Le syndrome sérotoninergique dans les interactions médicamenteuses

Le syndrome sérotoninergique, également appelé toxicité sérotoninergique, associe des symptômes neurocognitifs, neuromusculaires et neurovégétatifs. La présentation clinique varie de formes très légères à des formes sévères et potentiellement létales. La toxicité sérotoninergique devient plus fréquente en raison de la prescription croissante de médicaments sérotoninergiques, principalement des antidépresseurs et des analgésiques. La prévention est essentielle. Elle passe par la formation des patients et des prescripteurs pour éviter ou détecter la toxicité sérotoninergique.

Serotonin syndrome, also named serotonin toxicity, associates neurocognitive, neuromuscular and neurovegetative symptoms. The clinical presentation varies from very mild to severe and potentially lethal forms. Serotonin toxicity is becoming more frequent due to the increasing prescription of serotonergic drugs, mainly antidepressants and analgesics. Prevention of serotonin toxicity is key. It involves training patients and prescribers to avoid or detect serotonin toxicity.
Key Words: serotonin syndrome, serotonin toxicity, drug-drug interactions, antidepressants, analgesic drugs

Introduction

Décrit pour la première fois en 1960, le syndrome sérotoninergique (SS) devient plus fréquent du fait de la prescription grandissante de médicaments sérotoninergiques, principalement des antidépresseurs et des antalgiques, au cours des dernières décennies (1-2). Encore trop souvent peu connu des praticiens et donc sous-diagnostiqué, ce syndrome associe de façon variable des symptômes neurocognitifs, neuromusculaires et neurovégétatives. Le spectre clinique varie de formes très légères à des formes sévères potentiellement létales.

Physiopathologie

La sérotonine ou 5-hydroxytryptamine (5-HT) est un neurotransmetteur monoaminénergique dérivé du tryptophane qui intervient dans de nombreux systèmes. Dans le système nerveux central, elle exerce une action sur l’ humeur, l’ attention, l’ appétit, le cycle veille-sommeil, la perception de la douleur, la thermorégulation et le tonus musculaire. Au niveau périphérique, la sérotonine est principalement sécrétée dans le tube digestif dont elle module le péristaltisme. La sérotonine est également impliquée dans la vasoconstriction, la bronchoconstriction, la contraction utérine et l’ agrégation plaquettaire (3).

Le SS survient lors d’ une hyperstimulation des récepteurs sérotoninergiques (5-HT1a et 5-HT2a notamment) par différents mécanismes selon les molécules impliquées : inhibition de la recapture de la sérotonine ou de son métabolisme, stimulation directe des récepteurs, relargage de sérotonine ou plus rarement augmentation de sa synthèse.

Il s’ agit d’ un phénomène dose-dépendant et non idiosyncrasique, donc relativement prévisible. Dans un tiers des cas, il survient en monothérapie lors de l’ introduction du traitement, d’ une augmentation de dose ou en cas de surdosage. Il survient le plus souvent dans les 24 heures et n’ apparaît que rarement une fois que le traitement est stable (phénomène de tolérance).

Les molécules les plus à risque sont les IMAO A ou B (inhibiteur de la monoamine oxydase A ou B) antidépresseurs ou antiparkinsoniens. Le risque est modéré lors de l’ utilisation d’ un inhibiteur de la recapture de la sérotonine (IRS), d’ un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) ou d’ antidépresseurs tricycliques, notamment la clomipramine et l’ imipramine. C’ est aussi le cas de l’ amitriptyline, mais plus faiblement. (tableau 1)

Dans les deux tiers des cas, le SS survient lorsqu’ on associe des traitements sérotoninergiques (4) L’ association d’ un IMAO avec un autre traitement sérotoninergique est déconseillée et il est recommandé de laisser un intervalle libre de 14 jours entre l’ arrêt d’ un IMAO et l’ introduction d’ un autre IMAO.

D’ autres molécules ont une activité sérotoninergique qui n’ est pas toujours identifiée et qui expose au risque de SS. Deux antibiotiques, le linézolide et l’ isoniazide, ont une activité de type IMAO qu’ il faut connaître. Certains opiacés ont une activité faible d’ inhibition de la recapture de la sérotonine (tramadol, fentanyl, mépéridine, méthadone, dextrométhorphane), ce qui n’ est pas le cas de la morphine et d’ autres opiacés (buprénorphine, codéine, oxycodone).

Enfin, des substances utilisées sur un mode récréatif comme les amphétamines, la cocaïne et l’ ecstasy (MDMA) exercent une action sérotoninergique et représentent une cause non négligeable de SS (4).

Le SS survient fréquemment lors d’ interactions médicamenteuses. En effet, une grande partie des antidépresseurs sérotoninergiques sont éliminés par l’ intermédiaire des cytochromes P450 de sous-type CYP2D6 et CYP3A4 notamment et sont sensibles aux molécules qui inhibent ces voies. De plus, certaines molécules comme la fluoxétine représentent un risque marqué de SS du fait de son activité inhibitrice au niveau du cytochrome P450 2D6 et de sa longue demi-vie (3).

Enfin, des SS ont été décrits lors de l’ association d’ une molécule sérotoninergique avec les antipsychotiques de 2e génération (rispéridone, quétiapine, clozapine olanzapine et aripiprazole) qui exercent notamment une activité agoniste sérotoninergique sur les récepteurs 5-HT1A (3).

Un diagnostic clinique

Il repose sur une triade de symptômes neuropsychiatriques (agitation, nervosité, insomnie, hypomanie et, pour les formes graves, confusion, troubles de la vigilance), de symptômes neurovégétatifs (fièvre, diaphorèse, tachycardie, tachypnée, diarrhée, hypertension artérielle et mydriase) et de troubles neuromusculaires souvent plus marqués aux membres inférieurs (tremblements, hyperréflexie, myoclonies, clonus, rigidité). Comme il s’ agit d’ un tableau protéiforme et qu’ il n’ existe pas de symptomatologie spécifique du SS, certains auteurs parlent plus volontiers de toxicité sérotoninergique. L’ algorithme diagnostique de Dunkley et al. pour identifier un SS est simple d’ utilisation, sensible (84%) et spécifique (97%). Il met l’ accent sur l’ introduction récente d’ un traitement sérotoninergique, une augmentation des doses ou une co-prescription à risque (tableau 2) (5).

Il existe un continuum en termes de gravité. Les formes légères sont les plus fréquentes et se manifestent par des tremblements, une nervosité, des troubles du sommeil qui peuvent être mises à tort sur le compte des troubles psychiatriques sous-jacents. Les formes modérées se présentent par une agitation, des clonies inductibles ou oculaires, une diaphorèse et une hyperréflexie. Elles peuvent être difficilement différenciable d’ un syndrome de sevrage alcoolique ou en benzodiazépine. Les formes sévères sont rares, elles se manifestent par des myoclonies soutenues, une rigidité musculaire, une hyperthermie au-dessus de 38.5°C, un état confusionnel ou encore une rhabdomyolyse. Le diagnostic différentiel est alors large et doit faire évoquer toutes les causes d’ un syndrome confusionnel aigu, notamment les causes infectieuses et toxico-métaboliques (6). Seuls une anamnèse et un examen clinique minutieux permettent de préciser le diagnostic de SS. Il n’ existe pas de marqueur biologique spécifique et le dosage de la molécule incriminée est souvent sans lien avec la gravité du tableau mais peut guider le clinicien (2).

En cas de co-prescription d’ un antipsychotique, il faut également évoquer un syndrome malin des neuroleptiques. Il se différencie notamment par la présence d’ une rigidité extrapyramidale et d’ une bradykinésie. Fréquemment évoqué dans la littérature comme diagnostic différentiel, le syndrome anticholinergique se différencie par une sécheresse muqueuse et cutanée, une diminution du transit intestinal et une rétention d’ urine, mais surtout par un tonus musculaire et des réflexes normaux (6, 7).

Épidémiologie

L’ incidence réelle du syndrome sérotoninergique reste inconnue, du fait d’ une grande variabilité clinique et de la sensibilisation insuffisante des médecins qui conduit à un sous-diagnostic. Il survient à tous les âges, et si on retrouve un pic de survenue entre 60 et 80 ans et une forte prédominance féminine (75%) cela tient davantage de la prescription d’ antidépresseurs plus importante dans ces populations (4) .

