Actualités sur la BPCO

Les mécanismes physiopathologiques sous-jacents dans la bronchopneumopathie chronique obstructive, qui entraînent des symptômes de gravité variable et sont déclenchés par des agents nocifs inhalés, principalement par la consommation de nicotine, sont l’ œdème de la muqueuse bronchique, le spasme des muscles bronchiques et l’ hypersécrétion avec formation/sécrétion accrue de mucus. Les stratégies de traitement répondent donc à un ou plusieurs de ces problèmes. Dans le diagnostic de la BPCO, la détection précoce et le diagnostic différentiel par rapport aux autres maladies pulmonaires telles que l’ asthme, la bronchectasie, etc. posent un défi particulier.

Chez un patient qui souffre de dyspnée persistante et progressive ou de toux chronique, d’ infections respiratoires récurrentes et présente certains critères anamnestiques, tels que l’ exposition à des agents nocifs inhalés, mais aussi des antécédents familiaux ou un faible poids à la naissance, voire une naissance prématurée, il faut penser à la BPCO.

Évaluation spirométrique

Pour confirmer le diagnostic, un examen spirométrique est toujours essentiel et indispensable. En pratique générale, la spirométrie est très bien adaptée pour détecter l’ obstruction non réversible et l’ étendue de la restriction du flux respiratoire.
La spirométrie est également importante pour l’ évaluation de la gravité et du pronostic de la BPCO, alors que la prise en charge de la BPCO par les médicaments dépend de la classification en groupes A à D, en fonction des symptômes cliniques – en particulier la dyspnée – et de la fréquence d’ exacerbation (4).
Au moins une fois au cours d’ une BPCO une présentation à un médecin spécialiste en pneumologie devrait avoir lieu, surtout si les patients ne répondent pas au traitement standard ou s’ ils sont encore symptomatiques, avec des exacerbations fréquentes, ou doivent être hospitalisés pour cause d’ exacerbation.
Surtout si la restriction spirométrique n’ explique pas suffisamment l’ étendue de la dyspnée, un cardiologue doit également être consulté, car les comorbidités cardiaques sont relativement fréquentes dans la BPCO.

Individualisation de la thérapie

L’ individualisation est devenue de plus en plus courante dans le traitement de la BPCO. Ici, il s’ agit principalement de décider quel patient bénéficie ou non de tel ou tel médicament. Le facteur décisif est toujours l’ image clinique globale du patient concerné avec les circonstances anamnestiques et symptomatiques correspondantes, y compris les comorbidités au sens d’ une image en mosaïque, de sorte qu’ un concept de thérapie individuel puisse être créé pour chaque patient. Un concept de traitement basé sur la méthode « one size fits all » n’ est pas à sa place dans le traitement de la BPCO. Même s’ il n’ existe pas de thérapie curative médicamenteuse pour la BPCO, il n’ y a aucune raison de pratiquer le nihilisme thérapeutique.
Les objectifs thérapeutiques, outre la lutte contre l’ inflammation de la BPCO, sont le soulagement des symptômes, l’ augmentation de la résilience, l’ évitement des exacerbations et donc l’ amélioration de la qualité de vie globale des patients atteints de BPCO.
Les pierres angulaires du traitement de la BPCO sont les bronchodilatateurs, représentés par le groupe des bêtamimétiques (à longue durée d’ action) (LABA) et des parasympatholytiques (à longue durée d’ action) (LAMA). Les bêtamimétiques à courte durée d’ action jouent un rôle secondaire dans le traitement à long terme de la BPCO, sauf lorsque les symptômes sont très légers.
Les principes actifs LABA et LAMA réduisent l’hyperinflation, en particulier pendant l’ effort physique. Par rapport aux LABA, les LAMA sont plus efficaces pour prévenir les exacerbations.
Fondamentalement, le fait de commencer par une association fixe LABA/LAMA est avantageux pour les patients présentant des symptômes prononcés, car les deux groupes de substances actives augmentent ensemble leur mécanisme d’ action et sont plus efficaces pour soulager les symptômes.

Niveaux de sévérité GOLD 1 à 4 et symptômes / exacerbations GOLD groupe A à D

Toujours dans la recommandation GOLD actualisée pour le diagnostic et le traitement de la BPCO, la classification en niveaux de gravité respectifs GOLD 1 à 4 est basée sur la limitation du flux respiratoire dans la fonction pulmonaire de GOLD 1 (VEMS ≥ 80 % du volume cible) à GOLD 4 (VEMS < 30 % du volume cible).
La classification supplémentaire est basée sur le tableau à quatre champs déjà connu, la graduation étant ici basée sur l’ anamnèse d’ exacerbation d’ une part et les symptômes de la maladie d’ autre part et s’ effectue comme auparavant dans les groupes A, B, C et D. Les groupes à haut risque C et D comprennent les patients ayant subi deuxexacerbations ou plus au cours de l’ année précédente ou au moins une hospitalisation liée à une exacerbation. Ces deux groupes C et D se distinguent ensuite par la gravité des symptômes. Cette dernière peut être déterminée plus facilement avec l’ échelle mMRC (modified Medical Research Council) qui interroge le symptôme important qu’ est la dyspnée.
La classification en ces 4 groupes de thérapie détermine la thérapie recommandée, une distinction étant désormais faite entre les patients naifs de la thérapie (fig. 1a), c’ est-à-dire ceux qui doivent commencer une thérapie contre la BPCO et les patients prétraités (fig. 1b), et pour cette procédure thérapeutique des algorithmes ont été développés.
Les bronchodilatateurs jouent le rôle principal dans le traitement de la BPCO ; les préparations à longue durée d’ action doivent être utilisées au plus tard à partir du groupe B.

Nombre d’ éosinophiles et CSI

L’ une des questions les plus importantes dans le traitement de la BPCO est de savoir quel patient bénéficie de la thérapie par corticostéroides inhalées (CSI). Dans le traitement initial d’ un patient atteint de BPCO, l’ ajout d’ un CSI n’ est justifié que dans les cas gravement malades avec exacerbations fréquentes, ainsi que lors d’ une composante asthmatiquee supplémentaire pertinente.
Le problème est qu’ en pratique, les patients atteints de BPCO sont toujours traités par un CSI – même sans exacerbations fréquentes et sans symptômes graves. Certaines études ont montré qu’ il est possible et raisonnable d’ interrompre le CSI chez une partie des patients qui ne répondent à aucun critère pour cette thérapie mais qui sont traités avec celle-ci. Ceci également dans le contexte d’ un risque accru de pneumonie dans la BPCO avec CSI, en particulier chez les personnes moins symptomatiques et avec peu d’exacerbations, de sorte qu’ il faut toujours mettre l’ accent sur la nécessité de peser le risque d’ un traitement par CSI par rapport à son bénéfice potentiel.
En outre, la ligne directrice GOLD actuelle tient compte du fait qu’ en plus de la fréquence d’ exacerbation, le taux d’ éosinophiles dans le sang est un marqueur approprié de la réponse à une dose de CSI dans le traitement de la BPCO.
Des études ont montré que les patients présentant un taux d’ éosinophiles de 300/μl de sang ou plus bénéficient d’ un traitement supplémentaire de CSI pour réduire le taux d’ exacerbation. En revanche, cet effet est très faible chez les patients atteints de BPCO avec des valeurs inférieures à 100 éosinophiles/μl, de sorte que GOLD recommande maintenant que l’ escalade ou la désescalade du traitement de la BPCO soit également basée sur le nombre d’ éosinophiles (fig. 2).

Le nombre d’ éosinophiles est donc un biomarqueur important dans le traitement de la BPCO et il est utile d’effectuer une formule sanguine complète pour guider les décisions thérapeutiques, en particulier chez les patients BPCO prétraités.
Dans un premier temps, l’ association LABA/CSI ne doit être envisagée que chez les patients présentant une forte charge de symptômes et un risque élevé d’ exacerbation, c’ est-à-dire le groupe GOLD D, si le nombre d’ éosinophiles dépasse 300 / μl de sang. En outre, cette association peut constituer une première option thérapeutique chez les patients atteints de BPCO ayant des antécédents d’ asthme et/ou d’ allergies.
Le facteur décisif dans la pharmacothérapie de la BPCO chez les patients prétraités, ou dans le suivi, est de savoir quel problème domine chez le patient avec BPCO, soit la dyspnée, soit les exacerbations du symptôme cardinal (fig. 1 b).

Si la dyspnée est au premier plan, le traitement bronchodilatateur doit passer d’ une monothérapie (LABA ou LAMA) à une bithérapie (LABA / LAMA) ou de LABA / CSI à une trithérapie (LABA / LAMA / CSI), ou encore à une combinaison de bronchodilatateurs (LABA / LAMA).
Le cas échéant, un changement de dispositif et/ou de substance active doit également être envisagé.
Dans le cas d’ exacerbations fréquentes, l’ ajout d’ un CSI à un LAMA, LABA ou LAMA / LABA déjà établi a pour but d’ éviter de nouvelles exacerbations, surtout si, comme nous l’ avons déjà mentionné, le nombre d’ éosinophiles est de ≥ 300 cellules / µl de sang.
Pour moins de 100 cellules éosinophiles / µl de sang, des alternatives telles que l’ anti-inflammatoire oral et l’ inhibiteur de PDE4 roflumilast ou encore l’ azithromycine doivent être envisagées.

Cycle de gestion : examiner, évaluer et ajuster

Dans la gestion de la BPCO, il est essentiel de contrôler régulièrement le succès de la thérapie, comme dans le cas de l’ asthme, et d’ ajuster le traitement si nécessaire, par exemple si le patient continue d’ être symptomatique, s’il fait des exacerbations fréquentes, si la technique d’ inhalation à contrôler à chaque contact avec le patient ne s’ adapte pas de manière optimale et si le dispositif d’ inhalation doit être changé éventuellement ou s’ il existe de (nouvelles) maladies concomitantes aggravantes.
Afin de garantir que les patients ne soient pas laissés à eux-mêmes après la thérapie initiale, il est recommandé de suivre un cycle de gestion comprenant des tests, des évaluations et des ajustements et de prendre les mesures appropriées si la thérapie ne se déroule pas encore de manière optimale ou si les objectifs thérapeutiques souhaités n’ ont pas encore été atteints (fig. 3).

