Microhématurie

La microhématurie est relativement fréquente dans la pratique clinique quotidienne. L’ étiologie sous-jacente est multiple et les conséquences peuvent être aussi bien bénignes que potentiellement mortelles. La confirmation d’ une microhématurie sur la base d’ un sédiment urinaire, une anamnèse ciblée et l’ examen clinique permettent d’ évaluer si un suivi néphrologique et/ou urologique plus approfondi est indiqué.

Microhematuria is relatively common in clinical practice. The underlying etiology is diverse and the consequences can be harmless as well as life-threatening. Confirmation of microhematuria with a urine sediment, a targeted history and clinical examination can be used to evaluate whether further nephrological and/or urological clarification is indicated.
Key Words: urine sediment; glomerular vs. non-glomerular; transient vs. persistent

Outre la recherche ciblée d’ une microhématurie en raison d’ une maladie présumée, il n’ est pas rare qu’ une hématurie microscopique soit diagnostiquée par hasard. La plupart du temps, le diagnostic initial est posé à la suite d’ un test urinaire par bandelette urinaire, qui possède une sensibilité élevée (équivalente à 1-2 érythrocytes/champ visuel) (1), mais une faible spécificité. Les faux négatifs sont donc rares. Cela a été décrit lors de la prise de doses importantes de vitamine C (2). Des faux positifs peuvent notamment survenir en cas d’ urine à pH élevé (>9), de détection de liquide séminal, d’ oxydant (nettoyage du périnée) ainsi qu’ en cas de myoglobinurie (rhabdomyolyse) et d’ hémoglobinurie (hémolyse).

En général, la microhématurie est définie par la présence de trois globules rouges ou plus par champ de vision (microscope à fort grossissement, 400 fois) dans un sédiment urinaire centrifugé.

En revanche, la macrohématurie est visible à l’ œil nu (environ 1 ml de sang/l d’ urine).

Prévalence

La prévalence réelle de la microhématurie est difficile à estimer sachant que les études montrent une grande variation entre 2-31 %. La prévalence dépend fortement de la population choisie, de la durée de l’ étude et de la fréquence des tests (3 ; 4).

Quand un sédiment urinaire est-il utile ?

Le « gold standard » pour le diagnostic d’ une microhématurie est l’ examen microscopique du sédiment urinaire. Celui-ci est décisif pour confirmer une microhématurie réelle (fig.1a) et pour différencier entre une microhématurie glomérulaire et une microhématurie non-glomérulaire. En outre, le sédiment urinaire est recommandé chez presque tous les patients présentant une lésion rénale aiguë (IRA), le plus souvent lors de l’ examen d’ une maladie rénale chronique (MRC) ainsi qu’ en cas de protéinurie ou d’ albuminurie douteuse. Les exceptions peuvent être par exemple une infection urinaire/pyélonéphrite symptomatique ou une lithiase rénale ou urinaire confirmée.

Microhématurie glomérulaire versus microhématurie non-glomérulaire

La microhématurie non-glomérulaire se caractérise par la présence d’ érythrocytes isomorphes (forme biconcave uniforme). Elles peuvent être observées en rapport avec toutes les causes d’ hématurie. En cas de microhématurie glomérulaire, les érythrocytes montrent une morphologie modifiée. Il s’ agit d’ érythrocytes dysmorphiques et d’ acanthocytes. Les acanthocytes sont des érythrocytes annulaires avec des protubérances vésiculaires (“oreilles de Mickey”). La déformation est probablement due à des raisons méchaniques lors du passage à travers la membrane basale ainsi qu’ à un “stress” osmotique dans le néphron (5). Des cylindres érythrocytaires peuvent également apparaître.

Dans l’ urine, les acanthocytes, en particulier lorsqu’ ils sont détectés à ≥ 5 %, ont une grande spécificité pour un événement glomérulaire (6). En pratique clinique quotidienne, la mise en évidence d’ acanthocytes, même à un pourcentage inférieur, est suspecte de microhématurie glomérulaire. Le pourcentage d’ érythrocytes dysmorphiques requis dans le sédiment urinaire pour le diagnostic d’ une microhématurie glomérulaire n’ est pas uniforme. La plupart du temps, un pourcentage de > 30 % d’ érythrocytes dysmorphiques est exigé. Par rapport à l’ acanthocyturie, la sensibilité est nettement plus faible.

En cas d’ une microhématurie glomérulaire isolée, la fonction rénale est normale, sans qu’ une protéinurie ou hypertension artérielle soient détectées et sans qu’ une maladie systémique soit suspectée.

Microhématurie transitoire ou persistante

La microhématurie peut être persistante ou transitoire (fig. 1b).

Une microhématurie persistante, asymptomatique et isolée doit être investiguée, car elle est également associée à un risque global plus élevé de maladie rénale nécessitant une dialyse (7). L’ exercice physique (exercise-induced hematuria), les rapports sexuels, les infections urinaires/prostatites, l’ endométriose, les traumatismes, la néphrolithiase ou la fièvre peuvent causer une microhématurie transitoire. Les patients de sexe féminin doivent également être interrogés sur des causes gynécologiques possibles (menstruation, grossesse, atrophie génitale, etc.). En l’ absence d’ autres symptômes/anomalies, il n’ est pas nécessaire de procéder immédiatement à un diagnostic complémentaire. L’ analyse urinaire doit être répétée dans les semaines suivantes afin de déterminer s’ il s’ agit d’ une microhématurie transitoire ou persistante. L’ étiologie de la microhématurie transitoire n’ est parfois pas clairement identifiable.
En présence de facteurs de risque de malignité (fig. 1b), il convient également d’ examiner une microhématurie transitoire.

Diagnostic et démarche d’ investigation

Un dépistage général de la microhématurie n’ est pas recommandé. Si le test de la bandelette urinaire révèle une microhématurie (fig. 1a), après avoir exclu une infection des voies urinaires, l’ examen doit être répété dans un délai de 4 à 6 semaines environ (micro-hématurie transitoire?). Si une microhématurie (asymptomatique) est à nouveau détectée, l’ étape suivante consiste à effectuer un sédiment urinaire et à déterminer la protéinurie (physiologiquement jusqu’ à 150mg/jour) et l’ albuminurie. De plus, une anamnèse ciblée peut aider à différencier les causes :

  • Clinique : (nouvelle) hypertension artérielle ? Urine mousseuse (protéinurie) ? Douleurs sur les flancs (néphrolithiase) ?
  • Antécédents familiaux : microhématurie ? Surdité, troubles visuels (syndrome d’ Alport) ? Polykystose rénale autosomique dominante (PKRAD) ?
  • Facteurs de risque de malignité ?
  • Activité sportive récente ? Menstruations ?

Selon la cause présumée ou la présentation clinique / les facteurs de risque, la démarche d’ investigation est différente (fig. 1b). S’ il existe une microhématurie non-glomérulaire sans indices d’ une maladie rénale à la base (fonction rénale limitée, hypertension artérielle, œdèmes, protéinurie), d’ une néphrolithiase ou d’ une infection, un examen urologique est indiqué après exclusion d’ une microhématurie transitoire dont l’ étiologie serait connue. Une tumeur maligne doit être exclue, en particulier en présence de facteurs de risque tels que la consommation de tabac, un âge > 35 ans, des épisodes de macrohématurie, un contact avec des produits chimiques (par ex. amines aromatiques), une radiothérapie dans la région pelvienne ou un traitement par alkylants (cyclophosphamide). En plus d’ une tomodensitométrie, un diagnostic plus approfondi est réalisé à l’ aide de la cytologie urinaire et de la cystoscopie. Si ces examens ne révèlent pas de pathologie, il faut passer à une étape ultérieure et voir un néphrologue.

Si une microhématurie glomérulaire persistante est mise en évidence, il est judicieux de procéder à une consultation plus approfondie par un néphrologue. Si le diagnostic d’ une microhématurie glomérulaire isolée et asymptomatique est posé, il faut penser -surtout chez les jeunes patients – à une néphropathie à IgA (parfois accompagnée d’ épisodes de macrohématurie, surtout en relation avec des infections respiratoires ou gastro-intestinales) ou à une maladie associée au collagène de type IV (8). Dans ce dernier cas, il s’ agit d’ une mutation génétique dans le collagène de type IV, qui entraîne un spectre de néphropathies différentes. Cela va d’ une microhématurie souvent isolée (à l’ époque syndrome de la membrane basale mince) à une néphropathie nécessitant une dialyse dans le cadre d’ un syndrome d’ Alport (accompagné de manifestations extrarénales telles que surdité/troubles de la vision) (9).

En cas de microhématurie glomérulaire isolée, il est recommandé de procéder à des contrôles réguliers de l’ évolution tous les 6 à 12 mois. Il s’ agit notamment de déterminer la protéinurie/l’ albuminurie, la créatinine sérique et de contrôler la pression artérielle. Si les résultats sont stables, le pronostic à long terme est très bon et une biopsie rénale n’ est pas nécessaire (8). Une biopsie rénale est considérée ou bien indiquée si l’ un ou plusieurs de ces paramètres changent (8).

La détérioration rapide de la fonction rénale, en particulier en présence d’ une microhématurie glomérulaire supplémentaire et/ou l’ apparition d’ autres anomalies cliniques (p. ex. une hypertension artérielle nouvellement diagnostiquée) nécessitent une consultation d’ urgence auprès d’ un néphrologue.

Diagnostics différentiels

Le diagnostic différentiel de la microhématurie est large et va de l’ anodin à des maladies potentiellement mortelles. Les causes les plus fréquentes sont les infections des voies urinaires, la néphro-/urolithiase et – avec l’ âge- les tumeurs malignes de l’ appareil urogénital. En outre, toute forme de glomérulonéphrite peut provoquer une microhématurie. Les diagnostics différentiels de la microhématurie sont énumérés ci-dessous (fig. 2) (liste incomplète, certaines étiologies peuvent se manifester dans différentes localisations).

Cet article est une traduction de « der informierte arzt » 12_2022

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Dre Simone Rieder

Médecin cadre en néphrologie et médecine interne
Hôpital Zollikerberg
Trichtenhauserstrasse 20
8125 Zollikerberg

simone.rieder@spitalzollikerberg.ch

Dr Jörg Bleisch

Médecin-chef en néphrologie
Hôpital Zollikerberg
Trichtenhauserstrasse 20
8125 Zollikerberg

joerg.bleisch@spitalzollikerberg.ch

Les auteurs déclarent aucun conflit d’  intérêt en rapport avec cet article.

◆ Une microhématurie est définie ≥ 3 érythrocytes/champ visuel.
◆ Un dépistage généralisé de la microhématurie n’ est pas indiqué.
◆ Le sédiment urinaire est déterminant pour distinguer entre une microhématurie glomérulaire et non-glomérulaire ainsi que pour la suite du diagnostic.
◆ Une microhématurie persistante doit faire l’ objet d’ un examen plus approfondi : anamnèse (facteurs de risque de cancer ? néphropathologie familiale ?), diagnostic de laboratoire (y compris protéinurie, albuminurie) et examen clinique (hypertension artérielle ? œdèmes ? macrohématurie ?). Eventuellement, une consultation chez un néphrologue et/ou urologue est nécessaire.

 

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Le dumping tardif après chirurgie bariatrique – quelle expérience avons-nous aujourd’ hui ?

