perkovic V, Jardine MJ, Neal B, Bompoint S, Heerspink HJL, Charytan DM, Edwards R, Agarwal R, Bakris G, Bull S, et al. Canagliflozin and Renal Outcomes in Type 2 Diabetes and Nephropathy. N Engl J Med. 2019.
4. Heerspink HJL, Stefansson BV, Correa-Rotter R, Chertow GM, Greene T, Hou FF, Mann JFE, McMurray JJV, Lindberg M, Rossing P, et al. Dapagliflozin in Patients with Chronic Kidney Disease. N Engl J Med. 2020;383:1436-1446.
5. The E-KCG, Herrington WG, Staplin N, Wanner C, Green JB, Hauske SJ, Emberson JR, Preiss D, Judge P, Mayne KJ, et al. Empagliflozin in Patients with Chronic Kidney Disease. N Engl J Med. 2023;388:117-127.
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8. Rossing P, Filippatos G, Agarwal R, Anker SD, Pitt B, Ruilope LM, Chan JCN, Kooy A, McCafferty K, Schernthaner G, et al. Finerenone in Predominantly Advanced CKD and Type 2 Diabetes With or Without Sodium-Glucose Cotransporter-2 Inhibitor Therapy. Kidney Int Rep. 2022;7:36-45.
9. Pitt B, Filippatos G, Agarwal R, Anker SD, Bakris GL, Rossing P, Joseph A, Kolkhof P, Nowack C, Schloemer P, et al. Cardiovascular Events with Finerenone in Kidney Disease and Type 2 Diabetes. N Engl J Med. 2021;385:2252-2263.

L’enrouement chronique – quand faut-il investiguer ?

Questions :

1. Quelle est la cause de l’ enrouement ?
A. Polype des cordes vocales
B. Parésie des cordes vocales
C. Œdème de Reinke
D. Aucun diagnostic clinique ne peut être posé.

2. Quelles sont vos prochaines étapes ?
A. Pas de traitement, contrôle dans 3 semaines
B. Laryngoscopie ou orientation vers un médecin ORL ou un phoniatre
C. CT du larynx et du cou
D. IRM du larynx et du cou

Discussion

Nous avons devant nous une femme de 58 ans, fumeuse, présentant un enrouement chronique, sans autres symptômes. L’échelle GRB est utilisée pour décrire le type d’ enrouement (G = grade de la dysphonie, R = raucité, B = breathyness/souffle). Des valeurs de 0 à 3 sont attribuées. Une voix normale est évaluée avec G0R0B0, chez notre patiente avec une voix moyennement enrouée, modérément rauque et non voilée, le score sur l’échelle GRB est de G2R2B0.

Les causes d’un  enrouement sont très variées, allant de l’ infection banale à la tumeur maligne. Un diagnostic peut être posé uniquement sur la base des résultats acoustiques de la voix. Quoique l’histoire et la durée de l’enrouement permettent quelques suppositions, une laryngoscopie par un médecin ORL ou un phoniatre est indispensable. Une laryngoscopie est généralement recommandée si un enrouement nouvellement apparu persiste pendant plus de 3 semaines sans s’améliorer. L’ urgence dépend également des circonstances concomitantes (stridor, hémoptysie) et des facteurs de risque (abus de nicotine et d’ alcool).

Chez notre patiente qui a une voix rauque depuis des mois, les diagnostics suivants sont les plus vraisemblables:

Laryngite chronique (Fig. 1) :
En cas de consommation chronique de nicotine (d’autres facteurs étiologiques à envisager sont le reflux gastro-œsophagien, les allergies, l’ irritation par un air sec et poussiéreux ou des fumées corrosives, la respiration buccale ou la mise au repos de la voix manquante après une laryngite aiguë).

Carcinome des cordes vocales (Fig. 2) :
Ici, on s’ attendrait plutôt à une durée plus courte des symptômes, de 2 à 4 mois. Cependant, une dégénérescence due à une laryngite chronique avec une anamnèse plus longue serait également possible. Dans le cas d’ un carcinome des cordes vocales, la détection précoce par une laryngoscopie est importante et également possible, car même les petits carcinomes des cordes vocales se manifestent en général rapidement par un enrouement. Aux stades précoces, un pronostic favorable peut être attendu suite à une résection microlaryngoscopique seule ou par une irradiation primaire ciblée.

Polype des cordes vocales (Fig. 3) :
Des facteurs mécaniques tels que la surcharge vocale et le tabagisme jouent un rôle causal.