La formation à une technique d’ inhalation correcte est essentielle dans le cadre de l’ éducation des patients, un médicament par inhalation ne peut être efficace que s’ il arrive là où il est censé d’ aller. Sans une formation approfondie et individuelle de l’ inhalation, le succès du traitement n’ est généralement pas atteint. Afin de garantir une utilisation correcte de l’ inhalateur, il est judicieux de vérifier la technique d’ inhalation à chaque consultation si possible. Il est préférable que le patient montre comment il utilise l’ inhalateur, et toute erreur peut alors être corrigée.
La reconnaissance et l’ autogestion des exacerbations peuvent être enseignées à l’ aide d’ un plan d’ action contre la BPCO. En plus de la formation classique des patients, un accompagnement et des conseils adaptés aux besoins individuels peuvent contribuer à améliorer la prise en charge de la maladie.
En raison de la dyspnée à l’ effort, les patients atteints de BPCO évitent très souvent l’ effort physique et se déconditionnent donc encore plus. Afin de contrer cette spirale descendante, des mesures de réhabilitation avec un entraînement physique régulier sont au moins aussi importantes que la thérapie par médicaments inhalés. Cela améliore l’ endurance, la dyspnée et le risque d’ exacerbation, et surtout la qualité de vie.
En principe, cette dernière peut être améliorée et maintenue le plus longtemps possible, notamment en arrêtant de fumer, en suivant une thérapie médicamenteuse avec la meilleure technique d’ inhalation possible et en pratiquant une activité physique régulière avec un entraînement au moins deux fois par semaine.

Cet article est une traduction de « der informierte arzt » 09_2020

Copyright bei Aerzteverlag medinfo AG

Dr. med. Andreas Piecyk

LungenZentrum Hirslanden
Witellikerstrasse 40
8032 Zürich

a.piecyk@lungenzentrum.ch

L’ auteur a déclaré n’ avoir aucun conflit d’ intérêts en rapport avec cet article.

  • Le traitement de la BPCO dépend principalement des symptômes et de la fréquence d’ exacerbation.
  • Les bronchodilatateurs à action prolongée (LAMA et LABA) sont la thérapie de base chez les patients symptomatiques atteints de BPCO.
  • Les stéroïdes inhalés (CSI) ne doivent être utilisés qu’ en cas de risque élevé d’ exacerbation (plus de deux exacerbations ou au moins plus d’ une hospitalisation pour exacerbation par an) et éventuellement lors d’ une augmentation du nombre d’ éosinophiles (supérieure à 300/µl) ou en cas d’une composante asthmatique.
  • Le traitement de la BPCO doit être régulièrement revu et ajusté si nécessaire, et une éventuelle désescalade du traitement doit être envisagée, notamment en ce qui concerne le traitement par CSI.
  • L’ arrêt du tabagisme, la révision régulière des techniques d’ inhalation et les recommandations pour une activité physique régulière, éventuellement dans le cadre d’ une rééducation ambulatoire ou hospitalière, sont des composantes essentielles de la thérapie.

Graf J, Jörres RA, Lucke T, Nowak D, Vogelmeier C, Ficker JH : Traitement médical de la BPCO – une analyse de la prescription conforme aux directives dans une large cohorte nationale (COSYCONET). Dtsch Arztebl Int 2018 ; 115 : 599-605. DOI : 10.3238/arztebl.2018.0599
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L’ utilisation des opioïdes du point de vue des spécialistes de la douleur

La crise des opiacés aux États-Unis a culminé en 2015 par une forte augmentation de la dépendance aux opioïdes et des décès qui en découlent. Le marketing agressif de certaines sociétés pharmaceutiques, utilisant une stratégie banalisant les opiacés, a conduit à la prescription d’ opioïdes à action rapide à une plus large population de patients. Dans la première partie de cet article (1), l’ importance de la thérapie aux opiacés et l’ approche rationnelle et pratique de la thérapie analgésique aux opiacés ont été discutées de manière critique par rapport aux conditions suisses. Dans la deuxième partie, les opiacés autorisés dans ce pays sont présentés, des réflexions sur la sécurité des opioïdes en Suisse sont exposées et la question initiale à propos d’ une crise imminente des opioïdes en Suisse est abordée en détail.

En vue d’ une utilisation appropriée des opioïdes, évitant une prescription excessive, mais aussi la rétention non raisonnable d’ opiacés, il est utile de connaître les substances actives actuellement disponibles en Suisse (box 1).

La Suisse est-elle aujourd’ hui menacée par une crise des opiacés, analogue à celle des États-Unis ?

Pour anticiper la réponse : nous ne le savons pas, mais en tant que spécialistes de la douleur, nous avons la possibilité d’ empêcher cela.
La prescription et l’ utilisation d’ opiacés ont également augmenté de façon spectaculaire en Suisse ces dernières années (2). Cela correspond à ce qui se passe dans d’ autres pays européens. Les indications pour lesquelles les opiacés sont aujourd’ hui de plus en plus souvent prescrits sont également des affections douloureuses non tumorales en Suisse, bien que le rapport risques/bénéfices ne soit pas toujours positif. Entre 2006 et 2013, la prescription d’ opioïdes faibles pour 100 000 personnes en Suisse a augmenté de 13 % et de 121 % pour les opioïdes forts. Parmi ces derniers, le fentanyl était le plus utilisé, avec une augmentation de 91 % entre 2006 et 2013, suivi de la buprénorphine et de l’ oxycodone. L’ augmentation proportionnelle la plus importante de la consommation en équivalents de morphine pour 100 000 personnes a été enregistrée pour la méthadone (+ 1414 %) et l’ oxycodone (+ 313%). Il existe de fortes différences géographiques entre les différents cantons. A Fribourg, par exemple, qui est en tête, la prescription d’ opioïdes forts a augmenté de 270 % pendant cette période, dans le canton du Jura de 260 %, à Bâle-Ville de 219 %, à Uri de 220 % et à Schaffhouse de 201 % (2). Par ailleurs, la prescription d’ analgésiques non opiacés a également augmenté rapidement au cours de cette période : en Suisse, la prescription de métamizole, par exemple, a augmenté de 324 % et celle des AINS de 124 %. Il est inquiétant de constater que les formes galéniques à courte durée d’ action telles que les formulations orales (+ 509 %) ou sublinguales (+ 301 %) ont été prescrites plus fréquemment pour les opioïdes.
En comparaison, au cours des 20 dernières années, la prescription d’ opioïdes forts a été multipliée par 14 aux États-Unis. Cela s’ est accompagné d’ un risque accru de surdoses accidentelles. En Europe, cela a été moins évident et le risque de devenir dépendant de la prescription chronique d’ opioïdes est considéré comme faible dans ce pays (3). La principale exception concerne les surdoses de fentanyl, qui sont plus souvent responsables de décès en Europe (orientale). Aux États-Unis, il s’ agissait principalement de combinaisons d’ oxycodone ou d’ hydrocodone et d’ alprazolam. Les décès enregistrés dans les statistiques sur la crise des opioïdes aux États-Unis étaient dans 75 % des cas une combinaison d’ opioïdes avec des sédatifs tels que l’ alcool, les benzodiazépines ou les antihistaminiques. En Europe, la crise des opiacés est également perçue comme un phénomène de misère économique dans les zones désindustrialisées des États-Unis (4).
Dans ce contexte, il convient de différencier précisément si la dépendance et l’ overdose ont été créées et enregistrées par la consommation de drogues illicites ou dans le cadre d’ une thérapie de la douleur. En Europe, l’ héroïne est utilisée comme drogue par 80 % des clients qui entrent en traitement de sevrage. Viennent ensuite la méthadone (8 %), la buprénorphine (5 %), le fentanyl (0,3 %) et d’ autres opioïdes (7 %) (5). L’ héroïne n’ occupe pas une place importante dans le traitement de la douleur en Europe, on peut donc supposer que la majorité des addictions se produisent dans le cadre d’ un abus illégal plutôt que d’ un traitement de la douleur.
Cependant, il est clair que les opioïdes à action particulièrement rapide comme l’ oxycodone ou la préparation de suivi Oxycontin, qui en plus d’ un soulagement rapide de la douleur activent également plus fortement le centre de récompense central, sont plus susceptibles de provoquer une dépendance que les préparations retardées – même le Dr House, qui devrait mieux le savoir, a été touché par cela. L’ oxycodone a été utilisé pour la premièrefois dans la thérapie de la douleur en 1919. En Europe, la substance a été rapidement réglementée, disponible uniquement sur prescription de stupéfiants et, dans l’ intervalle, même retirée du marché en raison d’ un risque accru de dépendance. Aux États-Unis, en revanche, l’ oxycodone a été mis sur le marché sans interruption, suivi de la préparation de la famille Sackler, l’ Oxycontin. Son potentiel de dépendance a été banalisé et la substance a fait l’ objet d’ une publicité intensive, et des sommes énormes ont été dépensées en publicité active et en dons aux médecins prescripteurs. Entre son lancement sur le marché en 1996 et l’ an 2000, sa prescription avait déjà été multipliée par 18. Et les toxicomanes ont découvert que la substance pouvait également être utilisée par voie intraveineuse sous forme moulue au pilon – ce qui a entraîné de nombreuses intoxications et décès accidentels. En Suisse, les antécédents de toxicomanie positifs constituent donc l’ une des contre-indications à l’ utilisation des opioïdes, telles que définies par les lignes directrices. Après le scandale qui a entouré la société Purdue et les peines record qu’ elle a encourues pour la commercialisation illégale de l’ Oxycontin, il est peu probable que les mêmes erreurs soient commises en Europe (6). Pour des raisons réglementaires uniquement, une pratique de commercialisation similaire serait impossible chez nous.
Malheureusement, nous lisons actuellement un flot de commentaires de thérapeutes plus ou moins bien versés dans la thérapie de la douleur, selon lesquels les opioïdes sont dangereux, responsables d’ une vague de décès évitables et que cette classe de substances devrait être complètement interdite. Il est frappant de constater que ces commentaires proviennent souvent de thérapeutes qui travaillent dans le domaine de la médecine alternative et font ainsi la promotion de leurs services et/ou ont peu à voir avec le traitement des patients souffrant de douleurs chroniques et graves. Voici une comparaison simple : les antibiotiques, les benzodiazépines ou l’ insuline sont des médicaments précieux, pour autant qu’ ils soient utilisés de manière ciblée, bien dosés et conformément aux directives thérapeutiques en vigueur. Si elles sont utilisées en trop grande quantité ou de manière non critique, ces substances sont dangereuses – pourtant, personne ne prétendrait que ces substances sont si risquées ou nocives qu’ elles ne devraient plus être utilisées. Il en va de même pour les opioïdes : cette classe de substances est efficace et, si elles sont utilisées avec habileté (ce qui nécessite à la fois un médecin et un patient informés), les risques sont limités.