Le dumping tardif est une complication fréquente à long terme après une opération de l’ estomac, en particulier après une intervention bariatrique comme la dérivation gastrique de Roux-en-Y (RYGB) ou la sleeve gastrectomie. Les symptômes (neuroglycopéniques) sont variables et peuvent être mal interprétés. Le diagnostic à ce sujet est décisif. Le traitement repose aujourd’ hui sur des mesures diététiques, la pharmacothérapie et, dans de rares cas, la réintervention chirurgicale ou endoscopique. Malgré l’ approche thérapeutique multimodale, le problème du dumping tardif représente un défi pour le médecin généraliste ou spécialisé.

Dumping syndrome is a common and frequent complication after gastric surgery, especially after bariatric surgery as Roux-Y-Gastric Bypass or Sleeve-Resection. The (neuroglycopenic) symptoms in dumping are multiple and heterogeneous so that physician awareness is very important. Diagnostic tests afford time and may be repeated. Treatment should be primary a diet approach, followed by medication therapy and when this option fails then surgical reintervention can be considered. In spite of different therapeutical options dumping syndrome remains a chal- lenging problem in the follow up after bariatric procedures.
Key Words: Bariatrische Chirurgie, Proximaler Magenbypass, Dumpings Syndrom, postprandiale Hypoglykämie, Neuroglykopenie, Somatostatine, GLP-1 Analoga, Magenbanding

Etude de cas

Lors du contrôle après bypass gastrique pour une obésité de stade III (IMC préopératoire de 46 kg/m2, IMC actuel de 28 kg/m2) qui a lieu tous les 2 ans dans notre centre de l’ obésité, une patiente de 34 ans, non diabétique, se plaint depuis un peu plus de six mois de nausées, de tremblements, de transpiration et de jambes « faibles ». Selon la patiente, cela se produit typiquement environ deux heures après les repas, à peu près une fois par semaine et indépendamment de ce qu’ elle avale. Elle mange très vite, est stressée par son travail et a peu de temps libre pendant la journée. Elle doit souvent s’ allonger quelques minutes après le repas. Elle prend alors du glucose ou des biscuits en cours de route pour pouvoir mieux surmonter sa journée de travail dans la vente. De temps en temps, elle doit rentrer chez elle parce qu’ elle est épuisée. De manière compréhensible, elle s’ inquiète de perdre son emploi. De plus, elle constate une nouvelle prise de poids de 8 kg ce qui l’ étonne. Les contrôles répétitifs de la glycémie montrent des taux parfois normaux, parfois inférieurs à 3,5 mmol/l. Six mois après l’ intervention, alors qu’ elle pouvait à nouveau manger « normalement », elle avait des symptômes classiques de dumping précoce avec des nausées et des vertiges ainsi que de l’ hypotension. Grâce aux conseils de notre diététicienne concernant le comportement alimentaire et la consommation de boissons, la tension s’ est toutefois nettement améliorée. Avec le diagnostic d’ un dumping tardif, elle est à nouveau suivie de près par notre nutritionniste afin d’ améliorer l’ apport au niveau des glucides. Les glucides liquides tels que les boissons sucrées, le Red Bull et l’ alcool sont interdits ainsi que les sucreries et les snacks. Ces mesures n’ étant pas assez efficaces, un soutien médicamenteux a été mis en place. Mais à cause du manque de compliance, nous avons finalement décidé d’ insérer par laparoscopie une bande Minimizer au niveau de l’ anastomose. Entre-temps, six mois après l’ opération, les douleurs se sont nettement améliorées, elles ne surviennent plus régulièrement et son poids s’ est également stabilisé. L’ évolution à long terme, malgré correction chirurgicale, reste cependant incertaine.

Introduction

Malgré les analogues du GLP-1 vantés sur le marché, la chirurgie bariatrique reste aujourd’ hui la méthode la plus efficace pour réduire durablement le poids en cas d’ obésité morbide. D’ après une étude importante de cohorte rétrospective, pas encore publiée, avec plus de 25’000 patients regroupés dans un registre national (OFSP) entre 2012 et 2018, l’ intervention favorisée en Suisse est à près de 80 % le bypass gastrique proximal (PMB) et à presque 20 % encore la résection gastrique par sleeve (1). Avec l’ augmentation des interventions bariatriques dans le monde entier, nous observons tout comme pour les médicaments des effets secondaires et des complications importantes, tant au début du traitement qu’ à long terme. Un problème important est l’ hypoglycémie postprandiale avec différents symptômes, généralement appelée syndrome de dumping (DS) (2). Nous connaissons également des hypoglycémies postprandiales chez les patients avec un pontage gastrique qui ne montrent aucun symptôme, ainsi que chez les patients non opérés (Fig. 1). Nous distinguons deux types de dumping : un dumping précoce et un dumping tardif. Suite à la réduction de l’ estomac et au raccordement direct du jéjunum proximal avec, entre autres, l’ exclusion du passage duodénal, beaucoup d’ aliments, surtout des hydrates de carbone, sont rapidement transportés dans l’ intestin grêle. En cas de dumping précoce, 30 à 60 minutes après le repas un certain volume de liquide est délocalisé vers la lumière intestinale et des hormones gastro-intestinales sont sécrétées, ce qui entraîne des symptômes vasomoteurs et gastro-intestinaux gênants. Le dumping tardif, quant à lui, survient 2 à 3 heures après les repas, surtout après la consommation d’ hydrates de carbone simples, suivie d’ une hypoglycémie généralement contrôlée par les hormones incrétines. Dans la littérature, le terme de dumping tardif n’ est souvent pas défini de la même manière, mais on convient de dire qu’ il a le même arrière-plan pathophysiologique que le syndrome hypoglycémique pancréatogène non insulinomique (NIPHS) et la néisidioblastose. Un taux de glucose sanguin de moins de 2,8mol/l est considéré comme pathologique.

Le dumping précoce et tardif peut survenir après toutes les formes de résection de l’ œsophage ou de l’ estomac, en particulier après une œsophagectomie totale et une dérivation gastrique de Roux-en-Y (RYGB). En raison du nombre élevé de patients obèses opérés, le PMB et ses complications ont une grande importance lors des consultations chez les généralistes et les spécialistes de l’ obésité, d’ autant plus qu’ il est sous-diagnostiqué. Malgré une grande souffrance, les conséquences sont souvent sous-estimées. Ce travail de synthèse présente la problématique en analysant les données actuelles mais aussi en se basant sur l’ expérience après plus de 25 ans de chirurgie bariatrique.

Cause

Selon la littérature la plus récente, les dérégulations de l’ insuline et de l’ incrétine sont souvent multifactorielles et ne sont pas clairement expliquées sur le plan physiopathologique. On ne sait pas non plus pourquoi l’ hypoglycémie peut survenir après un bypass gastrique, souvent plus d’ un an après l’ opération. Celle-ci est estimée dans 10 à 15 % des cas ou plus, d’ autant plus que le nombre de cas non déclarés est plus élevé (3). Selon l’ étude de cohorte de l’ hôpital cantonal de Aarau citée plus haut, à peine 0,34 % des patients opérés d’ un bypass en Suisse doivent être hospitalisés pour cette raison (1).

L’ hypoglycémie est généralement caractérisée par une réponse non proportionnelle à l’ insuline après l’ ingestion de nourriture chez les patients opérés de l’ estomac, une sorte d’ hypersensibilité à l’ insuline, surtout après une forte réduction de poids, ainsi qu’ un dysfonctionnement des îlots de Langerhans après la mise en place du bypass. En faisant passer les aliments directement de la poche gastrique à l’ intestin grêle proximal en contournant le duodénum (Fig. 2), la dérivation provoque un effet glycémique important avec par conséquence une sécrétion excessive d’ incrétine, par exemple une sécrétion de GLP jusqu’ à 10 fois plus élevée. Il semble en outre que la suppression des cellules B soit réduite après la mise en place d’ une dérivation, malgré l’ hyperinsulinémie (4).

Diagnostic

Une anamnèse précise est essentielle, d’ autant plus que d’ autres formes d’ hypoglycémie doivent toujours être prises en compte dans le cadre d’ un diagnostic différentiel. Comment était le repas avant l’ apparition des symptômes, à quelle vitesse a-t-on mangé, qu’ a-t-on bu pendant le repas ? A quel moment du repas les symptômes sont-ils apparus ? Est-ce que le patient prend des médicaments régulièrement ?

Mais  de nombreux patients ayant subi un bypass gastrique se plaignent de palpitations, de faiblesse et de vertiges. Il peut s’ agir de symptômes de dumping mais sans hypoglycémie détectable. Si les troubles surviennent lors d’ une activité physique intense, à jeun (test de jeûne !) ou pendant la nuit, il faut toujours penser à d’ autres causes d’hypoglycémie, par exemple des tumeurs non-incluses, des insulinomes, une malnutrition sévère, etc.

Les critères de Whipple pour un DS (symptômes neuroglycopéniques, taux bas du glucose sanguin, amélioration des symptômes après la prise de glucides) sont d’ une importance capitale (5). Les symptômes peuvent être légers ou très graves et donc dangereux : maux de tête, transpiration, faiblesse, confusion, palpitations, troubles de la parole, anxiété, tremblements voire perte de conscience.
Une surveillance continue du glucose sanguin peut être utile. Par contre elle n’ est pas effectuée systématiquement chez nous mais uniquement dans des cas complexes. Il existe aussi des valeurs erronées, par exemple la nuit lorsque le patient est allongé sur le détecteur. Dans la plupart des cas il suffit de mesurer la glycémie capillaire au début des symptômes survenus chez les patients bien instruits.

Un test de repas prolongé avec détermination du glucose, de l’ insuline et du peptide C peut être utile ; dans certains cas nous déterminons également la proinsuline, le GLP-1 et le glucagon. Un test d’ hyperglycémie provoquée par voie orale est problématique chez les personnes opérées de l’ estomac et ne devrait plus être effectué en raison des effets secondaires graves auxquels il faut s’ attendre.

Thérapie

La première mesure à prendre après le diagnostic d’ une hypoglycémie postprandiale est l’ analyse du glucose sanguin. Le médecin généraliste ou les diététiciennes du centre de l’ obésité doivent précisément analyser l’ alimentation et les boissons. Le journal alimentaire doit indiquer la grandeur des portions, la composition de l’ alimentation et le nombre de fois que des symptômes d’ hypoglycémie apparaissent et comment ils se manifestent. Le renoncement complet aux glucides n’ a pas de sens et ne doit pas être recommandé. Il faut plutôt remplacer les glucides simples par des glucides complexes de haute qualité ou du fructose. Ces derniers doivent être consommés par petites portions et, de préférence, ensemble avec des protéines et des graisses essentielles (6). Le fait de mâcher lentement et de ne pas boire et manger en même temps, représente également un des piliers du changement d’ alimentation. Un accompagnement rigoureux par un diététicien est essentiel pendant cette phase. Parallèlement, la supplémentation de vitamines et d’ autres nutriments doit être surveillée de près afin d’ éviter une malnutrition en matière de micro- ou de macronutriments. La caféine et l’ alcool doivent être évités dans la mesure du possible, car ils peuvent empêcher la dégradation du glucose induite par le système hépatique. De plus, il est important d’ informer les proches, l’ employeur et les collègues de travail, pour que tout le monde soit au courant des signes alarmants. La prévention de risques et de situations dangereuses (p.ex. la conduite interdite en tant que chauffeur de camion) est primordiale.

Une autre possibilité de traitement au-delà du changement de régime alimentaire est la prescription de médicaments. L’ acarbose, un inhibiteur de l’ alpha-glucosidase intestinale, ralentit l’ absorption du glucose. Afin de réduire au maximum les effets secondaires tels que les crampes abdominales et la rétention de gaz, le traitement doit être commencé lentement, par exemple avec une dose de 25 mg per os. Les analogues de la somatostatine comme l’ octréotide, appliqués par voie sous-cutanée, empèchent la sécrétion d’ insuline et de GLP-1. La dose initiale d’ environ 50 microgrammes s.c. avant le repas (7) est successivement augmentée jusqu’ à 100 microgrammes, suivie d’ une application intramusculaire de somatostatine à long terme. Outre leur coût élevé, les somatostatines ont des effets secondaires tels que la diarrhée, une prolongation de l’ intervalle QT et un risque de cholécystolithiase.

