Opioïdes chez les patients âgés

La mise en place d’ une antalgie par opioïdes chez les patients âgés représente souvent un défi. Si les opioïdes peuvent conduire à des effets indésirables dangereux, surtout chez une population gériatrique vulnérable, un contrôle insuffisant des douleurs entraîne, quant à lui, une diminution parfois dramatique de l’ état fonctionnel et de la qualité de vie des patients. Cet article propose de discuter ces enjeux et de revoir les principes pour une prescription plus sûre des opioïdes en gériatrie.

Selon l’  Office Fédéral de la Statistique, les traitements antalgiques, toutes classes confondues, sont les médicaments les plus consommés en Suisse, en particulier par les personnes âgées (1). La consommation d’ opioïde totale, exprimée en équivalent de morphine par habitant, a par ailleurs augmenté en Suisse de plus de 20 fois dans la population générale sur une période de 30 ans (1985-2015) (2). Une étude observationnelle genevoise a montré que 20% des patients gériatriques consultant aux urgences prenaient un opioïde à domicile et, parmi ceux-là, 1/3 consultaient en raison d’ effets indésirables liés à ce traitement (3). Il semble toutefois que les personnes de plus de 65 ans en Suisse ne reçoivent pas d’ avantage d’ opioïdes forts que les patients plus jeunes (4). Ceci peut sembler étonnant dans la mesure où la douleur est un symptôme très fréquent et dont la prévalence augmente avec l’ âge. Il semble cependant que la peur de prescrire des opioïdes chez des patients polymorbides et polymédiqués demeure importante.
La présence de comorbidités et le risque accru d’ effets indésirables chez les patients âgés modifient souvent la balance risque-bénéfice des antalgiques, ce qui restreint leur choix dans cette population. Les opioïdes, qui sont les antalgiques les plus efficaces disponibles et dont l’ usage est normalement réservé à des douleurs modérées à sévères aiguës ou après l’ échec des autres traitements à disposition, deviennent parfois la seule option thérapeutique médicamenteuse en gériatrie.

Importance d’ un traitement adéquat de la douleur

Il a été mis en évidence que la population gériatrique est souvent traitée de manière insuffisante par rapport à l’ intensité des douleurs présentées (5 - 8) et que les opioïdes forts sont sous-utilisés. Une banalisation, de la part des patients, qui considèrent la douleur inéluctable, et des soignants, qui n’ ont pas toujours la formation nécessaire pour évaluer adéquatement les manifestations douloureuses et leur prise en charge chez les patients âgés, en particulier en cas de communication verbale altérée ou de troubles cognitifs, pourrait en être la raison. Par ailleurs, la crainte des effets indésirables et un manque de formation ont été identifiés comme des éléments clés pour une absence d’ usage des opioïdes par les soignants dans cette population (9).
Une douleur insuffisamment traitée, surtout chronique, aura des effets délétères souvent plus importants chez la personne âgée, tant en termes de qualité de vie que de fonctionnalité. Elle peut s’ accompagner de troubles du sommeil et de l’ appétit, de dépression, d’ une mobilité réduite, de chutes et de l’ incapacité d’ assumer les activités de la vie quotidienne, entraînant possiblement une perte d’ indépendance (10, 11). Par ailleurs, un contrôle insuffisant des douleurs aiguës, particulièrement dans le contexte post-opératoire, peut conduire à un état confusionnel (12).
Alors qu’ initialement l’ administration d’ opioïdes était réservée à la prise en charge de douleurs nociceptives aiguës ou tumorales, la co-prescription d’ un opioïde per os pour le traitement de douleurs chroniques non-cancéreuses chez les patients gériatriques est admise pour un traitement à court terme de douleurs musculosquelettiques modérées à sévères persistantes, par exemple pour une poussée d’ arthrose ou des lombalgies basses, et en cas d’ échec des autres approches médicamenteuses ou non (9, 13, 14).

Vulnérabilité gériatrique spécifique aux opioïdes

La crainte répandue d’ effets indésirables majorés et de conséquences graves chez les sujets âgés prenant des opioïdes est justifiée. Les modifications pharmacocinétiques et pharmacodynamiques liées à l’ âge ainsi que les comorbidités et la polymédication, extrêmement fréquentes dans cette population, la rendent plus vulnérable aux événements indésirables sous opioïdes, qui sont en termes de caractéristiques les mêmes que dans le reste de la population mais dont les conséquences sont souvent plus graves (tab. 1). Ainsi, une thérapie par opioïde sans indication peut réduire la qualité de vie tout autant voire d’ avantage que la douleur-même pour laquelle elle est prescrite (14).
Une sensibilité pharmacodynamique augmentée chez la personne âgée, entraînant un effet plus prononcé pour une dose donnée, a été notamment rapportée avec tous les opioïdes. Ceci engendre, particulièrement en début de traitement, un risque de chute et de fracture dose-dépendant, encore majoré en cas de prise d’ autres traitements sédatifs, tels que benzodiazépines, antipsychotiques, antidépresseurs tricycliques ou antihistaminiques, mais permet également une réponse thérapeutique à des doses souvent moindres.

Principes pour une prescription plus sûre

Si les effets délétères potentiels des opioïdes chez les patients gériatriques sont une réalité, il existe des moyens simples d’ empêcher ou de limiter leur apparition dans cette population (tab. 1).
Il convient en premier lieu de réserver la prescription des opioïdes aux cas où les douleurs sont modérées à sévères et impactent de manière significative la qualité de vie et le niveau fonctionnel des patients (14).
Les opioïdes devraient dans la mesure du possible être accompagnés de mesures non médicamenteuses. On débutera par ailleurs la thérapie à des doses inférieures de 25-50 % et l’ augmentation se fera de manière plus prudente que chez les patients plus jeunes (11).
Il est essentiel de définir avec le patient un objectif thérapeutique réaliste à l’ introduction du traitement, tel qu’ une réduction de la douleur de 30 à 50 % ou une amélioration nette du sommeil, de la qualité de vie, de l’ état fonctionnel et une reprise des activités sociales. En cas de non atteinte de ces objectifs après 4 semaines au plus, l’ opioïde devra être arrêté de manière progressive (diminution de 25-50 % par semaine jusqu’ à l’ arrêt). En cas de pour-
suite de la thérapie, une nouvelle évaluation du traitement se fera au plus tard après 6 mois et une diminution de la dose ou un arrêt sera envisagé (11, 14).
La forme galénique à privilégier est la forme orale, mais l’ instauration d’ un patch est parfois envisageable, notamment en cas de trouble de la déglutition ou de problème d’ adhésion. Un traitement laxatif osmotique ou irritatif devrait accompagner la prescription.
Chez les patients âgés souffrant d’ insuffisance rénale, les antalgiques de choix sont la buprénorphine, et l’ hydromorphone, et éventuellement le fentanyl patch, qui ne s’ accumulent pas en cas de fonction rénale altérée (15). Il est à noter que c’ est la formule de Cockroft, prenant en compte le poids, qui devrait être utilisée pour estimer la fonction rénale des personnes âgées ayant une masse musculaire diminuée.
En cas d’ atteinte hépatique, on préférera des opioïdes glucoronoconjugués, tels que la morphine et l’ hydromorphone. La buprénorphine ou le fentanyl sont une alternative possible (16, 17).
En raison d’ un risque élevé d’ interaction pharmacocinétique, il est raisonnable d’ éviter la prescription de codéine et d’ oxycodone chez les patients polymédiqués et de prêter une attention particulière à la survenue d’ effets indésirables ou d’ une réponse thérapeutique insuffisante en cas de prescription d’ autres opioïdes substrats des cytochromes P450 (CYP), comme le tramadol (CYP 2D6) ou le fentanyl (CYP 3A4/5) (18). Leur effet peut être modifié en présence d’ interactions médicamenteuses ou d’ un polymorphisme génétique des CYP. Ceci est particulièrement valable dans le contexte de la pandémie actuelle à Sars-CoV2 (COVID-19), dont une des thérapies à l’ essai, le lopinavir/ritonavir (Kaletra®), inhibiteur des CYP3A4/5 et CYP2D6, entraîne un risque de surdosage ou d’ inefficacité thérapeutique en cas d’ administration d’ opioïdes substrats de ces enzymes. Il convient dans ces situations de privilégier la buprénorphine, ou la morphine qui éviteront une partie de ces interactions et de s’ informer du risque.
Par ailleurs, on limitera la polymédication autant que possible, en particulier les traitements sédatifs afin de réduire le risque de chute.

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Dre Myriam El Biali

Médecin cheffe de clinique
Service de pharmacologie et toxicologie cliniques
Département de médecine aiguë
HUG, rue Gabrielle Perret-Gentil 4
1211 Genève 14

Myriam.elbiali@hcuge.ch

Pr Jules Desmeules

Médecin chef du Service de pharmacologie et toxicologie cliniques
Centre multidisciplinaire d’évaluation et de traitement de la douleur
Département de médecine aiguë
HUG, rue Gabrielle Perret-Gentil 4
1211 Genève 14

Jules.Desmeules@hcuge.ch

Dre Marie Besson

Médecin adjointe agrégée responsable des unités de
psychopharmacologie clinique et du Centre multidisciplinaire
d’ évaluation et de traitement de la douleur
Service de pharmacologie et toxicologie cliniques
Département de médecine aiguë
HUG, rue Gabrielle Perret-Gentil 4
1211 Genève 14

Marie.Besson@hcuge.ch

Les  auteurs ont déclaré n’  avoir aucun conflit d’  intérêts en relation avec cet article.