Un cas particulier fréquent : le traitement analgésique du patient âgé

Cette situation présente de grands défis pour le thérapeute de la douleur. Pour des raisons démographiques, de plus en plus de patients âgés viennent nous voir pour une thérapie contre la douleur. Les analgésiques non opiacés sont souvent contre-indiqués chez les personnes âgées ou leur utilisation à long terme dans le traitement de la douleur chronique n’ a pas été étudiée. Un aperçu de l’ utilisation et des risques des analgésiques non opiacés chez les patients gériatriques se trouve sous (7).
Les opioïdes sont utilisés avec de larges preuves, en particulier chez les personnes âgées atteintes de cancer. Cependant, les attentes des patients à l’ égard de leur thérapie antidouleur semblent changer : Aujourd’ hui, un mode de vie actif avec la possibilité de participer à la vie sociale est plus important que jamais. De nombreux patients en Europe sont donc plus susceptibles de faire des concessions concernant leur douleur en faveur du maintien de la fonctionnalité. Les systèmes transdermiques de fentanyl ou de buprénorphine pour couper la douleur sont souvent préférés par ces patients.
Dans le traitement des douleurs non cancéreuses, il y a un manque d’ études à long terme sur les opioïdes chez les patients gériatriques. La sécurité et la tolérance doivent être assurées par un titrage individuel et un contrôle régulier des fonctions hépatiques et rénales. La douleur neuropathique nécessite généralement des doses d’ opioïdes plus élevées que la douleur nociceptive et, en particulier, la douleur neuropathique semble bien répondre à la buprénorphine. La buprénorphine est le seul opioïde qui ne soit pas limité par une fonction rénale réduite, de sorte que cette substance est préférée dans la population des patients gériatriques. Pour les autres opioïdes, il peut être nécessaire de réduire les doses et de les diviser en plusieurs doses individuelles.
Opioïdes et dépression respiratoire : les opioïdes doivent être utilisés avec prudence et retenue, en particulier chez les patients dont la réserve pulmonaire est limitée ou chez ceux qui prennent plusieurs substances qui sont des dépresseurs du système nerveux central. Là aussi, les systèmes transdermiques présentent des avantages (8).

La sécurité des opiacés en Suisse

Le fait que la crise des opiacés ait pu se développer aux États-Unis est un fait triste mais rétrospectivement compréhensible. La question est de savoir ce que nous pouvons apprendre de l’ expérience acquise et empêcher que la même chose ne se reproduise en Suisse. Prenons trois positions à ce sujet : Celles du médecin, du patient et du législateur.

Que peut faire le médecin pour éviter qu’ un trop grand nombre d’ opioïdes soit prescrit ?

Le médecin informé définit de manière étroite l’ indication des opioïdes, c’ est-à-dire en fonction des recommandations thérapeutiques valables et après avoir épuisé toutes les options disponibles et raisonnables, qui comprennent des thérapies pharmacologiques et non pharmacologiques. Il convient avec le patient des objectifs thérapeutiques clairs et réalisables et des consultations régulières de réévaluation. Les préparations de type retard, qui sont prises selon un régime de dosage fixe, sont préférables aux galéniques à action rapide. Ces médicaments doivent être réservés pour les pics de douleur. Le patient doit être informé en détail des effets indésirables et des risques potentiels, y compris le risque d’ accoutumance. Il convient de prendre contact avec les autres médecins qui traitent le patient et de se mettre d’ accord sur le responsable de la pharmacothérapie.

Que peut faire le patient pour éviter de devenir dépendant ?

Il est important que les objectifs du traitement soient convenus au début du traitement, si possible par écrit. Si le traitement alors effectué n’ atteint pas l’ objectif visé – par exemple, les opioïdes utilisés ne soulagent pas suffisamment la douleur – un nouveau régime de traitement doit être appliqué.
Le patient doit avoir des attentes réalistes en matière de thérapie – dans le cas de troubles douloureux sévères de longue durée, l’ absence totale de douleur est un objectif irréaliste. La réduction de la douleur, l’ amélioration de la fonctionnalité ou parfois simplement une meilleure gestion de la douleur sont souvent des objectifs réalistes.
En outre, le patient ne peut pas obtenir de médicaments dans différents endroits, ni se voir prescrire des médicaments par plusieurs médecins. Le médecin traitant doit être informé précisément des personnes qui ont participé à la thérapie jusqu’ à présent et des mesures qui ont été prises. Une communication ouverte et une relation patient/médecin intacte sont obligatoires.
Et, ce qui devrait aller de soi, le patient ne doit pas consommer de substances illégales en plus. Le praticien doit également être informé sur la consommation de cannabis.

Que peut faire le législateur pour garantir que les opioïdes ne soient pas trop prescrits ?

La prescription d’ opiacés en Suisse est clairement réglementée et trouve un équilibre optimal entre une prescription contrôlée et une disponibilité facile à des fins médicales. Il serait plus facile de stocker les données du patient sur une carte, indiquant ce qui a déjà été prescrit au patient dans chaque cas individuel et par qui – non seulement en ce qui concerne les opioïdes, mais aussi d’ autres substances éventuellement en interaction que le prescripteur devrait connaître. Une transparence accrue pourrait conduire à une amélioration de la sécurité des médicaments et donc de la sécurité des patients. Les pharmaciens et les assureurs travaillent depuis longtemps sur des solutions appropriées, qui n’ ont pas encore été mises en œuvre, principalement pour des raisons de protection des données.

Cet article est une traduction de « der informierte arzt » 06_2020

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dr. med. Antje Heck

Fachärztin für Klinische Pharmakologie und Toxikologie FMH
Fachärztin für Anästhesie FMH, Schmerzspezialistin SGSS
Leiterin Sprechstunde Medikamente in Schwangerschaft und Stillzeit
Oberärztin Psychiatrische Klinik Königsfelden
Postfach 432
5201 Brugg

antje.heck@pdag.ch

Prof. Dr. med. Eli Alon

Facharzt für Anästhesiologie FMH, Schmerzspezialist SGSS
Professor für Anästhesiologie und Schmerzmedizin an der
Universität Zürich
Praxis für Schmerztherapie
Arzthaus Zürich City
Lintheschergasse 3
8001 Zürich

eli.alon@arzthaus.ch

Les auteurs ont déclaré qu’  ils n’  ont aucun conflit d’  intérêt en rapport avec cet article.

  • Les opioïdes jouent un rôle indispensable dans la thérapie moderne et multimodale de la douleur.
  • La peur n’ est pas de mise dans le traitement aux opiacés – un respect sain du prescripteur d’ opiacés est cependant approprié.
  • Un diagnostic ciblé, la maîtrise de l’ arsenal pharmacologique, un traitement conforme aux recommandations thérapeutiques et la définition d’ objectifs thérapeutiques contraignants sont autant de conditions préalables à la réussite du traitement des patients souffrant de douleurs chroniques. Il importe aussi de tirer pleinement parti des options de traitement non pharmacologiques, telles que la psychothérapie, la physiothérapie et les méthodes physiques.
  • De même, les analgésiques non opiacés et les co-analgésiques tels que les médicaments antiépileptiques et les antidépresseurs contribuent à minimiser le besoin d’ opiacés. Ici aussi, le principe est le suivant : autant que nécessaire, aussi peu que possible.
  • La fonctionnalité et la qualité de vie du patient font l’ objet d’ au moins autant d’ attention que la réduction de la douleur.
  • Des contrôles réguliers avec une surveillance étroite du patient informé sont une condition préalable pour prévenir le risque d’ utilisation incontrôlée des opioïdes, avec les conséquences correspondantes, comme l’ a démontré la crise des opioïdes aux États-Unis.

1. Heck A, Alon E: Einsatz von Opioiden aus der Sicht des Schmerztherapeuten
(Teil 1). Der informierte arzt 2020;10(4):10-12
2. Wertli M et al: Changes over time in prescription practices of pain medications in Switzerland between 2006 and 2013: an analysis of insurance claims. BMC Health Serv Res. 2017 Feb 27;17(1):167
3. Hess B et al: Relevance and Application if Opioids in the Treatment of Chronic Pain in Switzerland- a National Survey. PRAXIS 2015;104 (11):557-63
4. Daniel Ryser 16.10.2018. Wir haben keine Opioid- Krise. Wir haben eine Krise der Ignoranz. Republik.ch
5. INCP Annual Report 2018
6. Zeit online: Oxycontin. Die Pillendreher. Nr 49/ 2017
7. Heck A, Alon E: Nicht-Opioid-Analgetika in der Geriatrie. Der Informierte Arzt 2019;9(9):33-37
8. Pergolizzi J et al: Opioids and the management of chronic severe pain in the elderly: consensus statement of an International Expert Panel with focus on the six clinically most often used World Health Organization Step III opioids (buprenorphine, fentanyl, hydromorphone, methadone, morphine, oxycodone). Pain Pract. 2008 Jul-Aug;8(4):287-313.

Agitation chez la personne âgée en institution

Les troubles du comportement chez les patients gérontopsychiatriques sont souvent de nature multifactorielle et nécessitent une évaluation systématique et multi-professionnelle. La détection et le traitement précoces d’ éventuelles causes psychologiques ou somatiques peuvent les atténuer et prévenir le risque de développer un délire.

Avec l’ âge et le développement de la multi-morbidité, les soins adéquats pour les patients gérontopsychiatriques ne peuvent être fournis que dans des institutions spécialisées, en fonction de l’ individu et de ses propres ressources psychosociales. Les troubles du comportement tels qu’ une grave agitation psychomotrice, des tendances à la fugue et des cris forts sont de plus en plus fréquents dans la routine quotidienne d’ une maison de retraite. Ceux-ci représentent souvent une constellation de soins et de traitements difficiles pour le personnel spécialisé respectif. En conséquence, les collègues praticiens sont invités à donner leur avis et la quête de l’ objectif réel peut être difficile. Les troubles du comportement ne sont pas seulement les compagnons d’ une démence, ils ont souvent des causes compréhensibles et potentiellement réversibles.