L’ œdème de Reinke  (Fig. 4):
Il s’agit d’un oedème des cordes vocales dans l’ espace étroit entre l’ épithélium des cordes vocales et le tissu conjonctif sous-jacent. L’ œdème de Reinke est facilement reconnaissable lors d’une laryngoscopie à la loupe comme tuméfaction vitreuse pour la plupart des deux cordes vocales (plis vocaux).

Papillomatose laryngée (Fig. 5) :
Cette maladie virale du larynx, causée par le papillomavirus humain (HPV), peut survenir à tout âge. On observe de petits papillomes ayant l’aspect d’une framboise sur les cordes vocales. Une biopsie est recommandée, d’ une part pour déterminer le type de virus (6 et 11 appartiennent au « groupe à faible risque » pour le potentiel de malignité, 16 et 18 en revanche appartiennent au « groupe à haut risque »), d’ autre part pour détecter des dysplasies déjà existantes. Les autres diagnostics différentiels sont la presbyphonie, la dysphonie fonctionnelle ou les kystes des cordes vocales.

Notre patiente avait les résultats laryngostroboscopiques suivants :
Cette tuméfaction translucide et lisse des deux cordes vocales permet clairement de diagnostiquer un œdème de Reinke. Les patients typiques sont des femmes fumeuses et communiquantes âgées de 50 à 60 ans. La dégénérescence maligne n’ est pas à craindre. Pour le pronostic, l’ arrêt de la consommation de nicotine est important. En cas de faible souffrance ou de stade initial, une certaine amélioration peut être obtenue avec la thérapie vocale logopédique et l’ arrêt de la nicotine, mais dans la plupart des cas, une ablation phonochirurgicale sous anesthésie de courte durée est nécessaire. L’ ablation est notamment indiquée lorsque de gros œdèmes entraînent déjà une dyspnée à l’effort.

Cet article est une traduction de « der informierte arzt » 07_2021

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Dre Andrea Rambousek

Département d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie faciale
Hôpital cantonal de Lucerne, LUKS,
6000 Lucerne 16

Dr Seo Simon Ko

médecin cadre
Département d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie faciale
Hôpital cantonal de Lucerne, LUKS,
6000 Lucerne 16

Les auteurs n’ont pas déclaré de conflits d’ intérêts en rapport avec cet article.

◆ Un enrouement persistant pendant plus de 3 semaines sans amélioration devrait être investigué par laryngoscopie, de préférence par un médecin spécialiste en ORL / phoniatrie en particulier en présence de facteurs de risque tels que l’abus de nicotine et d’alcool.
◆ Les œdèmes de Reinke se trouvent typiquement chez des femmes fumeuses âgées de plus de 40 ans ayant une charge vocale importante et une voix grave et rauque. Selon la souffrance subjective causée par la dysphonie, ils peuvent être enlevés par microlaryngoscopie.

Encéphalite auto-immunitaire et troubles cognitifs

Les encéphalites auto-immunes sont des maladies rares mais traitables qui se manifestent par un tableau associant généralement troubles cognitifs, psychiatriques, crises épileptiques et autres manifestations neurologiques. Le diagnostic est difficile chez la personne âgée, en raison d’une présentation clinique et biologique moins « inflammatoire ». Le diagnostic repose sur l’IRM cérébrale, la ponction lombaire et la mise en évidence d’anticorps antineuronaux dans le sang et/ou le liquide céphalo-rachidien, et un traitement immunosuppresseur précoce est essentiel.

Autoimmune encephalitis is a rare but treatable disease and usually presents with cognitive and psychiatric symptoms, seizures and other neurological manifestations. Diagnosis is difficult in the elderly because of a less “inflammatory” clinical and biological presentation. Diagnosis is based on brain MRI, lumbar puncture and the detection of antineuronal antibodies in the serum and/or cerebrospinal fluid, and early immunosuppressive treatment is essential.
Key Words: autoimmune encephalitis, cognitive/psychiatric symptoms, immunosuppression

Introduction

Chez les patients présentant des troubles neurocognitifs, il est essentiel de chercher les causes réversibles et traitables. Les encéphalites auto-immunes peuvent se présenter sous forme d’ une atteinte cognitive. Elles ont une prévalence estimée de 13.7/100’000 habitants (1), représenteraient jusqu’ à 20 % des troubles neurocognitifs chez les patients jeunes (<45 ans) (2) et entre 4 et 46 % des démences rapidement progressives (3). L’ âge médian est très variable, variant de 21 ans pour l’ encéphalite à anti-NMDAR à 64 ans pour celle à anti-LGI1 (4,5).

