Modulateurs de la protéine CFTR pour traiter la mucoviscidose

En décembre 2020, Swissmedic a autorisé le médicament orphelin Trikafta®, une combinaison hautement efficace de modulateurs de la protéine CFTR (Cystic fibrosis transmembrane conductance regulator) pour le traitement de la mucoviscidose chez les patients porteurs d’ au moins une mutation F508del du gène CFTR, mutation la plus fréquente dans la mucoviscidose. Les principes actifs sont l’ élexacaftor, le tézacaftor et l’ ivacaftor. Actuellement, plus de 85% de patients avec mucoviscidose sont éligibles pour un traitement par modulateurs du CFTR, qui améliore la fonction pulmonaire et la qualité de vie et diminue les exacerbations respiratoires.

In December 2020, Swissmedic approved the drug Trikafta®, a highly effective combination of modulators of the CFTR protein (Cystic fibrosis transmembrane conductance regulator), for the treatment of cystic fibrosis (CF) in patients with at least one F508del mutation of the CFTR gene (the most common mutation in CF). The active substances are elexacaftor, tezacaftor and ivacaftor. Currently, more than 85% of people with CF are eligible for CFTR modulator therapy, which has been shown to improve respiratory function and quality of life and reduce pulmonary exacerbations.
Key Words: cystic fibrosis, modulators of the CFTR, elexacaftor, tezacaftor, ivacaftor

La mucoviscidose

La mucoviscidose est une maladie monogénique potentiellement grave, à transmission autosomique récessive, touchant plus de 100’ 000 personnes dans le monde (1, 2). Elle est due à des mutations sur le gène CFTR entraînant une altération de la synthèse ou de la fonction de la protéine CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane conductance Regulator, ci-après pCFTR). Depuis la découverte initiale de la mutation la plus courante (F508del), plus de 2000 variants du gène CFTR ont été décrits (1, 2), dont environ 400 sont considérés associés à la mucoviscidose. Ils sont répertoriés dans les classes I à VI, en fonction des de leur impact sur la production et la fonction de la pCFTR (1, 2). La pCFTR est un canal transmembranaire de chlorure qui se trouve sur la face apicale des épithéliums sécrétoires, plus particulièrement les glandes sudoripares, les voies respiratoires, le tractus gastro-intestinal, le pancréas et les canaux déférents (1, 2). Elle régule l’ équilibre en sel et en eau à la surface des cellules et un dysfonctionnement de cette protéine résulte en des sécrétions et mucus visqueux. Les manifestations cliniques de la maladie sont multisystémiques et se déclarent à des âges variables selon le dysfonctionnement de la pCFTR (3, 4). Au niveau pulmonaire, la mucoviscidose est caractérisée par un trouble sévère de la clairance mucociliaire, une inflammation et une colonisation bactérienne chronique des voies respiratoires supérieures et inférieures, se compliquant de bronchectasies et d’ un déclin progressif de la fonction pulmonaire. L’ insuffisance pancréatique exocrine, avec malabsorption des lipides et des vitamines liposolubles, est très fréquente, ainsi que la constipation. Le diabète lié à la mucoviscidose concerne 30 % des patients de plus de 18 ans et sa prévalence augmente avec l’ âge, alors que la cirrhose biliaire est beaucoup plus rare (3, 4). La prise en charge de la mucoviscidose a longtemps reposé sur un traitement symptomatique contraignant, mais qui a prolongé considérablement l’ espérance de vie des patients. Depuis les années 2010, une nouvelle classe de médicaments est disponible, les modulateurs de la pCFTR permettant de restaurer l’ activité de celle-ci (1).

Les modulateurs de la protéine du CFTR

Contrairement aux thérapies symptomatiques axées sur le traitement des complications de la mucoviscidose, les modulateurs de la pCFTR sont des petites molécules qui agissent à l’ origine du problème (Figure 1). Il existe deux types de modulateurs : les potentiateurs (ivacaftor) améliorent la fonction de la pCFTR, favorisant le temps d’ ouverture des canaux chlorure. Les correcteurs (lumacaftor, tézacaftor et élexacaftor) stabilisent la pCFTR et facilitent son transport vers la membrane cellulaire (1). Quatre médicaments en mono-, bi- ou trithérapie existent actuellement sur le marché dont quelques caractéristiques sont décrites dans le Tableau 1.

Efficacité et sécurité des modulateurs

En 2019, 2 études pivots ont été publiées concernant la trithérapie élexacaftor/tézacaftor/ivacaftor (Trikafta®) chez 113 patients homozygotes F508del (5) et 403 patients hétérozygotes composites F508del/variant à fonction minimale non corrigeable par les associations de modulateurs précédentes (6). La première étude n’ a porté que sur 4 semaines et le groupe témoin était constitué de patients traités par ivacaftor/tézacaftor. L’ ajout de l’ élexacaftor a permis un gain supplémentaire de 10,0 % du volume expiratoire maximal en une seconde (VEMS) et une réduction du chlorure sudoral de 45 mmol/l (p < 0,0001). La deuxième étude a entraîné une amélioration du VEMS de 13,9 % à 24 semaines, une diminution de 63 % du taux d’ exacerbations pulmonaires, une amélioration du score CFQ-R (score de qualité de vie) de 20,2 points et une baisse de chlorure dans la sueur de 42 mmol/l (p<0,001 pour toutes les comparaisons). Ces résultats ont été confirmés par des études prospectives de vie réelle qui ont également permis d’ étendre l’ enregistrement aux enfants dès 6 ans et très récemment dès 2 ans par la FDA (7, 8).

D’ un point de vue de la toxicité, les modulateurs sont relativement bien tolérés (9-11). La combinaison ivacaftor/lumacaftor présente cependant des taux plus élevés d’ effets indésirables respiratoires qui semblent dus au lumacaftor (10). Une augmentation transitoire de la toux/bronchorrhée dans les 48 heures après le début du traitement est la conséquence de l’ amélioration de la clearance des sécrétions et diminue par la suite. Les autres effets indésirables se manifestent surtout au niveau gastro-intestinal (diarrhées, nausées, douleurs abdominales) et hépatique (augmentation des transaminases) (9-11). Des allergies de type rash ou d’ hypersensibilité ont été rarement rapportées. Un signal d’ une atteinte de la santé mentale (notamment des dépressions ou troubles neuropsychiatriques) a été identifié sur la base de quelques études de cohorte et de rapport de cas (9), bien qu’ un lien de causalité avec les modulateurs du CFTR n’ aie pas pu être formellement établi.

Considérations pharmacocinétiques

Les modulateurs de la pCFTR sont éliminés majoritairement par les cytochromes (CYP) 3A4/5 (Tableau 1) et l’ ivacaftor et l’ élexacaftor peuvent aussi être substrats, inhibiteurs ou inducteurs des P-gp et/ou des OATP1B1/3. De ce fait, ils présentent un risque important d’ interactions médicamenteuses, en particulier avec les inducteurs ou les inhibiteurs des CYP3A4/5. Une diminution marquée de l’ exposition (89 %) et une augmentation de 15 fois des concentrations d’ ivacaftor en co-administration avec la rifampicine et l’ itraconazole, respectivement, ont été observées (11). Des modifications plus faibles toutefois significatives sont attendues avec les inhibiteurs ou inducteurs modérés des CYP3A4/5 (p.ex. rifabutine ou fluconazole). Bien qu’ aucune interaction médicamenteuse entre le Trikafta® et les inducteurs de l’ OATP1B1/3 n’ ait été rapportée, le gemfibrozil et la ciclosporine, inhibiteurs de l’ OATP1B1/3, pourraient théoriquement entraîner une augmentation des concentrations sériques de Trikafta® (12). A noter également que l’ ivacaftor, inhibiteur des CYP2C9, peut augmenter l’ effet de certains médicaments substrat de cette enzyme (acénocoumarol, glibenclamide) et une prudence et une surveillance adaptée est préconisée en cas d’ administration de médicaments substrats des OATP1B1 tels que les statines, le glibenclamide ou le répaglinide. La bilirubine étant un substrat d’ OATP1B1 et d’ OATP1B3, de légères augmentations du taux moyen de bilirubine totale peuvent survenir (10, 11).

Une importante variabilité des concentrations plasmatiques a été reportée entre patients traités par Trikafta®, associée à certains facteurs tels l’ âge et le poids chez les enfants, la nourriture riche en graisse augmentant significativement l’ exposition à ces médicaments, les co-médications à risque d’ interactions et les altérations de l’ élimination en cas d’ insuffisance hépatique ou rénale. L’ impact de ces variations pharmacocinétiques sur la réponse et la tolérance à ces médicaments est toutefois encore largement inconnu. Le suivi thérapeutique par mesure des taux plasmatiques sera potentiellement utile afin d’ individualiser les posologies de ces médicaments (13).