Les troubles du comportement dans la démence et les troubles affectifs

Les troubles du comportement chez les patients atteints de démence sont également connus sous le nom de symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD). Ceux-ci peuvent prendre la forme d’ une hyperactivité motrice, d’ une agressivité verbale ou physique ainsi que de troubles du rythme veille-sommeil. Souvent, on observe également un phénomène dit de « coucher du soleil », dans lequel une accentuation de l’ agitation se manifeste vers les heures du soir. Ces symptômes non cognitifs sont souvent associés à des peurs diffuses, des hallucinations, des délires et des fluctuations sur le plan émotionnel. Schröder et. al. (1) ont décrit le comportement psychotique et agressif comme le symptôme le plus courant parmi ceux mentionnés ci-dessus. En revanche, d’ autres études décrivent l’ agitation comme le trouble du comportement le plus fréquent chez les patients gérontopsychiatriques avec 55% (2). Ce terme est utilisé pour décrire un ensemble de symptômes non spécifiques, qui comprend des troubles psychiatriques, tels que des troubles affectifs et psychotiques, ainsi que des processus neurodégénératifs, tels que la démence ou la maladie de Parkinson, comme causes possibles. Les troubles du comportement peuvent également être causés par la dépression, avec une prévalence allant jusqu’ à 2/3 chez les patients atteints de démence (3). Les directives suisses pour le diagnostic et le traitement des SCPD ont été publiées dès 2014 par Savaskan et al. (4).

Causes psychiatriques possibles

Dans le contexte d’ une maladie neurodégénérative, jusqu’ à 96 % des personnes touchées peuvent développer un « comportement difficile » avec des symptômes tels que l’ agitation, l’ apathie et l’ hostilité (5). Les facteurs déclenchants peuvent être multifactoriels et potentiellement réversibles (tab. 1).
Selon de nombreuses études, ceux-ci peuvent être dus à un déséquilibre au niveau de l’ axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien entraînant une perturbation du système des neurotransmetteurs (hypothèse dite métabolique (6, 7)). Dans les premiers stades de la démence d’ Alzheimer, on décrit une atrophie des systèmes limbique et para-limbique, qui peut provoquer une perturbation de la régulation de la dopamine. En conséquence, des symptômes tels que l’ agressivité et le délire peuvent apparaître. D’ autre part, comme dans la démence frontotemporale, l’ agitation s’ explique principalement par des phénomènes de désinhibition. Les variations de l’ affect avec une évolution fluctuante et une détérioration « par paliers » sont fréquemment observées dans les démences d’ origine vasculaire. D’ autres maladies neurologiques telles que les accidents cérébrovasculaires à gauche conduisent souvent à des troubles organiques-affectifs avec des symptômes tels que la dépression, la psychose et l’ agressivité (8). De nombreux autres patients souffrant de démence ou d’ une maladie neurologique avec un trouble du système langagier ne sont plus capables d’ exprimer correctement des besoins primordiaux tels que la faim, la soif, l’ envie d’ uriner ou la douleur et réagissent donc avec une agitation et une agressivité accrues. Un autre point important est la gravité d’ un trouble affectif et psychotique préexistant et la présence d’ une accentuation de la personnalité déjà pré-morbide. Avec l’ âge et les changements organiques cérébraux qui en résultent, ceux-ci peuvent entraîner une accentuation, voire une exacerbation de la maladie sous-jacente.

Diagnostic différentiel somatique de l’ agitation

Les maladies somatiques telles que les troubles métaboliques (diabète ou hypo-/hyperthyroïdie), les infections aiguës (principalement d’ origine urogénitale ou pulmonaire), la déshydratation ou les troubles électrolytiques peuvent également être à l’ origine de troubles du comportement. Chez les patients gérontopsychiatriques, la multi-morbidité est souvent présente en pratique et la polypharmacie peut favoriser les exacerbations délirantes. Les éventuelles interactions ou adaptations de la médication, tant psychiatriques que somatiques, doivent être spécifiquement prises en compte. Les médicaments ayant des effets anticholinergiques, en particulier, provoquent souvent des états confusionels. Des préparations telles que les médicaments antiparkinsoniens, les anticonvulsivants, les opiacés et les antibiotiques (tab. 2) peuvent également déclencher des états d’ agitation. De même, les maladies neurologiques telles que les crises d’ épilepsie (état épileptique non convulsif, état post-ictal), les attaques cérébrales, les encéphalites et les hématomes sous-duraux sont des diagnostics différentiels importants pour l’ agitation.
En résumé, la détection et le traitement précoces d’ éventuelles constellations somatiques instables sont souvent utiles pour contrer les états délirants.

Facteurs psychosociaux importants

Les changements rapides et répétés de l’ environnement sont des facteurs de risque pour les patients gérontopsychiatriques en raison d’ un manque de traitement cognitif et sont tout aussi souvent la cause du développement de l’ agitation et de la confusion. Par conséquent, il est préférable que les soins médicaux et infirmiers soient dispensés dans un environnement familier. De même, les séparations et les interactions difficiles avec des parents ou des colocataires peuvent déclencher une augmentation des problèmes de comportement.

L’état confusionelle (delirium)

Le delirium est l’ une des causes possibles et frequentes d’ une confusion et d’ une agitation aiguë. Dans ce syndrome aigu essentiellement réversible, les symptômes présentent des fluctuations et des variations quotidiennes considérables. Pour le diagnostic d’un état confusionnel, cependant, la simple détection d’ une agitation sévère avec confusion n’ est pas suffisante ; selon les critères actuels de l’ ICD-10, les caractéristiques du tableau 3 doivent essentiellement être remplies.

Les symptômes typiques du delirium comprennent des altérations de la conscience (à la fois quantitatifs et qualitatifs), des troubles cognitifs sévères et une agitation psychomotrice.
Sur le plan biochimique, le délire conduit à un état hyperdopaminergique central et à un état anticholinergique périphérique. Les symptômes non centraux comprennent la déshydratation, les températures élevées, la rétention urinaire, la constipation et les troubles cardiovasculaires (9), qui peuvent avoir des conséquences potentiellement mortelles. Pour la mesure quantitative des états délirants, des tests neuropsychométriques bien établis sont disponibles, tels que la méthode d’ évaluation de la confusion CAM (angl. « Confusion Assessment Method ») (tab. 4), la CAM-ICU (« Confusion Assessment Method for the ICU ») ou l’ échelle d’ évaluation du delirium DRS (angl. « Delirium Rating Scale ») pour déterminer la gravité de l’état confusionnel. Elles peuvent être utiles pour faire la distinction entre les troubles du comportement courants et le delirium.

Les symptômes de l’état confusionnel peuvent se manifester aussi bien dans le contexte de la démence que dans le cas de maladies non dégénératives, telles que le sevrage ou l’ intoxication médicamenteuse. Il est parfois difficile de distinguer le delirium d’ une démence progressive. L’ évolution d’ une maladie neurodégénérative, par opposition à un état confusionnel, montre une détérioration progressive des troubles du comportement ; la conscience est bien conservée et, bien que des délires et des hallucinations puissent se produire, ils ne sont pas au premier plan. La détection et le traitement précoces des éventuels facteurs de risque et symptômes de l’état confusionnel peuvent entraîner une amélioration rapide des troubles du comportement chez les patients âgés.

Cet article est une traduction de « der informierte arzt 11_2019

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Dr. med. Michele Heinz Marchese

Sanatorium Kilchberg AG
Alte Landstrasse 70
8802 Kilchberg

micheleheinz.marchese@sanatorium-kilchberg.ch

L’ auteur a déclaré n’ avoir aucun conflit d’ intérêts en relation avec cet article.

  • L’ agitation et la confusion sont courantes chez les patients en psycho-gériatrie et touchent jusqu’ à deux tiers de tous les résidents dans la plupart des établissements gériatriques (10).
  • Des maladies psychologiques et somatiques peuvent être à l’ origine des symptômes. Dans le domaine psychique, la démence et les troubles affectifs/psychotiques sont les déclencheurs les plus fréquents.
  • Les états confusionnels doivent également être évalués dans le diagnostic différentiel des troubles graves du comportement. Ceux-ci se distinguent des autres maladies psychiatriques, en partie par une apparition soudaine et une symptomatologie fluctuante.
  • En principe, toute maladie et toute modification des facteurs externes (par ex. un changement de lieu) peuvent déclencher un état confusionnel.
  • Il peut souvent être difficile de distinguer une cause psychologique ou somatique de troubles du comportement peu clairs. En raison de l’ insuffisance et du manque de verbalisation d’ éventuelles plaintes somatiques chez les patients âgés, une clarification somatique approfondie est toujours nécessaire et souvent ciblée. En plus des examens cliniques et de laboratoire, il faut également envisager des dosages de substances thérapeutiques pouvant mener à des interactions médicamenteuses, des intoxications et des états confusionnels.

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Liste des tableaux :
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Tab. 2 Modified from Jenewein, Josef & Büchi, S. (2007). The neurobiology and pathophysiology of delirium. Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie. 158. 360-367
Tab. 3 Internationale statistische Klassifikation der Krankheit und verwandter Gesundheitsprobleme, 10. Revision. H. Dilling, W. Mombour, M.H. Schmidt, Hogrefe.
Tab. 4 Inouye SK et al., Clarifying Confusion: The Confusion Assessment Method. A New Method for Detection of Delirium. Ann Intern Med. 1990; 113;941-8

Evaluation gériatrique avant une intervention cardiaque

Les nouvelles techniques opératoires et percutanées permettent la prise en charge de patients avec pathologies cardiaques de plus en plus âgés, donc plus fragiles et à risque de complications. Nous présentons ici quelques dimensions à évaluer au moyen d’  outils simples et rapides à appliquer qui permettront aux généralistes, cardiologues et chirurgiens cardiaques d’  identifier les patients à risque, ainsi que des propositions d’  optimisation pré-interventionnelles.