Prise en charge

En cas de suspicion d’ une toxicité sérotoninergique, toutes les molécules incriminées doivent être stoppées, éventuellement diminuées pour les formes légères. Le SS devra systématiquement faire l’ objet d’ une déclaration auprès de Swissmédic.

Les formes légères ne requièrent en général pas d’ hospitalisation. La symptomatologie s’ amende habituellement rapidement à l’ arrêt ou à la diminution de la posologie. Une fois les symptômes résolus, un traitement alternatif peut être instauré ou la même molécule réintroduite progressivement à dose inférieure.

Les patients qui ont des symptômes sévères ou qui reçoivent une association d’ un IMAO avec un IRS/IRSN doivent être hospitalisés. Les traitements suspects doivent être stoppés immédiatement. Dans les formes modérées ou graves, l’ agitation et la rigidité peuvent être traitées par des benzodiazépines. L’ hyperthermie qui résulte classiquement de l’ hyperactivité musculaire, n’ est pas sensible aux antipyrétiques habituels. Les mesures de refroidissement externe telles l’ hydratation et la glace peuvent ne pas suffire. Se justifie alors l’ utilisation off-label de la cryptoheptadine qui est un antihistaminique avec une activité antagoniste des récepteurs 5-HT2a ou la chlorpromazine, proposée en seconde intention du fait des risques d’ hypotension sévère (off-label) (7). Enfin, les formes graves et compliquées peuvent nécessiter une prise en charge en soins intensifs (2, 3). Dans la majorité des cas, le SS est résolutif dans les 24 à 72 heures. La résolution peut survenir plus tardivement dans des cas particuliers, par exemple en cas d’ intoxication avec la fluoxétine ou lors de l’ utilisation d’ IMAO irréversible (2).

Prévention

La prévention reste la meilleure stratégie à la survenue d’ un SS. Lors de l’ introduction d’ un traitement antidépresseur sérotoninergique, il est conseillé de viser la dose minimale efficace, de rester attentif dans les jours qui suivent l’ introduction et de rester très prudent lors de la co-prescription de deux molécules sérotoninergiques. Il convient de vérifier l’ absence de prise de molécules hors prescription ou la consommation de substances illicites (6).

Conclusion

Le syndrome sérotoninergique, ou toxicité sérotoninergique, est un phénomène probablement sous-diagnostiqué car insuffisamment connu. Les symptômes sont peu spécifiques, d’ intensité variable avec des formes légères à potentiellement mortelles. La prévention est primordiale et dépend de la bonne formation des prescripteurs et des patients.

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Dr méd. Samuel Périvier

Service de Gériatrie et Réadaptation
Département de réadaptation et gériatrie
Hôpitaux Universitaires de Genève
3, chemin du Pont-Bochet
1226 Thônex/Genève

Samuel.Perivier@hcuge.ch

Pr Dr méd. Philippe Huber

Service de Gériatrie et Réadaptation
Département de réadaptation et gériatrie
Hôpitaux Universitaires de Genève
3, chemin du Pont-Bochet
1226 Thônex/Genève

Philippe.Huber@hcuge.ch

SP aucun conflit d’intérêt en rapport avec cet article, PH honoraires de conférencier Médecine interne Update Refresher, FomF.

◆ Le syndrome sérotoninergique, ou toxicité sérotoninergique, est une pathologie d’origine médicamenteuse d’intensité légère à potentiellement mortelle causée par un excès de sérotonine dans les synapses nerveuses.
◆ Les patients se présentent avec une combinaison de symptômes neurocognitifs, neuromusculaires et neurovégétatifs dont le diagnostic différentiel est large et inclut les manifestations de la maladie de base.
◆ La majorité des cas surviennent lorsque qu’on associe deux molécules sérotoninergiques ou en cas de surdosage d’une molécule.
◆ La prise en charge varie en fonction de la sévérité. La prévention est primordiale et passe par la formation des prescripteurs et des patients pour éviter ou détecter cette toxicité médicamenteuse.

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Examen bucco-dentaire – un geste indispensable dans le bilan gériatrique

Lors de l’ admission d’ un patient âgé dans un établissement de soins, un bilan gériatrique complet est effectué, mais la santé bucco-dentaire n’ est que rarement prise en compte. Les caries et les maladies parodontales sont les maladies les plus fréquentes de la cavité buccale, mais les maladies de la muqueuse buccale, comme le carcinome épidermoïde, sont également plus fréquentes avec l’ âge. Les patients âgés prennent en outre de nombreux médicaments, dont une grande partie provoque une sécheresse buccale. Le biofilm peut être aspiré et entraîner des pneumonies d’ aspiration. Un contrôle dentaire régulier, au moins tous les six mois, est donc recommandé. Lors de l’ entrée dans un établissement de soins, le dentiste traitant devrait établir un « plan de soins » tenant compte des besoins individuels du patient et de sa dentition. La santé bucco-dentaire fait partie intégrante de la santé générale et peut contribuer de manière significative à la qualité de vie des personnes âgées.

When an elderly patient is admitted to a care facility, a complete geriatric assessment is performed, but oral health is rarely considered. Caries and periodontal disease are the most common diseases of the oral cavity, but diseases of the oral mucosa, such as squamous cell carcinoma, are also more common with age. Elderly patients also take many medications, many of which cause dry mouth. The biofilm can be aspirated and lead to aspiration pneumonia. A regular dental check-up, at least every six months, is therefore recommended. When entering a nursing home, the attending dentist should establish a «care plan» that takes into account the individual needs of the patient and his or her dentition. Oral health is an integral part of general health and can contribute significantly to the quality of life of older adults.
Key Words: Oral health, elderly people, care plan, caries, periodontal diseases, aspiration pneumonia

Santé bucco-dentaire – partie intégrante du bien-être

Une bouche et une dentition saine font partie intégrante de la santé et du bien-être général (1). Les principales maladies bucco-dentaires qui surviennent chez les personnes adultes sont chroniques, progressives et cumulatives au cours de la vie. Les causes des maladies bucco-dentaires sont étroitement liées au mode de vie, qui comprend une négligence de l’ hygiène bucco-dentaire ainsi qu’ une alimentation riche en sucre, le tabagisme et la consommation d’ alcool (2). Les infections buccales, en particulier les maladies parodontales, peuvent avoir un impact négatif sur l’ état de santé général, et des associations avec les maladies cardio-vasculaires, le diabète, les naissances prématurées et les pneumonies bactériennes ont été signalées (3). La récente tendance à conserver une dentition naturelle complète ou partielle jusqu’ à un âge avancé a été accueillie comme un progrès, mais une prévalence élevée de caries et de maladies parodontales accompagne la conservation des dents et reste un défi considérable pour la santé publique (4). Les autres maladies des tissus buccaux comprennent un large éventail d’ affections des muqueuses, ainsi que les carcinomes épidermoïdes, dont la prévalence augmente au-delà de 60 ans (5).

Les défis de la santé bucco-dentaire chez les personnes âgées

Les affections bucco-dentaires les plus répandues chez les personnes âgées restent les caries coronaires et radiculaires ainsi que les maladies parodontales, qui favorisent toutes la perte des dents si elles restent sans traitement. La perte de dents altère la plupart des fonctions orales, en particulier l’ efficacité de la mastication, ce qui conduit, souvent inconsciemment, à l’ adoption d’ un régime alimentaire malsain, car les choix alimentaires se limitent à ce qui est facile à mâcher avec peu de dents naturelles et/ou de prothèses dentaires (6). L’ apport calorique quotidien est souvent assuré par un régime riche en hydrates de carbone raffinés et en sucre, qui fournit les calories nécessaires, mais manque de nutriments importants comme les protéines, les vitamines et le calcium (7). Lors de la vieillesse, un IMC élevé est en général associé à une faible morbidité et mortalité (8). L’ amélioration de l’ efficacité de la mastication ne pourrait qu’ améliorer indirectement le poids et l’ état nutritionnel, en permettant l’ ingestion d’ une plus grande variété d’ aliments, en offrant la possibilité de manger des plats non mélangés et d’ apparence appétissante et en favorisant les repas en compagnie d’ autres personnes, ce qui entraîne une augmentation de l’ apport calorique. L’ amélioration de l’ état nutritionnel après une restauration dentaire avec une meilleure efficacité de mastication n’ est pas automatique, un conseil nutritionnel est recommandé pour que le patient bénéficie au mieux de la nouvelle prothèse (9).