  • Lorsque indiquée, la mise en place d’ une antalgie par opioïde per os doit être proposée chez un patient âgé, à la dose minimale efficace, avec comme objectif une réduction de la douleur d’ au moins 30%
    et/ou une amélioration notable de la capacité fonctionnelle.
  • Une introduction et une titration prudente des doses est nécessaire ainsi qu’ une réévaluation régulière de l’ efficacité et de la tolérance au traitement.
  • En cas de réponse insatisfaisante dans les quelques semaines, le traitement doit impérativement être arrêté.
  • En effet, s’ il est important de traiter adéquatement la douleur en gériatrie, il faut également éviter de poursuivre un traitement n’ apportant pas de bénéfice antalgique suffisant et dont les effets indésirables potentiels peuvent être particulièrement délétères dans une population âgée vulnérable.

Comment faire d’ un groupe de parole en EMS un outil thérapeutique ?

La personne âgée, qui plus est celle vivant en établissement médico-social (EMS), est bien trop souvent considérée sous le prisme de sa stigmatisation et de son coût sociétaire. Loin de l’  appellation « institutions totales », décrites par Erwin Goffman (1), ce n’ est pourtant que tardivement, à partir des années 70, que la notion d’ « humanisation » apparaît dans les institutions pour personnes âgées, au sens où on l’ entend aujourd’ hui, c’ est à dire le questionnement du « bien faire », et le développement de pratiques de soins allant dans ce sens.
Comprendre alors la façon dont les résidents s’ accaparent la notion de « bien-être » où d’ « humanisation » dans ce double contexte, est particulièrement intéressante. Elle a fait l’ objet de toute mon attention durant mes années de pratique professionnelle en maison de retraite et a régulièrement alimenté ma réflexion sur le vieillissement et la vie en institution.

Sous les appellations « lieu de vie », « accompagnement personnalisé », « bien-être », « humanité », parfois même « humanitude (2) » se cache une mission commune à chaque EMS : faire d’ un lieu d’ accueil définitif un lieu de vie « humanisé », où cohabitent en bonne entente l’ ensemble du personnel et des résidents.
Cependant, les personnes institutionnalisées subissent une double ambivalence: ils vivent à la fois au centre d’ un espace de type « domestique (3) » (on leur répète suffisamment qu’ ils sont chez eux): c’ est le temps ralenti de la relation aux autres, des animations, des sorties, des repas, qui fait sens dans une structure domestique dédiée au bien-être; mais ils vivent également au centre d’ un espace de type « industriel », où ont lieu des pratiques professionnelles quasi hospitalières (administrations de médicaments, surveillance de paramètres vitaux, réflexions partagées sur les bonnes pratiques de soins, colloques d’ attitude, etc.), puisque ces espaces sont dédiés au «care », à la prise en soins, tout cela dans un temps compté, organisé, mais surtout limité par les exigences institutionnelles.

Posture professionnelle

En effet, depuis plusieurs années, j’ ai à cœur de développer dans ma fonction de médecin-gériatre une approche singulière de l’ individu âgé et institutionnalisé. Celui-ci est souvent injustement condamné et tout particulièrement par le grand public, parce que mis à l’ écart d’ un monde qui pourtant exploite largement la vieillesse dans l’ économie de la santé.
Mon travail quotidien dans les EMS du Canton de Genève m’ autorise à observer à quel point cette stigmatisation est impropre et souvent abusive. Les personnes âgées institutionnalisées sont sans aucun doute au cœur des préoccupations des soignants des résidences. Cependant, face à la généralisation des pratiques de soin et aux réflexions aboutissant à la création de nouvelles catégories de vulnérabilité, les personnes âgées courent le risque de devenir des invisibles, si l’ on n’ y prend pas garde. Elles pourraient « disparaître » dans les tâches techniques, dans le temps compté des soins, mais également de l’ esprit des proches et d’ un plus large public, parce qu’ elles permettent que se mettent en place des gestes et des décisions qui ne les concernent plus. Cette mise à l’ écart structure souvent la mentalité des personnes âgées, au point qu’ elles-mêmes s’ effacent « naturellement » devant certaines décisions les concernant. C’ est la « délégation du souci de soi aux professionnels » (4).
Les résidents d’ EMS revendiquent rarement, mais dans des situations de grande vulnérabilité, vouloir vivre au centre d’ un espace où se jouent les liens et la vie réelle. « Nous avons quitté la vie extérieure, en venant à l’ EMS. Pourtant, on doit vivre encore. Il faut donc bien s’ occuper de nous, et nous laisser décider comme des citoyens. »
Les données démographiques sont quant à elle presque toutes unanimes : l’ espérance de vie totale augmente, ainsi que l’ espérance de vie en bonne santé (5). Mais alors qu’ autrefois, l’ organisation du temps de vie était plutôt linéaire, sous la forme « éducation-travail-retraite », aujourd’ hui, il n’ est plus permis de penser le temps de cette manière. Les conditions sociales actuelles (faible natalité, grand âge, chômage, précarité, divorce) nous obligent à redessiner les biographies, et du coup, la retraite – et bien-sûr la vieillesse – peut se concevoir dans une toute autre perspective.

Description et déroulement du projet thérapeutique

C’ est autour de toutes ces constatations que j’ ai voulu réorganiser ma pratique médicale, et qui a abouti, entre autres, à la création d’ un groupe de parole que j’ anime avec des résidents d’ EMS, et dont le but est de réunir quelques résidents volontaires autour d’ un moment dégagé des soins, afin de partager des idées, des réflexions, en privilégiant la relation à soi, mais aussi à l’ autre, relation utilisée comme moyen mais aussi comme outil au « mieux vieillir ». Finalement, s’ engager à (re)penser et (re)mettre en action des schémas de réflexion sur ce qui pourrait faire une vie heureuse en EMS.
Après six mois d’ échanges, le résultat a été éloquent : les premières séances ont été le lieu de partage d’ idées très générales autour de modifications souhaitées par les résidents pour s’ aménager une vie plus agréable au sein de l’ institution (affichage de certaines informations, amélioration de l’ éclairage, création d’ une boîte à idée, choix des séances de cinéma, avis sur les repas, idées de sorties, etc.). Même si les critiques étaient vives, le ton était plutôt détaché du résident lui-même, et les changements voulus ont plutôt été évoqués que concrétisés.
Puis progressivement le mouvement s’ est enclenché et s’ est précisé autour de la personnalité même des résidents, de leur place à prendre au sein de l’institution, et ils en sont arrivés à évoquer leur difficulté « d’ être » : « J’ ai des difficultés à être quelqu’ un, à me sentir chez moi. »
« On a quitté la vie extérieure, en venant ici. » Mais surtout, ils se sont positionnés face aux autres résidents vivant sous leur toit. « On ne sait pas comment aller vers les autres ; imaginez qu’ ils nous rejettent ! » Comme l’ évoquait D.G Troyansky (7), « Ce sont les autres qui sont ma vieillesse ». La confrontation à l’ image de l’ autre qui pourrait être l’ image de soi, est difficilement acceptable. Bien que l’ institution pour personnes âgées soit dédiée, par définition, à la personne dépendante, certains résidents s’ étonnent de découvrir à quel niveau d’ handicap se trouve la grande majorité des résidents. « Comment faire avec ces personnes, que leur dire  ? » L’ approche des personnes lourdement handicapées n’ a pas été résolue à ce jour, mais les résidents du groupe de parole restent soucieux d’ entrer en relation avec les autres résidents. Ainsi, ils ne semblent pas suffisamment être en lien au travers d’ animations proposées hors EMS. C’ est donc bien à l’ intérieur de l’ institution – et donc au cœur de l’ espace « domestique », que semblent se jouer les liens et la vie réelle.
Au fil des séances, les résidents (et surtout quelques femmes habituées jusque-là au silence) ont décrit à quel point ils sont attachés aux soignants mais aussi à quel point cette relation d’ aide est compliquée pour eux. En effet, les pourvoyeurs de soins que sont les soignants naviguent constamment entre l’ espace « domestique » et l’ espace « industriel », entre la distribution d’ un bien-être dépendant de la valeur des soins. Les résidents se disent sensibles au jugement et cherchent à « faire plaisir ». « On est comme une grande famille ici. On ne peut pas se permettre de trop râler. » C’ est bien cette ambivalence-là, entre l’ esprit de famille et la solitude exprimée, additionnée de l’ idée tenace qu’ « on nous a habitué à rien dire » qui pourrait être expliquée par l’ organisation d’ un espace communautaire où la part du « domicile » est insuffisante. « On vit tous sous le même toit, mais on se sent tous seuls. » Garder et faire valoir à tout prix son identité individuelle au sein d’ un collectif non choisi, avec lequel on ne partage sûrement pas les mêmes valeurs, parce que l’ on n’ a pas choisi de vivre ici ensemble, voilà toute la difficulté d’ être en institution.
Puis finalement les participants se sont permis de revendiquer leur droit à l’ indépendance de pensée, à remettre sur le devant de la scène la politique des choix, ce qui va au-delà du registre de la plainte. Ensemble, progressivement, ils ont appris à ne plus se voir seulement comme des personnes âgées vulnérables, mais plutôt comme des acteurs de leur propre vie en devenant des êtres « agissant » vis-à-vis de leur entourage, et notamment vis-à-vis des soignants. « Avant, on savait pas comment bouger. Maintenant, on se bouge, on peut demander. On se sent comme des citoyens. » C’ est ce que j’ aime appeler la « relation engagée comme source d’ apprentissage au « mieux-vieillir ».
Car c’ est précisément là que se joue toute l’ idée du groupe de parole : l’ idée n’ est pas forcément de rompre avec la spirale de la plainte, mais plutôt de créer un terreau pour agrandir l’ espace domestique où la notion de bien-être ne serait pas seulement liée aux actes techniques des soins mais à la mise en valeur de l’ individu dans son chez soi. Car bien qu’ aucun soignant n’ occulte le bien-être des résidents dans leur prise en charge, ils sont constamment en train d’ alimenter le bien-être de la personne dont ils s’ occupent en y associant des tâches dite « industriels », c’ est-à- dire dédiées aux soins. Et cela est incompatible avec la fabrication d’ un espace domestique digne de ce nom.
Ainsi, le groupe de parole a été utilisé comme un outil thérapeutique, où la relation à soi et à l’ autre a engagé le résident à modifier son schéma de se penser. De vulnérable, il est devenu agissant. D’ individu vieillissant, il est devenu citoyen de sa propre existence. De personnage inactif il est devenu « formateur » par une existence enrichie par la relation d’ aide à l’ autre et par une plus grande implication dans son projet de vie.
C’ est à se demander si, dans ce contexte, les schémas de soutien de fin de vie sont encore d’ actualité, et s’ il ne faudrait pas repenser non seulement les structures d’ accueil que sont les EMS (ce qui est déjà largement le cas dans certains cantons de Suisse), mais aussi la « culture » de la vieillesse.
Car là où des moyens financiers conséquents sont mis en œuvre pour la formation des soignants, afin qu’ ils développent des pratiques de soin de plus en plus techniques, donc de plus en plus
« justes » (ce que j’ appelle l’ encadrement strict des pratiques), les personnes âgées, elles, n’ ont plus le droit à l’ amélioration, à la progression, à la « formation », une fois arrivée dans leur dernière demeure. Vouloir contrer ce mouvement amènerait à la perspective non plus économiste mais humaniste d’ une volonté d’ inscrire la personne âgée dans une démarche de « formation » (6), au même titre que l’ on participe à la formation des soignants en institution. Là il s’ agirait de favoriser des apprentissages utiles aux besoins liés à la vieillesse et d’ inscrire la personne âgée dans un processus actif d’ échanges de savoir, de services, de pratiques sociales ou communautaires visant à rendre l’ individu vieillissant en un individu « agissant » et en relation. Car nous passons plus de temps à imaginer les personnes âgées qu’ à les voir. Oui, en effet, nous les imaginons à travers le récit de leur vie d’ antan, à l’ Histoire qui s’ est déroulée de façon contemporaine à elles, mais nous les voyons rarement dans le présent, et encore moins dans une perspective d’ avenir.