Les nouvelles techniques (chirurgie minimalement invasive, interventions percutanées comme le TAVR = Transcatheter Aortic Valve Replacement) permettent de traiter des pathologies cardiaques chez des patients âgés qui, il y a quelques années, auraient été récusés en raison des risques opératoires. Certains patients âgés ont une réserve physiologique diminuée face à un problème de santé aigu, c’   est ce que l’  on appelle la fragilité (1, 2). Selon les modèles utilisés, jusqu’  à 17  % de la population de plus de 65 ans présente une fragilité (3). La fragilité influence négativement la trajectoire des patients souffrant de maladies cardio-vasculaires (4), d’  insuffisance cardiaque (5, 6), de syndrome coronarien aigu (7). C’  est aussi le cas chez les patients nécessitant une intervention cardiaque chirurgicale (8, 9) ou percutanée (sur les coronaires (10) ou la valve aortique (8, 11-13)).
L’  évaluation du risque opératoire lors d’  intervention cardiaque se fait à l’  aide de scores spécialisés: le STS (Society of Thoracic Surgeons) score (14) et l’  Euroscore II (15). Ces scores renseignent sur la probabilité de mortalité et le risque de complications, sans tenir compte des problèmes gériatriques. L’  évaluation gériatrique préopératoire est bien décrite (16-18) et permet d’  identifier les patients fragiles à risques de complications et de mettre en œuvre des mesures préventives. Une évaluation gériatrique complète prend du temps et n’  est pas toujours réalisable, tant au cabinet du généraliste que chez le cardiologue ou le chirurgien.
Nous proposons ici quelques outils simples et rapides pour identifier les patients à risques lors d’  intervention cardiaque et quelques propositions de prise en charge préopératoire qui en découlent (fig. 1).

Evaluation gériatrique et propositions de prise en charge : Les « 6 M  »

Mémoire  : Le dépistage des troubles mnésiques avant une intervention est important pour l’  appréciation de la capacité de discernement du patient concernant la procédure proposée et la préparation de ses directives anticipées. Les patients souffrant de troubles cognitifs ont, par rapport à des patients sans problèmes mnésiques, un risque accru de complications postopératoires (41 % vs 24  %; p  =  0.011), d’  état confusionnel (78  % vs 37  %; p < 0.001), d’  institutionnalisation (42  % vs 18  %; p = 0.001) et de décès à 6 mois (13  % vs 5  %; p  =  0.040), ceci pour des interventions cardiaques, digestives, vasculaires ou thoraciques (19). Les troubles cognitifs peuvent être dépistés par le Mini-Cog (http://mini-cog.com/wp-content/uploads/2019/12/Standardized-Mini-Cog-1-19-16-FR_v1-hi-3.pdf)(20). S’  il est anormal (<  3), un bilan plus poussé devrait être effectué (gériatre, centre de la mémoire). Les troubles neurocognitifs majeurs ne sont pas réversibles ni modifiables par une prise en charge préopératoire, mais leur identification rend indispensable le dépistage de l’  état confusionnel avec la CAM (Confusion Assessment Method (21)) et la mise en place de mesures de prévention (22,  23). La présence de troubles cognitifs, dès le stade modéré, doit entrer dans la réflexion sur l’  indication à une procédure élective, qui n’  apporterait alors que peu ou pas de bénéfice sur le devenir cognitif et fonctionnel du patient.

Moral  : Une dépression préopératoire augmente le risque d’  état confusionnel après un pontage aorto-coronarien d’  un facteur 10 (Adj OR 9.92; 95 % CI : 1.26-77.88)(24), et double le risque de décès (Adj HR 2.37; 95  % CI : 1.40-4.00; p  = 0.001) (25). Le risque de mortalité après un changement de valve aortique (chirurgical et TAVR) est également augmenté en cas de dépression, tant à 1 mois (OR 2.20; 95   %CI : 1.18-4.20) qu’  à 12 mois (OR 1.53; 95   % CI : 1.03-2.24) (26). Un outil de dépistage simple et rapide pour évaluer la présence d’  une dépression est le miniGDS à 4 items (27) qui est positif si score ≥   1 (tab.  1). En cas de suspicion de dépression ou d’  anxiété quant à l’  intervention, une préparation psychologique pourrait être bénéfique (28), même si les modalités d’  une telle intervention et les données de la littérature sont encore lacunaires (29).

Manger  : Avant une chirurgie cardiaque, 20  % des patients présentent une malnutrition (30). Après une chirurgie cardiaque, les patients malnutris ont plus de complications (OR 2.9; 95   % CI  :1.7-4.8; p  <  0.001) et une mortalité augmentée (OR 3.8; 95 % CI  :1.5-9.4; p  =  0.004)(31). Pour le TAVR, la mortalité est également élevée pour les patients à risque nutritionnel modéré (OR 1.94; 95  % CI  :1.33-2.84; p  <  0.001) ou élevé (OR 4.16; 95  % CI : 2.61-6.63; p  <  0.001)(32). Un outil de dépistage simple est le Mini Nutritional Assessment Short-Form (33) (https://www.mna-elderly.com/forms/mna_guide_french.pdf ) facile à remplir et à interpréter (pathologique si score <  12). Cet outil a été utilisé par nos collègues bernois chez des patients avec TAVR et est corrélé avec un risque de mortalité plus élevé à 30 jour (OR 1.30; 95  % CI : 1.03-1.66; p  =  0.03) et à un an (OR 1.27; 95   % CI :1.06-1.52; p = 0.01) (13), ainsi qu’  à une augmentation du risque de déclin fonctionnel (OR 3.32; 95 % CI  : 1.24-8.87; p  =  0.02) (12). Il n’  y a pas pour l’  instant de données probantes dans la littérature quant à une intervention nutritionnelle pré-intervention cardiaque (34). Il est donc pragmatiquement proposé (34, 35) de se référer aux programmes existants, comme l’  ERAS (Enhanced Recovery After Surgery) de la chirurgie digestive qui prévoit une évaluation et une optimisation nutritionnelle préopératoire (30) (p.ex. avec des suppléments oraux) et une limitation des périodes de jeûne pré- et post-opératoire.

Médicaments  : En Suisse, près de 40 % des personnes de 71 à 75 ans et 50  % à partir de 81 ans consomment ≥  5 médicaments/j (36). Le risque d’  interactions médicamenteuses, d’  effets secondaires et de prescriptions médicamenteuses potentiellement inappropriées est donc important chez les seniors. En Suisse, parmi les 15 prescriptions médicamenteuses potentiellement inappropriées les plus fréquentes, on retrouve 4 traitements cardiaques (36). La planification d’  une intervention cardiaque peut donc être l’  occasion de faire le tri des médicaments avec deux outils d’  évaluation des prescriptions : les critères de Beers (37) et le STOPP/START (38).

Maison : L’  indépendance à domicile s’  évalue avec les activités de la vie quotidienne (AVQ) de base et instrumentales (39,  40) qui reflètent respectivement les tâches simples permettant d’  être indépendant chez soi (toilette, habillage, transferts, aller aux WC, continence et manger) et celles plus complexes assurant une indépendance dans un environnement plus large (factures, médicaments, transports, lessive, ménage, repas, commissions, téléphone) au quotidien. Une perte nouvelle dans certaines AVQ instrumentales (finances, transport, commission ou téléphone) peut être un signe précurseur de démence. Un déclin dans les AVQ de base survient dans les derniers 12-24 mois de vie chez les patients avec des maladies chroniques (41) et/ou une fragilité (41,  42). Il importe de tenir compte de ces éléments fonctionnels et pronostics par rapport à une décision thérapeutique, ainsi que pour anticiper les besoins en soutien à domicile après l’  intervention.

Mobilité : Un bon prédicteur de mortalité après intervention cardiaque est la mesure de la vitesse de marche sur 5 mètres (cut-off à
6 secondes, i.e. 0.83  m/secondes) (43). Selon une étude de cohorte prospective (8287 patients), la mortalité à un an après chirurgie cardiaque augmente de plus de 2 fois par perte de 0.1  m/sec. de la vitesse de marche (HR de 2.16 par 0.1 m/sec; 95 % CI  :1.59-2.93) (44). Un autre test encore plus simple consiste à demander au patient s’  il a chuté. Une étude a montré que les patients ayant chuté 1 fois dans les 6 derniers mois avaient, après une chirurgie cardiaque par rapport à des non chuteurs, un risque augmenté de complications (39   % vs 15 %; p = 0.002), de réadmission à 30 jours (23 % vs 8   %; p  =  0.002) et d’  institutionnalisation (62 % vs 32  %; p  =  0.001), ceci indépendamment de l’  âge (45). Une réadaptation préopératoire à une intervention cardiaque pourrait donc être proposée aux patients chuteurs ou dont la vitesse de marche est diminuée. Pour l’  instant, l’  impact d’  un renforcement musculaire avant une chirurgie cardiaque a surtout été démontré sur les complications respiratoires et les durées de séjour (46).

Conclusion

L’   indication à une intervention chez les patients âgés doit prendre en compte l’  impact attendu sur la survie, la qualité de vie, mais aussi sur l’  état fonctionnel et cognitif du patient.
On notera ici avec intérêt le programme « NEW  » (Nutritional status, Exercise capacity, Worry reduction) qui offre, comme dans les programmes ERAS, une prise en charge multimodale avec de la physiothérapie et un soutien nutritionnel et psychologique (28). Ces nouvelles prises en charges multidimensionnelles et multimodales semblent très prometteuses mais nécessitent encore d’  être validées lors d’  études interventionnelles.

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Dr Marc Humbert

Service de Gériatrie et réadaptation gériatrique,
Centre hospitalier universitaire vaudois
Ch. de Mont Paisible 16
1011 Lausanne

marc.humbert@chuv.ch

Pr Christophe Büla

Service de Gériatrie et réadaptation gériatrique,
Centre hospitalier universitaire vaudois
Ch. de Mont Paisible 16
1011 Lausanne

Les auteurs n’  ont pas de conflit d’  intérêts à déclarer.

  • Certains éléments de l’  évaluation gériatrique de base peuvent être rapidement et simplement effectués de routine au cabinet et permettre de dépister les patients à risques de complications et qui nécessiteraient un appui gériatrique péri-opératoire.
  • La prise en charge avant une intervention élective du patient âgé, par une amélioration de l’  état nutritionnel et musculaire, devrait permettre une meilleure tolérance des patients au stress opératoire.

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L’ utilisation des opioïdes du point de vue des spécialistes de la douleur

La crise des opiacés aux États-Unis a culminé en 2015 par une forte augmentation de la dépendance aux analgésiques opioïdes et des décès qui en découlent. Le marketing agressif de certaines sociétés pharmaceutiques, utilisant une stratégie qui banalisait les opiacés, a abouti à la prescription d’ opiacés à action rapide à une plus large population de patients. Dans cette première partie de l’ article, l’ importance de la thérapie aux opiacés et l’ approche rationnelle et pratique de la thérapie analgésique aux opiacés sont examinées de manière critique par rapport aux conditions suisses. Dans une deuxième partie, les opiacés autorisés et des réflexions sur la sécurité de ceux-ci en Suisse sont présentés, et la question initiale concernant une crise imminente des opioïdes en Suisse est discutée en détail.