L’ état de santé général, notamment des maladies chroniques ou leur traitement constituent un autre défi pour la santé bucco-dentaire des personnes âgées. Selon le rapport de l’ OMS sur le vieillissement, les sept maladies chroniques les plus courantes chez les personnes âgées sont les maladies cardiovasculaires, le cancer, les maladies respiratoires, le diabète, la cirrhose du foie, l’ arthrose et les troubles neurocognitifs (10). Alors que le diabète a un effet bidirectionnel direct sur la santé parodontale, d’ autres maladies ont un effet plutôt indirect sur la santé bucco-dentaire, que ce soit par la prise de médicaments, la radiothérapie ou la chimiothérapie. Un effet indésirable de ces médicaments peut être une sécheresse buccale, entraînant des problèmes de mastication, de déglutition, d’ élocution, de port de prothèses dentaires et de sensibilité des muqueuses (11). Lorsque les dents naturelles sont encore présentes, un risque élevé de caries et une augmentation de l’ abrasion sont associés à un manque de salive.

Un autre problème fréquent chez la personne âgée fait récemment l’ objet d’ une attention croissante, la dysphagie. Les troubles de la déglutition augmentent avec l’ âge et atteignent chez les patients institutionnalisés une prévalence de 40-60 % (12). La dysphagie est reconnue comme l’ un des principaux mécanismes physiopathologiques conduisant à la pneumonie par aspiration, l’ une des principales causes de morbidité et de mortalité par infection chez les patients âgés. La fréquence accrue peut être expliquée par les changements physiologiques liés au vieillissement de l’ arbre respiratoire et à l’ immunosénescence. L’ altération des réflexes de toux entraîne la stagnation de corps étrangers dans le pharynx qui peuvent ensuite être aspirés dans les poumons. À part des troubles de déglutition, l’ hygiène orale, ainsi que la présence de dents naturelles avec des poches parodontales importantes sont des facteurs de risque reconnus pour la pneumonie d’ aspiration (13, 14). Mais même chez le sujet édenté, des dépôts bactériens sur la langue peuvent encore provoquer une pneumonie d’ aspiration (15). Il est donc crucial de maintenir une bonne hygiène bucco-dentaire chez les personnes âgées.

L’ hygiène bucco-dentaire des personnes âgées

L’ hygiène bucco-dentaire est souvent mauvaise chez les personnes âgées, et plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène (16). Le vieillissement physiologique, qui détériore la vision, la sensibilité tactile, l’ odorat et la dextérité, se manifestent chez les personnes âgées, même si elles vieillissent en bonne santé. Ces déficiences physiologiques rendent difficile l’ exécution des mesures d’ hygiène bucco-dentaire. S’ y ajoutent l’ arthrose et les accidents vasculaires cérébraux, ou du déclin cognitif et de la dyspraxie comme dans les troubles neurocognitifs tels que la démence. Des outils adéquats, comme des brosses à dents à manche épais, un miroir grossissant et des lunettes ou des outils spéciaux pour le nettoyage des prothèses dentaires peuvent contribuer à améliorer l’ hygiène bucco-dentaire, mais leur prévalence est faible et leur utilisation n’ est pas une coutume répandue.

Avec le temps, les séquelles des maladies dentaires s’ accumulent, et souvent les papilles interdentaires présentent des récessions laissant la morphologie de la dentition avec des niches où les aliments et la plaque dentaire peuvent adhérer sans être dérangés par la joue ou la langue. Un autre facteur lié à l’ âge est l’ utilisation de forces musculaires plus faibles pendant la mastication, telles que celles de la langue, des joues et des lèvres, ce qui entraîne un moindre auto-nettoyage de la cavité buccale pendant la mastication. L’ hygiène buccale peut également devenir douloureuse lorsque l’ hyposalivation rend la muqueuse buccale sensible et douloureuse, car les effets protecteurs et réparateurs de la salive sont absents. La Société Japonaise de Gérodontologie a récemment introduit le diagnostic « oral hypofunction », qui implique sept facteurs fonctionnels : la force de serrage et la pression de la langue, l’ hygiène orale et la salivation, la mastication et la déglutition, ainsi que la coordination motrice de la langue et des lèvres (17).

Une autre raison de la mauvaise hygiène bucco-dentaire peut être un changement de priorités, lorsque les maladies chroniques et la déficience fonctionnelle dominent la vie quotidienne. Enfin, le retrait de la vie sociale implique une diminution de la pression pour une apparence soignée, y compris une « haleine fraîche ». Lorsque l’ on vit dans un contexte institutionnel, avec peu d’ interactions sociales, et souvent peu de « secret » sur la présence d’ une prothèse amovible, le seuil pour ne pas porter une prothèse (potentiellement inconfortable) ou pour ne pas se brosser les dents est souvent élevé.

L’ examen dentaire – un geste indispensable

Les examens périodiques chez le dentiste et l’ hygiène bucco-dentaire professionnelle, effectuée par une hygiéniste dentaire ou un autre professionnel dentaire formé, contribuent à prévenir les maladies bucco-dentaires et à les traiter avant de progresser, le cas échéant. Ces contrôles servent à dépister le cancer ou d’ autres maladies de la muqueuse buccale, mais visent également à détecter les premières caries et à examiner les tissus parodontaux à la recherche de signes cliniques d’ inflammation, notamment des gonflements, des saignements, des rougeurs et une augmentation de la profondeur des poches parodontales. Si des restaurations dentaires sont déjà présentes, elles nécessitent un entretien régulier pour rester en fonction et ne pas présenter de niches ou des défauts de surface. Les contrôles comprennent également l’ évaluation de l’ assise ferme d’ une prothèse et de l’ occlusion entre les dents supérieures et inférieures afin d’ assurer le confort buccal et de prévenir le dysfonctionnement des articulations temporo-mandibulaires. Les intervalles des contrôles devraient être au moins tous les 6 mois, mais sont déterminés en fonction du risque individuel du patient.

Le plan des soins bucco-dentaires

À l’ âge adulte, bien avant l’ apparition de la fragilité, mais au plus tard à un stade pré-fragile, le patient et le dentiste devraient établir ensemble un « plan de soins bucco-dentaires », dont le but est de prévenir et contrôler les maladies bucco-dentaires, contrôler la douleur et l’ infection, éliminer les dysfonctionnements et assurer une bonne qualité de vie liée à la santé bucco-dentaire (18). Ce plan comprend l’ explication des facteurs de risque des maladies bucco-dentaires et l’ incitation à modifier les comportements à risque, comme l’ arrêt du tabac, la consommation modérée d’ alcool, une alimentation saine et le recours régulier aux services dentaires. La prise de vitamine D et de calcium, à des doses visant à prévenir l’ ostéoporose, est efficace pour réduire la perte de dents (19). Le plan de soins bucco-dentaires explique également les implications d’ une dépendance croissante. L’ évaluation des risques associés comprend l’ identification des conditions menaçant la santé bucco-dentaire et évoquant un risque particulier de caries et de maladies parodontales, par exemple un faible débit salivaire, afin de convenir des rappels périodiques appropriés. Elle doit en outre déterminer un ensemble personnalisé d’ outils d’ hygiène bucco-dentaire, adaptés à la dentition, mais aussi aux déficiences fonctionnelles telles que les troubles de la vision, la faiblesse de la force et la dextérité des mains.