Conclusion

Je continue de penser que les personnes âgées ont beaucoup à nous apprendre. Engager la conversation avec elles, c’ est un peu comme prendre une leçon de « bonne conduite ». Pas uniquement parce qu’ elles ont beaucoup de choses à dire sur leur vie passée, qui est souvent intéressante, mais surtout parce qu’ elles savent – si l’ on y prend garde – nous dessiner leur futur et nous dire ce qu’ elles en attendent. « On pourrait d’ ailleurs se demander, pour les prochaines fois, ce que c’ est que d’ être vieux ici et maintenant », a suggéré l’ un des résidents du groupe de parole.
Bien souvent, nous passons plus de temps à imaginer les personnes âgées qu’ à les voir. Nous passons plus de temps à parler pour elles, plutôt qu’ avec elles. Il faut reconsidérer les normes : la personne âgée est vulnérable parce que notre société a décidé d’ en faire une catégorie vulnérable. Cela a permis, entre autres, de soumettre les personnes âgées à l’ image que la société se fait d’ elle et attend d’ elle.
Face à la pédagogisation des pratiques, à la construction d’ habitats intergénérationnels, à certaines politiques des soins, il est évident que la personne âgée est au centre de nos préoccupations. Pourtant, il arrive parfois que nous fassions fausse route en prenant des décisions qui ne leur appartiennent pas, parce qu’ il est plus facile d’ assigner la personne vieillissante à un rôle d’ observateur de sa vie, alors qu’ elle devrait absolument en décider la direction. Il devient alors urgent de la responsabiliser en lui redonnant de la voix, car son avenir – et le nôtre certainement – est là, sous nos yeux !

Cet article a été soumis le 28 novembre et a depuis été publié dans la revue spécialisée Curaviva 1/2020.

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Dre Isabelle Will

Médecin répondant des Résidences RPSA-site Charmilles
Promenade de l’Europe 67
1203 Genève

isawill@hotmail.ch

L’ auteur a déclaré n’ avoir aucun conflit d’ intérêts en relation avec cet article.

  • La personne âgée institutionnalisée est au centre de toutes nos préoccupations (pédagogisation des pratiques de soins, préoccupations politiques, financières et culturelles), cependant elle peine à prendre sa place dans une société qui la stigmatise largement.
  • A travers la création d’ un groupe de parole au sein d’ un EMS genevois,
    les langues se délient, la pensée se précise et la personne âgée se met à « se penser » comme une personne agissante, qui a des droits et qui peut revendiquer.
  • Le groupe de parole agit alors comme un acte thérapeutique qui va
    mobiliser autour de lui de nouveaux schémas de pensée et de nouvelles relations.

1. Goffman E. Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus. Paris, Les Éditions de Minuit, 1979
2. Loffeier I. Panser des jambes de bois? La vieillesse, catégorie d’ existence et de travail en maison de retraite. Paris, Puf, 2015
3. Rimbert G. Le chronomètre et le carillon. Temps rationalisé et temps domestique en maison de retraite. Lien social et politique. n°54, p.93-104, 2005
4. Eynard C. Les vieux sont-ils forcément fragiles et vulnérables? Paris, ERES, 2019
5. Guillermard A.-M. Allongement de la vie; quels défis? Quelles politiques? Paris, La Découverte, 2017
6. Bourne D.J. « Pierre Dominicé (2002). L’ histoire de vie comme processus de formation », L’orientation scolaire et professionnelle [Online], 34/3, 2005
7. Troyansky D.G. Old Age in the Old Regime: Image and Experience in Eighteenth-Century France. Ithaca: Cornell University Press, 1989.

Violence en gériatrie ou « Violence » en gériatrie ?

Cet article s’ intéresse aux situations décrites comme « violentes » et qui concernent, en particulier, les agissements des patients sur leur entourage, familial ou professionnel. Seulement si nous pouvons penser ces épisodes, leur implication sur la définition des limites et leur valence de communication, nous pourrons ensuite les décrypter, leur donner du sens et les inscrire dans un parcours de soin. Un outil de lecture sera présenté comme exemple d’ une démarche clinique intégrée.

Si nous questionnons les équipes des soins à domicile ou des institutions hospitalières, d’ hébergement ou encore, parfois, les proches aidants, les épisodes de « violence » sont la plupart du temps à l’ origine d’ une importante détresse qui peut affecter considérablement la qualité de vie et le sentiment de performance professionnelle.
Il nous semble nécessaire, pour avancer dans la réflexion, d’ opérer une distinction entre les termes de « violence » et d’  « agressivité ». L’ étymologie du mot violence se réfère au latin violentia : l’ utilisation de la force physique (vis) de manière brutale pour imposer sa propre volonté et obliger l’ autre à la soumission (1). Le mot agressivité, par contre, trouve son origine latine en ad-gradi(-gressus), qui implique l’ idée d’ aller vers (2). Pierre Benghozi souligne comme ce n’ est pas le caractère « douloureux ou spectaculaire qui caractérise la violence » mais son action destructrice sur le lien. Si la violence détruit le lien et est agie généralement hors du cadre, l’ agressivité peut trouver place à l’ intérieur du lien et assumer une valeur relationnelle. « L’ agressivité vise à restaurer un lien désavoué. Elle interpelle, convoque, provoque l’ autre. C’ est une forme d’ appel, une tentative de surmonter les impasses à la parole en conflictualisant la relation, de dire ce qui ne peut se dire autrement et espérer être entendu » (3). Sur cette base, nous abandonnerons ici le mot violence car de la violence, en tant que destruction du lien, nous pouvons seulement nous protéger. En revanche, nous souhaitons réfléchir sur les comportements empreints d’ agressivité partant du présupposé que ceux-ci nous informent sur la relation.

L’ agressivité symptôme de la crise

L’ agressivité est un symptôme, un événement morbide qui coïncide avec un autre événement dont il peut être l’ effet ou le signe, un indice, quelque chose qui se passe au même temps. En gériatrie, elle peut se présenter comme symptôme dans des maladies d’ origine très différente qui vont de la douleur physique ou morale, aux pathologies psychiatriques, somatiques, à l’ abus de substances licites ou illicites, aux démences, aux troubles de la personnalité et la liste ne sera jamais exhaustive parce que l’ agressivité est toujours un processus d’ origine multifactorielle. Parallèlement, l’ agressivité peut faire écho, pour ceux qui la reçoivent, avec un sentiment de frustration et honte, ou de remise en question du sens et des limites, ou encore avec un sentiment de solitude.
Que l’ on se place du côté du patient ou du soignant, il est difficile de ne pas ressentir la situation comme un moment de crise. James Hillman souligne l’ importance, dans une situation de crise, de pouvoir déjà lui reconnaître une valeur, avant encore de pouvoir lui attribuer un sens (4). Il s’ agit donc d’ abord de situer le moment et le contexte, pour pouvoir inscrire un épisode dans une histoire relationnelle qui a un avant et un après.