La crise des opioïdes aux États-Unis a culminé en 2015 avec une forte augmentation du nombre de toxicomanes et de décès liés aux opioïdes (2016 : 42 000) (1, 2). La plupart des victimes étaient devenues dépendantes d’ opioïdes à courte durée d’ action qui étaient initialement prescrits de manière légale. La douleur chronique est fréquente : en 2018, 25 millions de personnes aux États-Unis ont été touchées (1, 2). Le marketing agressif de certaines sociétés pharmaceutiques, qui ont recours à une stratégie qui banalise les opioïdes, a conduit à la prescription d’ opioïdes à action rapide à une population de patients plus large et à l’ extension des indications de cette classe d’ analgésiques qui étaient auparavant réservées aux affections graves ou pré-finales, à des douleurs plus légères et nociceptives. En outre, les « moulins à pilules », c’ est-à-dire les cliniques ou les pharmacies qui fournissent des opioïdes à bas seuil, ont été un facteur pionnier de la crise des opioïdes (3, 4).
De nombreux patients devenus dépendants de cette manière sont ensuite passés à des opioïdes moins chers et parfois acquis illégalement, comme le fentanyl ou l’ héroïne. Aujourd’ hui, on estime qu’ un million d’  Américains consomment de l’ héroïne. Dans 80 % d’ entre eux, la dépendance aurait commencé avec des analgésiques acquis légalement ou illégalement (1). Selon l’ OMS, 275 millions de personnes dans le monde sont dépendantes aux opioïdes en 2016, la majorité d’ entre elles étant dépendantes de drogues illégales (2). Chaque jour, 130 personnes meurent aux États-Unis d’ une surdose d’ un opioïde prescrit. En réponse, l’ état d’ urgence médicale a été déclaré aux États-Unis le 26 octobre 2017.
La question est maintenant de savoir si la crise des opiacés prend une dimension mondiale. Y a-t-il un danger similaire pour la Suisse ? Aux États-Unis, les géants pharmaceutiques ont eu la vie plus facile que dans notre pays : les réglementations sont moins strictes, le système d’ assurance est structuré différemment. En outre, les médecins tentent plus fréquemment d’ atteindre des objectifs thérapeutiques irréalistes, comme la promesse d’ une absence totale de douleur dans les troubles de la douleur chronique. Enfin, les États-Unis mettent l’ accent sur les options de thérapie pharmacologique ; il n’ y a souvent pas d’ argent pour un régime de thérapie multimodale et interdisciplinaire.
Dans ce contexte, examinons le traitement actuel de la prescription d’ opiacés en Suisse. Une crise des opiacés comme aux États-Unis ne semble pas se dessiner ici : Le nombre de personnes qui sont mortes d’ une surdose d’ opiacés en Suisse a considérablement diminué entre 2000 et 2016 (5). Toutefois, comme dans le reste de l’ Europe, la consommation d’ opioïdes a également augmenté depuis la publication de l’ échelle de la douleur de l’ OMS en 1986. Entre 1985 et 2015, la consommation suisse d’ opioïdes est passée de 18 à 421 mg/personne/an. Cela fait de la Suisse le septième des plus grands consommateurs d’ opiacés au monde (6).

Opioïdes : une seule pièce de puzzle dans une thérapie analgésique multimodale

L’ importance de la thérapie aux opiacés dans le cadre d’ un régime de thérapie analgésique est incontestée ; on utilise idéalement des substances spécifiquement ciblées dont la pharmacocinétique et la galénique sont adaptées au syndrome de douleur sous-jacent. Ainsi, des formes d’ application orales, buccales ou transdermiques, des substances à libération retardée ou rapide peuvent être sélectionnées et également combinées. En cours de traitement, l’ indication est alors réévaluée à plusieurs reprises, la pharmacothérapie est adaptée aux besoins actuels et éventuellement renouvelée pour éviter l’ accoutumance et l’ augmentation de la dose.
Un large éventail d’ analgésiques non opiacés et de co-analgésiques est à notre disposition et doit être utilisé soit en première intention, soit comme adjuvant. L’ utilisation d’ antidépresseurs et de médicaments antiépileptiques pour traiter la douleur neuropathique chronique est particulièrement fondée sur des preuves – ces substances obtiennent d’ excellents résultats dans de nombreux troubles de la douleur et la situation des données peut être qualifiée de très bonne. Les analgésiques non opiacés tels que le paracétamol, le métamizole et les AINS sont aussi largement utilisés, bien que des études à long terme sur la sécurité en cas d’ utilisation chronique manquent le plus souvent pour ces classes d’ analgésiques également. Malgré l’ usage répandu, les risques sont nombreux, même parmi ces classes de substances (7).
D’ autres piliers de la gestion d’ une thérapie analgésique seront appliqués. Les concepts multimodaux prennent en compte des options telles que les mesures physiques, la physiothérapie, la thérapie interventionnelle de la douleur et un large éventail de mesures de thérapie comportementale et d’ instructions pour faire face à la situation. Un large soutien de plusieurs piliers thérapeutiques devrait contribuer à minimiser le besoin d’ analgésiques. L’ objectif de la thérapie multimodale de la douleur reste – en dehors des indications palliatives – la restitution et le maintien de la fonctionnalité dans la vie quotidienne. On considère qu’ un objectif thérapeutique réaliste et réussi est atteint si une réduction de 50 % de la douleur est obtenue chez la moitié des patients souffrant de douleurs chroniques.

Thérapie opioïde rationnelle selon l’ indication

L’ utilisation des opiacés chez les patients en soins palliatifs est incontestée et probablement la moins problématique. Dans ce contexte, la réduction de la douleur et l’ amélioration de la qualité de vie sont les principaux objectifs thérapeutiques et toute dépendance éventuelle tend à passer au second plan.
La douleur cancéreuse est l’ une des indications établies pour les opioïdes. C’ était l’ objectif de la publication de l’ échelle de la douleur de l’ OMS, selon laquelle les analgésiques non opiacés sont administrés en premier, puis les opiacés légers et enfin les opiacés puissants dans un schéma progressif. Les analgésiques non opiacés, les médicaments antiépileptiques, les antidépresseurs et les stéroïdes sont combinés à tous les stades selon les besoins et en fonction de l’ indication (8).
L’ utilisation à long terme des opioïdes pour les douleurs non tumorales, en revanche, pose de nombreux défis aux médecins traitants et aux patients. Il importe donc d’ établir un médicament sûr et efficace, de manière transparente et conforme à l’ indication, en coopération avec le patient et les spécialistes concernés. En 2013, 7,4 % d’ un échantillon représentatif de la population étaient touchés par une douleur chronique et handicapante non liée à une tumeur (9). Les douleurs non liées à une tumeur entraînent une diminution du bien-être physique et psychique, de la qualité de vie, de la capacité de travail et des coûts directs et indirects élevés des soins de santé pour une grande partie des patients. En réponse, les analgésiques opioïdes faibles et forts ont également été augmentés en Europe et prescrits sur une plus longue période.
L’ utilisation à long terme d’ analgésiques contenant des opioïdes pour des douleurs non tumorales fait l’ objet d’ une discussion critique lorsqu’ il existe une divergence entre une large utilisation clinique et en même temps des preuves fragmentaires (9, 10, 11).
Les analgésiques opioïdes sont considérés comme une option thérapeutique pour le traitement à court terme, c’ est-à-dire un à trois mois, des douleurs arthrosiques, de la neuropathie diabétique, de la névralgie post-herpétique et des douleurs dorsales chroniques. Seul un quart des patients bénéficient d’ un traitement de longue durée (> 26 semaines).
Les indications possibles d’ une thérapie à long terme avec des analgésiques opioïdes, pour lesquelles il existe des preuves suffisantes, comprennent les douleurs dans l’ arthrose, la polyneuropathie diabétique, la névralgie post-zostérienne et les douleurs dorsales chroniques. Pour d’ autres syndromes de douleur, il y a un manque de consensus entre les experts et le traitement devrait être évalué comme une tentative de thérapie individuelle.
Les contre-indications comprennent les maux de tête primaires, la dépendance aux opioïdes, le syndrome de fibromyalgie, les maladies inflammatoires de l’ intestin, la pancréatite chronique et les troubles fonctionnels et mentaux dont le principal symptôme est la douleur. Le niveau de preuve le plus bas existe pour le traitement de la douleur après des lésions cérébrales, après des fractures vertébrales dans l’ ostéoporose manifeste, dans les maladies rhumatismales autres que la polyarthrite rhumatoïde, la douleur chronique postopératoire, la douleur dans la maladie artérielle périphérique occlusive, dans le décubitus ou les contractures chez les patients nécessitant des soins. Dans ces cas, une tentative de traitement individuel aux opioïdes peut être faite si nécessaire (9).
Lorsque l’ on envisage des études à long terme sur les analgésiques opioïdes pour la douleur non liée à une tumeur, il faut tenir compte des paramètres suivants, en plus du plan d’ étude et de la période d’ observation : l’ efficacité (en termes de réduction de la douleur, d’ amélioration du bien-être et de maintien de la fonctionnalité), la tolérance (nombre de patients qui ont dû interrompre l’ étude en raison d’ effets indésirables) et la sécurité (nombre d’ effets indésirables graves et nombre de décès).