Prévention au début de la fragilité et de la multi-morbidité

Avec l’ apparition de la fragilité et du déclin fonctionnel, le « plan de soins » devrait faire partie intégrante d’ une admission dans une institution. Pour la prévention des maladies parodontales, des dentifrices antibactériens doivent être recommandés, ainsi que des séances d’ hygiène buccale professionnelle. Les produits à base de chlorhexidine peuvent être utilisés temporairement pour contrôler l’ infection (20). Au stade de la fragilité, la prévention s’ étend à la prévention de la pneumonie par aspiration. Un décès sur 10 dû à une pneumonie est évité par une hygiène bucco-dentaire professionnelle hebdomadaire, lorsqu’ elle est réalisée par un professionnel de la santé dentaire (21, 22). Le port de prothèses dentaires pendant la nuit double également l’ incidence de la pneumonie. Les personnes âgées fragiles devraient donc s’ abstenir de porter leurs appareils amovibles pendant la nuit, car leur charge bactérienne présente un risque pour la santé en termes de pneumonie (23). Il est recommandé de conserver les prothèses amovibles au sec pendant la nuit, afin que les bactéries soient mortes avant que la prothèse ne soit nettoyée et remise en bouche le matin (24). À ce stade, il est également conseillé d’ évaluer les effets indésirables de la polypharmacie, comme l’ hyposalivation et la présence de sucre dans les médicaments, principalement dans les sirops (25, 26). Le soulagement de la sécheresse buccale est assuré par la vaporisation d’ eau dans un flacon atomiseur, par des activités de mastication unilatérale (chewing-gum ou tubes à mâcher) ou enfin par des substituts salivaires qui se présentent sous forme de sprays, de gels ou de bains de bouche (27). Outre l’ établissement d’ un plan de soins bucco-dentaires, le rôle du professionnel de la santé bucco-dentaire est d’ informer et d’ éduquer le patient sur les mesures préventives et de contrôler leur efficacité.

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Pre Dre méd. dent. Dr. h.c. Frauke Müller

Clinique universitaire de médecine dentaire,
Division de gérodontologie et prothèse adjointe,
Université de Genève
CMU, Rue Michel-Servet 1, 1211 Genève 4
Département de réadaptation et gériatrie,
Hôpitaux Universitaires de Genève

Frauke.mueller@unige.ch

L’ auteure a déclaré n’ avoir aucun conflit d’ intérêt en rapport avec cet article

◆ La plupart des facteurs de risque de maladies bucco-dentaires et de perte de dents peuvent être évités en gérant les facteurs de risques associés, notamment une alimentation saine, une hygiène bucco-dentaire quotidienne méticuleuse, une consommation modérée d’ alcool et l’ arrêt du tabac.
◆ La génétique, le contexte socio-économique et d’ autres risques encore non documentés peuvent également jouer un rôle dans le développement des maladies bucco-dentaires et de la perte des dents.
◆ Pour les patients âgés, les troubles fonctionnels et cognitifs représentent un défi particulier. La déglutition peut provoquer des pneumonies d’ aspiration. La perte de dents due aux caries et aux maladies parodontales peut entraîner des troubles de la mastication. De nombreux médicaments provoquent une sécheresse buccale.
◆ L’ hygiène buccale est plus difficile à réaliser en raison de l’ âge et de
la maladie et ne fait souvent plus partie des priorités des patients âgés. Une bonne santé bucco-dentaire est pourtant un élément essentiel d’ un vieillissement réussi.

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Surdité brusque – recommandations pour le diagnostic et le traitement

La surdité brusque est définie comme une perte auditive neurosensorielle soudaine. Cette perte d’ audition cochléaire soudaine, sans cause apparente, est généralement unilatérale, mais peut dans de rares cas affecter les deux oreilles. On peut distinguer différentes formes de surdité de l’ oreille interne en fonction de la gamme de fréquences et de la gravité : soit une surdité de basse, moyenne ou haute fréquence, soit une surdité pantonale ou pancochléaire, allant d’ un degré léger à une perte auditive confinant à la surdité, voire à une surdité réelle.

Hearing loss is defined as acute, sensorineural loss of the auditory system. This cochlear hearing loss, which occurs suddenly without an identifiable cause, is usually unilateral, but in rare cases it can affect both ears. Different forms of sensorineural hearing loss can be distinguished in terms of frequency range and severity: Low-frequency, mid-frequency, high frequency or pantonal an pancochlear sensorineural hearing loss ranging from mild to bordering on deafness or even actual deafness.
Key Words: Sensorineural hearing loss, tinnitus, hyperacusis, otoscopy, tympanometry

Les symptômes ressentis par les patients sont généralement une sensation soudaine de pression sur l’ oreille atteinte ou sur les deux oreilles, une sensation de coton dans l’ oreille, une sensation diffuse autour du pavillon de l’ oreille (dysesthésie périauriculaire) ainsi qu’  une baisse de l’ audition. La détérioration de l’  audition peut passer inaperçue pour les patients si elle est légère ou si elle ne concerne qu’ une ou quelques fréquences. Il est également important de tenir compte du fait que les personnes concernées souffrent de la perte auditive, des acouphènes et des vertiges à des degrés divers. En cas d’ atteinte grave ou très grave ou de grande souffrance due par exemple aux acouphènes, on trouve souvent une comorbidité psychique. Outre les acouphènes, d’ autres symptômes tels que les vertiges, l’  hyper-, la diplo- ou la dysacousie peuvent être présents. Selon des études menées en Allemagne, l’ incidence de la surdité brusque se situe entre 160 et 400/100000 par an (1, 2). Il n’ existe pas de données épidémiologiques en Suisse pour la surdité brusque ni pour les acouphènes. La surdité brusque survient le plus souvent dans le groupe d’  âge des 40 – 50 ans. Une surdité brusque dans l’ enfance est possible, mais très rare. J’ ai vu cela occasionnellement en cas de stress important et négatif à l’ école ou en famille. Il n’ y a pas de taux d’ incidence selon le sexe.

Pathogenèse

Du point de vue pathogénique, il existe une lésion des cellules ciliées externes et/ou internes, qui peut être réversible (lésion cellulaire) ou irréversible (mort cellulaire). Lorsque la perte auditive dans les basses fréquences est fluctuante, c’ est-à-dire que la surdité brusque semble se manifester de manière répétée, il ne s’ agit généralement pas d’ une surdité brusque, mais d’ un hydrops endolymphatique à l’ origine d’ une maladie de Menière. Quand le seuil d’ audition de la gamme des fréquences moyennes présente une courbe audiométrique « en cloche » (angl. « u shaped » curve), des troubles de la circulation sanguine locale sont discutés comme cause dans la zone de la « lamina spiralis ossea » avec des dommages hypoxiques de l’ organe de Corti. Lors d’ une surdité pantonale, il y a dans la plupart des cas une atteinte fonctionnelle de la strie vasculaire, c’ est-à-dire un trouble de la circulation sanguine. Une occlusion vasculaire est généralement à l’ origine d’ une surdité profonde confinant à une perte auditive ou d’ une surdité totale. Le trouble de la circulation sanguine, que l’ on suppose être la cause la plus fréquente de la surdité brusque, entraîne un effondrement momentané ou permanent de l’ apport d’ énergie à l’ oreille interne. Comme l’ oreille interne n’ est alimentée que par une seule artère terminale, elle est particulièrement vulnérable face aux troubles de la circulation sanguine. Heureusement, ces troubles circulatoires sont généralement réversibles et l’ oreille interne ou les cellules ciliées sont rapidement réoxygénées, ce qui explique les rémissions spontanées en cas de surdité brusque. En raison de la proportion élevée de rémissions spontanées, la surdité brusque, contrairement à l’ infarctus du myocarde ou à l’ apoplexie, n’ est pas considérée comme une urgence nécessitant un traitement immédiat. Elle est cependant considérée comme une urgence otologique qui, en cas de persistance des troubles au-delà de 24 heures, doit être correctement diagnostiquée et traitée de manière adéquate, si possible dans les premières 48 heures (3-5).

Les diagnostics différentiels de la surdité brusque ou de la surdité aiguë de l’ oreille interne sont nombreux : traumatismes (bang, explosion, barotraumatisme, fracture du rocher), labyrinthite (p. ex. comme complication d’ une otite moyenne, de la maladie de Lyme, de la syphilis), méningite, encéphalite, vascularite auto-immune, intoxication (alcool, autres drogues, médicaments comme les antibiotiques aminoglycosides et les diurétiques de l’ anse, toxines provenant de bactéries), infections virales (adénovirus, herpès zoster, oreillons), tumeurs (par ex. neurinome de l’ acoustique, tumeurs du tronc cérébral et de l’ angle ponto-cérébelleux), fistule périlymphatique, insuffisance rénale nécessitant une dialyse, syndrome de perte de LCR, (p. ex. après ponction de LCR), syndromes d’ origine génétique, maladies hématologiques ou cardiovasculaires. Les troubles auditifs psychogènes font également partie des diagnostics différentiels.