Depuis peu, on utilise de plus en plus les agonistes du GLP-1, le plus souvent le liraglutide. Ceci a déjà été recommandé dans une étude de 2013 mais il faut encore attendre d’ autres études en cours pour obtenir des données probantes (8).

De nos jours, les interventions chirurgicales sont encore considérées comme la dernière option en cas de traitement médicamenteux réfractaire ou de mauvaise compliance. Des cas isolés de retour à la forme initiale du pontage ont été décrits, de même que la procédure plus agressive de la pancréatectomie distale dite gauche pour contrôler l’ hyperinsulinémie. Sachant qu’ il existe de nombreuses complications et le risque de récidives (malgré une résection parenchymateuse étendue), de telles interventions ne peuvent pas être recommandées.

Dans notre centre de l’ obésité, nous favorisons en revanche depuis 7 ans ce que l’ on appelle la restriction du «outlet» de l’ estomac, c’ est-à-dire que le passage de la petite poche gastrique à l’ intestin grêle est rétréci avec précaution par une bande gastrique simple placée à l’ aide de la laparoscopie (fig. 3) (9). Contrairement au resserrement endoscopique de l’ anastomose en passant par la bouche, ce qui comporte le risque d’ une nouvelle dilatation, la largeur de la bande reste stable. Toutes les procédures, qu’ elles soient endoscopiques ou laparoscopiques, comportent toutefois des risques tels que la perforation gastrique, la suture trop étroite avec par conséquence le problème de dysphagie, la maladie du reflux, le déplacement de l’ anneau gastrique et la récidive du dumping.

Cet article est une traduction de «der informierte arzt» 09_2022

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Dr Alessandro Wildisen

Médecin-chef en chirurgie viscérale LUKS Sursee
Co-responsable du centre de l’ obésité
de Suisse centrale du site de Sursee
Spitalstrasse 38
6210 Sursee

L’ auteur n’ a pas déclaré de conflits d’ intérêts en rapport avec cet article.

◆ Une hypoglycémie sévère peut se développer même des années après un bypass gastrique proximal à cause d’ une sécrétion excessive d’ insuline/d’ incrétine. Cette dernière est la réaction au taux élevé de glucose dans l’ intestin proximal, ce qui engendre des symptômes neuroglycopéniques. Il faut donc faire un compromis entre la perte de poids et le maintien d’ une bonne qualité de vie. Ces symptômes doivent être pris au sérieux et nécessitent une évaluation et un traitement global. Celui-ci repose sur trois piliers : conseils nutritionnels avec modification des habitudes alimentaires, présentation au centre de l’ obésité/chez un endocrinologue et évaluation d’ un traitement médicamenteux. En cas de persistance des symptômes, il faut envisager une chirurgie restrictive avec rétrécissement de l’ anastomose (gastric outlet restriction).

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Maladie artérielle périphérique
Un problème central, pas périphérique

Le terme « maladie artérielle périphérique » décrit un processus et sa localisation, rien d’ autre ! Il ne s’ agit pas d’ une entité nosologique. Dans plus de 90% des cas, il s’ agit d’ une artériosclérose oblitérante. La maladie artérielle périphérique chronique (all: periphere arterielle Verschlusskrankheit, PAVK ; f : artériopathie oblitérante des membres inférieurs, AOMI) est donc la pointe de l’ iceberg d’ une maladie systémique. Elle doit être évaluée et traitée en conséquence : « Act local, think global ». L’ aspect global concerne la gestion des facteurs de risque, les autres sites de manifestation de l’ artériosclérose oblitérante (maladie cérébrovasculaire occlusive, maladie coronarienne, maladie rénovasculaire et mésentérique oblitérantes), ainsi que l’ éventuelle forme dilatante de l’ artériosclérose, c’ est-à-dire les anévrismes. Cette dernière est malheureusement trop souvent oubliée, avec des conséquences potentiellement fatales. L’ évaluation et le traitement de l’ AOMI signifie une médecine globale dans le meilleur sens du terme.

Peripheral arterial disease describes nothing more than a process and its localization. It is not a disease entity. In more than 90%, it is caused by obliterating arteriosclerosis. Chronic peripheral arterial occlusive disease is thus the tip of the iceberg of a systemic disease. It must be assessed and treated accordingly: «Act local, think global». The global aspect concerns risk factor management, the other manifestation sites of obliterating arteriosclerosis (cerebrovascular occlusive disease, coronary artery disease, renovascular and mesenteric occlusive disease, erectile dysfunction) as well as the possible concomitant dilated play form of arteriosclerosis, i.e. the aneurysms. Unfortunately, the latter is all too often forgotten, with potentially fatal consequences. Assessment and treatment of peripheral arterial disease means holistic medicine at its best.
Key Words: Peripheral arterial disease, Arteriosclerosis obliterans, Systemic disease, Aneurysm

Depuis 2 à 3 mois, Max Muster, 74 ans, présente une claudication du mollet unilatérale après une distance de marche (de plain-pied, à un rythme normal) de 300 à 400 mètres. A l’ arrêt, la douleur disparaît après peu de temps, soit 1 à 2 minutes. En montant ou en portant une charge, c’ est-à-dire en cas d’ effort accru, les troubles sont accentués, tandis qu’ ils sont moindres, voire inexistants, en descente. Les intervalles sans douleur à la reprise de la marche sont relativement constants pour une charge identique et ils ne dépendent pas vraiment de la forme du jour.

Il n’ y a guère d’ anamnèse plus typique en médecine que celle de la claudication ou « maladie du lèche-vitrine ». Toutefois, la symptomatologie n’ est pas toujours comme dans le manuel, de sorte qu’ elle doit parfois être cernée par des questions ciblées.

Diagnostic différentiel

La claudication n’ est cependant pas synonyme  d’AOMI. Monsieur Muster ne présente donc pas d’emblée un problème artériel. La claudication spinale peut provoquer des symptômes très similaires. Il n’ est pas rare que seules de subtiles différences dans l’ anamnèse permettent de les distinguer. Le patient souffrant d’ une sténose du canal rachidien présente souvent des douleurs en montant ou en descendant. Il a tendance à ne pas simplement s’ arrêter, mais s’ accroupit, se penche ou s’ assoit au moins sur un banc afin d’ élargir le canal rachidien. De même, les douleurs ne disparaissent généralement pas aussi rapidement à l’ arrêt, les intervalles sans douleur sont souvent variables et dépendent de la forme du jour. La claudication veineuse (plutôt rare) se comporte de la même manière. En raison d’ une obstruction de l’ écoulement veineux, par ex. dans la région des veines pelviennes, une sensation de tension en partie intense se produit, qui, à l’ arrêt de l’ effort, a tendance à durer plus longtemps que la claudication artérielle. Souvent, ces patients ressentent le besoin de s’ allonger et de surélever leurs jambes.

Max Muster n’ indique aucun symptôme faisant suspecter une claudication non vasculaire, de sorte que l’ on peut supposer, sur la base de l’ anamnèse, qu’ il s’ agit d’ une maladie artérielle oblitérante périphérique (AOMI).

Classification

Sous nos latitudes, c’ est plutôt la classification selon Fontaine qui est utilisée, dans les pays anglo-saxons celle selon Rutherford. Dans la pratique, la distinction entre claudication et ischémie critique (douleurs au repos ou nécrose) est toutefois d’ importance majeure. Dans le premier cas, il s’ agit de qualité de vie locale, dans le second de la préservation de l’ intégrité de toute une extrémité.

Causes

L’ AOMI est due dans bien plus de 90 % due à une artériosclérose (1). Des causes plus rares sont des pathologies telles que des vasculites (p. ex. la thromboangéite oblitérante), la dégénérescence kystique de l’ adventice, les lésions vasculaires traumatiques ou la dysplasie fibromusculaire. Ces questions, ainsi que les causes possibles d’ une ischémie aiguë des membres ne seront pas abordées plus avant dans cet article.

Épidémiologie

Max Muster n’ est pas seul. Les maladies cardio-vasculaires sont toujours la première cause de mortalité en Suisse et dans le monde (2). À partir de 70 ans, 15 à 20 % de la population présentent une AOMI. Toutefois, seul un tiers d’ entre eux environ devient symptomatique et les hommes sont touchés environ 4 fois plus que les femmes (3).

Facteurs de risque

Les deux facteurs de risque les plus importants, mais aussi les plus difficiles à traiter, sont souvent oubliés. Il s’ agit de l’ âge et de la génétique. Les catalyseurs traitables du processus d’ athérosclérose sont bien entendu l’ abus de nicotine, l’ hypertension artérielle, l’ hyperlipidémie, le diabète sucré et l’ hyperuricémie. L’ abus de nicotine est à cet égard un accélérateur particulièrement agressif de l’ AOMI (alors qu’ il s’ agit de l’ hypertension pour la maladie cérébrovasculaire et de l’ hyperlipidémie pour la maladie coronarienne).

Diagnostic

Le principal outil de diagnostic a déjà été mentionné. C’ est l’ anamnèse ! Celle-ci permet, comme décrit plus haut, de poser les jalons du diagnostic différentiel avec une claudication non vasculaire. Elle permet également d’ établir un premier diagnostic de localisation. Les douleurs apparaissent en effet toujours un étage en dessous de la localisation de l’ obstruction. Ainsi, les patients souffrant d’une obstruction dans la région du bassin présentent une claudication de la cuisse, ceux avec une obstruction de l’artère fémorale une claudication du mollet et ceux avec une obstruction au niveau du mollet, une claudication de la plante des pieds. La claudication fessière survient en cas d’ obstruction de l’ aorte, de l’ artère iliaque commune ou de l’ artère iliaque interne. Les étapes diagnostiques suivantes comprennent une mesure aux deux bras de la pression artérielle (obstruction au niveau des membres supérieurs ?), la palpation du pouls et l’ auscultation (souffle vasculaire). Si la détermination de l’ indice cheville-bras (« ankle-brachial-index » ; ABI en anglais ) est encore possible au cabinet du généraliste, les autres examens sont généralement effectués par le spécialiste (l’ oscillographie,l’ ergométrie sur tapis roulant, la rhéographie par réflexion lumineuse, l’ oxymétrie percutanée et surtout l’ échographie au Doppler couleur). Actuellement, l’ angiographie par tomodensitométrie (angio-CT) et l’ angiographie par résonance magnétique (angio-IRM) se pratiquent de moins en moins, en particulier lorsqu’ un traitement par cathéter est prévu. Dans ce cas, l’ imagerie supplémentaire est réalisée en salle de radiologie interventionnelle (angiographie par soustraction numérique) pendant l’ ATP (ATP = angioplastie transluminale percutanée). Ainsi, les effets secondaires potentiels des angio-CT voire angio-IRM peuvent être minimisés (l’ exposition aux rayonnements ; les effets secondaires des produits de contraste : réaction allergique, néphrotoxicité pour l’ angio-CT, fibrose systémique dite néphrogénique pour l’ angio-IRM). A relever dans l’ intérêt du patient certainement aussi qu’ une angiographie en prévoyant une PTA, effectuée par le spécialiste, utilise nettement moins de produit de contraste qu’une angiographie en cardiologie par exemple (généralement moins de 50 ml).