Points de vigilance en pratique

Les doses de Trikafta® doivent être prises à environ 12 heures d’ intervalle avec un repas riche en graisses. En cas d’ insuffisance hépatique modérée, la posologie doit être réduite (11).

La prescription concomitante d’ inducteurs puissants des CYP3A4/5 est contre-indiquée en raison du risque de perte d’ efficacité du médicament. Une réduction posologique est recommandée avec les inhibiteurs forts et faibles des CYP3A4/5 pour diminuer le risque d’ effets indésirables. La prudence et une surveillance appropriée s’ imposent avec les médicaments substrats du CYP2C9, de la P-gp et des OATP1B1 et OATP1B3 co-administrés avec le Trikafta® en raison de l’ augmentation possible de l’ exposition à ces médicaments.

Il est recommandé de contrôler les taux de transaminases (ALAT et ASAT) et de bilirubine totale chez tous les patients avant l’ instauration du traitement, tous les trois mois durant la première année, puis au moins une fois par an (11). En raison du risque de détérioration respiratoire sévère après l’ interruption de ce traitement, un soutien à l’ adhésion thérapeutique et la bonne connaissance des enjeux par le patient et le personnel soignant est nécessaire (14).

Finalement, le coût d’ un emballage de 84 comprimés (28 jours) de Trikafta® est de 17’ 516.15 CHF et il faut l’ accord de prise en charge des assureurs avec une évaluation préalable par le médecin-conseil de l’ assurance.

Conclusion

Les modulateurs de la pCFTR ont révolutionné la prise en charge des patients souffrant de mucoviscidose, entraînant une amélioration significative de la fonction pulmonaire et de la qualité de vie, ainsi qu’ une réduction du risque d’ exacerbations pulmonaires. Comme pour tout nouveau traitement, il subsiste néanmoins des inconnues sur l’ efficacité, notamment extrapulmonaire, à long terme et les effets indésirables à long terme et certaines précautions doivent être prises afin de minimiser les risques de toxicité. D’ autres principes actifs sont en cours d’ investigation et seront mis sur le marché ces prochaines années (15).

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dr Ermindo R. Di Paolo, PhD

Service de pharmacie, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois et
Université de Lausanne

ermindo.di-paolo@chuv.ch

Dre Georgia Mitropoulou

Unité de mucoviscidose adulte, Service de Pneumologie,
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois et Université de Lausanne

georgia.mitropoulou@chuv.ch

Pre Chantal Csajka

Centre de Recherche et d’ Innovation en Sciences Pharmaceutiques
Cliniques
Centre Hospitalier Universitaire et Université de Lausanne
Rue du Bugnon 17
1011 Lausanne

Chantal.Csajka@chuv.ch

Les auteurs n’ont pas déclaré de conflits d’ intérêts en rapport avec cet article.

◆ Les modulateurs de la protéine CFTR, et notamment la trithérapie hautement efficace (élexacaftor/tézacaftor/ivacaftor) ont révolutionné la prise en charge de la mucoviscidose et transformé la qualité de vie de la majorité des patients éligibles.
◆ Les modulateurs sont en général bien tolérés, mais des inconnues subsistent en ce qui concerne l’efficacité extrapulmonaire à long terme et les effets indésirables.
◆ Il convient d’évaluer les interactions médicamenteuses impliquant les cytochromes 3A4/5, 2C9 et les transporteurs P-gp, OATP1B1 et OATP1B3.
◆ Une mauvaise adhésion au traitement peut conduire à un risque de détérioration respiratoire sévère.

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10. Gramegna A, Contarini M, Aliberti S, et al. From ivacaftor to triple combination: a systematic review of efficacy and safety of CFTR modulators in people with cystic fibrosis. Int J Mol Sci 2020 ;21:5882. doi: 10.3390/ijms21165882.
11. https://www.swissmedicinfo.ch, monographie Trikafta® (dernier accès 20.02.2023).
12. Purkayastha D, Agtarap K, Wong K, et al. Drug-drug interactions with CFTR modulator therapy in cystic fibrosis: focus on Trikafta®/Kaftrio®. J Cyst Fibros 2023. doi: 10.1016/j.jcf.2023.01.005.
13. Choong E, Sauty A, Koutsokera A, et al. Therapeutic drug monitoring of ivacaftor, lumacaftor, tezacaftor, and elexacaftor in cystic fibrosis: where are we now? Pharmaceutics 2022;14:1674. doi: 10.3390/pharmaceutics14081674.
14. Mitropoulou G, Balmpouzis Z, Plojoux, J, et al. Effects of elexacaftor−tezacaftor−ivacaftor discontinuation in cystic fibrosis. Respir Med Res 2022;82:100972. doi: 10.1016/j.resmer.2022.100972.
15. https://apps.cff.org/trials/pipeline (dernier accès 20.02.2023).

Mise à jour sur le traitement du syndrome de Parkinson idiopathique

Le syndrome de Parkinson idiopathique (SPI) est l’une des maladies neurodégénératives les plus fréquentes. Le principal mécanisme pathologique est la dégénérescence des neurones dopaminergiques dans une partie du cerveau appelée substantia nigra, qui peut entraîner une bradykinésie, une rigidité et/ou un tremblement de repos et de nombreux symptômes non moteurs. L’amélioration de la qualité de vie est au premier plan du traitement. Pour le stade avancé de la maladie, les thérapies invasives telles que la stimulation cérébrale profonde et les thérapies par pompe à perfusion constituent des options établies et fondées sur des preuves. Le présent article illustre le traitement du SPI en se concentrant sur l’état actuel de la thérapie, les possibilités futures de traitement par voie orale et invasif ainsi que les approches neuroprotectrices potentielles.

Parkinson’s disease (PD) is one of the most common neurodegenerative diseases. The main pathomechanism is the degeneration of doperminergic neurons in the substantia nigra. It can lead to bradykinesia, rigidity, resting tremor, and numerous non-motor symptoms. Treatment is focused on improving the patient’s quality of life. For the advanced stages of the disease, invasive therapies such as deep brain stimulation and continuous pump treatment, are established and evidence-based options. This article deals with the therapy of PD with a focus on the current therapy, future oral and invasive treatment options, and potential neuroprotective approaches.
Key words: parkinson’s disease, deep brain stimulation, continuous pump treatment, neuroprotective approaches

La maladie de Parkinson MP (également appelée Morbus Parkinson ou syndrome parkinsonien idiopathique, SPI) est la deuxième maladie neurodégénérative la plus fréquente, avec une prévalence de 100-200 cas pour 100’000 habitants. Elle est due à la dégénérescence des neurones dopaminergiques de la substantia nigra. Selon les critères diagnostiques actuels, le diagnostic requiert entre autres une bradykinésie, une rigidité et/ou un tremblement de repos (4-6 Hz) (1).

Outre les symptômes moteurs, de nombreux symptômes non moteurs peuvent également apparaître, qui sont généralement très gênants pour les patients et qui déterminent essentiellement leur qualité de vie (Tab. 1). Après plusieurs années de traitement, presque tous les patients présentent des fluctuations motrices et parfois aussi non motrices (p. ex. détérioration de la stimulation ou de la cognition en périodes OFF) et des dyskinésies.

La thérapie actuelle – médicaments par voie orale

Le traitement actuel vise un traitement symptomatique et doit être commencé lorsque des restrictions quotidiennes apparaissent. Après plus de 50 ans, la lévodopa reste le traitement le plus efficace du SPI. En règle générale, les patients atteints du SPI ressentent une amélioration significative de leurs symptômes moteurs, bien que des doses plus élevées soient souvent nécessaires pour améliorer le tremblement. Une réponse positive à la L-Dopa (>30% de l’UPDRS III) renforce le diagnostic du SPI, alors qu’une absence de réponse doit faire penser à un syndrome parkinsonien atypique.

On a longtemps spéculé sur les effets neurotoxiques de la L-Dopa. De plus, afin d’éviter les dyskinésies et les fluctuations d’efficacité comme complications tardives, le traitement par la L-Dopa a été retardé le plus longtemps possible, en particulier chez les jeunes patients, et les agonistes dopaminergiques (AD) ont été utilisés de préférence. Des études récentes ont permis de dissiper ces doutes et de montrer qu’un traitement précoce par la L-Dopa n’a pas d’effet négatif sur l’évolution de la maladie et que la survenue des complications tardives est principalement liée à la durée de la maladie elle-même et moins à la durée du traitement par la L-Dopa. De plus, la L-Dopa est supérieure aux AD en termes d’amélioration de la qualité de vie (2, 3). Un autre avantage de la L-Dopa par rapport à l’AD est son profil de risque plus favorable, avec moins d’effets secondaires tels que les hallucinations, les troubles du contrôle des impulsions et les troubles du sommeil.