Diagnostic

Après une anamnèse détaillée, y compris la clarification de l’ exposition au bruit dans le cadre du travail et des loisirs, l’ otoscopie est réalisée. Le cérumen dans le conduit auditif est éventuellement retiré. La tympanométrie permet de mesurer la pression dans les oreilles moyennes, qui devrait idéalement être égale à la pression atmosphérique extérieure. Les tests au diapason selon Weber et Rinne donnent les premiers indices d’ un trouble auditif. L’ audiométrie tonale pure avec conduction aérienne et osseuse est très importante, au moins dans la plage vocale de 125 à 8000 Hz. Je mesure les fréquences de 125, 250, 500, 1000, 1500, 2000, 3000, 4000, 6000, 8000, 9000, 10000, 11000, 12000, 14000 et 16000 Hz. S’ il existe des acouphènes, la fréquence et l’ intensité sonore des acouphènes devraient être mesurées. En cas d’ hyperacousie, le seuil d’ inconfort doit être mesuré. Si la compréhension de la parole est limitée, une audiométrie vocale devrait également être effectuée. Lors de symptômes de vertige, il est important d’ examiner les mouvements oculaires sous les lunettes de Frenzel :
observe-t-on des nystagmus spontanés ou de fixation, ainsi que des mouvements consécutifs, des nystagmus de secousse de la tête ou de positionnement ? Le test d’ impulsion de la tête selon Halmayi et Curthoys et le test vestibulaire calorique avec des lavages à l’ eau à 30 et 44  °C doivent être effectués. Les indices d’ un trouble de l’ équilibre central ou de troubles centraux de la mobilité oculaire sont par exemple des nystagmus de la direction du regard, une succession de regards saccadés, des saccades ralenties. Il faut être attentif aux autres symptômes neurologiques tels que la parésie faciale, les paresthésies, les troubles de la déglutition, de la marche et de la coordination. La tension artérielle et le pouls sont mesurés. La colonne vertébrale cervicale est examinée afin de déceler toute restriction de mouvement. Les valeurs de laboratoire suivantes doivent être déterminées : l’ hémogramme complet avec formule sanguine et numération des plaquettes, dosage de glycémie, CRP, précalcitonine, créatinine, taux de fibrinogène, exclusion de la maladie de Lyme, de la syphilis, du virus de l’ herpès, du virus varicelle-zona, du CMV, du VIH. Une imagerie du rocher et du neurocrâne (scanner ou IRM) devrait être effectuée, par exemple pour exclure un neurinome de l’ acoustique ou une tumeur de l’ angle pontocérébelleux, un hydrops endolymphatique, en cas de bourdonnements d’ oreille synchrones au pouls, également une fistule artério-veineuse ou un paragangliome temporal. La surdité brusque entraîne une diminution importante de la qualité de vie (6). Cette limitation de la qualité de vie ou l’ atteinte psychique due à la perte auditive, éventuellement aux acouphènes, à l’ hyperacousie et/ou aux symptômes de vertige, devrait être évaluée par des tests psychométriques standardisés et une comorbidité psychique devrait être détectée.

Si, en présence d’ un conduit auditif libre, d’ un tympan fermé sans irritation, d’ une pression normale dans l’ oreille moyenne, les symptômes font suspecter une surdité brusque, il est recommandé d’ adresser le patient à un spécialiste en ORL.

Traitement

La meilleure preuve scientifique est le traitement à haute dose par glucocorticostéroïdes. Celui-ci doit être effectué pendant trois jours avec 250 mg de prednisolone ou un glucocorticostéroïde à dose équivalente à chaque fois (7, 8). Si nécessaire, le traitement peut être prolongé de quelques jours. Il n’ est pas nécessaire de réduire, voire diminuer successivement la dose de cortisone, même avec une dose aussi élevée pendant quelques jours (9), bien qu’ il existe différents schémas qui préconisent précisément cela, ce à quoi il n’ y aurait rien à objecter. Une alternative à la cortisonothérapie systémique est l’ application intratympanique de dexaméthasone ou de méthylprednisolone, qui semble être aussi efficace qu’ une cortisonothérapie systémique à faible dose et qui, en tant que nouvelle tentative de traitement après une cortisonothérapie systémique infructueuse, est plus efficace qu’ une placebothérapie ou l’ absence de traitement (10, 11).

Les agents rhéologiques et les vasodilatateurs tels que l’ aloprostadil, le carbogène et le naftidrofuryl nont montré aucune efficacité dans une méta-analyse Cochrane de trois études randomisées et ne peuvent donc pas être recommandés (12). Une étude randomisée et contrôlée sur la pentoxifylline/dextran n’ a pas montré de supériorité par rapport à la pentoxifylline/NaCl ou au NaCl/placébo (13). Une étude randomisée, en double aveugle et contrôlée, comparant la pentoxifylline à un extrait standardisé de Ginkgo biloba, a montré un avantage pour l’ extrait de Gingko biloba dans l’ évaluation de l’ efficacité par les patients, avec une équivalence dans tous les autres paramètres concernant la surdité brusque et les acouphènes (14). Une équipe d’ auteurs suisses a publié en 2021 une revue systématique de l’ efficacité des extraits standardisés de Ginkgo biloba en cas de vertiges et/ou d’ acouphènes (15). Les effets pharmacologiques comprennent une amélioration de l’ irrigation sanguine de l’ oreille interne et du cerveau, des effets antioxydants, la neutralisation des radicaux libres de l’ oxygène, la neuroprotection et l’ amélioration de l’ apport énergétique dans les mitochondries. 17 études randomisées et contrôlées ont été incluses dans cette revue. Parmi ces études, 14 sur 17 ont démontré l’ efficacité et la sécurité, dont 8 sur 9 ont examiné les acouphènes et/ou les vertiges et 6 sur 8 ont examiné uniquement les acouphènes. Les extraits standardisés de Ginkgo biloba sont autorisés par Swissmedic, entre autres pour les indications acouphènes et vertiges, en tant que thérapie additive et sont admis par les caisses-maladie sur la liste des spécialités. En ce qui concerne l’ oxygénothérapie hyperbare, une méta-analyse Cochrane de 7 études randomisées portant sur 392 patients au total conclut que la capacité auditive a certes été améliorée de manière significative, mais que les études sont insuffisantes sur le plan méthodologique et doivent donc être interprétées avec prudence (16). Compte tenu des coûts et des risques, d’ autres études cliniques sont nécessaires avant de pouvoir émettre une recommandation positive. En ce qui concerne le traitement antiviral, une revue Cochrane ne montre pas d’ efficacité statistiquement significative des médicaments antiviraux tels que l’ acyclovir ou le valcyclovir dans la surdité brusque (17), de sorte qu’ ils ne peuvent pas être recommandés.

Dans mon cabinet, la combinaison d’ un traitement systémique à haute dose avec des glucocorticostéroïdes et un extrait standardisé de ginkgo biloba à la dose quotidienne de 240 mg a fait ses preuves. Il est important de reconnaître les symptômes ou les maladies concomitants tels que les acouphènes, l’ hyperacousie, les vertiges otogènes et la comorbidité psychique, ce qui nécessite éventuellement d’autres mesures thérapeutiques et une collaboration interdisciplinaire.

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PD Dr. med. Dr. h. c. Andreas Schapowal

Hochwangstr. 3
7302 Landquart

andreas@schapowal.ch

L’ auteur a déclaré n’ avoir aucun conflit d’ intérêt en relation avec cet article.

◆ Une surdité brusque idiopathique n’ est pas une urgence, mais un examen otologique doit être effectué dans les deux jours en cas de symptômes persistants.
◆ Une surdité brusque avec une perte auditive persistante sans rémis­sion spontanée est traitée en premier lieu avec de la cortisone à haute dose. Un extrait standardisé de Ginkgo biloba soutient la thérapie.
◆ Les acouphènes et/ou les vertiges qui accompagnent éventuellement la surdité brusque sont diagnostiqués et traités en même temps. Il en va de même pour les facteurs de stress et la comorbidité psychique.