L’ agressivité, un moment dans une histoire

Comment faire alors pour donner de la valeur à ce qui se passe ? Il s’ agit en premier lieu de le reconnaître. Constater la situation, l’ identifier, pouvoir décrire et discuter avec d’ autres, constitue probablement le premier pas pour ne pas banaliser l’ événement et le rabaisser à un rang moins important que d’ autres symptômes. In-scrire un épisode d’ agressivité dans une séquence d’ événements qui inclue un antécédent, un épisode et une conséquence, signifie lui donner le même droit d’ existence que d’ autres symptômes couramment rapportés. Personne ne s’ imaginerait de décrire un symptôme (fièvre, délire, désorientation etc.) sans fournir le contexte dans lequel il se produit et pourtant, souvent, l’ agressivité est mentionnée comme un moment isolé, incompréhensible. Surtout dans les institutions, existe une certaine réticence à mentionner les moments d’ agressivité comme si ceux-ci devaient pointer une situation qui « n’ avait pas bien été gérée », comme s’ il s’ agissait d’ attribuer des fautes (au patient, au soignant, à l’ institution) plus que de relater un symptôme.
Alors, si nous voulons passer du fait de lui donner de la valeur à celui de lui donner du sens, nous devons l’ inscrire dans une histoire.

Putting the P.I.E.C.E.S. together

Divers outils ont été élaborés pour décrire et analyser un événement clinique en milieu gériatrique. « Putting the P.I.E.C.E.S. together » est une démarche canadienne (5), intéressante pour son approche multidisciplinaire et multifactorielle. Surtout lors d’ un travail en équipe pluridisciplinaire, il est fondamental de récolter le plus grand nombre d’ informations avec des valences différentes qui peuvent aider à comprendre un épisode donné. Pour ce faire les auteurs proposent de répondre à 3 questions :

1. Qu’ est-ce qui a changé ? S’ agit-il d’ un nouveau problème ? D’ un ancien problème qui se manifeste aujourd’ hui différemment,  ou du même problème qui est appréhendé différemment par l’ entourage ?
2. Quels sont les risques que la situation implique, et quel est leur degré ?
3. Quelle action peut être entreprise ?

Physical (les causes somatiques, les médicaments, le handicap etc.)
Intellectual (les problèmes cognitifs)
Emotional (les troubles de l’ adaptation, de l’ humeur, de la pensée, de la personnalité)
Capabilities (les compétences instrumentales et non de la vie quotidienne)
Environment
Social (le réseau, l’ histoire de vie, les valeurs de référence).
Lors d’ un épisode d’ agressivité, en raison de l’ impact défavorable que celui-ci peut avoir sur le fonctionnement d’ un individu ou d’ une équipe, le risque plus important est de structurer une réponse automatique et immédiate qui laisse peu d’ espace à la valeur de communication que le geste peut avoir. C’ est pour cette raison qu’ utiliser un outil qui nous oblige à prendre en considération plusieurs paramètres peut se révéler intéressant.
Dans le même ordre d’ idée, les auteurs proposent l’ acronyme U.F.I.R.S.T. pour imaginer comment articuler la réponse à travers des interventions qui incluent le patient, l’ équipe, l’ environnement : Understanding, Flagging, Interaction, Reporting/Reflecting, Support, Team.

La réponse : une occasion pour interroger la pratique

Carl Rogers souligne l’ importance d’ être préparés à répondre non seulement aux contenus intellectuels et rationnels de ce qui est dit par un sujet mais aussi (et peut-être surtout) aux émotions qui le sous-tendent (6). Nous pouvons traduire ceci dans une situation d’ agressivité, comme la nécessité de lire le comportement en termes de communication entre deux parties. C’ est pour cette raison que pas seulement l’ action, mais aussi la posture, les convictions et les émotions des deux parties rentrent en jeux. La formation des équipes à la gestion d’ épisodes d’ agressivité devrait souligner des éléments qui sont parfois en apparente contradiction avec les mythes fondateurs du soin. La reconnaissance de la peur, de sa propre agressivité et le renoncement à faire seuls et donc à sa propre toute-puissance, en sont des exemples qui ressortent de l’ activité de supervision d’ équipes multidisciplinaires, un outil puissant pour soutenir la réflexion dans ce genre de situations. Se sentir congruent avec soi-même, reconnaître ses limites et celles de l’ autre, activer plutôt le calme, la flexibilité et la chaleur sont des pistes pour l’ élaboration de programmes de formation qui complètent les indications déjà décrites en littérature dont un exemple est illustré dans la figure 1.

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PD Dre Alessandra Canuto

Spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, Spécialiste
en psychiatrie et psychothérapie de la personne âgée
2 rue des Vaudrès
1815 Clarens

alessandra.canuto@hin.ch

L’ auteur n’ a déclaré aucun conflit d’ intérêts en rapport avec cet article.

  • L’ agressivité est un symptôme qui doit être rapporté, communiqué, discuté et compris comme tout symptôme présenté par un patient.
  • L’ agressivité peur être lue comme le contenant (peu adapté, mais parfois le seul à disposition) d’ une communication qui doit être décryptée dans le contexte d’ une histoire.
  • Intervenir dans une situation d’ agressivité mobilise les ressources des soignants en termes de comportements mais aussi dans leur convictions, postures et croyances.
  • Ne pas rester seuls face à une situation d’ agressivité est probablement le début de la solution. La supervision est un outil puissant pour faciliter la compréhension de ces situations
  • L’ agressivité a une étiologie multifactorielle qui demande, pour être comprise, une observation sous des angles différents et par des intervenants de différents horizons.

1. www.Treccani.it
2. www.etimo.it
3. Benghozi P. La violence n’ est pas l’ agressivité : une perspective psychanalytique des liens. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe. 2010/2
4. Hillman J. Trame perdute. Cortina Editore, Milano, 1985
5. Hamilton P, Harris D, Le Clair k, Collins J. “Putting the P.I.E.C.E.S. Togheter”.
A Model for Collaborative Care and Changing Practice. 6th Edition (R), Canada, 2010
6. Carl R. Rogers, La relation d’ aide et la psychothérapie, ESF, Montrouge, 2019
7. https://www.worksafebc.com/en/resources/health-safety/information-sheets/working-safely-with-dementia-handouts/behavioural-escalation-continuum-model-responding-to-persons-with-dementia?lang=en, visité le 14 avril 2020

Thérapie antidiabétique actuelle en cas de maladies cardiaques

Ces dernières années, d’ énormes progrès ont été réalisés dans le traitement du diabète sucré de type 2, en partie grâce à de nouveaux médicaments qui ont montré, dans des études cliniques sur les paramètres cardiovasculaires (Cardiovascular Outcome Trials), qu’ ils réduisaient la mortalité toutes causes confondues et les événements cardiovasculaires, ralentissaient le développement de l’ insuffisance cardiaque et protégeaient la fonction rénale.

Le diabète sucré touche environ un adulte sur onze dans le monde. Parmi les diverses maladies secondaires chez les personnes atteintes de diabète, la maladie cardiaque coronarienne et l’ insuffisance cardiaque prennent de plus en plus d’ importance. La maladie cardiaque coronarienne chez les personnes atteintes de diabète sucré a régulièrement diminué au cours des dernières décennies, mais elle reste plus fréquente que chez les personnes sans diabète sucré. En revanche, la prévalence de l’ insuffisance cardiaque chez les personnes diabétiques a triplé au cours de cette période et le pourcentage de patients atteints de diabète sucré et d’ insuffisance cardiaque est d’ au moins 25 % (1).
Il existe deux types d’ insuffisance cardiaque :

  • l’ insuffisance cardiaque avec fraction d’  éjection préservée (HFPEF, « heart failure with preserved ejection fraction ») : cette forme représente trois quarts de tous les cas d’ insuffisance cardiaque dans le diabète de type 2 et montre une fraction d’ éjection ventriculaire gauche de > 40 %. Cependant, le diagnostic dans le cabinet de médecin généraliste est difficile car cette forme ne peut être diagnostiquée indubitablement que par un cardiologue utilisant l’  échocardiographie Doppler du cœur.
  • l’ insuffisance cardiaque à fraction d’ éjection réduite (HFREF, « heart failure with reduced ejection fraction »), qui touche un quart des patients atteints d’ insuffisance cardiaque et de diabète et qui est souvent symptomatique de dyspnée à l’ effort, d’ orthopnée et de fibrillation auriculaire.

Bien que de nombreux médicaments efficaces soient désormais disponibles, seule la moitié des patients souffrant de diabète sucré atteignent leur valeur cible individuelle d’ HbA1c (2). Les raisons de cette situation sont multiples et ne se limitent pas au manque d’ observance des médicaments prescrits par de nombreux patients. C’ est aussi la multiplicité des options et des combinaisons thérapeutiques qui rend le traitement médicamenteux complexe. L’ algorithme de traitement présenté est basé sur les recommandations de la Société Suisse d’ Endocrinologie et de Diabétologie (SSED), qui ont été adoptées en 2020 (www.sgedssed.ch).

Études cliniques sur les résultats cardiovasculaires avec les nouveaux groupes de médicaments depuis 2008

Inhibiteurs du SGLT2

Les inhibiteurs du SGLT-2 inhibent le co-transporteur 2 du sodium/glucose (SGLT-2) dans les tubules proximaux des reins, ce qui réduit la réabsorption du glucose de l’ urine primaire. Ils n’ entraînent pas d’ hypoglycémie et sont associés à une perte de poids.
Les substances suivantes se sont avérées avoir des avantages significatifs en termes de MACE en 3 points, de mortalité cardiovasculaire et d’ insuffisance cardiaque : Empagliflozine (Jardiance®), canagliflozine (Invokana®) et dapagliflozine (Forxiga®) (3-6). L’ ertugliflocine (Steglatro®) a été approuvé comme quatrième inhibiteur du SGLT-2. Son efficacité a été démontrée dans l’ étude VERTIS MONO (7). Les résultats de l’ étude VERTIS CV visant à évaluer la sécurité cardiovasculaire sont toujours en attente.
En ce qui concerne les paramètres rénaux, tant l’ étude EMPA-REG OUTCOME pour l’ empagliflozine que les études CREDENCE et CANVAS pour la canagliflozine ont montré une progression nettement plus lente de la maladie rénale. Les études EMPA-REG OUTCOME et CREDENCE ont montré une utilisation sûre jusqu’ à un eGFR de 30 ml/min (8,  9).
Sur la base de ces études, on peut actuellement supposer un effet de classe en termes de réduction de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires et un effet positif sur l’ insuffisance cardiaque et la fonction rénale.