Mise en pratique d’ une thérapie avec des analgésiques contenant des opiacés pour les douleurs non tumorales

Il y a beaucoup de choses à prendre en compte lors du traitement des patients souffrant de douleurs chroniques. Le choix du produit pharmaceutique à utiliser dépend de la maladie existante et des preuves scientifiques de l’ utilisation des opioïdes dans ce contexte, des maladies concomitantes, des contre-indications éventuelles, de l’ expérience individuelle du patient avec les analgésiques utilisés précédemment et de ses préférences. Dans la plupart des cas, l’ opioïde ne sera pas utilisé comme agent monothérapeutique, mais en combinaison avec d’ autres analgésiques et co-analgésiques efficaces au niveau central ou périphérique.
En règle générale, il n’ existe pas de traitement médicamenteux à lui seul pour les douleurs non tumorales en Suisse. Un concept de traitement intégratif durable comprend différents piliers de traitement qui, combinés, devraient permettre d’ obtenir une thérapie optimale de la douleur avec un minimum d’ effets indésirables.
Ces piliers du traitement comprennent les thérapies physiothérapeutiques et physiques, l’ éducation du patient et la psychothérapie, la modification du mode de vie si nécessaire, l’ information sur les possibilités et aussi les limites de la thérapie analgésique. Il est important à cet égard de susciter des attentes réalistes chez le patient en ce qui concerne le traitement par des analgésiques opioïdes ou de contrebalancer les attentes irréalistes. Les effets indésirables attendus et fréquents des médicaments (constipation, nausées, perte de libido, etc.) ainsi que les effets indésirables potentiellement graves des médicaments (dépendance, danger de chute, dépression respiratoire en cas de surdose, augmentation de la mortalité chez les patients gériatriques) et l’ influence sur la capacité de conduite doivent être communiqués avant le début du traitement. Des contrôles réguliers doivent être organisés afin de détecter les effets indésirables à un stade précoce et de garantir la sécurité et l’ efficacité du traitement. Il s’ agira notamment de revoir régulièrement les indications ainsi que d’ ajuster les doses ou de modifier les substances.
Dans la ligne directrice clinique sur l’ utilisation à long terme des opiacés pour les douleurs non tumorales (9), les recommandations clés suivantes, entre autres, sont données (résumées) :

1. Indication différentielle des analgésiques contenant des opioïdes : En fonction du tableau clinique et des besoins individuels du patient, l’ analgésique est choisi en fonction de ses propriétés pharmacodynamiques, cinétiques et galéniques.
2. Les préparations à longue durée d’ action avec des galéniques retardées doivent être préférées aux substances à courte durée d’ action.
3. Régime posologique : le produit ne doit pas être pris « à la demande », mais selon un calendrier prédéterminé.
4. Dosage : début de la thérapie avec de faibles doses, dose d’ entretien après avoir atteint les objectifs thérapeutiques préalablement formulés. La dose maximale de > 120 mg/j d’ équivalent morphine par voie orale ne doit pas être dépassée.
5. Durée de la thérapie : une thérapie > 3 mois ne doit être effectuée que pour les personnes qui répondent à la thérapie.
6. La réduction des doses et les interruptions de la médication doivent être visées après six mois afin de vérifier l’ efficacité des mesures de thérapie parallèle.
7. Une surveillance régulière de la thérapie avec les critères de sécurité, de tolérance et de mauvaise utilisation doit être effectuée dans le cadre d’ un traitement de longue durée aux opiacés.

Thérapie de la douleur basée sur des mécanismes

La thérapie de la douleur basée sur des mécanismes offre un outil valable dans le processus de décision permettant de traiter un syndrome de douleur de manière optimale sur le plan pharmacologique. On identifie d’ abord le caractère de la douleur : si le système musculo-squelettique est touché et si la douleur est liée au stress sans signe d’ inflammation, il s’ agit d’ une douleur nociceptive. L’ arthrose et le syndrome de douleur myofasciale en sont des exemples. Sur le plan pharmacologique, les analgésiques périphériques tels que les AINS, le métamizole ou le paracétamol sont utilisés dans un premier temps. L’ utilisation d’ opioïdes peut être envisagée dans un deuxième temps.
Si le système musculo-squelettique est touché et que des signes d’ inflammation sont présents, la douleur est nociceptive/inflammatoire avec activation et sensibilisation des nocicepteurs ainsi que sensibilisation centrale et expansion des champs de réception. Il s’ agit par exemple de l’ arthrite ou de l’ arthrose activée. Dans ce contexte, les AINS, les glucocorticoïdes et, à court terme, éventuellement les systèmes opioïdes transdermiques sont plus appropriés.
Si les structures nerveuses sont touchées, la douleur ressemble à une décharge électrique, rayonne et s’ il y a des symptômes neurologiques accompagnants, on parle de douleur neuropathique. La neuropathie diabétique ou la névralgie post-zostérienne en sont des exemples. Dans ce cas, de nouveaux canaux et récepteurs intensifiant la douleur sont synthétisés au niveau des structures nerveuses, ce qui entraîne une activité nerveuse spontanée et une sensibilisation centrale avec une inhibition endogène réduite de la douleur. La douleur neuropathique est traitée localement (lidocaïne, capsaïcine), avec des antidépresseurs et des antiépileptiques ainsi que des opiacés.
Enfin, si un patient présente une hyperalgésie générale, des symptômes végétatifs et éventuellement psychologiques sans résultats radiologiques ou chimiques de laboratoire appropriés, il s’ agit très probablement d’ une douleur multiloculaire. Les exemples seraient la douleur somatoforme ou le syndrome de fibromyalgie. Sur le plan physiopathologique, cela repose sur une réduction de l’ inhibition endogène de la douleur et une altération de la gestion de la douleur. Les antidépresseurs du groupe des tricycliques et des SNRI sont indiqués dans ce cas (12).

La dépendance aux opiacés chez les patients souffrant de douleurs chroniques

Nous distinguons la dépendance physique de la dépendance psychologique. L’ administration chronique d’ analgésiques opioïdes entraîne un développement de la tolérance – cependant, cela se produit rarement dans le contexte clinique et peut généralement être évité par une gestion appropriée des médicaments (par exemple, rotation des opioïdes). Elle conduit également à une dépendance physique. Une suspension soudaine entraîne une hyperactivité du système nerveux sympathique (avec par exemple diarrhée, transpiration, mydriase, augmentation de la tension artérielle), en même temps qu’ une envie d’ opioïde, une augmentation des douleurs, des douleurs abdominales et osseuses et une myalgie. Ces symptômes peuvent être évités en réduisant la dose administrée successivement et lentement.
La dépendance psychique se caractérise par les conséquences négatives associées à la consommation d’ opiacés, telles que la perte de contrôle, la tendance à augmenter la dose de manière inadéquate, la limitation de la pensée et du comportement à l’ approvisionnement. On ne sait pas encore quel est le risque de dépendance chez les patients souffrant de douleurs en Europe (« Prescription Opioid Use Disorder, POUD ») (13, 14). On estime qu’ environ 10 à 15 % des patients souffrant de douleurs chroniques développent une dépendance.
Des causes génétiques et épigénétiques sont postulées pour la dépendance psychique (14). Tant qu’ il n’ existe pas d’ options de traitement pharmacologique plus spécifiques pour les différents syndromes de la douleur, qui font actuellement l’ objet de recherches animées en raison de la crise des opiacés, le thérapeute de la douleur doit connaître son arsenal analgésique et savoir l’ utiliser.

Cet article est une traduction de « der informierte arzt » 04_2020

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dr. med. Antje Heck

Fachärztin für Klinische Pharmakologie und Toxikologie FMH
Fachärztin für Anästhesie FMH, Schmerzspezialistin SGSS
Leiterin Sprechstunde Medikamente in Schwangerschaft und Stillzeit
Oberärztin Psychiatrische Klinik Königsfelden
Postfach 432
5201 Brugg

antje.heck@pdag.ch

Prof. Dr. med. Eli Alon

Facharzt für Anästhesiologie FMH, Schmerzspezialist SGSS
Professor für Anästhesiologie und Schmerzmedizin an der
Universität Zürich
Praxis für Schmerztherapie
Arzthaus Zürich City
Lintheschergasse 3
8001 Zürich

eli.alon@arzthaus.ch

Les auteurs ont déclaré n’ avoir aucun conflit d’ intérêt en relation avec cet article.

  • Bien que la consommation moyenne d’ opiacés en Suisse soit passée de 18 à 421 mg/personne/an en 30 ans, une diminution significative du nombre de personnes mourant d’ une surdose d’ opiacés a été enregistrée au cours des 20 dernières années.
  • La gestion multimodale de la douleur comprend des options telles que les mesures physiques, la physiothérapie, la gestion interventionnelle de la douleur et un large éventail de mesures comportementales et d’ instructions pour y faire face. Le fait de soutenir chaque thérapie analgésique sur plusieurs de ces piliers thérapeutiques permet de minimiser le recours aux analgésiques.
  • Il est avantageux de choisir des analgésiques appropriés sur la base du mécanisme de la douleur sous-jacente, selon qu’ il s’ agit d’ une douleur nociceptive sans ou d’ une douleur nociceptive/inflammatoire avec activation et sensibilisation des nocicepteurs, d’ une sensibilisation centrale avec expansion des champs récepteurs, ou d’ une douleur neuropathique ou multiloculaire.
  • Les opiacés jouent aujourd’ hui un rôle indispensable dans la thérapie moderne et multimodale de la douleur.

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Colite microscopique

La colite microscopique (CM) est une cause importante de diarrhées chroniques traitables de la population âgée. Considérée comme appartenant à la famille des maladies inflammatoires de l’ intestin, qui comprend principalement la maladie de Crohn et la colite ulcéreuse, la CM tire son nom du fait que, contrairement aux autres affections précitées, elle n’ est pas visible endoscopiquement. En effet, l’ aspect de la muqueuse colique est normal à la coloscopie. Son diagnostic repose sur l’ étude histologique de biopsies de muqueuse colique apparemment saine. Deux sous-types de CM sont reconnus sur la base de l’ histologie : la colite lymphocytaire (CL), la colite collagène (CC) (1, 2). Malgré des différences physiopathologiques, la prise en charge des deux sous-types est identique. Cet article décrit les aspects pratiques du diagnostic, des facteurs de risques, de l’ histoire naturelle et du traitement de cette entité, qu’ il convient de distinguer du syndrome de l’  intestin irritable.

Une étude systématique avec méta-analyse récente a trouvé une incidence cumulée de CC de 4.14 par 100 000 personne-années (95% intervalle de confidence (CI) 2.89-5.40) et de 4.85 (95% CI, 3.45-6.25) pour la forme LC. L’ intervalle d’ âge médian au début de la maladie était de 50-70 ans avec un ratio femme : homme de 3 : 1 (3, 4). La même méta-analyse a montré que l’ incidence et la prévalence de la CM augmente dans certains pays pour se rapprocher de celle de la maladie de Crohn (5).

Pathophysiologie

La pathophysiologie de la CM n’ est pas bien élucidée. Plusieurs mécanismes ont été proposés. Le fait que la dérivation fécale peut résoudre la CM suggère que cette maladie se développe, comme la maladie de Crohn, du fait de l’ activation inappropriée d’ une réponse immunitaire déréglée face à un ou plusieurs antigène(s) luminaux (6-8). Bien que des cas familiaux aient été décrits dans la littérature, très peu de travaux génétiques ont été conduits, mais pointent vers une association avec des groupes HLA. Une étude suédoise récente a démontré un chevauchement génétique avec les groupes HLA impliqués dans la maladie cœliaque (9). Bien que la CM soit observée plus fréquemment chez les femmes ménopausées, un lien clair au niveau hormonal fait également encore défaut.