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Micronutriments et cicatrisation en gériatrie

La cicatrisation est un processus complexe caractérisé par 4 grandes étapes : la coagulation initiale est suivie par l’ inflammation, la phase de migration-prolifération, puis par le remodelage. La malnutrition affecte jusqu’ à 50 % de la population gériatrique : elle compromet la cicatrisation – son risque doit être identifié (score NRS). La cicatrisation et l’ immunité dépendent de plusieurs micronutriments. Or fer, sélénium, zinc, vitamines B (famille), C et D sont souvent déficitaires en gériatrie. Face à une évolution lente, le diagnostic et la correction des déficits accéléront le processus. La prise de suppléments oraux buvables (SNO) et des multi-micronutriments fera partie du traitement.

Wound healing is a complex process characterized by 4 main stages: the initial coagulation is followed by inflammation, the migration-proliferation phase, then by remodeling. Malnutrition affects up to 50 % of the geriatric population: it compromises healing – its risk must be identified (NRS score). Wound healing and immunity depend on several micronutrients. Iron, selenium, zinc, vitamins B (family), C and D are often deficient in old adults. Faced with slow wound healing, the diagnosis and correction of deficits will accelerate the process. Drinkable oral supplements (ONS) and multi-micronutrients will be part of the treatment.
Key Words: Malnutrition, deficit, inflammation, proteins, zinc, vitamins

La cicatrisation est un processus complexe caractérisé par 4 grandes étapes résumées dans la Figure 1. Sa rapidité et sa qualité vont dépendre de plusieurs facteurs, parmi lesquels le type de plaie, la qualité de la circulation périphérique (veineuse, artérielle) et l’ état nutritionnel du patient.

Après la vasoconstriction initiale et la coagulation, l’ inflammation, qui est une réaction stéréotypée du système immunitaire face à une agression externe (traumatisme, chirurgie, etc) ou interne (infection, stress), permettra la mobilisation de processus réparateurs. Ce processus essentiel de défense implique l’immunité innée et adaptative, des micronutriments, et des médiateurs chimiques favorisant la phase vasculaire. Au cours de phase initiale on observe la synthèse de dérivés de l’acide arachidonique : les prostaglandines favorisent l’ augmentation de la perméabilité vasculaire et de l’ œdème liés à l’ inflammation alors que les leucotriènes stimulent la migration leucocytaire. L’ inflammation devra ensuite se résorber et laisser la place à la phase anabolique de réparation et reconstruction. Cette étape implique des dérivés des acides gras polyinsaturés à chaîne longue oméga-3 qui vont moduler et atténuer la réponse inflammatoire. L’ acide eicosapentaénoïque (EPA) et de l’ acide docosahexaénoïque (DHA) sont convertis par des lipoxygénases en médiateurs appelés résolvines, protectines ou neuroprotectines (1). Si cette bascule vers la résolution ne se produit pas, l’ inflammation devient chronique, avec persistance du catabolisme tissulaire et retard de cicatrisation.

Types de plaies fréquentes en gériatrie

Les plaies sont définies comme une interruption du revêtement cutané de profondeur et d’ étendue variables. A côté des plaies chirurgicales, les plaies aiguës les plus fréquentes sont les éraflures et déchirures cutanées, et les brûlures. Une bonne perfusion tissulaire est une condition essentielle à une cicatrisation rapide. Si la fermeture dure plus de 6 semaines, la plaie est considérée chronique comme dans le cas des escarres, des ulcères de jambes, et des plaies du pied diabétique. L’immobilité et l’ absence de perception de la douleur compromettent la guérison, tout comme le fait la malnutrition.

Impact de l’ état nutritionnel

La malnutrition est fréquente en gériatrie (2), et peut affecter jusqu’ à 50 % des personnes en institution. Ses causes sont multiples et souvent liées à des comorbidités : les troubles de déglution, l’ inappétence, les effets des médications, des problèmes financiers, et des régimes sans sel y contribuent largement. Son dépistage est essentiel – que le patient soit à domicile ou en institution. Des scores validés, tels que le « MNA-SF » (mini-nutritional assessment short form) spécifique de la gériatrie (3), ou le plus simple score NRS (nutrition risk screening) de l’ ESPEN (4) permettent un diagnostic en quelques minutes : à noter que le NRS est reconnu et requis par les assurances pour étayer un diagnostic de malnutrition.

La malnutrition retarde la cicatrisation comme l’a confimé une étude pilote menée au CHUV chez 11 patients âgés de 71 ans (moyenne) qui avaient été référés en dernier recours en chirurgie plastique pour réparation chirurgicale de plaies chroniques (5). L’ évaluation nutritionnelle préopératoire avait montré une prise alimentaire insuffisante prolongée à l’ hôpital, et des valeurs sanguines très basses de fer, sélénium et zinc dans un contexte inflammatoire. La prise pendant les 5 jours préoperatoires de 1 à 2 suppléments nutritionnels oraux (SNO) protéinés couvrant environ 35 % de leurs besoins et de compléments oraux de micronutriments ont permis une cicatrisation rapide en 10 jours.

Micronutriments critiques

Certains micronutriments sont particulièrement importants pour la cicatrisation (6), et leurs fonctions sont résumées dans le tableau 1. Les micronutriments liés à la cicatrisation le sont aussi à l’ immunité : un déficit en fer (Fe), vitamines C et D, en vitamines B6 (pyridoxine) et B12 (cobalamine), acide folique et zinc (Zn) compromettent les défenses immunitaires (7).

La cicatrisation requiert un apport en énergie et protéines relativement élevé. Il faudra assurer des apports suffisants d’ énergie (25-30 kcal/kg) et de protéines (1.2-1.3 g/kg) (2). Parmi les acides aminés plusieurs études ont montré que l’ arginine, la cystine, la glutamine et la leucine sont particulièrement impliqués dans la cicatrisation. Plusieurs SNOs enrichis en acides aminés et micronutriments sont disponibles sur le marché à cet effet.

De manière générale, et pour des raisons de densité des aliments, une prise alimentaire inférieure à 1500 kcal/jour ne contient pas les doses de micronutriments correpondant aux DRI (dietary recommended intakes). Or, les sujets très âgés, consommant souvent 1300 à 1400 kcal/jour, ne peuvent ainsi pas couvrir leurs besoins de base (DRI), et le conseil d’ une alimentation équilibrée ne suffit plus. D’ autre part, avec l’ âge, l’ absorption digestive est progressivement compromise pour plusieurs micronutriments. Ce phénomène est bien connu pour la vitamine B12 en raison de la réduction du facteur intrinsèque gastrique (gastrite chronique), mais affecte aussi d’ autres vitamines et éléments traces.

Déficits en micronutriments fréquents en Suisse

Il y a ensuite des facteurs géographiques comme la pauvreté du sol suisse en sélénium et en iode qui en réduisent les apports alimentaires. Une revue récente des données disponibles sur la population suisse a résumé les risques spécifiques de déficit de plusieurs micronutriments en particulier dans la population âgée (8). Il s’ agit des vitamines C et D, du fer, du sélénium, du zinc, et des n-3 PUFAs (8). Or, ce sont justement les micronutriments critiques pour la cicatrisation.

Quand faut-il faire des dosages sanguins ?

Bien que les assurances cherchent à décourager ce qu’ elles considèrent comme des examens inutiles, poser un diagnostic de déficit est essentiel pour soigner les patients de manière ciblée et efficace. Les dosages de vitamine D et les bilans martiaux sont fréquemment critiqués par les assureurs. Or, en cas de déficit la cicatrisation sera retardée, et donc les coûts de traitement augmenteront. Néanmoins, doser des micronutriments doit être une prescription ciblée, et ne pas faire partie d’ un « ordinaire bilan de santé » en l’ absence de signes/symptômes évocateurs de déficit, comme un état de fatigue chronique, des infections à répétition, ou justement des retards de cicatrisation.