La pointe de l’ iceberg

Monsieur Muster n’ a pas seulement un problème local. Monsieur Muster a une affection systémique. L’ AOMI n’ est donc qu’ une maladie indicative. Par conséquent, les autres sites de manifestation de l’ artériosclérose oblitérante ne doivent pas être oubliés : La maladie cérébrovasculaire oblitérante, la maladie coronarienne, la maladie réno-vasculaire oblitérante, la maladie mésentérique oblitérante, la dysfonction érectile. On oublie en outre souvent que l’ artériosclérose est une maladie qui connaît en plus de la forme oblitérante une forme dilatante et qu’ il n’est pas rare qu’ elles soient combinées. L’ exclusion, en particulier d’un anévrisme de l’ aorte abdominale ou d’un anévrisme thoracique, est absolument nécessaire, ceci d’ autant plus que cette épée de Damoclès sait bien se dissimuler par l’ absence de symptômes et qu’elle est facilement décelable par une échographie simple, courte et non-invasive.

Pronostic

Quel est le risque pour Max Muster ? Le risque que la distance de marche sans douleur diminue au fil du temps jusqu’ à la douleur au repos et la nécrose est de 25 à 30%. Le risque à 10 ans d’ une amputation majeure est de 2-3%. Si Monsieur Muster souffrait déjà d’ une ischémie critique des extrémités, le risque à 1 an serait déjà d’ environ 25% (4, 5).

Le risque d’ événement cardiovasculaire majeur (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral) de M. Muster est de 13% (contre 5% pour une population de référence sur la même période) (6). Par tous les moyens, et c’ est là une des choses les plus importantes pour ces personnes, le patient doit être préservé d’ un AVC (accident vasculaire cérébral) ou d’ un infarctus du myocarde. C’ est pourquoi je conseille toujours une échographie au Doppler couleur des vaisseaux cérébraux extracrâniens et un bilan cardiologique.

Thérapie (« act local, think global »)

En principe, trois voies thérapeutiques s’ offrent à M. Muster : Une approche conservatrice, la technique du cathéter (ATP) ou la chirurgie vasculaire. Encore une fois, il s’ agit d’ une intervention visant à améliorer la qualité de vie, donc d’ une intervention facultative (« on peut »); ceci par opposition au traitement obligatoire en cas d’ ischémie critique (« on doit »). Bien que les résultats à long terme en ce qui concerne la fonction et la qualité de vie ne semblent pas significativement différents entre le traitement par cathéter et l’ en-traînement à la marche supervisé, on a tendance, dans notre société de consommation, à privilégier la thérapie par cathéter en tant que traitement de première intention, car le besoin d’ un soulagement rapide des symptômes prime souvant et la combinaison de l’ ATP avec l’ entraînement à la marche donne de meilleurs résultats à long terme que l’ entraînement à la marche seule.

Chez M. Muster, une angiographie pendant le cathéterisme en vue d’ une ATP va donc généralement être réalisée et l’ obstruction traitée par ballonnet seul ou par ballonnet et stent. Le ballonnet et le stent peuvent être recouverts de médicaments, ce qui donne de meilleurs résultats à long terme, mais à un coût plus élevé. Les moyens supplémentaires pendant l’ intervention peuvent être des cathéters de thrombectomie ou d’ endartériectomie, surtout en cas de lésions complexes ou longues. Si la tentative de traitement par cathéter échoue, une procédure de chirurgie vasculaire à ciel ouvert (endartériectomie ; chirurgie de pontage) peut toujours être envisagée. Mais en cas de claudication, en raison du petit calibre du vaisseau sur le site de l’ intervention, et ceci contrairement à l’ ischémie critique, il faut faire preuve d’encore plus de retenue qu’en cas d’intervention par cathéter.

Mais une importance capitale revient à la thérapie systémique du patient ciblant l’ ensemble de l’ arbre vasculaire. Le traitement anti­agrégant plaquettaire à vie en cas d’AOMI est désormais reconnu. L’ acide acétylsalicylique 100 mg/die est le traitement le plus répandu chez nous, quoi que 75 mg/die suffiraient probablement. Une alternative est le clopidogrel 75 mg/die, qui semble même être un peu plus efficace chez les patients souffrant d’AOMI (7). Une anticoagulation orale n’ est justifiée que lorsqu’ il existe une autre indication (p. ex. une fibrillation auriculaire, une pathologie thromboembolique) (8). La combinaison d’ acide acétylsalicylique 100 mg/die avec rivaroxaban 2 x 2,5 mg/die représente depuis peu un élargissement de l’ arsenal thérapeutique chez les patients à haut risque d’ artériosclérose (9, 10).

Enfin – last but not least –, le traitement des facteurs de risque est d’ une grande importance. Les principes de base, que les personnes concernées ignorent volontiers, car ils sont pénibles, sont bien sûr les mesures non médicamenteuses telles que l’ arrêt de la nicotine, une alimentation saine, la réduction du poids et l’ activité physique. Sur le plan éthique et de politique de santé, une discussion de fond serait peut-être indiquée sur la question de savoir si de telles mesures ne devraient pas, dans une certaine mesure, être exigées des patients avant le début des thérapies pharmacologiques. La gestion des facteurs de risque sur le plan pharmacologique concerne
principalement l’ hypertension artérielle (objectif tensionnel <140/90 mmHg), le diabète sucré (objectif HbA1c <7%) et l’ hyperlipidémie (LDL C cible <1,4 mmol/l) (11). Le patient atteint d’ une AOMI a besoin, comme tous les patients artérioscléreux, d’ un accompagnement et d’ une supervision à long terme, librement inspirés du principe « gouverner, c’est prévoir ». Monsieur Muster restera donc à vos côtés.

L’auteur remercie le Dr. med. N. Wahli, Mellingen, pour sa relecture critique du manuscrit.

Article traduit de « der informierte arzt » 11-2021

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Prof. h.c. PD Dr. med. Anders J. Leu

Innere Medizin und Angiologie FMH
HerzGefässKlinik Bethanien
Toblerstrasse 51
8044 Zürich

info@angio.ch

L’ auteur n’ a pas déclaré de conflit d’ intérêt en rapport avec cet article.

◆ L’ AOMI n’ est pas une entité nosologique et décrit uniquement
un processus d’ obstruction et sa localisation.
◆ Il s’ agit le plus souvent d’ une artériosclérose, c’ est-à-dire d’ un processus systémique.
◆ L’ AOMI nécessite un traitement local ainsi qu’ une évaluation et un traitement globaux de l’ artériosclérose («act local, think global»).
◆ Pour les patients, il s’ agit d’ une prise en charge à vie.

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Phénotypage en gériatrie : le « Geneva cocktail » comme aide à la prescription médicamenteuse

Chez l’ âgé, particulièrement vulnérable aux effets indésirables médicamenteux et aux conséquences néfastes d’ une polymédication, les variations génétiques mais également l’ environnement, les comorbidités et les comédications influencent fortement la réponse aux médicaments. Le Geneva Cocktail permet d’ évaluer l’ activité des principales enzymes impliquées dans le métabolisme des médicaments et aide à choisir le bon traitement à la bonne posologie en termes d’ efficacité et de tolérance.

In the elderly, who are particularly vulnerable to adverse drug reactions and to the harmful consequences of polymedication, genetic variations but also the environment, comorbidities and co-medications strongly influence the response to drugs. The Geneva Cocktail allows to evaluate the activity of the main enzymes involved in drug metabolism and helps to choose the right treatment at the right dosage in terms of efficacy and tolerance.
Key Words: phénotypage, gériatrie, Geneva Cocktail, cytochromes P450, glycoprotéine P

Le défi de la prescription gériatrique

Prescrire ni trop, ni trop peu, aux personnes âgées de plus de 65 ans, est une tâche difficile. En réaction à l’ « épidémie » de polymédication qui touche cette population depuis plusieurs décennies, de nombreux auteurs ont élaboré des outils de déprescription pour épauler le personnel médico-soignant dans la rationalisation des traitements gériatriques (1). Il est notamment recommandé de limiter le nombre de prescriptions médicamenteuses au strict nécessaire et d’ éviter certaines molécules particulièrement à risque chez le patient âgé (2-4). Cela vise à modérer les risques d’ effets indésirables et d’ interactions médicamenteuses, qui accompagnent immanquablement une multiplication de la médication (5, 6). Cependant, il n’ est pas toujours évident pour le médecin prescripteur de savoir quel traitement choisir parmi les différentes options disponibles ni d’ identifier le médicament qui est responsable d’ un effet indésirable observé ou la cause de l’ absence de réponse thérapeutique. Les effets indésirables non reconnus conduisent en effet trop souvent à une aggravation de la polymédication par un mécanisme appelé « cascade de prescription ». Ce phénomène décrit la prescription successive de médicaments destinés à traiter des effets indésirables non identifiés au lieu d’ arrêter les traitements responsables (7).

Rôle des cytochromes P450, de la glycoprotéine P et pharmacogénomique

Parmi les facteurs qui influencent la réponse et la tolérance aux médicaments, les mutations génétiques qui touchent les enzymes du métabolisme appelées cytochromes P450 (CYPs), ou de certains transporteurs, tels que la glycoprotéine P (P-gp), jouent un rôle important. Les CYPs sont responsables de transformer les médicaments afin d’ en faciliter l’ élimination (8, 9). La P-gp, qui est exprimée au niveau des organes d’ absorption et d’ excrétion (foie, rein, intestin) et des barrières protégeant les organes clefs (cerveau, yeux, placenta), limite l’ absorption et facilite l’ élimination de nombreuses substances (10). Génétiquement, l’ activité de ces enzymes (ou transporteur) peut être augmentée ou diminuée de manière importante, et influencer la survenue d’ effets indésirables ou la réponse thérapeutique (11). L’ environnement, les autres médicaments, les comorbidités agissent également sur l’ activité de ces enzymes et des transporteurs (cf. Tab. 1). Sous l’ influence de ces facteurs, il arrive que l’ activité enzymatique, ou du transporteur, ne coïncide plus avec celle prédite par la génétique. Ce phénomène est appelé phénoconversion (12-14).

En cas de phénoconversion, les examens pharmacogénétiques appelés génotypage (cf. Tab. 2), qui consistent en la recherche de polymorphismes génétiques sur la base d’ un prélèvement sanguin ou salivaire, ne permettent plus de prédire l’ activité enzymatique réelle (le phénotype). Seule une mesure in vivo de l’ activité enzymatique ou du transport au moyen d’ une procédure nommée « phénotypage » permet de prendre en compte tous les facteurs, qu’ ils soient génétiques, physiologiques, environnementaux ou médicamenteux, qui influencent leur fonction à un moment précis (14, 15).

La technique du phénotypage

Le test de phénotypage consiste à administrer le plus souvent par voie orale, un médicament qui est métabolisé de manière spécifique ou prédominante par l’ enzyme dont on veut déterminer l’ activité. Ensuite, les métabolites produits sont analysés dans des biofluides (généralement le sang ou les urines) (16). Le ratio entre la substance administrée et un de ces produits du métabolisme permet de mesurer à quelle vitesse l’ enzyme fonctionne.

Le résultat traduit un phénotype (l’ activité enzymatique mesurée), qui peut être normal (activité enzymatique attendue), intermédiaire (activité enzymatique réduite), lent (activité enzymatique fortement réduite voire absente), ou ultrarapide (activité enzymatique augmentée). En présence d’ une activité enzymatique augmentée, les concentrations plasmatiques de la substance active seront diminuées, et au contraire augmentées en cas d’ activité enzymatique réduite. L’ inverse est vrai pour les pro-médicaments qui doivent être bioactivés en métabolite actif (14, 17).