Il existe deux types d’ encéphalites auto-immunitaires, selon la cible de l’ anticorps dans la cellule : 1) des protéines à la surface membranaire des neurones (récepteur de surface/synaptique), par exemple les anti-NMDAR, LGI1 ou 2) des antigènes intracellulaire, dit « onconeuronaux », par exemple AK5, GAD-65 (tab. 1). Dans les encéphalites à anti-récepteur de surface, l’ anticorps détecté est pathogénique et perturbe directement les fonctions neuronales; les symptômes sont en général réversibles, reflétant une meilleure réponse à l’ immunothérapie (4,5). Au contraire, les encéphalites associées à des anticorps ciblant des protéines intracellulaires sont principalement des syndromes paranéoplasiques ; l’ anticorps détecté est un reflet de la réponse immunitaire, sans être pathogénique en soi. Ces syndromes sont responsables de tableaux cliniques très variés, avec en général une mauvaise réponse à l’ immunothérapie. Plus récemment, des cas d’ encéphalite immune ont été décrits après traitements oncologiques par inhibiteur des checkpoints immunitaire, dont l’ apparition peut être retardée, parfois jusqu’ à 1 année après l’ arrêt de la thérapie (7).

Présentation clinique

Présentation cognitive

La présentation cognitive est fréquente, souvent sous la forme d’ une « encéphalite limbique », avec une atteinte prédominant sur le versant mnésique antérograde et parfois associée à des manifestations psychiatriques (anxiété). La progression est généralement subaiguë (semaines à mois), remplissant les critères d’ une démence rapidement progressive (démence apparu en <12 mois après le début des troubles cognitifs). Dans une étude récente, 39 % des sujets avec encéphalite à anti-LGI1, NMDAR et GABABR remplissaient les critères de démence, parmi lesquels 76 % ceux d’ une démence rapidement progressive. Le tableau neuropsychologique permet difficilement de distinguer une encéphalite auto-immune d’ une atteinte neurodégénérative. Les formes à anti-LGI1 et GABABR semblent associées à une atteinte visuo-spatiale et exécutive prédominante, similaire au tableau de la démence à corps de Lewy, alors que dans les formes à anti-NMDAR seraient plutôt associées à une atteinte langagière et comportementale, au même titre qu’ une démence fronto-temporale (8).

Manifestations associées

Les crises épileptiques, focales ou généralisées, sont fréquentes et souvent précoces. On peut retrouver typiquement des crises focales d’ origine mésiotemporale, dont les manifestations sont difficiles à reconnaitre (sensation épigastrique ascendante, sensation de déjà-vu, hallucinations olfactives etc.). Les crises dystoniques facio-brachiales, épisodes fréquents (jusqu’ à 40-50x/j) de contractions musculaires brèves facio-brachiales ipsilatérales, sont pathognomoniques de l’ encéphalite à anti-LGI1, et peuvent parfois précéder les troubles cognitifs (5).

Les manifestations psychiatriques sont fréquentes, en particulier dans l’ encéphalite à anti-NMDAR avec des troubles psychotiques et une catatonie (4). Des mouvements anormaux sont rencontrés, comme les dyskinésies orofaciales dans l’ anti-NMDAR ou la chorée dans l’ anti-CRMP5/CV2 (4, 9). Le tableau 2 résume les caractéristiques anamnestiques, cliniques et paracliniques suggestives d’ une encéphalite auto-immune.

Examens complémentaires

En cas de suspicion d’ encéphalite auto-immune, le bilan complémentaire doit comprendre une IRM cérébrale injectée, un bilan sanguin, une analyse du LCR et la recherche d’ anticorps antineuronaux dans le sang et le LCR. Une recherche de néoplasie sous-jacente doit être discutée.

L’ atteinte radiologique est variable selon l’ anticorps incriminé, avec une IRM qui peut être normale, comme dans la moitié des cas d’ anti-NMDAR (Fig. 1A) (4). En cas d’ encéphalite limbique comme celle à anti-LGI1, l’ IRM cérébrale peut trouver un hypersignal T2 FLAIR de la région mésiotemporale uni- ou bilatéral, parfois associées à une tuméfaction et prise de contraste hippocampique (Fig. 1B-E) (5). Ce tableau radiologique n’est cependant pas spécifique, et peut se voir dans des encéphalites infectieuses (HSV-1), des gliomes ou des états de mal épileptiques. D’ autres images ont été décrites, comme des atteintes multifocales, une atteinte des ganglions de la base ou une atteinte diencéphalique. L’ IRM permettra également d’ exclure des diagnostics alternatifs, comme une atteinte infectieuse, tumorale ou une maladie à prion.