Quels micronutriments faut-il doser ? Le fer (et la ferritine), la vitamine D et le zinc en première ligne. Il faut toujours doser en même temps une CRP, car l’ inflammation provoque une redistribution extra-vasculaire des micronutriments et donc une réduction dans le compartiment sanguin. Il faut utiliser la CRP pour interpréter la valeur du laboratoire : tant que la CRP est <20 mg/l, l’ impact est faible, mais en cas de CRP >40 mg/L les valeurs de l’ ensemble des micronutriments (sauf cuivre et B12) sont déjà abaissées, et en cas de >80 mg/l fortement abaissées, au-delà même du déficit réel (9).

Quelles doses ?

Les doses physiologiques sont établies internationalement et sont appelées DRI (Dietary recommended intakes) (remplace les RDA). Si l’ alimentation ne couvre pas les DRI, il faut compléter, et en cas de déficit, il faut répléter (10). Mais la presciption isolée d’ un seul micronutriment n’ est justifiée qu’ en cas de déficit avéré. Il n’ y a aucune magie : on ne peut pas faire de la supra-cicatrisation, ou de la supra-immunité.

Que prescrire et sous quelle forme ?

L’ Office fédéral en charge de l’alimentation en Suisse (OSAV) répète qu’une alimentation équilibrée permet de couvrir les besoins de la population. Sauf que, c’est ne pas tenir compte des particularités de la population très âgée. L’ OSAV vient cependant d’ émettre le 18 janvier 2022 une recommandation d’administrer 800 UI/jour de vitamine D dès 65 ans (11) : cette dose sera le minimum en cas de cicatrisation, mais elle ne couvre pas les autres besoins en micronutriments pour lesquels il faudrait aussi un apport supplémentaire. Cependant, les préparations de multi-micronutriments contenant des doses normales (DRI) et celles de 0.5-1 g d’ oméga-3 PUFA ne sont pas remboursées à l’ heure actuelle car ne figurant pas sur la liste des spécialités de l’ OFSP. Ceci constitue un problème en cas de budget limité, situation fréquente dans la population âgée. Or, dans le cas de problèmes de cicatrisation, la prise de ces préparations associée à des SNO enrichis en protéines et micronutriments est indiquée. Les SNO, par contre, sont remboursés en cas de malnutrition documentée par un score NRS élevé, montrant l’ importance d’un diagnostic précis. Les SNO doivent être prescrits sur des documents ad hoc et la consultation d’ une diététicienne facilitera la démarche.

Conclusion

La cicatrisation est un processus complexe perturbé en cas de malnutrition globale et de déficits en MN tels que fer, sélénium zinc, et vitamines B, C, D et A : un bilan peut être requis. Une prise en charge efficace demandera une évaluation de l’ état nutritionnel, puis la prescription de doses de réplétion en micronutriments supérieures aux DRI en cas de déficit avéré. La prise par jour de 1-2 SNO enrichis en protéines pendant 5-10 jours, en plus d’ une complémentation avec des multi-micronutriments permettra d’ accélérer le processus.

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Pre Mette M. Berger, MD, PhD

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Rue du Bugnon 46
CH-1011 Lausanne

mette.berger@unil.ch

Pre Patrizia D’Amelio, MD PhD

Département de Médecine, Service de Gériatrie et
Réadaptation gériatrique
Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)
Rue du Bugnon 21
1011 Lausanne

Les auteures déclarent n’ avoir aucun conflit d’ intérêts en rapport avec cet article.

◆ La malnutrition, fréquente en gériatrie, retarde la cicatrisation : il faut la dépister et diagnostiquer en utilisant un score validé (NRS).
◆ Fer, sélénium, zinc, vitamines B, C et D sont essentiels pour la cicatrisation et l’immunité : les déficits sont fréquents dans la population gériatrique suisse.
◆ Les déficits en micronutriments compromettent la cicatrisation, et le déficit en acides gras oméga-3 prolonge l’inflammation.
◆ Le traitement implique de corriger des déficits, d’assurer des apports d’ énergie et de protéines suffisants, et de micronutriments sous forme de suppléments buvables et de compléments de multi-micronutriments.

1. Calder PC. Omega-3 polyunsaturated fatty acids and inflammatory processes:
nutrition or pharmacology? Br J Clin Pharmacol 2013; 75:645-62.
2. Norman K., Hass U., Pirlich M. Malnutrition in Older Adults-Recent Advances and Remaining Challenges. Nutrients 2021; 13:
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11. Office fédéral de la sécurité alimentaire et, des affaires vétérinaires, (OSAV).
Vitamine D. wwwpublicationsfederalesadminch 2022

Nouveaux anticorps dans la prophylaxie de la migraine

La migraine, deuxième maladie neurologique la plus fréquente au monde, provoque une très grande souffrance. Les anticorps CGRP agissent spécifiquement sur le système douloureux du trijumeau et permettent un ciblage sélectif. Dans les directives actuelles de la Fédération européenne des céphalées, les anticorps monoclonaux sont proposés et recommandés comme médicaments prophylactiques pour la prévention des crises de migraine épisodiques et chroniques.

As the second most common neurological disease worldwide, migraine causes a great deal of suffering. The CGRP antibodies act specifically on the trigeminal pain system and allow selective targeting. In the current guidelines of the European Headache Federation, the monoclonal antibodies are proposed and recommended as prophylactic drugs for the prevention of episodic and chronic migraine attacks.
Key Words: Migraine, episodic and chronic migraine attacks, calcitonin-gene-related peptide

La migraine est la deuxième maladie neurologique la plus fréquente au monde selon la Global Burden of Disease Study. Elle est responsable de plus de charge de morbidité que toutes les autres maladies neurologiques réunies (1). Pourtant, on estime qu’ en Europe, seuls 2 à 14 % des patients éligibles prennent des médicaments préventifs contre la migraine (2).

La migraine se manifeste cliniquement par des crises récurrentes de céphalées modérées à sévères, accompagnées de nausées, de vomissements, de phonophobie et/ou de photophobie, qui durent de 4 à 72 heures (3).

En ce qui concerne la physiopathologie, il est généralement admis qu’ une activation périphérique et centrale du système trigéminovasculaire est à l’ origine de la maladie (4). Des recherches approfondies menées au cours des trois dernières décennies ont montré que le peptide lié au gène de la calcitonine (calcitonin-gene-related peptide, CGRP) joue un rôle important dans cette activation. Le CGRP est un puissant vasodilatateur ainsi qu’ un neurotransmetteur qui joue également un rôle important dans l’ homéostasie des systèmes gastro-intestinal et cardiovasculaire. Ce neuropeptide de 37 acides aminés est présent sous deux isoformes, sous forme de α-CGRP, principalement dans le système nerveux périphérique et central, et sous forme de β-CGRP dans la transmission entérique. Le CGRP transmet ses effets principalement par ses interactions avec le récepteur du CGRP (5).

Le traitement prophylactique classique comprend un grand nombre de médicaments, dont les β-bloquants (métoprolol, propranolol*), les antiépileptiques (p. ex., le topiramate*), les antagonistes du Ca (flunarizine*) [*= autorisé en CH], les sartans (candésartan) et d’ autres antihypertenseurs ainsi que divers antidépresseurs. Cependant, ce n’ est qu’ au cours des 10 à 20 dernières années que de nouveaux médicaments antimigraineux (les gépants et les anticorps monoclonaux) ciblant le CGRP ou son récepteur ont été développés.

Gépants

Les premiers antagonistes spécifiques du CGRP, appelés gépants, ont montré une efficacité dans les crises de migraine aiguë. Le telcagépant a montré une bonne efficacité avec peu d’ effets secondaires lors de la phase III. Cependant, son utilisation permanente et quotidienne a révélé une hépatotoxicité, si bien que son développement a été interrompu (5). Deux représentants de cette classe récemment développés, le rimégépant et l’ ubrogépant, n’ ont pas montré d’ hépatotoxicité pertinente et ont été approuvés par la FDA pour le traitement des crises de migraine. Entre-temps, le potentiel de cette classe de substances en tant que traitement prophylactique a également été reconnu. La FDA a récemment approuvé l’ atogépant spécifiquement pour le traitement préventif de la migraine (6). Actuellement, l’ effet prophylactique du rimégépant est également étudié dans le cadre d’ une étude clinique (7).