En cas de concentrations plasmatiques élevées, le risque d’ effets indésirables dose-dépendants est accru alors que des concentrations plasmatiques basses peuvent être synonyme de réponse thérapeutique insuffisante (18). Le phénotype mesuré par l’ examen et la réponse clinique du patient permettent ainsi d’ adapter le traitement en modifiant les posologies ou en changeant de molécules.

Le  Geneva Cocktail  en pratique

Le Geneva Cocktail est une méthode de phénotypage minimalement invasive qui contient plusieurs substances et est destinée à mesurer simultanément l’ activité de six CYPs (CYP1A2, 2B6, 2C9, 2C19, 2D6 et 3A) et de la P-gp. Les substances contenues dans le Geneva Cocktail sont de deux à dix fois moins dosées que pour leur usage clinique chez l’ adulte (cf. Tab. 3) et conduisent à des concentrations plasmatiques qui ne provoquent généralement ni effet pharmacologique ni toxicité dose-dépendante (19, 20).
L’ examen, qui fait partie des investigations cliniques proposées par le Service de pharmacologie et de toxicologie cliniques des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), de routine depuis près de 10 ans, est très bien toléré, également par des sujets très âgés (>90 ans) (21). Seuls des effets indésirables légers à modérés ont été rapportés dans de rares cas (rash cutané, vertiges transitoires et nausées) (19). Pour effectuer le phénotypage, le Geneva Cocktail doit être administré à jeun (> de 2 heures après un repas), puis des prélèvements sanguins capillaires ou veineux sont effectués deux, trois et six heures après la prise (21). La consommation de boissons ou aliments contenant de la caféine doit être évitée la veille de l’ examen. Les autres facteurs environnementaux (tabagisme ou prise médicamenteuse) ne devraient pas être interrompus pour permettre de mesurer l’ activité enzymatique dans la « vraie » vie.

Ce sont les médecins pharmacologues et toxicologues cliniques qui posent l’ indication au phénotypage et au génotypage, interprètent les résultats et proposent une adaptation des traitements médicamenteux. Les examens de génotypage sont pris en charge par l’ assurance maladie sous certaines conditions (22). Comme avant toute investigation, il est nécessaire d’ obtenir le consentement éclairé du patient ou de son représentant thérapeutique sous forme orale avant d’ effectuer un phénotypage, et sous forme écrite pour le génotypage, dans la mesure où il s’ agit d’ une analyse génétique.

Qu’ apporte le phénotypage en gériatrie ?

Les tests pharmacogénomiques sont peu demandés en gériatrie malgré l’ intérêt qu’ ils représentent pour cette population (23-26), qui est davantage exposée à des médicaments générant des interactions médicament-gène (aussi appelés médicaments actionnables)(14, 25, 27, 28). Leur interprétation peut être rendue ardue par les facteurs de complexités qui caractérisent le sujet âgé (polymédication, interactions médicamenteuses, altération des réserves physiologiques et des fonctions d’ organes), qui vont modifier le phénotype prédit.

Ainsi, le phénotypage des CYPs et de la P-gp est un outil peu invasif qui a toute sa place auprès des sujets âgés puisqu’ il apporte une information complémentaire au génotypage, pour lequel des recommandations thérapeutiques basées sur le génotype existent (29). Il permet d’ appuyer le clinicien dans ses décisions thérapeutiques en cas de réponse insuffisante à un traitement, de concentrations plasmatiques de médicament trop basses ou trop élevées, ou de survenue d’ un effet indésirable inattendu aux posologies recommandées. Il peut également orienter le choix du traitement avant l’ introduction d’ un nouveau médicament à marge thérapeutique étroite ou dans un contexte d’ interactions médicamenteuses complexes (14, 30) (cf. Tab. 4).

Ainsi, si les principes généraux de bonne prescription en gériatrie restent valables (introduction des traitements à dose minimale et titration lente, réévaluation régulière des traitements et dépre­scription, tout symptôme chez le patient âgé est jusqu’ à preuve du contraire un effet indésirable médicamenteux), le phénotypage et le génotypage des CYPs et de la P-gp constituent des outils supplémentaires afin d’ améliorer le diagnostic différentiel face à un tableau clinique particulier de résistance thérapeutique ou d’ hypersensibilité aux médicaments, d’ optimiser l’ efficacité des traitements et de réduire l’ incidence des effets indésirables chez l’ âgé et ainsi de diminuer les coûts pour le système de santé.

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Dre Myriam El Biali

Médecin cheffe de clinique
Service de pharmacologie et toxicologie cliniques
Département de médecine aiguë
HUG, rue Gabrielle Perret-Gentil 4
1211 Genève 14

Myriam.elbiali@hcuge.ch

Pr Jules Desmeules

Médecin chef du Service de pharmacologie et toxicologie cliniques
Centre multidisciplinaire d’évaluation et de traitement de la douleur
Département de médecine aiguë
HUG, rue Gabrielle Perret-Gentil 4
1211 Genève 14

Jules.Desmeules@hcuge.ch

Pre Caroline Samer

médecin adjointe agrégée responsable du Centre d’ information
thérapeutique de l’ unité de pharmacogénomique et thérapies
personnalisées, Service de pharmacologie et toxicologie cliniques,
Département de médecine aiguë, HUG

Caroline.samer@hcuge.ch

Aucun des auteurs ne présente de conflits d’ intérêt.

◆ Le phénotypage permet d’ évaluer la fonction des enzymes (et transporteurs) qui éliminent (et transportent) les médicaments en prenant en compte le bagage génétique individuel mais également l’ influence de l’ environnement, des comorbidités et des comédications.
◆ Le Geneva cocktail permet de phénotyper les principales voies métaboliques responsables de l’ élimination de la plupart des médicaments de manière peu invasive (substrats administrés à doses-infrathérapeutiques et prélèvements capillaires).
◆ Génotypage et phénotypage sont des approches complémentaires, qui aident à l’ individualisation de la thérapie médicamenteuse chez le sujet âgé.
◆ Un patient pourrait bénéficier d’ un génotypage s’ il ne répond pas à son traitement ou s’ il présente des effets indésirables, si ses concentrations plasmatiques sont en dehors de l’ intervalle thérapeutique ou si des interactions médicamenteuses multiples compliquent le traitement.

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Hydrocéphalie à pression normale – une mise à jour

L’ hydrocéphalie à pression normale idiopathique (HPNi) est une maladie chronique du sujet âgé, définie par la triade clinique de Hakim et Adams et associée à une dilatation du système ventriculaire à l’ imagerie cérébrale sans augmentation de la pression intracrânienne à la ponction lombaire. Malgré les progrès réalisés depuis sa première description en 1965, le diagnostic et la prise en charge de ce syndrome constituent encore un défi aujourd’ hui pour le clinicien. Outre une physiopathologie encore peu comprise et la présence de co-pathologies neurodégénératives et vasculaires souvent associées, la possible réversibilité de ce syndrome en fait une entité de grand intérêt. Pour ce faire, l’ IRM cérébrale et la ponction lombaire soustractive notamment font partie de la démarche diagnostique permettant de sélectionner les meilleurs répondants à la mise en place d’ une dérivation permanente du liquide céphalo-rachidien (LCR), traitement de choix de l’ HPN.

Idiopathic normal pressure hydrocephalus (iNPH) is a chronic disorder affecting the elderly, defined by Adams and Hakim’ s clinical triad in addition to ventricular enlargement visible at brain imaging and normal cerebrospinal pressure during lumbar puncture. Despite the progress made since its first description in 1965, the diagnosis and management of this syndrome remains a challenge for the clinician today. Besides a physiopathology still not very well understood and the presence of commonly associated neurodegenerative and vascular diseases, the possible reversibility of this syndrome makes it an entity of great interest. For this purpose, brain MRI and subtractive lumbar puncture in particular are part of the diagnostic process allowing the selection of the best responders for the implementation of a permanent cerebrospinal fluid (CSF) shunt, the treatment of choice for normal pressure hydrocephalus.
Key Words: idiopathic normal pressure hydrocephalus (iNPH), Hakim-Adams syndrome, ventriculo-peritoneal shunt

L’ hydrocéphalie à pression normale a été décrite pour la première fois en 1965 par Hakim et Adams à partir de trois cas souffrant de démence et d’ une dilatation ventriculaire sans augmentation de la pression intracrânienne (1). Ils établissaient qu’ un traitement par dérivation interne du LCR permettait de réduire les signes cliniques de la maladie. Depuis, de nombreux travaux de recherche ont été réalisés dans ce domaine et une importante littérature scientifique en lien avec cette maladie est disponible. L’ essentiel de ces études vise à déterminer les facteurs prédictifs de l’ amélioration de la symptomatologie de ces patients, après traitement neurochirurgical.

Egalement connu sous le nom de syndrome de Hakim-Adams ou d’ hydrocéphalie chronique de l’ âge adulte, l’ HPNi est une forme d’ hydrocéphalie communicante (à distinguer des hydrocéphalies obstructives) qui se caractérise par une triade clinique comprenant des troubles de la marche, une incontinence urinaire et des troubles cognitifs et est associée à un élargissement des ventricules. Etant donné la possible réversibilité de ce syndrome après la mise en place d’ une dérivation du LCR, sa reconnaissance et son diagnostic précoce sont décisifs. Cependant, la reconnaissance de cette pathologie reste un défi diagnostique en raison de la faible spécificité des signes cliniques. De plus, les co-pathologies, notamment les maladies neurodégénératives sont fréquentes lors du diagnostic de HPNi, car cette pathologie touche fréquemment des patients de plus de 80 ans, où l’ existence de co-pathologies neurologiques est souvent rapportée. Les données anatomo-pathologiques l’ attestent, environ un tiers des cas HPNi à l’ âge moyen de la chirurgie ont finalement une pathologie Alzheimer au moment de l’ autopsie. De ce fait, l’ estimation précise de l’ incidence et de la prévalence de l’ HPNi peut varier selon les études. Une étude populationnelle suédoise estime sa fréquence à 0.2 % (soit 200 cas / 100 000 habitants) chez des sujets de 70 à 79 ans et de 5.9 % (5900 cas / 100 000 habitants) chez les plus de 80 ans (2). Rapportée à la population Suisse de 2020, cela correspond à 2074 cas chez les 65-79 ans et 24 308 cas chez les plus de 80 ans.

Cet article a pour but de faire une revue de la littérature sur les dernières avancées dans le domaine de l’ HPNi avec une attention particulière sur les aspects cliniques, les démarches diagnostiques et les dernières modalités de traitement.

Que dit la clinique ?

La présentation clinique classique de l’ HPNi est composée d’ une triade associant des troubles de la marche d’ installation lentement progressive, une incontinence urinaire et un syndrome démentiel. L’ origine neuro-anatomique de cette triade semble venir d’ un dysfonctionnement au niveau de la boucle cortico-striato-thalamique qui serait secondaire à l’ effet de l’ hydrocéphalie. La sévérité des symptômes observés dépend d’ une part du niveau de perturbation de cette boucle, et d’ autre part des éventuelles co-pathologies associées.

Troubles de la marche et symptômes moteurs

Les troubles de la marche survenant dans le cadre d’ une HPNi ont traditionnellement fait référence à une marche dite « magnétique » ou une marche hésitante, voire à petits pas avec une tendance à traîner les pieds. Ces troubles sont également retrouvés sous le terme d’ apraxie à la marche ou d’ ataxie frontale. Néanmoins, il convient de préciser qu’ il n’ existe pas de phénotype de marche classique de l’ HPNi. Dans la cohorte genevoise de patients avec HPNi, on retrouve des phénotypes de marche frontale chez seulement 26% des patients (3).