Si des fluctuations motrices se développent à un stade avancé, il est possible de raccourcir les intervalles entre les prises, de prolonger la durée d’action de la L-Dopa en inhibant la dégradation de la dopamine au moyen d’inhibiteurs de la MAO-B et de la COMT ou d’ajouter un AD à longue durée d’action. Pour le traitement des dyskinésies, une réduction de la dose de L-Dopa et/ou un traitement add-on avec de l’amantadine sont envisagés.

Lors du choix des différentes classes de substances, il convient de tenir compte des différences de puissance d’effet, des effets secondaires, de l’âge du patient, des comorbidités et du profil d’exigences psychosociales.

Médicaments oraux récemment autorisés

Avec l’opicapone (Ongentys), un autre inhibiteur de la COMT a été autorisé en Suisse en 2018 pour le traitement d’appoint des fluctuations de “fin de dose”, pour lesquelles aucune stabilisation ne peut être atteinte sous association lévodopa/combinaisons. La période OFF peut ainsi être réduite de deux heures en moyenne. Par rapport aux inhibiteurs de la COMT existants (tolcapone et entacapone), l’opicapone n’est pas hépatotoxique et ne doit être pris qu’une fois par jour en raison de sa forte affinité de liaison. Pour éviter les effets secondaires tels que dyskinésies, constipation, sécheresse buccale et problèmes d’endormissement et du sommeil, il s’est avéré utile de réduire la dose de L-Dopa de 25-30% au début du traitement (4).

En Allemagne, le premier médicament à base de L-Dopa par inhalation (Inbrija) est autorisé depuis mai 2022 pour le traitement aigu des symptômes au cours de la période OFF dans la MP. Les études cliniques ont montré une amélioration des symptômes déjà après 10 minutes par rapport au placebo, avec un effet maximal statistiquement significatif après 30 minutes, c’est-à-dire environ 15 minutes plus tôt qu’après l’administration par voie orale (5).

Traitements invasifs du SPI avancé

Si les fluctuations motrices et les dyskinésies ne peuvent être contrôlées malgré un traitement par voie oral optimal, il faut envisager des thérapies invasives telles que la stimulation cérébrale profonde (SCP), généralement dans le noyau sous-thalamique, ou un traitement par pompe à perfusion continue. Pour le traitement par pompe, on dispose d’un gel de lévodopa/carbidopa (LCIG) administré par voie gastro-duodénale, via une sonde endoscopique percutanée (PEJ), ou d’apomorphine appliquée par voie sous-cutanée.

L’administration continue ou bien des taux de médicaments aussi constants que possible dans le sang permettent de réduire significativement les périodes d’efficacité réduite et d’atténuer les dyskinésies. Les patients et leurs proches doivent être impliqués dans la décision de traitement et informés des avantages et des inconvénients de chaque option thérapeutique.

Le traitement par pompe est surtout envisageable pour les patients chez qui la SCP est contre-indiqué, par exemple chez les patients âgés souffrant de démence légère ou modérée, de comorbidités psychiatriques ou de contre-indication à une intervention neurochirurgicale. La thérapie par pompe à perfusion n’est pas indiquée en cas de tremblements résistants aux médicaments et de troubles du contrôle des impulsions. Le choix entre les deux systèmes de pompe est déterminé par les effets secondaires possibles et la pratique clinique : La mise en place d’une sonde (PEJ), nécessaire pour la pompe à L-Dopa, est liée à un risque de complications locales telles qu’une péritonite ou des infections autour de la stomie, ainsi qu’à des problèmes avec la sonde (p. ex. dislocation). Plus rarement, une polyneuropathie peut survenir en raison des doses élevées de L-Dopa.

L’apomorphine, un agoniste dopaminergique pour le traitement de périodes OFF, peut également être administrée par voie sous-cutanée (s.c.), outre la forme d’injection continue. L’avantage est qu’elle peut être considéré comme le moyen le moins invasif par rapport à la Duodopa et la SCP. Une étude récemment publiée a en outre montré qu’une perfusion nocturne continue d’apomorphine pouvait améliorer de manière significative la qualité du sommeil des patients atteints du SPI (6). Les effets secondaires les plus fréquents de l’apomorphine s.c. sont l’apparition de nodules locaux et l’irritation de la peau, qui surviennent chez presque tous les patients, mais qui entraînent rarement l’arrêt du traitement (7).

Nouvelles formes d’administration futures de la L-Dopa et de l’apomorphine

L’effet d’une application sous-cutanée de L-Dopa (sous forme de foslévodopa-foscarbidopa) a été étudié dans le cadre d’un essai clinique de phase III et une demande d’autorisation de mise sur le marché a été déposée (NCT04380142). En raison de l’administration s.c., la mise en place d’une sonde n’est pas nécessaire. Parallèlement, il faut s’attendre à moins de complications systémiques telles que nausées, fatigue diurne, œdèmes périphériques, dysrégulation orthostatique, hallucinations et troubles du contrôle des impulsions par rapport à la perfusion d’apomorphine. Un facteur limitant pourrait être les réactions cutanées (8).

Une nouvelle forme d’administration a été développée : un film d’apomorphine pour une application par voie sublinguale (Kynmobi), qui représente une alternative importante pour le traitement des phases OFF et qui est actuellement testée en Europe dans le cadre d’une étude de phase III. Un effet systémique est obtenu en l’espace de 15 minutes. L’un des effets secondaires les plus fréquemment rapportés sont les réactions au niveau des muqueuses oropharyngées (9).

Du nouveau concernant la SCP

L’étude EARLY-STIM publiée en 2013 a démontré que la SCP entraîne chez les patients atteints du SPI une amélioration significative de la qualité de vie à un stade précoce de la maladie, par rapport au meilleur traitement médicamenteux possible (10, 11). Ainsi, la SCP ne doit pas être considérée comme l’ultime solution, mais plutôt comme une alternative thérapeutique chez les patients ayant des fluctuations motrices et des dyskinésies débutantes, c’est-à-dire étant à un stade plus précoce dans l’évolution de la maladie.

De nouveaux développements prometteurs ont vu le jour ces dernières années pour optimiser les paramètres de stimulation. De nouvelles électrodes directionnelles permettent, grâce au “steering”, d’orienter la stimulation de manière excentrée dans l’espace afin d’élargir la fenêtre thérapeutique et de réduire les effets secondaires liés à la stimulation (12). Dans le passé, la programmation de la SCP nécessitait souvent des séances répétées pour optimiser les paramètres de stimulation. Entre-temps, il existe des approches d’imagerie et d’électrophysiologie qui permettent de déterminer plus rapidement la configuration optimale de la stimulation et de réduire les efforts nécessaires pour tester la stimulation (13). Une technique dite “adaptative” ou “en boucle fermée”, c’est-à-dire l’enregistrement d’un biomarqueur électrophysiologique spécifique à la maladie (activité des ondes bêta) avec une stimulation adaptée aux besoins et couplée à ce biomarqueur, représente depuis longtemps une perspective pour améliorer l’efficacité de la SCP. Les premiers systèmes de SCP disposent déjà d’une technologie de détection qui permet d’enregistrer l’activité bêta. Cette technologie pourrait être utilisée à l’avenir dans le cadre de systèmes de SCP adaptatifs ou “en boucle fermée” (14).

Approches potentiellement neuroprotectrices

Une compréhension toujours plus approfondie des bases moléculaires du SPI pourrait ouvrir la voie à de nouveaux traitements causaux. Actuellement, plusieurs approches thérapeutiques prometteuses, potentiellement modificatrices de la maladie, sont en cours d’essais cliniques, dont certains sont déjà avancés :
► Agonistes des récepteurs du glucagon-like peptide 1 (GLP-1) : la résistance à l’insuline est associée à un risque accru de SPI. L’effet neuroprotecteur des agonistes du GLP-1, qui sont déjà autorisés dans le diabète, a déjà été démontré dans des modèles animaux et semble être confirmé dans les pre-
mières études. L’agoniste du GLP-1 l’exénatide est la substance la plus prometteuse en cours de test clinique (15).

► Stratégies d’immunisation : Les stratégies d’immunisation active et passive visent à empêcher l’agrégation pathologique de l’α-synucléine.

► Inhibiteurs de c-ABL kinase : certaines substances de cette catégorie sont déjà autorisées pour le traitement de la LLC. Dans le cas du SPI, il y a également une suractivité de cette kinase. Une régulation à la baisse de l’activité de la kinase devrait influencer positivement l’évolution de la maladie (16).