Le bilan biologique de base comprend un bilan hématologique, métabolique, infectieux et immunologique. La présence d’ une hyponatrémie évoque une encéphalite à anti-LGI1 (5). L’ analyse du LCR doit comporter les analyses de routine (répartition cellulaire, protéines, glucose, quotient d’ albumine, recherche de bandes oligoclonales), des recherches infectieuses, une cytologie et une cytométrie de flux. Selon le contexte, le dosage des marqueurs phospho-tau, total-tau et Abeta 42 peut être effectué en cas de suspicion de maladie d’ Alzheimer, et le RT-QuIC pour l’ évaluation d’ une maladie à prions. Dans le LCR, on peut trouver une pléocytose lymphocytaire légère à modérée, une hyperprotéinorachie et parfois une synthèse intrathécale d’ immunoglobuline. Un LCR normal n’ exclut cependant pas une encéphalite auto-immune.

La recherche des anticorps antineuronaux permet de confirmer le diagnostic d’ encéphalite auto-immune puis de guider le traitement et la recherche oncologique. Les anticorps doivent être cherchés avant l’ introduction d’ une immunothérapie, dans le sang et le LCR. La sensibilité de ces anticorps est plus élevée pour certains dans le sang (ex : anti-LGI1) ou d’ autres dans le LCR (ex : anti-NMDAR) (10). L’ absence d’ anticorps retrouvé n’ exclut pas le diagnostic d’ encéphalite auto-immune (formes séronégatives).
L’ électroencéphalogramme (EEG) peut montrer des signes aspécifiques d’ encéphalopathie et parfois un caractère irritatif expliquant les phénomènes épileptiques. Il permet d’ exclure un état de mal épileptique. Certains signes peuvent orienter vers une étiologie, comme l’ « extreme delta brush » présents jusqu’ à chez 30% des patients avec encéphalite à anti-NMDAR (11). L’ EEG peut également retrouver des arguments pour d’ autres étiologies comme celui d’ une maladie de Creutzfeldt-Jakob (12).

Prise en charge

Dès qu’ une encéphalite auto-immune est suspectée, la prise en charge s’ articule en deux phases ; la recherche de néoplasie et le traitement immunomodulateur. La recherche de néoplasie se fait au moment du diagnostic, lors de rechute et est répétée durant 5 ans, une néoplasie pouvant s’ exprimer des années après l’ encéphalite (13). Si un cancer est retrouvé, son traitement permet parfois de maitriser à lui seul l’ encéphalite.

Le traitement immunomodulateur doit être le plus précoce possible et débuté dès une étiologie infectieuse exclue, sans attendre la positivité d’ un anticorps. Plusieurs études récentes ont montré qu’ un retard dans l’ introduction de l’ immunothérapie influence le pronostic fonctionnel et le risque de rechute (14). Un traitement de phase aiguë (méthylprednisolone à haute dose, immunoglobulines intraveineuses, plasmaphérèses, rituximab, cyclophosphamide) puis d’ un traitement de maintenance (corticothérapie dégressive, rituximab, azathioprine, mycophenolate mofetil) est recommandé. Le traitement sera adapté en fonction de l’ anticorps retrouvé, des comorbidités du patient, de la sévérité et du risque de récidive de l’ encéphalite (15).

Difficultés diagnostiques et thérapeutiques chez la personne âgée

Les encéphalites auto-immunes expriment moins de caractéristiques inflammatoires chez la personne âgée, avec moins de signe inflammatoire à l’ IRM cérébrale ou dans le LCR (16). Le diagnostic peut être encore plus difficile lorsque les biomarqueurs de démence du LCR sont anormaux. Dans une étude récente, presque 50% des patients avec encéphalites auto-immunes (LGI1, GABABR et NMDAR) se manifestant par des démences avaient des anomalies des biomarqueurs du LCR suggestive d’ une maladie neurodégénérative (8).

Les traitements immunosuppresseurs sont associés à des effets secondaires potentiellement problématique chez la personne âgée. Les glucocorticoïdes au plus ou moins long cours entrainent un risque d’ ostéoporose, d’ hypertension artérielle, de troubles digestifs et d’ infections entre autres. Les immunosuppresseurs d’ épargne corticostéroïdes, en particulier le rituximab, sont également associés à un risque infectieux accru dont une augmentation du risque d’ infection sévère à SARS-CoV-2 (17). Au vu d’ une présentation de la maladie moins « inflammatoire », probablement en lien avec l’ immunosénescence, on pourrait également suspecter une moins bonne réponse à l’ immunothérapie chez la personne âgée (18).