Ces troubles de la marche sont le signe cardinal de la maladie et les premiers signes à apparaître. De plus, on retrouve fréquemment des signes ou un véritable syndrome parkinsonien chez ces patients avec hydrocéphalie.

Incontinence urinaire

Au cours de la maladie, l’ incontinence urinaire apparaît plutôt tardivement. Le trouble peut toutefois se manifester par de simples mictions impérieuses ou une incontinence réflexe au stade débutant, vient ensuite l’ incontinence véritable. Présent chez environ un patient sur deux, en cas de troubles de la marche et de troubles cognitifs associés, il est toutefois difficile de faire la part des choses entre un mécanisme de désinhibition d’ origine centrale et un trouble sphinctérien par « anosognosie » mictionnelle.

Troubles cognitifs

Le trouble neurocognitif résultant de l’ HPNi est habituellement de type sous-cortico-frontal, caractérisé par une perte d’ initiative, d’ une diminution des intérêts, d’ un trouble de l’ attention, de la concentration et de la mémoire à court terme. Un syndrome amnésique similaire à ce que l’ on voit dans la maladie d’ Alzheimer peut également se voir dans le cas de l’ hydrocéphalie. Avec l’ évolution de la maladie, les déficits cognitifs progressent également et affectent d’ autres fonctions instrumentales. Sur le plan comportemental, l’ apathie est le principal symptôme rapporté jusque chez 70% des patients selon certaines études. Il est admis que les troubles cognitifs constituent un facteur de pronostic plutôt défavorable après la pose d’ un shunt ventriculo-péritonéal.

Imagerie cérébrale

Diagnostiquer avec précision l’ HPNi reste aujourd’ hui encore un défi pour le clinicien et on sait que la précocité du diagnostic influence le pronostic. Aucun test ne permet toutefois aujourd’ hui de confirmer de manière absolue le diagnostic d’ HPNi. De nombreux examens complémentaires ont par ailleurs été évalués pour identifier lesquels permettraient de mieux prédire l’ effet du shunt ventriculo-péritonéal chez les sujets HPNi avec ventriculomégalie. Etant donné que la physiopathologie de l’ HPNi n’ est pas encore clairement identifiée, trouver un test diagnostic spécifique de la maladie est toujours en cours de recherche. Parmi les différents essais, l’ utilisation de la cisternographie ou de l’ IRM de flux (qui mesure la pulsatilité et vitesse du LCR) ne se sont pas montrées suffisamment efficaces. A ce jour, les tests diagnostiques évaluant le mieux la réponse au shunt restent l’ IRM cérébrale et la ponction lombaire soustractive. Nous aborderons dans cette partie uniquement l’ IRM cérébrale, la démarche diagnostique impliquant les tests mentionnés ci-dessus sera discutée dans un paragraphe séparé.

IRM cérébrale

Le CT cérébral tout comme l’ IRM cérébrale montrent chez les patients atteints d’ HPNi la dilatation ventriculaire. Toutefois, la résolution et la performance de l’ IRM cérébrale en font l’ examen de choix pour l’ évaluation radiologique de l’ HPNi. Outre la caractérisation de l’ hydrocéphalie, l’ IRM permet également de rendre évidentes d’ autres pathologies du système nerveux central pouvant avoir une répercussion sur la prise en charge, soit dans le cadre du diagnostic différentiel, soit comme facteur pronostique. La démarche diagnostique consiste donc d’ abord à confirmer l’ existence d’ une dilatation ventriculaire pathologique. Pour ce faire, il est possible d’ utiliser la « iNPH Radscale », une échelle regroupant les signes radiologiques de l’ HPNi et qui a une bonne corrélation avec les signes cliniques. Elle ne prédit toutefois pas la réponse à un éventuel shunt (4). Font notamment partie de cette échelle l’ index d’ Evans et l’ angle calleux (décrit plus précisément ci-dessous); l’ amincissement des espaces au niveau du sillon parafalcoriel et du vertex ; la dilatation disproportionnée des vallées sylviennes ; l’ élargissement localisé d’ un sillon ; l’ agrandissement des cornes temporales et la présence d’ hypodensités périventriculaires. A noter qu’ en cas de dilatation du système ventriculaire supratentoriel (1er à 3e ventricules) avec un 4e ventricule normalement configuré, cela est suggestif d’ une hydrocéphalie obstructive sur sténose de l’ aqueduc et implique une autre approche diagnostique qui n’ est pas traitée ici.

En ce qui concerne les critères radiologiques de l’ HPNi, des mesures quantitatives et qualitatives ont été établies.
Font partie des critères quantitatifs :

  • L’ index d’ Evans (figure 1), mesure la largeur des deux cornes frontales rapportée au diamètre endocrânien correspondant sur une coupe axiale. Lorsque ce dernier est supérieur à 0.3, les ventricules sont considérés comme élargis, indépendamment de la pathologie sous-jacente.
  • L’ angle calleux (figure 2) inférieur à 90°.

Font partie des critères dits qualitatifs :

  • Hyperintensités à l’ IRM sur les séquences T2, également connues sous le terme de « liquor caps ».
  • Dilatation disproportionnée au niveau de la vallée sylvienne, également appelée DESH (disproportionately enlarged sub-
    arachnoid space hydrocephalus). La présence d’ une DESH est associée à une bonne réponse au shunt et certaines recommandations le plébiscitent dans le bilan préopératoire.

Physiopathologie

Communément, nous distinguons les hydrocéphalies obstructives de celles dites communicantes. L’ hydrocéphalie à pression normale fait partie de cette dernière catégorie et pour sa forme idiopathique (ou primitive), les mécanismes physiopathologiques sont encore largement méconnus. A l’ inverse, dans les HPN secondaires, l’ étiologie est le plus souvent bien identifiée et les hémorragies méningées (plus souvent secondaires à la rupture d’ un anévrisme intracrânien), les méningites infectieuses et les traumatismes crâniens sont les causes les plus fréquemment retrouvées.

Pour les formes idiopathiques, parmi les causes postulées, sont notamment cités les facteurs congénitaux, les troubles de la résorption du LCR et les facteurs de risques cardiovasculaires.

Mimics et comorbidités

L’ HPNi est classiquement une pathologie du sujet âgé, et les signes cliniques composant la triade de l’ HPNi sont à la fois peu spécifiques de cette dernière mais également fréquents dans ce groupe d’ âge. En effet, les troubles de la marche sont décrits lors d’ un examen clinique dans plus de 35 % des sujets de plus de 75 ans et sont souvent prédicteurs du développement d’ une démence ultérieure (5). Il en va de même avec les troubles neurocognitifs, dont la prévalence augmente avec l’ âge et qui rendent la probabilité d’ une co-pathologie neurodégénérative non négligeable au moment du diagnostic de l’ HPNi. A l’ âge de 70 ans, la prévalence de la maladie d’ Alzheimer est de 14 % et celle d’ une démence vasculaire à 24 % selon des données populationnelles nord-américaines. De même, une étude anatomopathologique a montré aussi qu’ à cet âge-là, 26 % des personnes sans troubles neurocognitifs apparents ont une pathologie amyloïde sous-jacente. Dans la cohorte genevoise, on retrouve une angiopathie amyloïde chez 14 % des patients avec HPNi qui répondent aux critères radiologiques de Boston (6).

Enfin, 20 % de la population générale de plus de 70 ans présentent un élargissement ventriculaire (défini par un index d’ Evans > 0.3) et l’ incontinence urinaire est retrouvée chez 38 % des femmes et 18 % des hommes. De ce fait, il convient donc de retenir que les diagnostics différentiels comprenant des maladies neurodégénératives, cerebrovasculaires et urologiques sont nombreux à cet âge (tableau  1), mais également que la présence de ces pathologies n’ exclut pas la possibilité d’ une coexistence avec une HPNi.

Démarche diagnostique

Le principe de la démarche diagnostique est de sélectionner les patients avec HPNi qui auront une amélioration par le traitement neurochirurgical. Pour ce faire, il faut tenir compte du fait qu’ aucun test diagnostique ne présente de spécificité ou sensibilité suffisante pour être utilisé isolément. En plus des symptômes et de la clinique  il conviendra donc d’ utiliser plusieurs examens complémentaires conjointement que nous détaillerons ci-dessous.

Etant donné que les mécanismes physiopathologiques de l’ HPNi soient encore méconnus, il n’ existe pas de critères diagnostiques rigoureux, et selon l’ état actuel de la littérature, il est donc recommandé de procéder à une classification entre HPNi possible, probable et improbable (8).

Imagerie cérébrale

Tout d’ abord, comme discuté ci-dessus, l’ IRM cérébrale est l’ examen de référence qui permettra d’ identifier l’ hydrocéphalie ainsi que les autres marqueurs radiologiques de l’ HPNi, mais également d’ exclure une cause secondaire à cette dernière. Nous préciserons que la dilatation du système ventriculaire n’ est pas spécifique à l’ HPNi et peut se rencontrer également dans les maladies neurodégénératives ou simplement chez les sujets avec un âge avancé. Le degré d’ atrophie corticale peut aider à distinguer une HPNi de l’ hypertrophie ventriculaire liée à l’ âge ou à la neurodégénérescence.

Ponction lombaire soustractive

Le principe de la ponction lombaire soustractive (appelée aussi de décharge) est de simuler un shunt par un retrait unique de 30 à 50ml de LCR. La valeur prédictive positive de ce test est élevée (73-100 %), pour une sensibilité toutefois faible (26-61 %). Autrement dit, une amélioration des symptômes, objectivée par une évaluation de la marche et des facultés cognitives avant et après la ponction, augmente les chances d’ une réponse positive à l’ intervention avec une valeur prédictive positive de 73-100 %. Inversement, une non amélioration clinique après la ponction lombaire ne permet pas de réfuter le diagnostic d’ HPNi. Ce test ne constitue donc pas un test diagnostique, mais un pronostic d’ une réponse favorable à la chirurgie. Nous noterons enfin que la pression d’ ouverture à la ponction lombaire (PL) est normale.

Drainage lombaire externe

Le risque de résultats faux négatifs à la PL soustractive a conduit certaines équipes à envisager un drainage continu de LCR à travers un cathéter spinal (environ 100-200ml / jour) pendant une durée de 3 jours. Cette méthode permet une meilleure sensibilité (50-100 %) et spécificité (60-100 %), ainsi qu’ une valeur prédictive améliorée, contre toutefois une morbidité plus élevée (risque de méningite). De même, durant la période de drainage il n’ est pas possible de tester la marche.

Traitement et évolution

A l’ issue de l’ évaluation préopératoire multidisciplinaire et sur la base de la confrontation des symptômes cliniques et des résultats des tests réalisés, lorsque le diagnostic de HPNi est retenu, la dérivation du LCR par la mise en place d’ un shunt reste le traitement de choix. Sont cités comme des prédicteurs de bonne réponse au shunt la présence d’ un trouble de la marche au premier plan de la symptomatologie, une durée courte de la maladie (habituellement < 6 mois), une étiologie identifiée pour l’ HPN ainsi qu’ une amélioration clinique après la ponction lombaire soustractive , l’ âge du patient n’ étant pas un critère de bon ou mauvais pronostic à la chirurgie. Un traitement médicamenteux efficace n’ est pas encore connu.