► Glucocérébrosidase : Les mutations dans la GBA représentent un facteur de risque important pour le SPI. Les approches thérapeutiques actuelles visent à augmenter l’activité de la glucocérébrosidase (17).

► LRRK2 : Une mutation dans le gène LRRK2 peut conduire à un syndrome parkinsonien monogénique. Les approches thérapeutiques actuelles tentent de modifier l’activité pathologiquement altérée (généralement gain de fonction) de cette kinase (18).

Cet article est une traduction de « der informierte arzt » 10_2022

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Marie-Christine Arends

Clinique de neurologie, Hôpital cantonal de Saint-Gall
Rorschacher Strasse 95
9007 Saint-Gall

Dr Florian Brugger

Clinique de neurologie, Hôpital cantonal de Saint-Gall
Rorschacher Strasse 95
9007 Saint-Gall

PD Dr Georg Kägi

Clinique de neurologie, Hôpital cantonal de Saint-Gall
Rorschacher Strasse 95
9007 Saint-Gall

L’auteur déclare avoir participé à des comités consultatifs et avoir reçu des honoraires de conférencier de Novo Nordisk, Sanofi, MSD, Boehringer Ingelheim, Servier et Astra Zeneca.

  • Le SPI est l’une des maladies neurodégénératives les plus fréquentes. Le diagnostic est posé cliniquement sur la base de la présence d’une bradykinésie, d’une rigidité et/ou d’un tremblement de repos.
  • La L-Dopa reste le traitement par voie orale de la maladie de Parkinson le plus efficace. Son utilisation précoce est sûre et supérieure à l’utilisation d’AD.
  • De nombreuses autres options de traitement par voie orale symptomatique sont disponibles. De nouvelles formulations de L-Dopa et d’apomorphine sont actuellement en cours de développement.
  • À un stade avancé, les systèmes de pompe à perfusion continue ou la SCP constituent de bonnes alternatives au traitement par voie orale.
  • Les nouvelles connaissances sur les mécanismes d’apparition de la maladie suscitent l’espoir de développer des traitements modificateurs de la maladie.

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Rhinosinusite aiguë

Comme toujours en hiver, votre salle d’attente se remplit de patients souffrant d’infections des voies respiratoires. Ils éternuent et toussent. C’est ainsi qu’une mère et son fils de quatre ans vous contactent. Il y a deux bonnes semaines, il a souffert d’une violente infection des voies respiratoires supérieures accompagnée de fièvre, qui a été traitée à la maison avec des « remèdes de grand-mère ». Depuis environ une semaine, son état s’est nettement amélioré. Depuis hier, il a un œil rouge et gonflé à gauche et a de nouveau une légère fièvre.

Antécédents personnels

Jamais gravement malade jusqu’à présent, vacciné selon le plan de vaccination suisse.thérapie, l’ ergothérapie et les conseils nutritionnels peuvent rendre de précieux services dans ce domaine.

Médicaments

Sinupret depuis 14 jours.

État clinique

Garçon alerte, un peu abattu. Œil gauche gonflé et rouge (fig. 1). Il ne peut presque plus l’ouvrir. En ouvrant les paupières avec les doigts, on constate que les conjonctives ne sont pas irritées. Les pupilles sont de diamètre égal. L’acuité visuelle est grossièrement contrôlée et ne présente pas de particularité. La motilité oculaire est conservée, mais douloureuse. Pas de méningisme.

Questions

1. Que pensez-vous être la cause du gonflement des yeux ?
A. Piqûre d’insecte avec surinfection
B. Dacryoadénite aiguë
C. Rhinosinusite aiguë
D. Exanthème médicamenteux fixé sur Sinupret

La bonne réponse est C. Il s’agit probablement d’une complication orbitaire après une rhinosinusite aiguë. L’anamnèse avec une évolution biphasique est assez typique. La rhinosinusite aiguë étant déjà en voie de disparition dans le cadre de l’infection aiguë des voies respiratoires supérieures, les conséquences de la complication orbitaire s’expriment dans un deuxième temps. La rhinoscopie antérieure montre beaucoup de pus dans la fosse nasale gauche et confirme votre hypothèse.

D’après le tableau clinique d’un œil gauche gonflé avec une rougeur de la paupière supérieure plutôt que de la paupière inférieure, une dacryoadénite aiguë pourrait éventuellement être envisagée. Celle-ci se présente généralement sous forme d’un gonflement et d’une rougeur circonscrits dans le tiers latéral de la paupière supérieure. Dans notre cas, l’anamnèse et les résultats de la rhinorrhée pubienne ne plaident cependant pas en faveur de cette hypothèse.

2. Quelles sont les mesures diagnostiques et thérapeutiques que vous mettez en œuvre ?
A. Radiographie semi-axiale du crâne, laboratoire d’infectiologie
B. Transfert aux urgences d’un hôpital pédiatrique avec service d’ORL
C. Traitement ambulatoire avec amoxicilline/acide clavulanique à haute dose, spray nasal décongestionnant, contrôle étroit le jour suivant
D. Frottis de la gorge

La bonne réponse est B. Une complication orbitaire d’une rhinosinusite aiguë chez un enfant de quatre ans doit être examinée en priorité par imagerie et traitée ensuite de manière adéquate. Une radiographie conventionnelle (crâne semi-axial) est obsolète. Un traitement ambulatoire serait éventuellement possible en cas de complication orbitaire débutante avec un gonflement de la paupière seulement circonscrit et une absence d’extension intra-orbitaire.

L’enfant dans ce cas ne peut toutefois plus ouvrir activement l’œil et présente des mouvements oculaires douloureux, ce qui plaide en faveur d’une complication orbitaire pertinente. Et c’est ainsi que la suite de l’examen d’urgence à l’hôpital révèle au scanner un gros abcès sous-périosté dans l’orbite gauche (fig. 2). L’abcès est soulagé chirurgicalement et traité par antibiotiques. Une lésion permanente de l’œil peut être évitée.

Discussion

Les complications d’une rhinosinusite bactérienne aiguë peuvent survenir aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte. Chez l’enfant, ce sont surtout les complications orbitaires qui se produisent, à partir des sinus ethmoïdaux. Les bactéries traversent alors la lame papyracée et pénètrent dans l’orbite. Ensuite, l’abcès sous-périosté se forme par décollement de la périorbite. En l’absence de traitement, les complications orbitaires peuvent entraîner une cécité ou une infection ascendante potentiellement mortelle avec thrombose du sinus caverneux et méningite.
Lorsque les sinus frontaux sont formés avec une pneumatisation croissante à l’âge de 10-12 ans, les complications endocrâniennes de la rhinosinusite bactérienne aiguë sont de plus en plus fréquentes à l’adolescence et à l’âge adulte. Celles-ci prennent leur origine dans les sinus frontaux et se manifestent sous forme d’une méningite sinusienne ou d’un abcès cérébral.

Cet article est une traduction de « der informierte arzt » 01_2023

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L’ auteur n’ a pas déclaré de conflits d’ intérêts en rapport avec cet article.

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Osteoporosis (SVGO). Swiss Med Wkly 2020;150:w20352
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of country-specific reports. Arch Osteoporos 2022;17(1):23.

Doit-on traiter l’ hypertension du patient âgé multi-morbide ?

Les bénéfices du traitement de l’ hypertension artérielle sur la mortalité et la morbidité cardio-vasculaires sont évidents et ont été clairement démontrés par de nombreuses études randomisées contrôlées. Peut-on appliquer leurs résultats aux sujets octogénaires, à ceux porteurs de plusieurs comorbidités, appartenant à la catégorie de santé des vulnérables ou dépendants ? Cet article résume les différentes recommandations des sociétés savantes, et s’ interroge sur leur application chez le sujet âgé fragile ou dépendant, souffrant d’ hypotension orthostatique ou avec une polymédication, tout en proposant des cibles de traitement adaptées à l’ état fonctionnel et cognitif du patient.

The benefits of treating arterial hypertension on cardiovascular mortality and morbidity are obvious and have been clearly demonstrated by numerous randomised controlled trials. Can these results be applied to subjects in their eighties, those with multiple co-morbidities, or those in the vulnerable or frail health category? This article reviews the various recommendations made by Academic Societies, and looks at their application to frail or dependent elderly subjects suffering from orthostatic hypotension or with polymedication. It also suggests treatment goals specific to each patient’s functional and cognitive capacities.
Mots clés: Hypertension, tension artérielle, grand âge, fragilité

L’ augmentation progressive avec l’ âge de la rigidité artérielle entraîne une élévation de la résistance vasculaire périphérique et de la pression artérielle. L’ hypertension systolique isolée qui en résulte concerne plus de 75% des sujets âgés de plus de 75 ans sans distinction de sexe (1, 2). Dès lors faut-il leur prescrire un antihypertenseur ?