Agonistes du récepteur GLP-1

Les agonistes du récepteur GLP-1 (AR GLP-1), comme l’ incrétine endogène GLP-1, se lient aux récepteurs GLP-1 et entraînent une augmentation de la sécrétion d’ insuline et une inhibition de la sécrétion de glucagon. Ils inhibent également l’ appétit et entraînent une perte de poids.
L’ étude LEADER a permis de montrer en 2016 que le liraglutide (une fois par jour, Victoza®) entraîne une réduction significative des événements cardiovasculaires et de la mortalité totale chez les patients atteints de diabète sucré de type 2 et présentant un risque cardiovasculaire élevé (10). La même année, le semaglutide (une fois par semaine, Ozempic®) dans l’ étude SUSTAIN-6 a montré une réduction significative des accidents vasculaires cérébraux non mortels, mais aucune réduction de la mortalité cardiovasculaire (11). En ce qui concerne les événements cardiovasculaires, l’ administration orale de semaglutide récemment développée dans PIONEER 4 n’ était pas inférieure à l’ administration sous-cutanée (12, 13).
Le dulaglutide (une fois par semaine, Trulicity®) a réduit les événements cardiovasculaires dans l’ étude REWIND, mais n’ a pas non plus entraîné une réduction de la mortalité cardiovasculaire (14), pourtant une réduction significative de l’ apoplexie (15, 16).
Le liraglutide dans l’ étude LEADER et le dulaglutide dans l’ étude REWIND ont tous deux montré de meilleurs résultats au niveau rénal (17, 18). En ce qui concerne la sécurité chez les patients souffrant d’ insuffisance rénale, les agonistes des récepteurs GLP-1 peuvent également être utilisés en cas d’ insuffisance rénale grave (eGFR < 30 ml/min) et constituent donc une alternative aux inhibiteurs de la DPP-4 dans cette situation (17).
Essentiellement, les agonistes du récepteur GLP-1 humain ont montré des effets positifs dans les études basées sur les résultats cliniques, tandis que les médicaments à courte durée d’ action dérivés de l’ exenatide n’ ont pas pu le prouver. Par conséquent, les agonistes du GLP-1 sont recommandées pour les patients en surpoids en raison de leur plus grande réduction de poids (le remboursement n’ est possible que si l’ IMC est ≥ 28 kg/m2 et en combinaison avec la metformine ou les sulfonylurées).

Inhibiteurs de la DDP-4

Par analogie avec les agonistes du GLP-1, l’ inhibition de la dipeptidyl peptidase 4 (DPP-4) entraîne un effet prolongé de l’ incrétine. En raison du même mécanisme d’ action, une combinaison des deux inhibiteurs n’ a pas de sens.
Dans l’ ensemble, les inhibiteurs de la DPP-4, l’ alogliptine (Vipidia®), la linagliptine (Trajenta®) et la sitagliptine (Januvia®) ont montré un effet neutre sur les événements cardiovasculaires (19-22). Il convient de noter que dans l’ étude SAVOR-TIMI 53, la saxagliptine (Onglyza®) s’ est avérée être le seul inhibiteur de la DDP-4 à ce jour qui a entraîné des hospitalisations plus fréquentes pour insuffisance cardiaque (23). Les avantages des inhibiteurs de la DPP-4 sont qu’ ils peuvent être administrés même en cas d’ insuffisance rénale liée à la dialyse et qu’ ils n’ ont pas d’ effets secondaires.

Recommandations thérapeutiques pour le diabète sucré de type 2

Comme le montre la figure 1, la thérapie de première intention pour tous les patients atteints de diabète de type 2 est une combinaison précoce de la metformine avec les inhibiteurs du SGLT-2 ou les agonistes du récepteur GLP-1. Cette recommandation s’ applique indépendamment de la présence ou non d’ une maladie cardiovasculaire au moment précis, vu que les patients atteints de diabète de type 2 présentant un risque cardiovasculaire faible ou modéré sont pratiquement inexistants (patients < 50 ans avec une durée de diabète < 10 ans) (24).

Choix initial : inhibiteurs du SGLT-2 ou agonistes du récepteur GLP-1 ?

Tandis que les deux classes réduisent les événements dits MACE en 3 points (complications cardiovasculaires graves définies comme accident vasculaire cérébral non mortel, infarctus du myocarde non mortel et décès d’ origine cardiovasculaire), les différences peuvent être utilisées spécifiquement pour une thérapie personnalisée. Comme le montre le tableau 1, les agonistes du récepteur GLP-1 entraînent une plus grande perte de poids et une réduction des accidents vasculaires cérébraux (11, 15, 16). En revanche, les inhibiteurs du SGLT-2 assurent une néphroprotection plus forte et retardent l’ insuffisance cardiaque ou réduisent les hospitalisations dues à l’ insuffisance cardiaque (3-6). Compte tenu des nombreux avantages, on espère que la combinaison de ces deux groupes de médicaments pourrait offrir le plus grand bénéfice aux patients atteints de diabète sucré de type 2, en particulier chez ceux qui souffrent de coronaropathie et/ou d’ insuffisance cardiaque (25).

Recommandations pour les maladies coronariennes et/ou l’ insuffisance cardiaque

Les maladies coronariennes et l’ insuffisance cardiaque étant associées à un diabète de longue durée, à une insuffisance rénale chronique et à un mauvais contrôle de la glycémie, il faut répondre à trois questions clés (fig. 2) avant de pouvoir formuler une recommandation thérapeutique individuelle et contraignante.

La première et la plus importante question concerne toujours l’ insuline : le patient a-t-il besoin d’ insuline ?

Si la valeur HbA1c du patient est > 10 % en l’ absence des caractéristiques clés du syndrome métabolique telles que l’ obésité viscérale et la dyslipidémie typique (faible taux de cholestérol HDL et taux élevé de triglycérides), et si le patient présente des symptômes cliniques de carence en insuline (perte de poids, polyurie et polydipsie), l’ administration d’ insuline n’est jamais mauvaise. Une fois que les valeurs glycémiques se sont normalisées, on peut décider si l’ insuline doit continuer à être administrée. Chez un faible pourcentage de patients, le diabète sucré de type 1 (même à un âge avancé) ou une maladie du pancréas, comme la pancréatite chronique ou l’ hémochromatose, peuvent être présents et nécessitent donc une insulinothérapie.

La deuxième question concerne la fonction rénale

Cet aspect a un impact direct sur le choix du médicament antidiabétique. 25% des patients atteints de diabète sucré de type 2 en Suisse ont une maladie rénale chronique avec un eGFR < 60 ml/min (26). La plupart des médicaments ne peuvent pas être prescrits si l’ eGFR est inférieur à 30 ml/min (bien que ce soit un faible pourcentage de 2,4 % (26). Si tel est le cas, les inhibiteurs du SGLT-2, la metformine et les sulfonylurées ne peuvent plus être utilisés. Les inhibiteurs de la DPP-4 et les analogues du GLP-1 peuvent être prescrits dans cette situation. Dans le cas des analogues du GLP-1, les nausées et vomissements doivent être pris en compte, mais ils ne sont pas dangereux pour les patients atteints de diabète sucré, même si ces patients ont besoin d’ un traitement de dialyse.

La troisième question concerne l’ insuffisance cardiaque

Les inhibiteurs du SGLT-2, qui peuvent être utilisés en toute sécurité jusqu’ à un eGFR de 30 ml/min, constituent le traitement de choix pour les patients souffrant de diabète et d’ insuffisance cardiaque ou pour la prévention de l’ insuffisance cardiaque. Avec la réduction de la fonction rénale, l’ effet de réduction de la glycémie est diminué, mais les effets sur les événements MACE en 3 points, le maintien de la fonction rénale et la thérapie ou la prévention de l’ insuffisance cardiaque sont entièrement maintenus.

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Pr Roger Lehmann

UniversitätsSpital Zürich
Rämistrasse 100
8091 Zurich

Roger.Lehmann@usz.ch

Dr Matthias Ernst

UniversitätsSpital Zürich
Rämistrasse 100
8091 Zurich

matthias.ernst@usz.ch

Participation à des Advisory Boards et honoraires de conférencier de Novo Nordisk, Sanofi, MSD, Boehringer Ingelheim, Servier et Astra Zeneca.

  • Avec les inhibiteurs SGLT2 et les AR GLP-1, il existe deux classes qui montrent une réduction des événements cardiovasculaires, de la mortalité cardiovasculaire et de la mortalité de toutes causes ainsi qu’  une néphroprotection.
  • Le médecin doit également tenir compte des préférences du patient, comme l’ absence d’ hypoglycémie et le désir de perdre du poids, mais aussi de la réduction de la mortalité et des événements cardiovasculaires et de l’ insuffisance cardiaque. Les sulfonylurées (21) et les inhibiteurs de la DPP-4 (19-22) n’ ont pas d’ effet sur ces critères d’ évaluation objectifs.
  • En tenant compte des événements cardiovasculaires, de la fonction rénale, de l’ évitement de l’ hypoglycémie ainsi que de la réduction du poids corporel comme critères d’ évaluation, les inhibiteurs SGLT-2 et les AR GLP-1 sont les médicaments préférés, et une triple association avec
    la metformine serait particulièrement recommandée chez les patients souffrant de coronaropathie et/ou d’ insuffisance cardiaque.