La dérivation ventriculo-péritonéale est la dérivation permanente la plus fréquemment réalisée, partant depuis les cornes frontales des ventricules latéraux vers la cavité abdominale, où le LCR peut être résorbé. Cette dérivation utilise une valve programmable et permettant d’ adapter au besoin le niveau de pression de drainage du LCR et évitant ainsi un drainage excessif. Il n’ existe pas de limite d’ âge pour la chirurgie et les contre-indications sont principalement déterminées par les comorbidités associées.

Concernant les complications péri- et postopératoires, le taux peut atteindre 10.4 %, avec une mortalité à 0.2 %. De même, dans 13 % des cas, une reprise chirurgicale est nécessaire (9). Parmi les complications, sont décrits principalement l’ hématome sous-dural (post-chirurgie ou sur hyperdrainage), l’ accident mécanique (ob-struction ou migration du matériel) et les infections.

Après la mise en place du shunt, une amélioration clinique significative s’ observe dans 83 % des patients pour la marche et 46 % pour les symptômes cognitifs. Les données sur l’ effet à plus long terme de la chirurgie sont encore discutées. Une tendance semble toutefois émerger, prédisant la que l’ amélioration clinique perdure au moins sur les 3 premières années.

Conclusion

L’ HPNi est une maladie chronique du sujet âgé, défini par un syndrome associant des troubles cognitifs progressifs, des troubles de la marche et une incontinence urinaire, ainsi qu’ une dilatation ventriculaire radiologique sans augmentation de la pression intracrânienne à la ponction lombaire. Cette entité encore mal comprise aujourd’ hui présente un grand intérêt pour le clinicien, notamment du fait de la disponibilité d’ un traitement, la dérivation permanente du LCR. Les co-pathologies neurodégénératives et vasculaires étant souvent associés dans ce groupe d’ âge, une approche multi-disciplinaire impliquant neurologues, neurochirurgiens, neuropsychologues et physiothérapeutes coordonnant un bilan exhaustif avec une imagerie cérébrale et une ponction lombaire soustractive sont nécessaires à la démarche diagnostique. Tout en considérant les comorbidités associées, lorsque l’ indication opératoire est correctement posée, une amélioration clinique significative est souvent observée.

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dr Patrick Stancu MD

Département des neurosciences cliniques
Service de Neurologie, HUG
Rue Gabrielle-Perret-Gentil 4
1205 Genève

patrick.stancu@hcuge.ch

Pr Gilles Allali MD, PhD

Centre Leenaards de la mémoire
Département des neurosciences cliniques,
CHUV et UNIL
Chemin de Mont-Paisible 16
1011 Lausanne

Les auteurs ont déclaré n’ avoir aucun conflit d’ intérêt en relation avec cet article.

◆ Le syndrome de l’ hydrocéphalie à pression normale idiopathique (HPNi) associe un trouble neurocognitif, des troubles de la marche et une incontinence urinaire (triade clinique de Hakim et Adams).
◆ L’ HPNi se caractérise par une dilatation du système ventriculaire radiologique sans augmentation de la pression intracrânienne à la ponction lombaire.
◆ Les co-pathologies neurodégénératives et vasculaires sont fréquentes à l’ âge du diagnostic de l’ HPNi et doivent être activement recherchées.
◆ Le traitement de référence de l’ HPNi est la dérivation permanente du LCR par un shunt ventriculo-péritonéal.
◆ La réponse à la dérivation du LCR dépend d’ un ensemble de facteurs prédicteurs à la fois radiologiques et hémodynamiques ainsi que de la précocité du diagnostic.
◆ L’ implantation du shunt permet principalement une amélioration de la marche (> 83 %).

 

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discussion 32.

Le burnout – une maladie psychique grave sans code diagnostique ICD-11

Le syndrome d’ épuisement professionnel, décrit pour la première fois en 1974 par le psychologue germano-américain Herbert J. Freudenberger, est devenu au cours des dernières années un symptôme fréquent dans notre société. Le nombre de cas de syndrome d’ épuisement induit par le stress continue d’ augmenter fortement. Le burnout, même s’ il est moins grave, est déjà très difficile à gérer et s’ accompagne généralement d’ une symptomatologie dépressive. Des troubles cardiovasculaires, métaboliques et des douleurs sont des conséquences possibles. Le burnout et la dépression sont également des conséquences de l’ exigence permanente de vouloir toujours plus et mieux, quel qu’ en soit le prix. Ce ne sont certainement pas des concepts à la mode. Ils sont cependant toujours considérés par la société comme l’ expression d’ une faiblesse et d’ un échec personnel et, en tant que défaut, ils ne correspondent pas à une biographie qui ne poursuit que la version « plus haut, plus vite, plus fort ». Mais lorsque la devise olympique est vécue sans réflexion, cela conduit un nombre toujours plus grand de personnes dans une impasse. La question de plus en plus pressante est de savoir comment réussir de rester en bonne santé physique et psychique malgré la pression permanente du succès.

Burnout syndrome, first described in 1974 by the German-American psychologist Herbert J. Freudenberger, has become a common complaint in our society in recent decades. The number of cases of stress-induced exhaustion syndrome continues to rise sharply. Burnout is also clearly impairing even in its milder form and is regularly accompanied by depressive symptoms. Cardiovascular, metabolic and pain disorders are possible consequences. Burnout and depression can also be understood as a consequence of the continuing demand for more and better, regardless of the price. They are definitely not fashionable terms. However, they are still socially evaluated as an expression of weakness and personal failure and do not fit as a flaw into a biography that only pursues the version «higher, faster, stronger». If, however, the Olympic motto is lived unthinkingly, it leads an increasing number of people into a dead end. The increasingly urgent question is how to remain physically and psychologically healthy despite the permanent pressure to succeed.
Key Words: Burnout syndrome, stress-induced exhaustion syndrome, chronic stress, life value balance

Le burnout en tant que « phénomène professionnel » (occupational phenomenon)

La nouvelle ICD-11 (Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes) devrait, selon les annonces préalables dans de nombreux médias, classer le burnout comme un trouble de la santé reconnu. Mais l’ introduction du diagnostic de burnout n’ a pas eu lieu. Le burnout n’ est donc toujours pas un diagnostic psychiatrique, mais est considéré comme un « diagnostic qualifiant », qui peut être associé à un autre diagnostic dans la ICD-11.

Le burnout reste donc un facteur nuisible à la santé, qui survient exclusivement à la suite d’ un stress professionnel chronique et qui est défini comme suit :

  • sentiment de perte d’ énergie et d’ épuisement
  • distance mentale par rapport au travail, négativisme et cynisme en relation avec le travail
  • diminution de la performance professionnelle.

Jusqu’ à présent, le burnout était classé sous « problèmes liés aux difficultés à gérer sa vie » en tant que « syndrome d’ épuisement » (Z73.0). Désormais, l’ OMS a défini le burnout comme un syndrome exclusivement lié au travail. Ce n’ est pas nouveau, car en 1982 déjà, le burnout était décrit de manière très similaire par Maslach et Jackson. Les deux créatrices du Maslach Burnout Inventory avaient toutefois fourni à l’ époque des descriptions moins ambiguës pour les principales caractéristiques du burnout qu’ elles proposaient. La définition de ce dernier dans la ICD-11 semble problématique dans la mesure où cette entité apparaît chez les travailleurs qui « ne parviennent pas à gérer un stress professionnel chronique ». Cela implique qu’ il y a des travailleurs qui ne sont pas malades à cause du stress chronique au travail et qui, malgré la surcharge de travail, peuvent continuer à travailler sans changement et sans limite dans le temps, c’ est-à-dire qu’ ils ne développent pas de surcharge allostatique.

En même temps, les notions de distance mentale, de négativisme et de cynisme ne sont pas commentées dans la définition actuelle. Cela peut aussi être lu comme le fait qu’  un travailleur, en raison de la surcharge de travail qu’ il ressent subjectivement, décide tout simplement de décrocher et qu’ il se déresponsabilise au travail, perd sa décence et répand une mauvaise ambiance au bureau. Le cynisme était autrefois considéré comme une attitude philosophique et se caractérisait par un style de vie simple et un scepticisme. Ce n’ est que tardivement qu’ il a pris le sens de moquerie et de mépris de l’ humanité dans le langage courant. Cependant une attitude moqueuse ou cynique vis-à-vis du travail ou du contexte de travail n’ est généralement pas présente chez les personnes qui souffrent d’ un burnout. Le cynisme lié au burnout doit être clairement distingué de l’ insatisfaction au travail due à une surcharge chronique et à un manque d’ estime. Contrairement à la distance mentale, les personnes atteintes de burnout ont tendance à une relation beaucoup trop proche avec le travail, une attitude équilibrée vis-à-vis du métier fait généralement défaut tout au long de la carrière professionnelle, et même en cas d’ épuisement psycho-physique très prononcé, elles se blâment encore souvent elles-mêmes d’ être malades. Le détachement mental peut être un aspect de l’  épuisement professionnel, mais il peut aussi être considéré comme une forme de déréalisation, expression d’ un état d’ esprit totalement épuisé et comme tentative de limiter les dégâts. Il n’ est pas rare que la distance par rapport au travail et aux contenus professionnels n’ apparaisse qu’  à la suite d’ un arrêt maladie qui ne peut plus être évité, à quoi s’ opposent de nombreux patients atteints de burnout, parce qu’ ils ont justement du mal à accepter l’ absence du travail. Le négativisme, défini comme le comportement contraire à ce qui est exigé est en outre hypotrophique chez les patients souffrant du syndrome d’ épuisement professionnel. Ils sont fortement attachés au principe de la performance et ne remettent pas en question leurs propres exigences ni celles du travail pendant trop longtemps, de sorte que le processus de surmenage croissant n’ est pas arrêté à temps. Les patients atteints de burnout doivent donc apprendre le négativisme dans le cadre de la thérapie. La définition du burnout selon l’ OMS omet aussi toutes les dimensions de l’ épuisement psychophysique qui sont impliquées, par exemple, chez les personnes sans activité professionnelle qui s’ engagent dans la famille par la charge de l’ éducation des enfants ou la prise en charge des proches. La combinaison d’ un surmenage psycho-physique et d’ un surmenage professionnel n’ est pas non plus prise en compte.

Le burnout, résultat de valeurs vécues

Comment se développe la symptomatologie qui conduit les patients au burnout ? Dans une approche centrée sur l’ individu, celle-ci peut être considérée comme résultat de leur auto-évaluation, de leurs propres actions et de celles des autres et du monde entier. Les valeurs établies et les idées traditionnelles deviennent, par leur adoption lors de la socialisation, le fil conducteur de l’ accomplissement de la vie. Les bonnes valeurs sont clairement distinguées des mauvaises et les hautes valeurs des basses valeurs. L’ un des résultats est le jugement que l’ on porte sur soi-même et, en conséquence, la bonne ou mauvaise estime de soi. Les patients atteints de burnout sont très exigeants envers eux-mêmes, sont perfectionnistes et n’ abandonnent jamais rapidement. Ils sont fortement orientés vers la performance, ont le sens du devoir et vivent dans la conviction que « travailler me donne beaucoup, être productif me donne beaucoup, être utile me donne beaucoup ». Ils pensent pouvoir et devoir toujours faire mieux dans leur vie, surtout dans leur fonction professionnelle. Avec des exigences de plus en plus difficiles à satisfaire en raison d’ un environnement de travail de plus en plus exigeant, la menace pour la santé augmente par la surexploitation continue des ressources, par la manifestation de craintes d’ échec envahissantes et finalement par l’ état d’ épuisement et la décompensation dépressive. La vie personnelle et professionnelle fait naufrage. Le burnout s’ accompagne d’ une grande insécurité dans la vie, le vide, la méfiance vis-à-vis de ses propres capacités ainsi que l’ ébranlement de l’ image de soi et la perte d’ estime de soi. Les patients se considèrent alors comme incompétents, ils ne savent plus rien et ne peuvent plus rien faire. Ils se sentent en fait traumatisés par la perte de contrôle qu’ ils ont vécue, ressentent encore plus fortement leur impatience préexistante, et plus l’ écart vécu subjectivement entre la valeur cible et la valeur réelle est important, plus ils se poussent. Dans de nombreuses situations professionnelles, la possibilité de souffrir d’ un burnout est donnée depuis de nombreuses années dans le contexte des « guerres économiques » et de la « guerre des prix ». Une atmosphère de travail de plus en plus rude avec un haut degré de compétitivité, l’ optimisation des coûts, c’ est-à-dire la réduction du personnel avec une charge de travail constante ou croissante, une disponibilité permanente, une garantie d’ emploi douteuse, pour ne citer que quelques-uns des facteurs qui perpétuent et amplifient chez les travailleurs ambitieux la disponibilité de réaction et de comportement correspondants, ce qui est une condition préalable à l’ apparition d’ un burnout.