Les bénéfices cardiovasculaires d’ un abaissement de la tension artérielle sont bien décrits dans la littérature. Dans une méta-analyse australienne, intégrant 123 études randomisées contrôlées (RC) et plus de 613’000 patients, Ettehad démontre qu’ une réduction de 10 mmHg de la tension artérielle systolique (TAs) abaisse la survenue des événements cardiovasculaires majeurs de 20%, la maladie coronarienne de 28%, les AVC de 27% et la mortalité toutes causes confondues de 13%. (3) Une autre revue systématique (21 études RC et 3 études observationnelles) n’ incorporant que des sujets âgés de plus de 65 ans établit qu’ abaisser la TAs de 160 mmHg à une valeur inférieure à 150 mmHg diminue la mortalité, le risque d’ accident vasculaire cérébral ainsi que les événements cardiovasculaires (4).

En 2021, une méta-analyse regroupant 320’000 patients (51 études RC) dont plus de 187’000 âgés de plus de 65 ans (60’000 de plus de 75 ans) souligne qu’ abaisser la TAs de 5 mmHg réduit de 9% la survenue d’ événement cardiovasculaire dans la tranche d’ âge de 65 à 85 ans; il n’ y a par contre aucun bénéfice à cette réduction chez les sujets âgés de 85 ans et plus (5).

Quelles informations retenir des études d’ interventions ?

En 2008, l’ étude HYVET fut la 1ère étude RC démontrant les bénéfices du traitement antihypertenseur chez l’ octogénaire, avec l’ abaissement de la mortalité globale de 21% et de l’ insuffisance cardiaque de 64% (6). Les études SPRINT et STEP soulignent aussi une réduction de 25 % des maladies cardiovasculaires en abaissant les cibles tensionnelles à des valeurs inférieures à 120 mmHg (SPRINT) ou comprises entre 110 et 130 mmHg (STEP) chez les sujets de plus de 66 ans dans des collectifs importants (respectivement 9’361 et 8’500 participants) (7, 8).

Les résultats de ces études sont néanmoins difficilement transposables à une population âgée fragilisée. En effet, même si 25% des individus de l’ étude SPRINT avaient de plus de 75 ans, les sujets fragiles ont été exclus, à savoir ceux souffrant d’ un diabète, d’ insuffisance cardiaque, de démence, d’ insuffisance rénale chronique, d’ hypotension orthostatique et ceux vivant dans des établissements médico sociaux ! (9) Par ailleurs, la méthode de mesure tensionnelle (lecture par un appareil automatique, dans une pièce à part, en l’ absence d’ un soignant) est inhabituelle et sous-estime probablement d’ env. 5 à 10 mmHg la pression artérielle mesurée habituellement en présence d’ une infirmière ou d’ un médecin (10). Dans l’ étude STEP, on a également écarté les sujets institutionnalisés et ceux présentant des antécédents d’ accidents vasculaires cérébraux; par ailleurs, l’ index de fragilité retenu est très inhabituel et non validé.

Dans une analyse secondaire regroupant 6 études randomisées contrôlées (SPRINT, ACCORD BP, Cardio-sis, JATOS, VALISH, STEP), Tao a regroupé 27’400 sujets de 70 ans d’ âge moyen et démontre qu’ abaisser la TAs à moins de 140 mmHg diminue de 21% le risque d’ événement cardiovasculaire. Cette intervention est utile chez le sujet âgé pour autant que son espérance de vie soit supérieure à 3 ans (11).

Etudes regroupant les sujets les plus âgés

L’ association de chiffres tensionnels élevés à une mortalité cardio-vasculaire accrue n’ est plus observée systématiquement chez un sujet très âgé, surtout s’ il est catégorisé comme fragile et souffrant de plusieurs comorbidités. Dans cette population, l’ observation est inverse : des chiffres tensionnels bas sont associés à une mortalité accrue ! S’ agit-il des conséquences de la poly-médication souvent présente dans ce groupe d’ individus dépendants ou d’ un déclin sévère de l’ état de santé ?

De 2008 à 2020, Bogaerts a recensé 34 guidelines de recommandations pour les cibles de traitement concernant l’ hypertension artérielle des octogénaires (12). Malheureusement, ces guidelines sont de nature inconsistante, et ciblées plutôt sur l’ âge chronologique que biologique. 18 guidelines recommandent une cible tensionnelle systolique inférieure à 150mmHg, alors que 4 proposent une cible inférieure ou égale à 130mmHg ! Seules 3 études tiennent compte du degré de fragilité pour déterminer la valeur tensionnelle conseillée !

Dans une cohorte de 79’379 individus (moyenne d’ âge 82,1 ans) suivis de 4 à 6 ans et ne souffrant ni de démence, de cancer, de maladie coronarienne, d’  accident vasculaire cérébral, d’ insuffisance cardiaque ou rénale terminale, Delgado décrit que la mortalité la plus faible est en lien avec une cible tensionnelle comprise entre 145 et 155 mmHg (13). L’ enregistrement électronique prospectif observationnel de la tension artérielle chez plus 415’000 sujets répartis selon leur degré de fragilité (robuste, fragilité légère, modérée ou sévère) et âgés de 79,5 ans, a mis en évidence qu’ une tension artérielle inférieure à 130/80mmHg élevait la mortalité chez les sujets âgés de 75 ans et plus (14). Dans cette catégorie d’ âge, il n’ y avait plus aucun lien entre hypertension et mortalité chez les patients modérément et sévèrement fragiles ; l’ association mortalité – hypertension disparaît également chez les sujets de plus de 85 ans !

Plusieurs études observationnelles confortent le fait qu’ une TAS inférieure à 140–150 mmHg est délétère chez le sujet très âgé et fragile, cela d’ autant plus s’ il est institutionnalisé (15-18).

Les modifications physiologiques liées à l’ âge, l’ accumulation des comorbidités et la poly médication peuvent sensiblement modifier le profil du risque de l’ individu âgé et expliquer l’ élévation de la mortalité associée à une tension artérielle inférieure à 130 mmHg, sans réduction du risque cardiovasculaire (19). Pour cette population, l’ excès de mortalité peut être le reflet d’ une période de vie plus longue avec des valeurs tensionnelles basses, en lien avec le cancer, la démence, l’ insuffisance cardiaque ou la fragilité générale (19, 20).

Par ailleurs, dans ce groupe d’ individus, on doit se méfier de l’ hypotension orthostatique dont la prévalence augmente avec l’ âge (20% chez le sujet âgé de plus de 60 ans, supérieur à 50% chez le résident d’ un home), ainsi que le dysfonctionnement des barorécepteurs. Rappelons que les diurétiques et les anti hypertenseurs inhibant l’ activité sympathique, comme les béta bloquants et les anti psychotiques, ont un risque très augmenté d’ hypotension ortho statique (21).

Dernières guidelines

En août 2022, dans une publication du European Heart Journal, Whelton PK, fortement influencé par les résultats des études SPRINT et STEP, résumaient les dernières guidelines européennes (2018) et américaines (2019) ciblant les recommandations de prise en charge de l’ hypertension artérielle (22). Récemment, la société européenne d’ hypertension a publié les nouvelles recommandations 2023, proposant des seuils et des cibles de traitement en fonction de la catégorie de santé du sujet âgé [Tableau 1] (23). Ainsi, avant d’ initier un traitement, le degré de fragilité du patient doit être évalué (par exemple, en utilisant l’ échelle validée du score de fragilité clinique), en s’ appuyant sur l’ appréciation des activités de la vie quotidienne, le score fonctionnel, le statut cognitif, l’ impact des comorbidités), permettant ainsi de définir 3 catégories de patients: le robuste, le vulnérable et le dépendant (23-24).

Une cible de TAs inférieure à 130/80mmHg, mais non inférieure à 120/70 mmHgest recommandée pour tous les adultes hypertendus si la tolérance est bonne. La recommandation est valable aussi pour les sujets âgés de 65 ans et plus, pour autant qu’ ils ne soient pas institutionnalisés et que le traitement instauré soit bien toléré. Pour les âgés souffrant de lourdes comorbidités et avec une espérance de vie limitée (catégorie dépendant), le choix et l’ intensité du traitement antihypertenseur doit tenir compte du jugement clinique, de l’ évaluation du risque – bénéfice et des préférences du patient.

Pour le sujet âgé de 80 ans, la cible du traitement doit être de 150/90mmHg, avec une mesure tensionnelle en position debout, et des 2 bras (23, 25). Si le traitement médicamenteux est mal toléré, si la TAs est inférieure à 130mmHg ou en présence d’ une hypotension orthostatique, l’ arrêt de l’ antihypertenseur doit être fortement envisagé (déprescription) (23).