1. Boonman-de Winter, L.J., et al., High prevalence of previously unknown heart failure and left ventricular dysfunction in patients with type 2 diabetes. Diabetologia, 2012. 55(8): p. 2154-62.
2. Edelman, S.V. and W.H. Polonsky, Type 2 Diabetes in the Real World: The Elusive Nature of Glycemic Control. Diabetes Care, 2017. 40(11): p. 1425-1432.
3. Zinman, B., et al., Empagliflozin, Cardiovascular Outcomes, and Mortality in Type 2 Diabetes. N Engl J Med, 2015. 373(22): p. 2117-28.
4. Neal, B., et al., Canagliflozin and Cardiovascular and Renal Events in Type 2 Diabetes. N Engl J Med, 2017. 377(7): p. 644-657.
5. Wiviott, S.D., et al., Dapagliflozin and Cardiovascular Outcomes in Type 2 Diabetes. N Engl J Med, 2019. 380(4): p. 347-357.
6. McMurray, J.J.V., et al., Dapagliflozin in Patients with Heart Failure and Reduced Ejection Fraction. N Engl J Med, 2019. 381(21): p. 1995-2008.
7. Aronson, R., et al., Long-term efficacy and safety of ertugliflozin monotherapy in patients with inadequately controlled T2DM despite diet and exercise: VERTIS MONO extension study. Diabetes Obes Metab, 2018. 20(6): p. 1453-1460.
8. Wanner, C., et al., Empagliflozin and Progression of Kidney Disease in Type 2 Diabetes. N Engl J Med, 2016. 375(4): p. 323-34.
9. Perkovic, V., et al., Canagliflozin and Renal Outcomes in Type 2 Diabetes and Nephropathy. N Engl J Med, 2019. 380(24): p. 2295-2306.
10. Marso, S.P., et al., Liraglutide and Cardiovascular Outcomes in Type 2 Diabetes. N Engl J Med, 2016. 375(4): p. 311-22.
11. Marso, S.P., et al., Semaglutide and Cardiovascular Outcomes in Patients with Type 2 Diabetes. N Engl J Med, 2016. 375(19): p. 1834-1844.
12. Husain, M., et al., Oral Semaglutide and Cardiovascular Outcomes in Patients with Type 2 Diabetes. N Engl J Med, 2019. 381(9): p. 841-851.
13. Pratley, R., et al., Oral semaglutide versus subcutaneous liraglutide and placebo in type 2 diabetes (PIONEER 4): a randomised, double-blind, phase 3a trial. Lancet, 2019. 394(10192): p. 39-50.
14. Gerstein, H.C., et al., Dulaglutide and cardiovascular outcomes in type 2 diabetes (REWIND): a double-blind, randomised placebo-controlled trial. Lancet, 2019. 394(10193): p. 121-130.
15. Bellastella, G., et al., Glucagon-Like Peptide-1 Receptor Agonists and Prevention of Stroke Systematic Review of Cardiovascular Outcome Trials With Meta-Analysis. Stroke, 2020. 51(2): p. 666-669.
16. Gerstein, H.C., et al., The effect of dulaglutide on stroke: an exploratory analysis of the REWIND trial. Lancet Diabetes Endocrinol, 2020. 8(2): p. 106-114.
17. Mann, J.F.E., et al., Liraglutide and Renal Outcomes in Type 2 Diabetes. N Engl J Med, 2017. 377(9): p. 839-848.
18. Gerstein, H.C., et al., Dulaglutide and renal outcomes in type 2 diabetes: an exploratory analysis of the REWIND randomised, placebo-controlled trial. Lancet, 2019. 394(10193): p. 131-138.
19. White, W.B., et al., Alogliptin after acute coronary syndrome in patients with type 2 diabetes. N Engl J Med, 2013. 369(14): p. 1327-35.
20. Rosenstock, J., et al., Effect of Linagliptin vs Placebo on Major Cardiovascular Events in Adults With Type 2 Diabetes and High Cardiovascular and Renal Risk: The CARMELINA Randomized Clinical Trial. JAMA, 2019. 321(1): p. 69-79.
21. Rosenstock, J., et al., Effect of Linagliptin vs Glimepiride on Major Adverse Cardiovascular Outcomes in Patients With Type 2 Diabetes: The CAROLINA Randomized Clinical Trial. JAMA, 2019.
22. Green, J.B., et al., Effect of Sitagliptin on Cardiovascular Outcomes in Type 2 Diabetes. N Engl J Med, 2015. 373(3): p. 232-42.
23. Scirica, B.M., et al., Saxagliptin and cardiovascular outcomes in patients with type 2 diabetes mellitus. N Engl J Med, 2013. 369(14): p. 1317-26.
24. Mach, F., et al., 2019 ESC/EAS Guidelines for the management of dyslipidaemias: lipid modification to reduce cardiovascular risk. Eur Heart J, 2019.
25. Jensen, M.H., et al., Risk of Major Adverse Cardiovascular Events, Severe Hypoglycemia, and All-Cause Mortality for Widely Used Antihyperglycemic Dual and Triple Therapies for Type 2 Diabetes Management: A Cohort Study of All Danish Users. Diabetes Care, 2020: p. dc192535.
26. Lamine, F., et al., Chronic kidney disease in type 2 diabetic patients followed-up by primary care physicians in Switzerland: prevalence and prescription of antidiabetic drugs. Swiss Med Wkly, 2016. 146: p. w14282.

Les sociétés de pneumologie mettent en garde contre les e-cigarettes

L’ épidémie de tabagisme et ses conséquences constituent le plus grand problème mondial de santé. Au cours de la dernière décennie, les e-cigarettes se sont établies sur le marché. Ces dernières offrent aux fumeurs une alternative moins nocive selon les estimations actuelles. Cependant, leur succès dans l’ arrêt du tabagisme est faible et peu durable. La prévention durable du tabagisme comprend la mise en œuvre cohérente de la Convention de l’ OMS sur le tabac – également en Suisse. Afin d’ éviter que la prévention auprès des jeunes ne soit sapée par les produits commercialisés tels que les e-cigarettes, les pipes à eau ou le snus et pour éviter que la dépendance à la nicotine ne redevienne la norme, l’ engagement de tous les médecins est nécessaire.

Selon l’ actuel Atlas du tabac de l’ American Cancer Society, plus de 1,1 milliard de personnes dans le monde fument, dont 6 millions en meurent chaque année, ce qui coûte plus de 500 milliards de dollars par an dans le monde (1). L’ épidémie de tabagisme et ses conséquences constituent le plus grand problème de santé au monde (2, 3). Avec la propagation croissante des e-cigarettes, des pipes à eau, du snus et du cannabis, l’ épidémie de tabagisme est devenue beaucoup plus complexe (4-7).
Au cours de la dernière décennie, les e-cigarettes, qui simulent le tabagisme par des moyens techniques sans brûler de tabac, se sont imposées sur le marché du tabac (8). On distingue les e-cigarettes qui vaporisent un liquide contenant de la nicotine au moyen d’ un serpentin chauffant (« Electronic Nicotin Delivery Systems », ENDS) de celles qui chauffent le tabac mais ne le brûlent pas (« Heat not Burn Devices »). Le développement de l’ e-cigarette est attribué au pharmacien chinois Hon Lik, qui ne voulait pas mourir du cancer du poumon comme ses parents. Bien que les e-cigarettes offrent, selon les estimations actuelles, une alternative moins nocive aux fumeurs, leur succès pour arrêter de fumer est faible et non durable (9-13).

Cigarettes électroniques – une nouvelle entrée dans la dépendance à la nicotine

Entre-temps, les e-cigarettes – aussi appelées e-shishas – se sont rapidement répandues parmi les jeunes. Selon Addiction Suisse, un tiers des jeunes de 15 à 24 ans ont déjà pris une e-cigarette au moins une fois (14). Entre-temps les pédiatres considèrent les e-cigarettes comme le « nouveau visage de la nicotine » et un point d’ accès aux cigarettes à base de tabac (15). Une méta-analyse a montré que les enfants et les adolescents qui « vapotent » des e-cigarettes ont un risque de 3 à 4 fois plus élevé de commencer à fumer du tabac (16). Les e-cigarettes dont l’  apparence visuelle ne ressemble plus guère aux cigarettes de tabac, ne sont pas perçues par les enfants et les adolescents comme des produits de tabac, mais comme des « vaporisateurs » inoffensifs (fig. 1). Entre-temps, il existe déjà plus de 450 marques et plus de 7 500 saveurs (17). Grâce à un marketing intensif, des saveurs attrayantes et un design spécial, elles sont en vogue et représentent un nouveau danger pour les enfants (18).
Les jeunes sont souvent des « doubles utilisateurs », c’ est-à-dire qu’ ils utilisent différents produits du tabac comme le snus et les e-cigarettes (19). Les appareils multifonctionnels (eGOS, mods) qui peuvent également être utilisés pour vaporiser des boissons alcoolisées sont très populaires. L’ ajout de substances chimiques telles que les cannabinoïdes synthétiques devient à la mode – apparemment surtout en France – et a déjà entraîné des décès aux États-Unis (20, 21).
Il y a quelques années, la nouvelle e-cigarette « Juul » a été lancée aux Etats-Unis, qui, par son aspect très tendance de clé USB (fig. 2) et utilisant une nouvelle forme de nicotine très concentrée et liée au sel, s’ est rapidement répandue parmi les adolescents américains. Aux États-Unis, des concentrations de nicotine allant jusqu’ à 50 mg/ml sont disponibles dans le commerce, en Europe, seules 20 mg/ml sont autorisées. Déjà deux tiers des jeunes fumeurs d’ e-cigarettes aux USA utilisent le « Juul » : on ne parle plus de « vapoter » mais de « juuler ». L’ entreprise américaine – la start-up à la croissance la plus rapide de l’ histoire des entreprises – est maintenant sur le point de conquérir le marché européen avec « Juul » (22). Aux États-Unis, les jeunes sont déjà plus nombreux à « fumer » des e-cigarettes qu’ à fumer des cigarettes, et la prévalence est en constante augmentation : en 2018, elle était de 25 % chez les 17-18 ans et de 20 % chez les 15-16 ans (23, 24).