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Dr Valentin Loser

Médecin assistant
Service de neurologie, Département des neurosciences cliniques
Centre hospitalier universitaire vaudois et Université de Lausanne
Rue du Bugnon 46
CH-1011 Lausanne

Valentin.Loser@chuv.ch

Pre Caroline Pot

Professeure associée et médecin associée
Service de neurologie, Département des neurosciences cliniques
Centre hospitalier universitaire vaudois et Université de Lausanne
Rue du Bugnon 46
CH-1011 Lausanne

Caroline.Pot-Kreis@chuv.ch

Les auteurs de cet article ne déclarent aucun conflit d’ intérêt.

◆ Les encéphalites auto-immunes sont des causes rares mais traitables de démence. Ce diagnostic doit être évoqué particulièrement en cas de démence chez un patient jeune, de forme rapidement progressive ou en cas de symptômes neurologiques associés, en particulier des crises épileptiques. Le diagnostic est plus difficile chez la personne âgée, en raison d’une présentation clinique et paraclinique moins « inflammatoire ». Le diagnostic repose sur plusieurs examens, en particulier le dosage des anticorps antineuronaux qui doit se faire dans le sang et le LCR. Ceci souligne l’importance d’une évaluation neurologique des patients présentant des démences, en particulier en cas d’atypie.

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Recommandations actuelles pour le dépistage du cancer de la prostate

Le dépistage précoce du cancer de la prostate a longtemps été controversé en raison des craintes justifiées de surdiagnostic et de surtraitement. Les données à long terme des études internationales les plus importantes ont pu montrer que le dépistage par dosage du PSA peut réduire efficacement la mortalité due au cancer de la prostate, si bien que la Commission européenne a recommandé récemment l’ introduction de programmes de dépistage nationaux. Grâce à l’ imagerie par résonance magnétique multiparamétrique (IRM) de la prostate permet de réduire le nombre de biopsies inutiles et d’ augmenter le taux de détection des tumeurs cliniquement significatives.

Prostate cancer screening has long been controversial due to legitimate concerns about overdiagnosis and overtreatment. Long-term data from the largest international studies have shown that PSA-guided screening can effectively reduce prostate cancer mortality, and the European Commission has recently recommended the introduction of national screening programs. The multiparametric magnetic resonance imaging (MRI) of the prostate can reduce the number of unnecessary biopsies and simultaneously increased the detection of clinically significant prostate tumours.
Key Words: PSA, Prostate Cancer, Screening, Preventive Medicine

Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez les hommes et la deuxième cause de mortalité liée au cancer en Suisse. Depuis le début des années 1990, le dépistage du cancer de la prostate est possible grâce à la détermination de l’ antigène prostatique spécifique (PSA) dans le sérum (test PSA). Dans le même temps, la mortalité due au cancer de la prostate a diminué dans la plupart des pays occidentaux (1), mais l’ utilité du dépistage de ce cancer a longtemps été controversée en raison des risques associés au diagnostic invasif et du risque de surtraitement des cancers de la prostate non pertinents sur le plan clinique (2, 3). En 2012, le groupe de travail des services préventifs des États-Unis (US Preventive Services Task Force, USPSTF) a publié une recommandation déconseillant le dépistage par dosage du PSA (4). A la même époque, le rôle du dépistage basé sur le PSA a fait l’ objet d’ un débat tout aussi intense en Suisse, avec des recommandations divergentes du Swiss Medical Board et de la Société suisse d’ urologie (5, 6). Depuis, les données à long terme de l’ importante étude européenne « European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer » (ERSPC) ont été publiées et ont démontré une réduction significative de la mortalité associée au cancer de la prostate grâce au dépistage par dosage du PSA (7). Ces données ont été en partie déterminantes pour le changement de la recommandation de l’ USPSTF en 2017, vers un processus de prise de décision individuel relatif au dépistage à l’ aide du PSA chez les hommes âgés de 55 à 69 ans.

L’ importance du dépistage du cancer de la prostate a été soulignée récemment (le 20 septembre 2022) par la Commission européenne, qui a recommandé de promouvoir ce dépistage chez les hommes de moins de 70 ans (8). L’ article suivant aborde plus en détail les recommandations actuelles en matière de dépistage du cancer de la prostate.