Nécessité d’ agir et thérapie professionnelle

Aucun burnout ne survient donc du jour au lendemain de manière inattendue. Personne ne se lève un matin et le trouble psychique est là. L’ épuisement professionnel résulte d’ un processus continu, au cours duquel les patients concernés ne se rendent compte de leur état qu’ à partir du moment où les symptômes sont très prononcés et après une longue lutte, souvent de plusieurs années, avec des concepts et des stratégies éprouvés et se décident d’ agir et à demander de l’ aide médicale. De légères fluctuations de l’ humeur et de la motivation ou un sommeil parfois agité n’ ont rien d’ exceptionnel, surtout dans les périodes de stress de la vie et de la profession. Mais lorsque des troubles psychiques ou physiques prononcés surgissent sous la forme d’ un manque chronique d’ énergie ou manque de joie et d’ insomnie et durent plusieurs semaines, et que la souffrance ne cesse d’ augmenter, il ne suffit pas de dire « ça va bien se passer ». Attendre en observant, refouler, minimiser ou espérer que les choses s’ améliorent détériore les perspectives de guérison. L’ épuisement, la peur de l’ échec, la tension intérieure et la nervosité et surtout les troubles du sommeil de longue durée sont épuisants. Ils conduisent à un cercle vicieux qui ne peut être surmonté seul et représentent un défi aussi pour l’ entourage. Les médecins ne sont souvent pas préparés de manière adéquate au traitement des patients atteints de burnout. Ils sont déconcertés par le flou du diagnostic et sont parfois victimes de préjugés à l’ égard des patients qui se présentent comme épuisés, bien qu’ un nombre non négligeable d’ entre eux vivent eux-mêmes ce type de situation. Peu d’ entre eux vivent eux-mêmes un état d’ épuisement imminent ou déjà existant. En outre, il existe souvent un manque d’ information sur le monde économique et les conditions qui y règnent. L’ utilisation initiale d’ anxiolytiques, d’ antidépresseurs et d’ hypnotiques ainsi que l’ attestation d’ une incapacité de travail de courte durée sont régulièrement suivies d’ un recours au psychiatre. L’ orientation vers un psychiatre est indispensable, car un soutien professionnel spécialisé est indispensable. Les spécialistes qui disposent d’ une formation médicale et d’ une formation spécifique pour le traitement du burnout sont plus que de simples sparring-partners pour les patients qui ont des problèmes au travail. Ils procèdent à un examen minutieux et à une anamnèse, reconnaissent avec précision le fonctionnement des mécanismes émotionnels chez la personne concernée. Ils sont en mesure d’ attribuer et de classer l’ ensemble des symptômes présents et évaluent l’ incapacité de travail de manière adéquate. Souvent, les patients atteints de burnout, qui ont bénéficié d’ un examen somatique complet en raison de l’ apparition de symptômes psychosomatiques, n’ en sont pas moins inquiets, car les troubles persistent. Ici aussi, il faut beaucoup de temps et des explications répétées de la part du praticien jusqu’ à ce que les patients ne considèrent plus les symptômes comme menaçants, qu’ ils ne soient plus alarmés, et qu’ un apaisement émotionnel important se produise.

Aujourd’ hui, on ne cesse d’ évoquer de manière peu critique l’ amélioration de la résilience, de sorte que la confrontation avec des problèmes, même graves, n’ entraîne plus d’ affaiblissement et que l’ on puisse trouver une solution à tout. Même certains médecins de travail se retrouvent piégés dans cette stratégie et estiment que les patients atteints de burnout doivent travailler efficacement et de manière ciblée à leur guérison psychique et physique (sic !). Pourtant, dans le processus de guérison des patients atteints de burnout, il ne s’ agit pas de s’ optimiser et de développer ses capacités de résilience, mais d’ acquérir une vision et du discernement que le patient développera au cours du traitement. Le traitement professionnel du patient en burnout, qui aboutit dans le meilleur des cas à la résolution des symptômes et à la prévention des rechutes, vise avant tout à réduire les exigences envers soi-même et le monde, ainsi qu’ à une meilleure acceptation des limitations, afin que le patient soit en mesure d’ opposer à la seul valable atrophie monomythique au sens du « tout ou rien » le « ni rien, ni tout ». Il est possible que cela conduise, en toute logique, à un changement d’ emploi ou à la recherche d’un domaine professionnel moins toxique.

L’ approche de Maslach est cohérente : dans son livre « La vérité sur le burnout », publié en 2001, elle défend la position selon laquelle l’ origine de ce syndrome pathologique ne réside pas dans le travailleur, mais dans les employeurs qui ont le devoir d’ aménager les conditions de travail de manière à prévenir le burnout. Toutefois, si le monde du travail n’ évolue pas dans cette direction, il y a suffisamment de signes pour cela, il faut continuer à s’ attaquer à l’ autre bout, c’ est-à-dire au travailleur.

Dans le cadre du traitement professionnel il est fondamental d’ amener le patient vers une life-value-balance raisonnable, à un mode de vie avec assez de sommeil, un bon rythme, la pratique d’ une activité physique dans la nature, une alimentation saine et une consommation modérée d’ alcool ainsi que l’ entretien des relations avec sa ou son partenaire et ses amis, etc. En cas de traitement stationnaire nécessaire, l’ entraînement à la matraque et l’ escalade, comme le proposent aujourd’ hui certaines cliniques de burnout, reste à discuter. Les cliniques spécialisées sont toutefois mises sous pression par les assureurs, qui veulent de plus en plus participer à la définition du concept de traitement, et déclarent que l’ objectif principal du traitement est le retour le plus rapide possible au travail, de sorte qu’ elles collaborent parfois étroitement avec les organismes payeurs et leur case management. Une telle phalange et l’ apparition précoce du case manager au cours du traitement augmentent également la pression sur les patients pour qu’ ils guérissent le plus rapidement possible et prolongent ainsi trop souvent le processus de guérison. Aujourd’ hui, on demande de plus en plus aux médecins de ne plus attester d’ incapacités de travail prolongées, en faisant valoir que cela aggrave le pronostic des personnes concernées. On met en garde contre les périodes prolongées d’ arrêt maladie, car elles auraient une influence négative sur les chances de guérison. Mais la plupart du temps, l’ intervention thérapeutique initiale la plus importante est la prophylaxie de l’ exposition à la situation professionnelle induisant la maladie, la seule qui puisse susciter chez les patients le soulagement nécessaire et, par la suite, la volonté d’ aborder la situation dans un cadre thérapeutique. Les patients atteints de burnout ne peuvent pas non plus se dépasser eux-mêmes, et une stratégie de traitement accélérée qui, en raison de la position dominante des assureurs, devrait aboutir à une prétendue meilleure efficacité thérapeutique et donc à une réduction des coûts par cas, conduit dans de nombreux cas à un risque de rechute plus élevé.

Survivre dans des conditions plus difficiles par la raison

Dans le traitement du burnout la considération professionnelle des questions profondes qui conduisent le patient à la révision de son propre projet de vie et au développement de nouvelles approches de pensée représente pour lui une opportunité d’ éclaircissement existentielle. Dans la confrontation thérapeutique, il s’ agit d’ identifier les opinions dangereuses pour la santé, de développer un instrument mental alternatif qui va au-delà de la pleine conscience (mindfulness) si souvent évoquée aujourd’ hui. Il n’ est pas nécessaire de remettre toute sa vie en question et il est rare qu’ un nouveau départ radical soit nécessaire. La remise en question critique du courant dominant, des normes sociales généralement valables ou la focalisation consciente sur les développements positifs plutôt que sur le scandale et le boulevard ont déjà un effet de soulagement important. En outre, les espaces de liberté créés par la non-joi-
gnabilité et les heures vides sont d’ une grande importance pour la guérison du burnout, car elles permettent la créativité et la diversité des pensées qui deviennent à nouveau vivables. Un « style de vie sain » présuppose un système de valeurs adapté et ne signifie pas que l’ on doive se conformer au devoir d’ auto-optimisation proclamé aujourd’ hui, ni à une prophylaxie excessive de la santé sous forme de performances sportives maximales ou de régimes extrêmes. La tâche la plus importante dans la prise en charge de soi-même reste la vérification constante du concept de vie personnel et l’ évaluation réaliste qui en résulte idéalement de ses propres possibilités. Dans l’ orientation implacable vers le principe de « altius, citius, fortius », le succès est vite menacé par l’ échec. Toujours plus ne signifie pas mieux, mais implique un risque considérable de ne plus pouvoir répondre aux exigences trop élevées de soi-même, de s’ épuiser psychiquement et physiquement, préparant ainsi le terrain au burnout et à la dépression. Pour de nombreux patients atteints de burnout, l’ espoir meurt en dernier. Cela signifie que l’ on trouve la mort avant soi. L’ espoir est depuis toujours un principe passif généralement associé à la crainte de perte. Il n’ est pas rare qu’ il soit utilisé par commodité. Il a un effet paralysant sur la pensée et négatif sur notre propre potentiel de changement. Un espoir fort conduit à un optimisme exagéré, un esprit du temps qui anesthésie régulièrement la raison. Le guide de la raison est plutôt le sens des réalités associé à une modestie confiante. Sortir du burnout signifie donc, dans une saine mesure de percevoir et d’ accepter les limites, de remettre en question les comportements compétitifs afin de les éviter autant que possible. Les patients atteints de burnout qui, à l’ aide d’ un traitement professionnel, parviennent à développer une capacité d’ auto-apaisement et de relativisation ont nettement plus de chances de ne pas décompenser à nouveau, mentalement et physiquement, même en période d’ exigences élevées.

Cet article est une traduction de « der informierte arzt » 04_2022

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dr méd. Michael Sacchetto-Mussetti

Spécialiste en psychiatrie et psychothérapie FMH
Dorfstrasse 5
8700 Küsnacht
www.zentrumkuesnacht.ch

m.sacchetto@hin.ch

L’ auteur a déclaré n’ avoir aucun conflit d’ intérêts en rapport avec cet article.

◆ En 2022, le syndrome de burnout n’ a toujours pas de définition
générale. Le burnout n’ est pas une mode sociale, mais une maladie psychique grave.
◆ Le burnout est la maladie consécutive à un stress chronique. Il entraîne d’ autres maladies secondaires et de longs arrêts de travail et présente généralement une évolution prolongée.
◆ Outre les conditions de travail, le développement d’ un burnout dépend des valeurs et des modèles d’ évaluation du patient.
◆ Le traitement et la prophylaxie efficaces du burnout impliquent entre autres le développement d’ un équilibre value-life-balance alternatif.

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