Vente également possible aux mineurs

Après que seules les e-cigarettes sans nicotine ont été autorisées en Suisse, les e-cigarettes contenant de la nicotine – suite à un recours accueilli par le Tribunal administratif fédéral – peuvent également être vendues dans notre pays depuis mai 2018, et même aux mineurs en raison d’ une lacune de législation (25). L’ Association suisse du commerce de la Vape (Swiss Vape Trade Association, SVTA) s’ est volontairement engagée à ne pas vendre des dispositifs aux mineurs et à ne pas leur adresser de publicité (https://fr.svta.ch/codex-de-la-svta-des-fabricants-et-commercants-concernant-la-commercialisation-des-objets-et-produits-de-la-vape/). On peut se demander si ce code volontaire protégera efficacement les jeunes à la lumière de l’ expérience de « l’ autoréglementation » de l’ industrie du tabac. Les enfants sont ainsi exposés à un âge précoce au risque de dépendance à la nicotine, auquel beaucoup ne peuvent échapper plus tard, et les profits de l’ industrie du tabac et de la cigarette électronique sont préservés (18).

Nuisibilité des e-cigarettes

Selon l’ état actuel des connaissances, la vapeur des e-cigarettes resp. l’ aérosol des produits du tabac chauffés contient des polluants légèrement moins toxiques et cancérigènes que la fumée de tabac, pourtant les e-cigarettes ne peuvent pas être considérées sans scrupules (5, 26, 27). La santé publique anglaise suppose actuellement que « vapoter » des e-cigarettes est « 95 % moins nocive » que la cigarette. Ce chiffre ne repose pas sur une mesure scientifique, mais remonte à 12 experts qui ont voulu harmoniser leurs avis en 2014 dans le cadre d’ une analyse décisionnelle multicritères (28, 29). Compte tenu de la variété croissante des produits dans une base de données mince, cette évaluation n’ est pas assurée. Une étude suisse, par exemple, a trouvé les mêmes substances dans l’ aérosol de tabac chauffé (« IQUOS ») que dans la fumée de tabac conventionnelle et a conclu que cette « vapeur » n’ est pas « inoffensive » (30). Dans le cas des produits ENDS, les études sur les aérosols varient considérablement, car il existe d’ innombrables produits de l’ e-cigarette et que leur fabrication ne soit pas réglementée (31). Par exemple, la source d’ énergie détermine la concentration de formaldéhyde dans l’ aérosol (32). En outre, des métaux lourds peuvent être trouvés dans l’ aérosol des produits de la cigarette électronique, la source étant supposée être les serpentins chauffants (33). Des études indépendantes rapportent des effets sur les poumons tels que l’ hyperréactivité bronchique, la réduction des défenses immunitaires, l’ augmentation de la nécrose et la cytotoxicité (34). Et des expériences en laboratoire ont montré que la vapeur des e-cigarettes conduit aux mêmes expressions de gènes dans les cellules pulmonaires humaines que dans la fumée de tabac (35). A ce jour, les données toxicologiques systématiques sur les substances inhalées au moyen d’ un effet secondaire du propylène glycol ou de la glycérine font encore défaut (8).

Les sociétés de pneumologie internationales mettent en garde contre les e-cigarettes

Les connaissances obtenues à ce jour ont été suffisantes pour que les sociétés pulmonaires internationales mettent en garde contre les e-cigarettes (5, 13, 36, 37).
Dans sa prise de position, le Forum of International Respiratory Societies (FIRS) met en garde en termes clairs contre les conséquences néfastes des e-cigarettes pour la santé des jeunes gens (37). Le FIRS souligne que les enfants et les adolescents sont très sensibles à la dépendance à la nicotine, qui a un effet pertinent sur le développement du cerveau. La prise de position de la FIRS met en évidence que les e-cigarettes devraient être considérées comme un point d’ entrée au tabagisme et que les enfants ont un risque plus élevé de devenir dépendants du tabac à vie. Tous les jeunes qui font des expériences avec la nicotine ne deviennent pas dépendants, mais le cerveau des adolescents est plus sensible aux substances psychoactives que celui des adultes (38). Les e-cigarettes sont conçues pour être très attrayantes pour les enfants et les adolescents (et sont annoncées et commercialisées en conséquence), ce qui entraînera une nouvelle génération de dépendants à la nicotine. Les sociétés de pneumologie réclament donc une réglementation stricte similaire à celle des produits du tabac : Une interdiction de la vente aux mineurs, une interdiction des arômes, les mêmes règles que pour la protection contre la fumée passive et une interdiction complète de la publicité.
Dans sa prise de position sur les produits du tabac chauffants (« heat not burn devices »), la Société européenne respiratoire (European Respiratory Society – ERS) indique clairement qu’ aucune étude payée par l’ industrie du tabac n’ est fiable (36). Des études indépendantes auraient montré que de nombreuses substances toxiques et cancérigènes se trouvaient également dans l’ aérosol de ces produits, dans certains cas à des concentrations presque identiques à celles des produits du tabac traditionnels, et que les allégations de l’ industrie du tabac selon lesquelles ses produits contenaient de 90 à 95 % moins de substances nocives ne résistaient pas à un examen indépendant. Récemment, dans un nouveau document intitulé « Prise de position de l’ ERS sur la réduction des risques liés au tabac », l’ ERS a clairement rejeté la stratégie dite de « réduction des risques », la qualifiant de stratégie de l’ industrie du tabac visant à maintenir la dépendance à la nicotine (13). L’  ERS souligne qu’ elle ne peut recommander aucun produit qui soit nocif pour les poumons et la santé humaine. En outre, elle note que les e-cigarettes sapent les efforts de prévention du tabagisme déployés précédemment et entrent donc en conflit avec la Convention-cadre de l’  OMS pour la lutte antitabac (www.who.int/fctc).

L’ industrie du tabac investit dans les e-cigarettes

Le secteur du tabac reste l’ une des industries les plus lucratives au monde (39). Pour Beverley Spencer, ancienne PDG de British American Tobacco (BAT) Suisse, « fumer n’ est pas une question de morale », mais une « entreprise gigantesque » (40). Le groupe BAT a investi plus d’ un demi-milliard de livres sterling dans le développement d’ une e-cigarette (« Glo »), le potentiel total du marché se chiffrant en milliards. Le plus grand fabricant de cigarettes, Philip Morris (PM), a développé son propre « heat not burn device » avec « IQOS » et a également acheté des actions de la société « Juul » pour 12,8 milliards de dollars US (41). Le groupe PM ne vise certainement pas à empêcher ses consommateurs de Marlboro de fumer, mais plutôt à faire en sorte que le marché soit ouvert à la prochaine génération de dépendants à la nicotine. Avec le lancement des e-cigarettes et d’ autres « produits à risque réduit », l’ industrie du tabac tente de se créer une image propre et d’ agir comme partenaire de la santé publique. Ainsi, les e-cigarettes sont annoncées avec des slogans tels que « Pas de feu », « Pas de cendres » et « Pas d’ odeur de cigarette » comme « Une meilleure alternative à la cigarette ». Philip Morris a fait un pas de plus avec la Fondation pour un monde sans tabac (42, 43). Pour PM, un « monde sans fumée » ne sera à l’ avenir constitué que par les utilisateurs de son dernier produit « IQOS » («I Quit Ordinary Smoking » ), qui, selon ses propres déclarations, ne produit pas de fumée nocive mais seulement de la « vapeur inoffensive ». Le 12 février 2018, l’  ERS a mis en garde ses membres contre toute collaboration avec cette fondation. Et la presse grand public qualifie les activités récentes de l’ industrie du tabac de « nouvelles ruses et vieux mensonges » (44).

Conclusion

Le commerce du tabac est basé sur la vente de nicotine, une substance engendrant une addiction. Pour l’ industrie du tabac, il importe peu que les jeunes deviennent dépendants de la nicotine par le biais des e-cigarettes, des produits du tabac chauffés ou des cigarettes. La prévention durable du tabagisme comprend la mise en œuvre cohérente de la Convention de l’ OMS sur le tabac – également en Suisse. Afin d’ éviter que la prévention ne soit sapée par les produits commercialisés auprès des jeunes, tels que les e-cigarettes, les narguilés ou le snus et pour éviter que la dépendance à la nicotine ne redevienne la norme, l’ engagement de tous les médecins est nécessaire. En plus de l’ enregistrement de la dépendance à la nicotine et de l’ exposition à la fumée passive, du conseil pour l’ arrêt du tabac pendant les heures de consultation et au chevet du patient, la position professionnelle est nécessaire pour la mise en œuvre de la FCTC. Les associations médicales publiquement crédibles convaincront également nos parlementaires des arguments de santé dans le débat sur la Loi sur les produits du tabac. Sinon, nos représentants du peuple se verront accusés de se faire les sbires de l’ industrie du tabac, qui a su jusqu’ à présent défendre ses intérêts par une influence omniprésente et en luttant contre les mesures de santé publique (45-48).

Cet article est une traduction de « info@onkologie » 05_2019

Prof. Dr. med. Jürg Barben

Leitender Arzt Pneumologie/Allergologie & CF-Zentrum
Ostschweizer Kinderspital
Claudiusstr. 6
9006 St. Gallen

juerg.barben@kispisg.ch

L’ auteur affirme qu’  il n’  y a pas de conflit d’  intérêts en rapport avec cet article.