Le dépistage

Les objectifs primaires du dépistage du cancer de la prostate sont la réduction de la mortalité ainsi que le maintien de la qualité de vie. Conformément aux recommandations de l’ Association Européenne d’ Urologie (EAU), il est recommandé de commencer le dépistage du cancer de la prostate dès l’ âge de 50 ans. En cas de risque accru, un dépistage est recommandé à partir de 45 ans, notamment pour les hommes ayant des antécédents familiaux positifs pertinents (père ou frère atteint d’ un cancer de la prostate avant l’ âge de 70 ans) et les hommes d’ origine africaine. Chez les hommes porteurs d’ une mutation BRCA2, le dépistage est recommandé dès l’ âge de 40 ans (tableau 1). Le carcinome de la prostate étant une tumeur maligne qui se développe lentement, le dépistage n’ est recommandé que si l’ espérance de vie restante est d’ au moins 10 à 15 ans. C’ est pourquoi la limite supérieure de 70 ans est souvent mentionnée dans la littérature, bien qu’ il soit judicieux de repousser le dépistage pour les patients plus jeunes d’ un point de vue biologique ou en très bonne santé. Inversement, chez les patients plus jeunes présentant des comorbidités importantes, il convient également de renoncer à un dosage du PSA après une évaluation appropriée (ce que l’ on appelle les « competing risks »). Ces réflexions devraient avoir lieu idéalement avant un dosage du PSA, afin d’ éviter des tests superflus ainsi que des traitements inutiles.

Le cancer de la prostate

Un taux de PSA élevé, un toucher rectal (TR) suspect ou une imagerie par résonance magnétique (IRM) anormale de la prostate conditionnent une biopsie. De multiples prélèvements du tissu de la prostate sont alors effectués et envoyés pour une analyse histopathologique. En cas de détection d’ un carcinome, celui-ci est classé selon la classification de la Société Internationale d’ Uropathologie (ISUP) par grades de 1 à 5, ce qui remplace l’ ancien score de Gleason. ISUP1 correspond à un cancer de la prostate avec score de Gleason 3+3=6, classé « cancer de la prostate à faible risque » (tableau 2). Pour une grande majorité des cancers de la prostate ISUP 1, une surveillance active suffit, ce qui permet aux patients d’ éviter les effets secondaires risqués d’ un traitement curatif.

Les cancers de la prostate ISUP 2 et plus sont considérés comme des « cancers de la prostate cliniquement significatifs », pour lesquels un traitement actif est souvent indiqué. (Certes, les patients avec des tumeurs ISUP 2, strictement sélectionnés, peuvent également être pris en charge avec succès par une surveillance active (9), mais la majorité des patients doivent être traités de manière curative (10).)

Le PSA

Le PSA (l’antigène spécifique de la prostate) est une peptidase qui est produite exclusivement dans les cellules épithéliales de la prostate (cellules glandulaires). On peut le détecter en grande quantité dans l’éjaculat et, en faibles concentrations, également dans le sang. Le PSA dilue l’éjaculat et soutient la motilité des spermatozoïdes. Dans le sang, le PSA n’a aucune fonction. La première description du PSA a eu lieu en 1979 (11), et la première description pour l’utilisation dans le dépistage du cancer de la prostate a été faite en 1991 (12). Comme le PSA n’est pas spécifique de la tumeur, mais un biomarqueur spécifique à l’organe, le taux de PSA peut être élevé non seulement dans le cadre d’un cancer de la prostate, mais également en cas d’hypertrophie bénigne de la prostate (hyperplasie bénigne de la prostate [HBP]), d’une inflammation de la prostate (souvent subclinique), après une activité sexuelle, ainsi que par une pression exercée sur le périnée (par exemple en faisant du vélo). La probabilité d’un cancer de la prostate augmente avec le PSA, mais il n’existe pas de valeur standard universelle du taux de PSA (13). Il augmente avec l’âge de sorte que les valeurs de PSA considérées «normales» sont adaptées à l’âge (p. ex. taux limite de PSA de 2.5 μg/l pour les hommes âgés de 40 – 49 ans, et de 6.5 μg/l pour les hommes âgés de 70 à 79 ans) (14). En cas de taux de PSA élevé, il est toujours recommandé de procéder à un deuxième dosage de PSA. De plus, il est conseillé de s’abstenir de toute activité sexuelle et de ne pas faire du vélo pendant les 37 jours qui précèdent l’examen, afin d’exclure tout impact possible sur le taux de PSA. Dans notre clinique, nous parlons d’un “taux de PSA élevé” en cas de détection répétée d’un taux supérieur à 3,0 μg/l (pour les hommes jusqu’à 50 ans : 2,5 μg/l), et recommandons de procéder à un examen plus approfondi.

Il convient en outre de mentionner la densité du PSA (PSAD), qui se calcule sur la base du taux de PSA et du volume de la prostate. Le risque de cancer de la prostate cliniquement significatif augmente avec un taux de PSAD croissant, à l’inverse il est moindre en cas de PSAD en baisse (4% de risque de cancer de la prostate cliniquement significatif avec un PSAD <0,09 μg/l/cc) (15).