Conclusion

Même si, indéniablement, la plupart des grandes études randomisées abaissant la pression systolique chez le sujet âgé démontrent un effet bénéfique sur les risques cardiovasculaires et sur la survenue des accidents vasculaires cérébraux, il faut bien reconnaître que la sélection des individus hypertendus inclus dans ces études nous incite à la prudence. En effet, comment généraliser ces résultats pour les sujet âgés polymorbides et fragiles, dont la plupart ont été exclus lors de la randomisation ?

Chez les sujets octogénaires et plus âgés, ainsi que chez les plus fragiles, il convient de prendre en compte l’ âge biologique, le degré de fragilité, l’ espérance de vie et le temps nécessaire jusqu’ au bénéfice du traitement proposé, avant de décider de la cible visée dans une décision partagée et personnalisée, en tenant compte des préférences du patient ou de ses directives anticipées.

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dr Martial Coutaz M.D.

Service de gériatrie
Avenue de la fusion 27
1920 Martigny

martial.coutaz@hopitalvs.ch

L’ auteur n’ont pas déclaré de conflits d’ intérêts en rapport avec cet article.

◆ De hautes valeurs tensionnelles sont associées à une augmentation de la mortalité cardio-vasculaire chez le sujet âgé robuste
◆ Chez le sujet âgé fragilisé par de nombreuses comorbidités, des pressions basses augmentent la mortalité
◆ La fréquence de l’hypotension orthostatique s’élève avec l’âge et chez les résidents d’EMS
◆ Chez l’âgé, la tension artérielle doit aussi se mesurer en position debout
◆ A 80 ans et plus, la cible tensionnelle doit viser les chiffres de 150/90 mmHg

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Douleurs abdominales – fréquentes, mais pas banales

Les douleurs abdominales sont fréquentes dans la pratique quotidienne. On peut distinguer les douleurs abdominales aiguës et chroniques ainsi que les troubles organiques ou fonctionnels. En outre, la localisation des douleurs est déterminante et il convient de prendre en compte les maladies systémiques ou extra-abdominales qui se manifestent dans la cavité abdominale. Il est particulièrement important de savoir si les douleurs abdominales s’accompagnent d’une menace aiguë pour la personne concernée. Dans ce cas, une action rapide est très importante pour le pronostic ultérieur. En cas de douleurs abdominales chroniques, il est parfois possible et nécessaire d’établir un diagnostic détaillé afin d’exclure également des pathologies plus rares.

Abdominal pain is common in daily practice. A distinction can be made between acute and chronic abdominal pain and between organic and functional complaints. Furthermore, the localisation of the pain is decisive and systemic or extra-abdominal diseases manifesting in the abdom- inal cavity should also be considered. Of particular importance is the decision whether the abdominal pain is accompanied by an acute threat to the affected person. In this case, fast action is crucial for the further prognosis. In the case of chronic abdominal pain, a detailed diagnosis is sometimes possible and necessary in order to be able to exclude rarer clinical pictures.

Key Words: acute abdominal pain, chronic abdominal pain, diagnosis, therapy

Épidémiologie

Les douleurs abdominales font partie des symptômes les plus fréquents en cabinet ainsi qu’à l’hôpital et sont l’une des causes les plus fréquentes de consultation médicale. Selon une étude de 1999, environ 50% des adultes déclarent des douleurs abdominales. Environ 5 à 10 % de toutes les présentations aux urgences ont lieu pour cette raison. Les douleurs abdominales chroniques ou récurrentes constituent la cause la plus fréquente d’orientation vers un gastro-entérologue. Dans 35 à 51% des cas, l’origine des douleurs n’est pas claire. L’éventail des symptômes va de la maladie bénigne à la maladie potentiellement mortelle.

L’âge du patient est également décisif pour déterminer dans quelle mesure il pourrait souffrir d’une maladie organique. Alors que jusqu’à 40% des patients de moins de 50 ans présentent des douleurs abdominales non caractéristiques, ce chiffre tombe à 16% chez les patients
de plus de 50 ans et les causes des douleurs sont plutôt organiques (tableau 1).

Classification

Abdomen aigu

Il est particulièrement important de déterminer s’il est question d’un abdomen aigu. Il s’agit alors de l’un des tableaux cliniques les plus importants de la médecine viscérale et il requiert une grande expérience clinique. Un abdomen aigu est défini comme une douleur abdominale intense d’apparition soudaine et d’une durée de moins de 24 heures. L’abdomen aigu se caractérise par des douleurs abdominales prononcées avec une tendance à l’aggravation rapide de l’état. Les principaux symptômes de l’abdomen aigu sont :

  • douleurs abdominales intenses
  • irritation péritonéale
  • dépression circulatoire
  • perturbation de la motricité intestinale
  • détérioration de l’état général (tachycardie, hypotension)

Selon la localisation des troubles, il est déjà possible de délimiter les diagnostics différentiels (tableau 2).

Douleurs abdominales chroniques

Il peut être difficile de distinguer les douleurs chroniques des douleurs aiguës. Une définition fréquente est une durée des douleurs de plus de 12 semaines. Il est cependant probablement plus judicieux de décider, sur la base de l’anamnèse et de l’examen clinique, s’il s’agit d’un processus aigu, progressif ou chronique.

En cas de processus chroniques, l’anamnèse permet souvent de limiter les causes possibles. Dans le cas d’une longue histoire de maladie, les troubles peuvent changer ou être modulés par des facteurs externes, comme par exemple un gain secondaire de maladie.

Plus de la moitié des patients souffrant de douleurs abdominales chroniques présentent des troubles fonctionnels au sens d’un estomac irritable ou d’un syndrome du côlon irritable. Il est important d’être attentif aux symptômes d’alarme qui rendent probable un événement organique. Il s’agit notamment d’un âge supérieur à 50 ans, d’une tumeur palpable, d’une perte de poids, de la présence de mucus et de sang dans les selles, d’une anémie ou de l’apparition soudaine de diarrhées ou de douleurs.

Anamnèse

Le caractère aigu du tableau clinique détermine le degré de détail de l’anamnèse. En cas de tableau clinique aigu, il convient de poser des questions ciblées sur le début ou le caractère de la douleur, la localisation de la douleur (initiale et actuelle) et d’éventuels événements antérieurs, en fonction de l’état général.

Chez les patients stables ou souffrant de douleurs abdominales chroniques, il est judicieux de procéder à un examen détaillé de la médication, des maladies et des opérations antérieures.

Examen clinique

L’examen clinique commence par une inspection. La posture du patient peut être un indice :
En cas de colique biliaire ou urétérale, les patients sont généralement très agités et se tortillent dans tous les sens, alors qu’en cas de péritonite, ils restent allongés et évitent tout mouvement. L’inspection de l’abdomen doit permettre de déceler des cicatrices indiquant des opérations antérieures ainsi que des gonflements ou des rougeurs.

L’auscultation est ensuite effectuée. Il convient de différencier si les bruits intestinaux sont normaux, amplifiés, surélevés, atténués ou absents.
En complément, la percussion peut fournir des informations sur la présence d’un météorisme et si les troubles peuvent être attribués à celui-ci.
Dans la situation aiguë, la palpation de l’abdomen sert surtout à déclencher une douleur à la pression ou un péritonisme. Les signes classiques sont par exemple le signe de Murphy en cas de cholécystite aiguë (arrêt de l’inspiration en raison de la douleur lors de la palpation dans la partie supérieure droite de l’abdomen) ou une douleur à la pression dans la partie inférieure droite de l’abdomen au-dessus du point de Lanz et du point de McBurny en cas d’appendicite aiguë.

En fonction de la présence d’une obésité, il est également possible de palper un foie ou une rate hypertrophiés.

Il convient également de prêter une attention particulière aux éventuelles hernies de la paroi abdominale, par exemple dans les aines ou au niveau de cicatrices.

Diagnostic

Examens de laboratoire

Les examens de laboratoire font partie du diagnostic de base en cas de douleurs abdominales. Il convient de déterminer la formule sanguine, les électrolytes, les valeurs rénales, le statut urinaire ainsi que la protéine C-réactive. En fonction de la maladie suspectée, il faut ajouter les valeurs hépatiques ou pancréatiques, le lactate ou les D-dimères. Chez les femmes en âge de procréer, il est nécessaire de déterminer le taux de bêta-HCG, notamment en vue d’un diagnostic ultérieur par scanner-abdomen. En outre, en cas de douleurs abdominales hautes, il faut également penser à une cause extra-abdominale, comme un infarctus du myocarde.