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Problèmes et besoins des personnes âgées après une hospitalisation

La préparation au retour à domicile pendant l’ hospitalisation est un processus clé pour assurer la continuité des soins et réduire les problèmes rencontrés par les personnes âgées après la sortie de l’ hôpital. Alors que les durées de séjours hospitaliers diminuent, les patients quittent l’ hôpital de plus en plus précocement, sans être toujours suffisamment prêts, et terminent leur rétablissement à domicile. Les problèmes rencontrés pendant les premiers jours après la sortie peuvent être la conséquence d’ un manque d’ informations reçues durant l’ hospitalisation, mais surtout d’ un manque d’ adéquation entre les informations transmises et les besoins des patients.

Les prévisions à l’ horizon 2040 pour le canton de Vaud montrent que la proportion des journées d’ hospitalisation bénéficiant aux personnes âgées va passer, pour les scénarios les plus probables, de 55  % en 2015 à une part comprise entre 67 % et 69 % d’ ici 20 ans (1). La contingence de l’ augmentation de la complexité des soins en milieu aigu, de la diminution du temps disponible pour préparer les personnes âgées à sortir de l’ hôpital requiert des solutions pour améliorer les soins de transition et réduire les problèmes après la sortie de l’ hôpital. Lorsque la préparation au retour à domicile est inadéquate, les réadmissions à l’  hôpital sont fréquentes et coûteuses (2). A l’ hôpital, les réponses apportées par les soignants aux besoins d’ informations des personnes âgées contribuent à une meilleure gestion de leur auto-soins à domicile (3, 4). Ces informations et l’ enseignement sont souvent transmis de façon trop condensée avant que le patient ne retourne chez lui (5). En plus d’ avoir peu de temps, la compréhension des informations par les patients n’est pas systématiquement évaluée (6). Les patients se souviennent difficilement des informations reçues, voire les oublient après la sortie de l’ hôpital (7). Une compréhension erronée ou insuffisante des informations par les patients peut limiter les auto-soins et une gestion efficace de la santé (8). Il y aurait donc un écart entre la croyance des professionnels de transmettre des informations qui répondent aux besoins des patients et la pertinence et la manière dont ces informations sont transmises aux patients (4, 9, 10).

Identifier les problèmes rencontrés par les patients après la sortie de l’ hôpital

Pour prévenir les problèmes rencontrés par les patients à domicile, il est d’ abord nécessaire de déterminer la prévalence et la nature des problèmes et des besoins non satisfaits des patients après leur sortie de l’hôpital. Le questionnaire « Problems After Discharge Questionnaire » (PADQ) de Mistiaen & al (1997) a été développé et validé dans ce but (11). Le PADQ est un questionnaire auto-reporté pour évaluer les problèmes et les besoins non satisfaits dans huit domaines : besoins d’information, soins personnels, activités domestiques, mobilité, utilisation des équipements et suivi des instructions, plaintes physiques et plaintes psychologiques.

Problèmes et besoins insatisfaits des patients en Suisse romande après la sortie de l’ hôpital

En 2018, le questionnaire PADQ a été soumis à 109 patients avec plusieurs maladies chroniques, hospitalisés dans des services de médecine et de réadaptation en Suisse romande. Ceux-ci ont complété le questionnaire une semaine après leur retour à domicile afin de connaître les problèmes et les besoins qu’ ils avaient rencontré après la sortie. L’âge moyen de ces patients était de 74 ans, la moitié étant des femmes et vivant en couple. Près des deux tiers avaient été hospitalisés au cours des deux dernières années (n = 70). Trois patients sur dix bénéficiaient de soins à domicile.
Les problèmes rencontrés par les participants à domicile concernaient surtout les tâches domestiques, telles que le ménage (63 %), les courses (56  %), ou le changement des draps de lit (50 %). Un peu plus d’ un tiers avaient des problèmes somatiques, dont principalement la dyspnée (58 %), la fatigue (50 %) et les douleurs (46 %). La mobilité était également problématique pour un autre tiers d’ entre eux, notamment pour se promener à l’ extérieur (53 %), monter les escaliers (44 %) et utiliser les moyens de transports (30 %). Un quart des patients ont rapporté des plaintes psychologiques, et la moitié d’ entre eux souffraient plus spécifiquement d’ anxiété, d’ inquiétude, et de tristesse (31 %). Un participant sur trois a rencontré des problèmes pour réaliser certains soins personnels comme prendre une douche ou un bain et s’ habiller ou se déshabiller.
De manière générale, plus de la moitié (57 %) des participants ont rapporté un manque d’ informations une fois rentrés à domicile. Ces besoins concernaient prioritairement des informations sur les effets secondaires de leurs traitements, les prestations d’ assurance, ainsi que leur processus rétablissement (Fig. 1).

En regard d’ une étude similaire conduite avec le questionnaire PADQ aux États-Unis, les patients hospitalisés en Suisse romande ont un besoin d’ information concernant les traitements médicamenteux trois fois supérieur et davantage de problèmes après la sortie de l’ hôpital (12). Le manque d’ informations sur les médicaments est un résultat mis en évidence dans plusieurs études et un des problèmes les plus fréquemment rencontré par les patients après l’ hôpital (13-16). Aux États-Unis, la réconciliation médicamenteuse systématique pourrait expliquer que ce besoin soit davantage satisfait pour les patients (17).
L’ âge moyen des participants à cette étude étant de 74 ans, les problèmes rencontrés après la sortie pour réaliser les tâches ménagères ou se mobiliser pourraient être expliqués par le déclin fonctionnel engendré par l’ hospitalisation chez les personnes âgées (15). La diminution des durées de séjours implique également que les patients sortent parfois de l’ hôpital sans avoir toujours récupéré leurs capacités fonctionnelles, ce qui pourrait avoir été le cas pour les participants de la présente étude (18). Les patients ont également exprimé des besoins importants liés aux difficultés psychologiques (19). Les souffrances psychologiques peuvent être générées par l’ incertitude liée au manque d’ informations sur le processus d’ évolution de la maladie, du rétablissement ou des traitements (20). Le besoin d’ information exprimé par les participants de cette étude pourrait en partie être un moyen de réduire leur anxiété par exemple. Alors que l’ attention des soignants est souvent centrée sur les problématiques somatiques, ces résultats mettent en lumière l’ importance d’ investiguer de manière tout aussi prioritaire les besoins psychologiques des patients.

Implications pour la pratique

Recevoir une grande quantité d’ informations ne garantit pas pour autant que le patient ait compris ces informations ni qu’ elles répondent à ses besoins, surtout si celles-ci sont transmises à un moment inopportun ou d’ une manière inadaptée à son niveau de connaissances ou de compétences (4, 21). De plus, les besoins d’ information peuvent varier tout au long du processus de rétablissement. Le séjour à l’hôpital est souvent une période de crise pour traiter des problèmes de santé aigus. Les patients ne sont donc pas toujours prêts à recevoir des enseignements et se sentent souvent submergés par un flot d’informations. Adapter le type d’ informations et la manière de les transmettre à partir des besoins évalués avec les patients plutôt que selon des recommandations prédéterminées et spécifiques à des pathologies, donnerait davantage de sens et de pertinence à ces informations pour les patients (22). Pour évaluer pendant l’ hospitalisation quels sont ces besoins, les patients eux-mêmes doivent participer à définir ce qu’ ils connaissent déjà et quelles sont les informations qu’ils jugent importantes pour leur situation de vie à domicile, qui diffère assurément de celle de l’ hôpital. Lorsque les informations répondent à leurs besoins, les patients sont plus attentifs, ce qui améliore leur compréhension et le rappel de ces informations une fois rentrés chez eux (6, 22). Ils se sentent aussi davantage prêts à rentrer car capables de répondre eux-mêmes à des questions qu’ ils pourraient se poser après la sortie ou faire face à des problèmes concernant la gestion de leur santé (22).

Conclusion

Les résultats de cette étude mettent en évidence qu’ une semaine après la sortie de l’ hôpital, les patients estiment ne pas avoir reçu suffisamment d’ informations pour la gestion de leur santé à domicile. Ils ont été également confrontés à de nombreux problèmes dans les activités de la vie quotidienne et en lien avec des inconforts physiques. Évaluer les besoins d’ information des patients pour la gestion de leur santé à domicile permettrait d’ augmenter la qualité des informations transmises et de contribuer à réduire la survenue de problèmes après la sortie de l’ hôpital.

Joanie Pellet, PhD(c), joanie.pellet@unil.ch
Alessia Camponovo, MScSI
Nishalini Gunalingami, MScSI
Dr sc. Cédric Mabire, PhD, cedric.mabire@unil.ch
Institut de formation et de recherche en soins – IUFRS, Faculté de
Biologie et Médecine, Université de Lausanne, Lausanne, Suisse

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Joanie Pellet, PhD(c)

Institut de formation et de recherche en soins – IUFRS
Faculté de Biologie et Médecine
Université de Lausanne, Lausanne, Suisse

joanie.pellet@unil.ch

Dr sc. Cédric Mabire, PhD

Institut de formation et de recherche en soins – IUFRS
Faculté de Biologie et Médecine
Université de Lausanne, Lausanne, Suisse

cedric.mabire@unil.ch

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’ intérêt réel ou potentiel en lien avec le contenu de cette publication.

  • Suite à une hospitalisation, les patients à domicile manquent d’ informations sur la gestion de leur santé au quotidien
  • La transmission standardisée d’ informations avant la sortie de l’ hôpital ne suffit pas à répondre à leurs besoins pour leur situation de vie
    à domicile
  • En adaptant le type et la quantité d’ informations, la manière de les transmettre et le moment pour le faire, les infirmières pourraient mieux répondre aux besoins des personnes âgées rentrés à domicile

Les auteurs souhaitent remercier les patients et les professionnels de la santé pour leur participation à l’ étude.