Le toucher rectal

Historiquement, 18% de tous les cancers de la prostate ont été diagnostiqués seulement sur la base du toucher rectal (TR), indépendamment de la valeur du PSA (16). La valeur prédictive positive d’un TR suspect en cas d’un taux de PSA <4 μg/l est de 5 – 30% (PSA 0 – 1,0 μg/l : 5% ; PSA 1,1 – 2,5 μg/l : 14% ; PSA 2,6 – 4,0 μg/l : 30%) (17). Les données de l’ERSPC montrent que la probabilité de détection d’un cancer est doublée chez les hommes présentant un taux de PSA élevé et un TR suspect, par rapport à un taux de PSA élevé sans TR (48,6% vs 22,4%) (18). En cas de TR suspect de la prostate, il est recommandé, indépendamment du taux de PSA, d’envoyer le patient chez un urologue pour une nouvelle évaluation clinique plus approfondie, aussi à l’aide d’une IRM multiparamétrique.

Imagerie par résonance magnétique (IRM) de la prostate

L’introduction de l’IRM multiparamétrique de la prostate a révolutionné le diagnostic du cancer de la prostate au cours de la dernière décennie. L’évaluation de différentes séquences permet de classer les lésions suspectes de la prostate selon la classification “Prostate Imaging Reporting and Data System” (PIRADS). L’échelle va de 1 (cancer de la prostate très improbable) à 5 (cancer de la prostate très probable). Dans la pratique, il est recommandé de faire une biopsie des lésions PIRADS 3 et plus. Mais en cas de PSAD faible, il est possible de renoncer à une biopsie des lésions PIRADS 3 dans certaines situations (10). Cette sélection permet de réduire le nombre de biopsies de plus de 30%, sans pour autant diminuer le taux de détection des cancers de la prostate cliniquement significatifs (19). Selon une méta-analyse Cochrane, l’IRM a démontré par rapport aux biopsies de saturation (>20 biopsies), une sensibilité en commun de 0,91 (IC à 95 % : 0,83 0,95) et une spécificité en commun de 0,37 (IC à 95 % : 0,290,46) pour les cancers de la prostate cliniquement significatifs (ISUP≥2) (20). L’IRM est moins sensible pour la détection des carcinomes de la prostate ISUP 1 (21), ce qui est en fait voulu, car ces carcinomes ne nécessitent normalement pas de traitement. Cette imagerie aide non seulement à décider si une biopsie de la prostate est nécessaire, mais également à fournir des informations sur la dimension spatiale qui aident pour la biopsie ultérieure et du traitement si nécessaire.

Biopsie de la prostate

De manière classique, la biopsie de la prostate s’effectuait par échographie transrectale (ETR) et prélèvement transrectal de 12 fragments de prostate (biopsie dite “systématique”). Cette intervention peut provoquer, entre autres, une hémospermie, une hématurie ou une rétention urinaire. En outre, malgré une désinfection locale et une antibiothérapie préventive, une infection post-interventionnelle peut se produire dans jusqu’à 3% des cas.

Des infections des voies urinaires ainsi qu’une uro-septicémie peuvent également se développer (22), ce qui constitue un problème majeur en raison de la résistance croissante d’E. coli aux antibiotiques. Pour réduire le taux d’infection, il est donc recommandé de faire les biopsies par voie transpérinéale dans la mesure du possible. La sécurité du diagnostic est la même que pour la biopsie transrectale, avec un risque nettement plus faible d’infection des voies urinaires.

Comme mentionné précédemment, l’IRM permet d’identifier des zones suspectes dans la prostate. Pour pouvoir biopsier ces lésions de manière ciblée, il existe aujourd’hui diverses possibilités de fusionner l’IRM et les images de l’ETR, par exemple avec des appareils spécialisés (p. ex. Artemis ou BiopSee), ou par fusion cognitive. Cela permet de prélever des “biopsies ciblées” des lésions suspectes, ce qui entraîne un taux de détection nettement plus élevé des cancers de la prostate cliniquement significatifs (ISUP≥2). L’EAU recommande donc la réalisation simultanée d’une biopsie systématique et ciblée de la prostate dès la première biopsie (10).