Facteurs de risque

Plusieurs maladies auto-immunes telles que thyroïdite, maladie cœliaque (10), diabète de type 1, polyarthrite rhumatoïde ont été associées avec la CM (11-13). De plus, certains médicaments ont été identifiés comme facteurs de risque de CM, et classés comme basse probabilité, probabilité intermédiaire ou haute d’ entraîner une CM (14). Les inhibiteurs de pompes à protons (5), les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et les anti-inflammatoires non-stéroïdiens sont les médicaments les plus fréquemment impliqués (15).
Une étude britannique contrôlée par cas a démontré que l’ utilisation prolongée d’ IPP, d’ AINS et de SSRIS était associée à la MC. La même étude a démontré que si la diarrhée persistait 3 mois après l’ arrêt du médicament ou commençait ≥12 mois après le début de la thérapie médicamenteuse, la diarrhée était moins susceptible d’ être liée au médicament (16).
Compte tenu de la prédominance des femmes post-ménopausées dans la population atteinte de la maladie, une association avec les hormones féminines a été suggérée.
Dans une étude, le risque de colite microscopique a été multiplié par 2,6 chez les femmes post-ménopausées utilisant un traitement hormonal substitutif (17). Le tabagisme a aussi été décrit comme un facteur de risqué de CM (18).

Présentation clinique

La MC est caractérisée par une histoire de plus de 4 semaines de diarrhées aqueuses non-sanglantes, avec évacuations nocturnes, douleurs abdominales, perte de poids et fatigue (19). Les diarrhées peuvent entraîner des troubles électrolytiques, une insuffisance rénale pré-rénale et une hypotension. L’ évolution naturelle de la colite microscopique est variable. L’ apparition des symptômes est soudaine chez jusqu’ à 42 % des patients, et des épisodes intermittents de diarrhée sont observés chez 65 à 89 % des patients. Une rémission spontanée a été signalée chez environ 15 % des patients, mais la plupart des patients ont des périodes de rémission clinique avec des rechutes avant d’obtenir une rémission clinique durable (8, 17). La qualité de vie peut être altérée.

Diagnostic

Le diagnostic est établi au moyen de biopsies coliques obtenues par sigmoïdoscopie ou coloscopie. Une coloscopie complète avec des biopsies du colon ascendant, transverse, descendant et du rectum est recommandée car le diagnostic peut être manqué dans près d’ un quart des cas (23%) si seul le sigmoïde et le rectum sont biopsiés (20). La calprotectine est < 100 μg/g dans 50% des patients avec CM (21).
Les biopsies peuvent montrer une plaque collagène sous-épithéliale épaissie dans la CC (>10 μm) ou un infiltrat lymphocytaire intra-épithélial (IEL) dans la CL (> 20 IEL par 100 cellules épithéliales), dans un côlon d’ aspect macroscopiquement normal ou quasi-normal. Des sous-types incomplets de CM ont été décrit, dits colites incomplètes (CI), dans lesquelles les biopsies ont des caractéristiques de de CM mais ne remplissent pas les critères histologiques (2). Les valeurs seuil sont de 10 IELs pour la CL incomplète et une épaisseur de collagène de 5 μm pour une CC incomplète.

Prise en charge clinique

Le but du traitement, défini par différents groupes d’ experts internationaux, est d’ obtenir une rémission clinique et d’ améliorer la qualité de vie (1, 22). Un index MCDAI (pour Microscopic Colitis Activity Index) a également été proposé comme critère d’ évaluation (23) qui incorpore plusieurs symptômes et est en relation avec la qualité de vie.
Le budésonide oral, un corticostéroïde avec un important effet de premier passage hépatique (90%) et donc une biodisponibilité systémique basse (23), est le traitement de première ligne de la CM recommandé par l’ Association de Gastroentérologie Américaine et par le Microscopic Colitis Group (1, 22).
Des études randomisées et une méta-analyse ont démontré l’ efficacité du budésonide contre le placebo et la mesalasine dans le traitement de la MC (24). Après 6-8 semaines de budésonide 9 mg/jour, un taux de rémission clinique entre 73 et 100% a été obtenu dès la 2ème semaine avec normalisation de la qualité de vie à la 6ème (8, 25-30). Malheureusement, 61% des patients rechutent dans les 3 mois après l’ arrêt du traitement (31). La prednisone orale est moins efficace que le budésonide dans le traitement de la CM (8,  2).
Les autres options thérapeutiques dans les CM légères incluent le lopéramide, la cholestyramine, les sels de bismuth et la mesalasine (26, 33, 34). Un algorithme pour le traitement de colite microscopique est proposé dans la figure 1.
Il est également important de faire une anamnèse détaillée des prises de médicaments afin d’ interrompre tous ceux qui pourraient être associés avec la CM et d’ encourager l’ arrêt du tabagisme.

Rechute ou non-réponse

En absence de réponse thérapeutique, mais également chez les patients qui rechutent, il convient d’ exclure des pathologies concomitantes telles que des diarrhées médicamenteuses, une maladie cœliaque, des diarrhées cholérétiques, une pullulation bactérienne de l’ intestin grêle ainsi qu’ une intolérance au lactose ou au fructose.
Une fois que ces causes ont été exclues, le traitement de budésonide est repris et graduellement diminué jusqu’ à la dose minimale effective (35). Un traitement de budésonide de 4,5mg à 6mg/jour pour 12 mois a été associé avec un taux de rémission à long terme chez 60 à 75% des patients avec une très bonne tolérance (35-37). Un traitement d’ entretien à la plus petite dose possible de budésonide avec prescription de suppléments de calcium et de vitamine D est une option, avec un suivi des effets secondaires au long cours, notamment le développement d’ une ostéoporose (38). Dans la pratique une ré-induction par 6mg/jour de budésonide avec un traitement d’ entretien de 3mg/jour ou tous les 2 jours est souvent possible. Un traitement de cholestyramine au coucher peut être ajouté pour contrôler une malabsorption associée des sels biliaires.

Sécurité d’ emploi du budésonide

Un profil de sécurité comparable à celui du placebo a été montré dans les études randomisées (25, 35). Une récente étude cas-contrôle cohorte danoise de patients avec CM (2004-2012) n’ a pas mis en évidence de relation entre la prise de budésonide et la survenue de fractures ostéoporotiques (hanches, poignets ou vertèbres). Malgré cela un suivi régulier est recommandé pour détecter la survenue d’ effets secondaires cortisoniques tels qu’ une hypertension, un diabète, des troubles métaboliques osseux ou une dépression, ainsi qu’ une ré-évaluation de la nécessité du traitement de budésonide après 12 mois (38). De plus, la prudence est de mise si un traitement concomitant d’ un inhibiteur du cytochrome P45 est prescrit (39). De même, les patients devraient être informés d’ éviter le jus de pamplemousse qui est un inhibiteur du cytochrome P450.

Traitement immuno-modulateur

Chez les patients réfractaires ou dépendant au budésonide (> 6mg/jour) ou intolérants à ce médicament, des immuno-modulateurs tels que le méthotrexate, l’ azathioprine ou des médicaments biologiques comme l’ infliximab ont été prescrits avec des succès variables (40-43). Ces informations sont issues de séries cliniques mais aucune étude randomisée n’ a été effectuée avec ces agents. Dans une cohorte de 73 patients américains avec CM, 49 personnes ont été traitées par azathioprine avec une efficacité de 43% dans la CC et 22% dans la CL (42). Dans la même cohorte, un anti-TNF a été utilisé chez 10 patients avec une rémission clinique chez 4 d’ entre eux et une réponse partielle chez 4 autres (42). Des 12 patients traités par méthotrexate, 58% sont entrés en rémission tandis que 17% ont présentés une réponse partielle. Toutefois, un traitement de budésonide a été poursuivi chez 9/12 des patients sous méthotrexate. Une récente série clinique internationale a décrit l’ utilisation du vedolizumab chez 11 patients avec CM réfractaire avec une rémission obtenue chez 5 d’ entre eux (44).

Histoire naturelle de la CM

L’ histoire naturelle de la CM est considérée comme bégnine, sans évidence de risque accru de cancer colorectal, de risque de colectomie ou de mortalité excessive à long terme. Après le diagnostic, deux tiers des patients vont être en rémission clinique sur une période de suivi moyenne de 9,5 ans (45).

PD Dr Michel H. Maillard 1,2
Dr Christian Felley 1,3
1Centre Crohn et Colite, Gastroentérologie Beaulieu, Lausanne
2Service de Gastroentérologie et Hépatologie, CHUV, Lausanne
3Service d’ Hépato-gastro-entérologie, HUG, Genève
Centre Crohn et Colite, Gastroentérologie Beaulieu
Avenue Jomini 8, 1004 Lausanne

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dre Marianne Vulliemoz

Centre Crohn et Colite, Gastroentérologie Beaulieu, Lausanne
Avenue Jomini 8
1004 Lausanne

Pr Pierre Michetti

Centre Crohn et Colite, Gastroentérologie Beaulieu, Lausanne
Service de Gastroentérologie et Hépatologie, CHUV, Lausanne
Avenue Jomini 8
1004 Lausanne

pmichetti@gesb.ch

CF: Aucun; MV: Lectures Takeda et Vifor Pharma; MM: Consulting  Vifor, AbbVie, UCB, MSD, Lilly, Janssen, Takeda, Lectures  Vifor, Janssen, AbbVie, MSD, Pfizer, UCB, Takeda, Grants UCB, AbbVie, Vifor, MSD, Takeda; PM: Consulting AstraZeneca, AbbVie, Ferring Pharmaceuticals, Janssen, Merck Serono, MSD, Nestlé Health Sciences, Pfizer, Takeda, UCB Pharma et Vifor, Lectures  AbbVie, Ferring Pharmaceuticals, Janssen, Hospira, MSD, Pfizer, Takeda, UCB Pharma et Vifor Pharma, Grants  MSD, Takeda, UCB pharma, iQone.

  • La CM est fréquemment manquée lors de diarrhées chroniques, car la calprotectine peut être normale et elle n’ a pas de traduction endoscopique.
  • La distinction avec son diagnostic différentiel principal qu’ est le syndrome de l’ intestin irritable est cruciale dans la prise en charge de ces patients avec diarrhées inexpliquées.
  • Il convient de stopper les traitements pouvant causer des diarrhées, d’ effectuer une coloscopie avec biopsies multiples et de rechercher les pathologies associées et de traiter la CM en première intention par budésonide 9mg/j pour 8 semaines.

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