Procédures d’imagerie

La première chose à faire, si disponible, est de réaliser ou de demander une échographie de l’abdomen. Selon l’expertise, elle permet de détecter ou d’exclure différentes maladies telles qu’une cholécystite, une cholécystolithiase, une appendicite ou un iléus. Une cause urologique des troubles, comme par exemple une urolithiase, peut également être prise en compte dans le diagnostic différentiel en présence d’une congestion pelvienne.
D’autres examens d’imagerie, tels qu’un scanner de l’abdomen ou une IRM, peuvent alors être effectués si le diagnostic n’est pas encore clair ou s’il doit être confirmé.

Examens complémentaires

Le recours à d’autres examens dépend en particulier du degré d’urgence de l’événement. En situation d’urgence, une œsophagogastroduodénoscopie en cas d’hémorragie gastro-intestinale haute ou une angiographie après détection d’une hémorragie artérielle avec possibilité d’une hémostase interventionnelle peuvent être réalisées. Si les troubles sont plutôt subaigus ou chroniques, une coloscopie, une entéroscopie ou une endoscopie capsulaire ou une IRM-Sellink peuvent être indiquées pour examiner l’intestin grêle. L’ultima ratio en cas de troubles abdominaux inexpliqués est la laparoscopie diagnostique, qui permet également de détecter des adhérences intra-abdominales.

De plus, en cas de suspicion d’une cause extra-abdominale, une radiographie du thorax et un électrocardiogramme doivent être effectués.

Traitement

Conservateur

Un traitement conLes douleurs abdominales sont l’une des causes les plus fréquentes de consultation au cabinet médical ou aux urgences.iaire ou d’urolithiase, dans la mesure où il existe une forte probabilité d’évacuation spontanée des calculs. Dans ces cas également, une hospitalisation est souvent nécessaire.

En cas de douleurs abdominales chroniques, le traitement conservateur est au premier plan. Il est toutefois important, en cas de symptômes d’alarme, de procéder à un examen clinique plus approfondi et, le cas échéant, à un traitement chirurgical.

Opératoire

Dans environ 90% des cas d’abdomen aigu, un traitement chirurgical est nécessaire. Aujourd’hui, il est possible de le faire par laparoscopie dans la plupart des cas. Cependant, selon les résultats, une laparotomie peut encore être nécessaire en cas de péritonite étendue ou de multiples opérations antérieures.

Copyright bei Aerzteverlag medinfo AG

Dr Stefan Eisoldt

Médecin cadre de la clinique de chirurgie
Spital Männedorf AG, Asylstrasse 10
8708 Männedorf

L’ auteur n’ a pas déclaré de conflits d’ intérêts en rapport avec cet article.

◆ Les douleurs abdominales sont l’une des causes les plus fréquentes de consultation au cabinet médical ou aux urgences.
◆ Les douleurs abdominales aiguës doivent faire l’objet d’un diagnostic et d’une thérapie immédiats, car un retard peut entraîner une aggra­vation significative du pronostic pour certaines pathologies.
◆ Environ 90% des cas d’abdomen aigu nécessitent un traitement chirurgical.
◆ Les douleurs abdominales chroniques peuvent représenter un défi
diagnostique, car les symptômes peuvent changer au cours de la maladie en raison de facteurs externes.

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Alcool et cœur

La consommation d’alcool appartient aux traditions culturelles en Suisse et plus de 80% de la population en consomment raisonnablement. En excès ses effets néfastes ont bien été caractérisés. Pourtant, les possibles bénéfices cardioprotecteurs demeurent débattus dans la littérature scientifique. Cet article a eu pour but d’examiner les résultats des 10 métanalyses d’un grand nombre de cohortes visant à déterminer l’impact des boissons alcoolisées sur le risque cardiovasculaire selon le niveau de consommation et de les confronter aux recommandations pour la population.

The consumption of alcohol is part of the cultural traditions in Switzerland and more than 80% of the population consumes alcohol at a reasonable level. The harmful effects of excessive alcohol consumption are well documented. Nevertheless, the potential cardioprotective benefits are still debated in the scientific literature. In this article, the results of 10 meta-analyses of a large number of cohorts were examined to determine the effects of alcoholic beverages on cardiovascular risk according to consumption level and compared them with population recommendations.
Key Words: Alcohol, Cardiovascular risk, coronary heart disease, cardioprotection

L’alcool fait partie intégrante de notre culture en Suisse, avec plus de 80% de notre population âgée de 15 ans et plus en reconnaissent sa consommation, dont près de 20% en quantité excessives, c’est-à-dire buvant trop, trop souvent et au mauvais moment, près de 5% sous forme chronique à risque. S’y ajoutent 250 000 à 300 000 personnes alcoolodépendantes [1]. Selon les données statistiques récentes, sa consommation annuelle a globalement diminué de près de 20% entre 2001 et 2021, passant de 126 à 102 litres par personne. Alors que la consommation de spiritueux et de cidre est restée relativement stable en termes d’alcool pur, son recul est observé principalement sur le vin (-27%) et la bière (-12%) [2]. Toutefois, il n’en demeure pas moins que consommé en excès, l’alcool engendre d’importants dommages sanitaires, sociaux et économiques, pourtant un coût global d’environ 4.2 milliards en 2010 [3]. En 2017, 1553 décès ont causé par l’alcool en Suisse chez les personnes entre 15 et 74 ans, ce qui représente 8% des décès de cette tranche d’âge, dont 77% d’hommes et 45% des personnes âgées de 65 à 74 ans. Parmi les 4 principales causes de mortalité figuraient les cancers (36%), les accidents et blessures (21%), les maladies hépato-digestives (21%), ainsi que les CVs (MCV) (10%).[4]. Dans cette même publication, G. Gmel mentionne que le taux de mortalité lié à l’alcool a diminué au cours des 20 dernières années, passant de 56,1 décès pour 100 000 habitants à 34,7 chez les hommes et 14 à 10.7 chez les femmes. Pour les hommes, cette baisse est principalement due à la diminution des accidents et des blessures ainsi que des maladies du système digestif, alors que pour les femmes, c’est la diminution des décès dus aux maladies du système digestif qui joue le rôle le plus important.

Au cours de ces dernières décennies, un grand nombre d’études a montré qu’une réduction du risque cardiaque pouvait être associé à une consommation faible à modérée d’alcool [5-8]. Toutefois, la littérature fait aussi état de résultats divergents et des critiques méthodologiques remettant en cause cet effet [9-12]. Pour d’autres auteurs, les fortes différences entre les doses limite recommandées selon les pays sont de nature à complexifier la standardisation des valeurs de référence [13-16]. Dès lors, article a pour but de reconsidérer l’association entre les habitudes et le niveau de consommation d’alcool et le risque de maladies cardiaques (MC) à la lumière des connaissances scientifiques issues des revues systématiques et méta-analyses publiées à ce jour.

Préambule méthodologique

Pour faire le point le point sur l’impact des habitudes de consommation d’alcool et les MC, cette recherche s’est basée sur les 10 métanalyses recensées récemment par Calabrese I. [17]. Publiées entre 2004 et 2020, ces métanalyses totalisent entre 4 et 44 études réalisées principalement dans les pays européens et ayant inclus des personnes en bonne santé apparente, en majorité de sexe masculin [18-28]. Les auteurs de ces métanalyses ont veillé à ne sélectionner que les études offrant les meilleurs standards de qualité limitant les biais méthodologiques. A noter que leurs critères de jugement n’ont porté que sur le risque de maladie coronarienne ischémique (MCor) et de MCV au sens large, d’où le manque de spécification pour les formes plus rares de MC telles qu’insuffisance cardiaque, cardiomyopathie ou fibrillation auriculaire. Pour cette raison, ces formes plus rares ne seront pas abordées dans cette brève revue.

Consommation d’alcool et maladie coronarienne

Comme mentionné dans le tableau 1, une consommation journalière d’alcool légère à modérée est associée à une réduction significative de l’incidence de MCor dans 9 des 10 méta-analyses, avec risque relatif (RR) oscillant entre 0.64 et 0.81. Cette relation inverse se maintient pour des consommations d’alcool plus élevées, comme cela est rapporté par Yang Y [23]. Dans sa métanalyse, il a observé que par rapport aux non-buveurs, les RR (IC à 95 %) de MCor selon les niveaux de consommation d’alcool étaient de 0.75 (0.70-0.80) pour 12 g./j, 0.70 (0.66-0.75) pour 24 g./j, 0.69 (0.64-0.75) pour 36 g./j, 0.70 (0.64-0.77) pour 60 g./j, 0.74 (0.67-0.83) pour 90 g./j et 0.83 (0.67-1.04) pour 135 g./j, avec globalement le RR le plus bas corrélé à 36 g./j d’alcool consommé. De plus, comme présenté dans le tableau 2, issu de la métanalyse de Zheng Y.L., les RR de MCor sont réduits significativement de manière similaire entre hommes et femmes, en lien avec une consommation modérée d’alcool comprise entre 15 et 30 g./j [21].
Dans l’idée de mieux cerner le bénéfice potentiel d’une consommation élevée chronique (> 60 g./j) sur le risque de MCor, Roerecke M. a calculé les RR selon que les gros consommateurs étaient comparés aux abstinents à vie (1,04 ; 0.83-1.31) ou aux abstinents du moment (0.83 ; 0.70-1.98) [20]. Ce constat démontre le risque de surestimation du bénéfice CV potentiel selon les critères définissant le groupe des abstinents.