Biomarqueurs

En raison du manque de spécificité du PSA, plusieurs biomarqueurs sanguins, urinaires et tissulaires ont été développés au cours des trois dernières décennies. Ces biomarqueurs utilisent souvent des variables cliniques (par exemple le volume de la prostate ou l’âge du patient) et peuvent aider à évaluer la nécessité d’une biopsie de la prostate afin d’éviter un surdiagnostic et un surtraitement (23). Jusqu’à présent, l’utilisation de ces biomarqueurs n’est pas encore largement répandue en Suisse. Les raisons possibles sont le coût parfois élevé des tests, le manque de disponibilité ou le manque de prise en charge par les caisses d’assurance-maladie. Actuellement, l’utilisation de biomarqueurs n’est pas encore recommandée pour le dépistage de routine (10). Ils peuvent toutefois être très utiles pour certains patients, comme c’est le cas par exemple pour le SelectMDx® chez les patients qui ne peuvent pas être examinés par IRM (claustrophobie ou artefacts de prothèses de hanche) (24).

Le PSA libre est l’un des rares biomarqueurs à être largement utilisé. En combinaison avec le PSA total, il peut être utile pour évaluer le risque. En raison de l’instabilité relative du PSA libre, l’utilisation du rapport PSA libre/total n’est que partiellement recommandée (10). Une option plus récente, également disponible en Suisse, est l’utilisation du Proclarix® Risk Score. Ce test sanguin inclut non seulement l’âge du patient, le PSA et le PSA libre, mais aussi deux autres protéines. Il a été démontré qu’il permet de réduire le nombre de biopsies nécessaires (25).

Calculateurs de risque

Il existe différents calculateurs de risque qui permettent d’estimer le risque individuel de cancer de la prostate à l’aide de paramètres cliniques (notamment l’âge, le TR et le taux de PSA) basés sur de grandes cohortes (par exemple, la cohorte ERSPC (26)). Le facteur prédictif le plus fort dans les calculateurs de risque est la PSAD (10).

Les calculateurs de risque sont très utiles pour évaluer le risque individuel d’un patient et peuvent aider à éviter des biopsies inutiles (27).

Risques associés au dépistage du cancer de la prostate par PSA

Les hommes doivent être informés des risques potentiels associés au dépistage de la prostate par PSA. Les risques immédiats de la mesure du PSA (prise de sang) et du TR sont faibles, mais les examens complémentaires peuvent représenter une cause de morbidité. Une biopsie peut entraîner des complications telles qu’une infection des voies urinaires, une hémorragie ou une rétention urinaire (22). En outre, des effets secondaires peuvent survenir dans le cadre du traitement d’un cancer de la prostate diagnostiqué, tels que l’incontinence urinaire, la dysfonction érectile et les douleurs, ainsi qu’une mortalité associée au traitement (28).

Résumé

La détection précoce du cancer de la prostate par le dépistage par PSA a longtemps fait l’objet de controverses. Les données à long terme de l’étude ERSPC ont entre-temps pu montrer que le dépistage par PSA permet de réduire de manière significative la mortalité associée au cancer de la prostate. L’IRM de la prostate a permis de réduire de manière significative les biopsies inutiles de la prostate et d’améliorer simultanément la sécurité du diagnostic grâce à des biopsies ciblées. De même, le risque de surtraitement des cancers de la prostate à faible risque détectés a été réduit grâce à la surveillance active largement répandue. L’organigramme ci-joint illustre le déroulement systématique partant d’un taux élevé de PSA, sur la base des recommandations de l’EAU sur le cancer de la prostate (10) (fig. 1). Le dépistage du cancer de la prostate est basé sur des preuves, la décision de procéder à un dépistage ne doit être prise qu’après avoir pris en considération les avantages ainsi que les risques potentiels.

Cet article est une traduction de « der informierte arzt » 12_2022

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dr Manolis Pratsinis, MSc

médecin cadre
Clinique d’urologie, Hôpital cantonal de St-Gall
Rorschacher Strasse 95
9007 St. Gall

PD Dr Daniel Engeler, MA

Médecin-chef adjoint
Clinique d’urologie, Hôpital cantonal de St-Gall
Rorschacher Strasse 95
9007 St. Gall

Les auteurs n’ont pas déclaré de conflits d’  intérêt en rapport avec cet article.

◆ Un dépistage par TR et dosage du taux de PSA pour la détection précoce du cancer de la prostate est utile et fondé sur des données probantes.
◆ Le PSA est un biomarqueur spécifique à un organe, mais pas à une tumeur. Il peut donc être élevé également en raison d’ une hypertrophie bénigne de la prostate ou d’une inflammation de la prostate.
◆ De nouvelles technologies, telles que l’ IRM multiparamétrique ainsi que des calculateurs de risque, permettent d’ éviter des biopsies inutiles et ainsi de réduire la morbidité lors du dépistage précoce du cancer de la prostate.

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