Concernant le risque de mortalité coronarienne, 3 des 4 métanalyses font état d’une diminution significative des RR selon un effet dose réponse par 2.5-14.9 g. /j (0.79;0.73-0.86), ou par comparaison entre buveurs et non-buveurs (0.88; 0.78-0.99), ou d’une augmentation significative (bénéfique) pour la comparaison inversée entre non-buveurs et buveurs modérés (1.47; 1.21-1.78) [18, 25, 26]. Toutefois, pour Roerecke M. qui a comparé le RR de mortalité coronarienne entre consommateurs légers à modérés (12-23.9 g/j) et abstinents à vie, la diminution du RR n’est pas significative chez les hommes (0.86; 0.73-1.02), alors que chez les femmes le RR est légèrement défavorable (1.03;0.38-1.27) [20]. Ces données montrent que l’impact des différents modes et de niveau de consommation d’alcool sur le RR de mortalité coronarienne reste moins clairement établi, en particulier chez les femmes.

Consommation d’alcool et maladies cardiovasculaires

Le tableau 1 résume aussi les données relatives à l’incidence et à la mortalité CV, dans leur ensemble, qui ont été rapportées dans les 4 métanalyses ayant inclus entre 7 et 15 études de cohorte totalisant plus d’un million de personnes à prédominance masculine. Ce tableau montre qu’une consommation légère à modérée ou modérée d’alcool est associée à une réduction significative du RR de morbidité et mortalité CV oscillant entre 0.68 et 0.85 chez les hommes et dans le collectif entier inclus dans 3 des 4 métanalyses [19, 21, 27], alors que chez les femmes, l’abaissement des RR n’atteint le seuil de signification statistique que dans l’une des 4 métanalyses (0.63; 0.57-0.71) [24].

A l’inverse, une consommation élevée d’alcool est associée chez les hommes cette question n’a été examinée que dans 2 métanalyses

[21,27] révélant une élévation non significative du RR, que dans celle comportant le plus haut niveau de consommation d’alcool (1.32; 0.61-2.86) [27]. Chez les femmes il existe aussi une augmentation non significative du RR dans les 2 métanalyses ayant analysé la question (1.04; 0.74-1.46 et 1.30; 0.74-2.26) [21,24].

Récemment, Ding C. a démontré, sur la base d’étude de cohortes de patients qui avaient déjà été victimes d’un infarctus, d’angine de poitrine ou d’AVC, des effets similaires en lien avec la consommation d’alcool. Ainsi, par rapport aux personnes qui n’avaient jamais bu, il a observé une réduction du risque qui a culminé à 7 g / jour (RR = 0.79; 0,73-0,85) pour la mortalité toutes causes confondues, 8 g / jour (0.73; 0.64-0.83) pour la mortalité CV et 6 g / jour (0.50; 0.26-0.96) pour les événements CV, en restant significative jusqu’à 62, 50 et 15 g/jour, respectivement [28].

Au regard des croyances personnelles et des préférences culturelles, à ce jour aucun modèle cohérent d’un type spécifique de boisson alcoolisée (vin, bière ou spiritueux) réduisant le risque de MCor n’a été confirmé, mais il existe un fort accord épidémiologique concernant la réduction du risque de MCor associée aux différents types de boissons alcoolisées, pour autant que leur consommation ne soit pas excessive [29-31].

Enfin, malgré la rigueur méthodologique inhérente à la conduite des études de cohorte et à ces métanalyses, leurs résultats souffrent tout de même de diverses limitations susceptibles de surestimer les bénéfices potentiels d’une consommation d’alcool faible à modérée [31,32]. S’y ajoutent quelques études, basées sur des randomisations mendéliennes à l’aide de variables génétiques, qui ont remettent en question les possibles avantages de la consommation d’alcool sur le risque CV [33-35], voire-même que toute consommation d’alcool en augmenterait le risque [36].

Enfin, s’il est vrai que les résultats de métanalyses d’études d’observations de cohortes n’ont pas valeur de causalité pour prouver l’effet protecteur de la consommation légère et modérée d’alcool, elles peuvent tout au plus en souligner la plausibilité. En revanche, les caractéristiques de ces données sont reconnues comme utiles pour tenter de définir des limites à ne pas dépasser, tout en prenant en considération la globalité des effets de la consommation d’alcool du point de vue médical, social, professionnel et économique. A cet égard, la Société européenne de cardiologie (SEC) recommande de s’en tenir à une même consommation maximale de 100 g./semaine pour les femmes et les hommes, quantité correspondant à une consommation faible [37]. En Suisse les recommandations émanant de la Commission fédérale pour les problèmes liés à l’alcool correspondent à une consommation légère à modérée, comme suit : les hommes adultes en bonne santé ne devraient pas boire plus de deux boissons standard (20-24 g. d’alcool pur) par jour, en intercalant des journées sans alcool, et en veillant à ne pas boire plus de 5 boissons standard par occasion. Chez les femmes ces limites correspondent à 1 et 4 boissons standard, et les personnes âgées qui réagissent plus à l’alcool devraient réduire leur consommation [38].

Que retenir de ces métanalyses ?

Globalement, les résultats des 10 métanalyses réalisées au cours des deux dernières décennies sont cohérents les uns avec les autres, mettant en évidence un mélange complexe entre une association bénéfique et délétère de la consommation d’alcool et le risque de Mcor et de MCV qui dépend principalement des quantités et de la fréquence de cette consommation. Cette relation est le plus souvent décrite comme curviligne, ou « en forme de J» mais aussi parfois comme une association inverse aplatie [32]. Toutefois, il convient de reconnaître que ces métanalyses n’ont pas eu pour objectif de définir les doses limites de consommation recommandées quant aux bénéfices et risques spécifiques de morbidité et de mortalité coronariennes, CV ou de mortalité totale, comme en témoigne l’absence de courbes graphiques mettant en relation le RR aux différents niveaux de consommation de boissons alcoolisées. Seul Corrao G. fait mention dans sa publication d’une courbe en J, montrant la plus forte réduction du RR de Mcor corrélée à une consommation journalière de 20 g. d’alcool pur, les valeurs du nadir étant comprise entre 72 et 89 g. [17]. Dans sa publication de 2012 portant sur 24 études, Roerecke M. a fixé le nadir à 32 g. par jour pour la mortalité et à 69 g. par jour pour la morbidité par MCor chez les hommes, ces valeurs étant respectivement de 11 g et 14 g. par jour chez les femmes [19], alors que pour Yang Y., le RR le plus bas correspondait à 36 g [23].

Concrètement, ces métanalyses n’ont pas permis de fixer de valeur limite commune à une consommation journalière élevée d’alcool en ce qui concerne le RR CV, notamment chez les femmes. En revanche la limite nsupérieure de 30 g est la plus utilisée. A noter enfin que les limites proposées par Zheng Y.L. dans le tableau 2 semblent intéressantes, mais discutables en l’absence de distinction entre hommes et femmes.

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Pr Roger Darioli

Président de la Fondation Suisse Nutrition Santé
5, chemin des Fleurs
1007 Lausanne

roger.darioli@unisante.ch

Les auteurs n’ont pas déclaré de conflits d’  intérêts en rapport avec cet article.

En bref, cette revue des métanalyse conforte la notion que :
◆ la consommation régulière d’alcool est associée à des effets possiblement bénéfiques pour le cœur, en particulier pour la MCor, pour autant qu’il s’agisse d’une consommation légère à modérée, plus réduite chez les femmes que chez les hommes,
◆ la consommation élevée chronique ne paraît pas influencer le risque de MCor, mais elle accroît aussi bien le risque CV que d’AVC,
◆ les résultats acquis à ce jour ne permettent de conclure à un effet un avantage du vin sur les autres formes de boissons alcoolisées,
◆ tout-e patient-e mérite d’être informé sur les effets de l’alcool sur les MCV et de connaître les recommandations de la SEC et celles de la Commission fédérale des problèmes liés à l’alcool en faveur d’une consommation hebdomadaire de préférence inférieure à 100 g. d’alcool pur à moindre risque pour la santé.

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