Anticorps anti-CGRP

En raison de leur effet prolongé (demi-vie d’ environ 30 jours), les anticorps monoclonaux anti-CGRP sont utilisés pour la prophylaxie spécifique des migraines épisodiques fréquentes et des migraines chroniques. Leur action vise à réduire la fréquence et/ou l’ intensité des crises de migraine ainsi que les symptômes associés à la migraine. Les anticorps anti-CGRP ne traversent pas la barrière hémato-encéphalique, ce qui indique que l’ action thérapeutique dans la migraine se situe à la périphérie (5).

Dans la nouvelle déclaration de consensus, soutenue par la European Headache Federation et la European Academy of Neurology, les quatre anticorps monoclonaux érénumab, frémanézumab, galcanézumab et eptinézumab sont considérés comme un traitement préventif de troisième ligne (8). Le tableau 1 en donne un aperçu.

L’ un des avantages des anticorps monoclonaux CGRP par rapport aux prophylactiques classiques est leur rapidité d’ action : dès la première semaine pour l’ érénumab, le galcanézumab et le frémanézumab (9, 10, 11) et après un jour pour l’ eptinézumab (12). La toxicité hépatique potentielle comme celle des gépants et des interactions médicamenteuses hépatiques n’ ont pas été observées avec les anticorps (5).

L’ érénumab et le frémanézumab ont également été efficaces chez des patients migraineux chez lesquels 2 à 4 traitements préventifs antérieurs avaient échoué (13, 14). En outre, ils sont également utiles chez les patients souffrant de migraine chronique et de surconsommation de médicaments (11, 15, 16).

Depuis 2018, trois anticorps ont été autorisés en Suisse ; ils sont présentés ci-dessous. Pour ces trois préparations, une limitation (17) s’ applique, qui prescrit l’ utilisation d’ au moins 2 prophylaxies classiques de la migraine (bêtabloquants, antagonistes du calcium, anticonvulsants ou, pour le frémanézumab et le galcanézumab, également l’ amitriptyline). Tous les anticorps CGRP ne peuvent être prescrits que par des neurologues.

  • L’ érénumab (Aimovig®) cible le récepteur CGRP lui-même. Dans deux études cliniques de phase III, ARISE (18) et STRIVE (19), une réduction du nombre de jours de céphalées mensuelles a été obtenue. Entre-temps, une étude de suivi ouverte a permis de démontrer l’ efficacité à long terme (réduction de la fréquence des migraines et amélioration de la qualité de vie liée à la santé) et l’ innocuité de l’ érénumab dans la prévention des migraines pendant 5 ans (20). Les effets secondaires les plus fréquents sont des réactions au site d’ injection, une constipation, des crampes musculaires et des démangeaisons. Le dernier résumé des caractéristiques du produit de l’ érénumab a été mis à jour afin d’ informer les médecins et de mettre en garde les patients contre les cas de constipation modérée à sévère associés à des hospitalisations. La surveillance post-marketing a mis en évidence des cas d’ hypertension artérielle comme effet secondaire (22). L’ érénumab est administré une fois par mois à raison de 70 mg en injection sous-cutanée. Avec la limitatio adaptée, une dose de 140 mg par mois peut également être prescrite en cas de réponse insuffisante (21).
  • Frémanézumab (Ajovy®). Dans l’ étude multicentrique randomisée en double aveugle et en groupes parallèles FOCUS, le frémanézumab a obtenu une réduction cliniquement significative du nombre de jours de migraine, même chez les patients souffrant de migraine épisodique et chronique difficile à traiter (14). Il est également efficace dans les migraines épisodiques de haute fréquence, réduit les symptômes d’ accompagnement et le recours à la médication PRN (pro re nata), administée au besoin (23). Les effets secondaires les plus fréquents dans les études étaient la douleur, le durcissement et l’ érythème au site d’ injection. Depuis novembre 2020, un stylo prérempli est disponible en Suisse en plus de la seringue préremplie. Le patient peut choisir entre un dosage mensuel de 225 mg ou un dosage trimestriel : 3 x 225 mg (trois stylos prêts à l’ emploi). L’ application se fait par voie sous-cutanée (21). La limite a été adaptée au 01.11.2021.
  • Le galcanézumab (Emgality®). Dans deux études cliniques de phase III (EVOLVE-1 et EVOLVE-2), des injections mensuelles de galcanézumab pendant 6 mois ont entraîné une réduction significative des jours de céphalées migraineuses mensuelles par rapport au placebo. Le galcanézumab a permis de réduire significativement les jours de céphalées migraineuses aussi bien dans le groupe des migraines épisodiques de basse fréquence que dans celui des migraines épisodiques de haute fréquence (10). Les doses examinées dans les études ne différaient pas en termes d’ efficacité (24, 25). Cependant, dans l’ étude EVOLVE-2, les effets indésirables semblaient être un peu plus fréquents dans le bras de traitement à 240 mg (25). Les effets indésirables les plus fréquents selon les études d’ autorisation de mise sur le marché sont les douleurs et les réactions au site d’ injection. Le galcanézumab est administré une fois par mois à raison de 120 mg en injection sous-cutanée. Au début du traitement, une dose initiale unique de 240 mg (2 injections) doit être administrée (21).
  • Eptinézumab. Il s’ agit du seul anticorps monoclonal humanisé administré par voie intraveineuse qui bloque directement le CGRP. Il est administré tous les trois mois en perfusion intraveineuse. L’ eptinézumab a été approuvé par la FDA (février 2020).En Suisse, l’ autorisation de Swissmedic a été accordée en octobre 2021. Dans une étude randomisée et contrôlée par placebo (PROMISE-1), l’ administration unique de 100 et 300 mg d’ eptinézumab par voie intraveineuse sur une période de 12 semaines s’ est avérée significativement plus efficace que le placebo pour la prophylaxie de la migraine épisodique. L’ eptinézumab a été bien toléré (12). Chez les adultes souffrant de migraine, le profil de sécurité et de tolérance était favorable. La rhinopharyngite et les réactions d’ hypersensibilité sont les événements indésirables les plus fréquents (26).

Environ 20 à 30 % des patients ne répondent pas au traitement. De faibles pourcentages d’ anticorps neutralisants ont été trouvés chez les patients des groupes actifs dans les études, mais ils ne semblent pas avoir d’ influence sur les résultats cliniques, car leurs titres étaient très faibles (27).

Malgré un début d’ action généralement rapide, les anticorps doivent être utilisés pendant au moins trois à six mois à une dose maximale tolérée afin de pouvoir évaluer correctement leur efficacité. La quantification du succès du traitement peut se faire en

calculant le pourcentage de réduction des jours de migraine mensuels ou des jours de céphalées mensuels d’ intensité moyenne à forte (8). En Suisse, un traitement de 12 mois est suivi d’ une pause thérapeutique conformément à la Limitatio. Une interruption de plus longue durée, telle qu’ elle était initialement prévue, n’ est pas soutenue par les études actuelles (28).

Conclusion et perspectives : Tous les anticorps monoclonaux CGRP ont montré une bonne efficacité et une bonne tolérance dans les études cliniques, ainsi qu’ un profil de sécurité favorable. A l’ heure actuelle, il n’ existe aucune preuve de la supériorité d’ un seul anticorps par rapport aux autres pour les patients souffrant de migraine épisodique ou chronique. Des études récentes indiquent une efficacité de cette classe de médicaments dans le traitement d’ autres types de céphalées, comme la céphalée par abus médicamenteux, la céphalée en grappe (cluster headache), mais aussi les céphalées post-traumatiques.

Cet article est une traduction de « der informierte arzt » 11_2021

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dr. med. (BG) Galina Stoyanova-Piroth

Neurologie & Neurorehabilitation, ZURZACH Care
Quellenstrasse 34
5330 Bad Zurzach

galina.stoyanova@zurzachcare.ch

Prof. Dr. med. Andreas R. Gantenbein

Facharzt Neurologie
Neurologie am Untertor
Erachfeldstrasse 2
8180 Bülach
www.neurologie-untertor.ch

andreas.gantenbein@zurzachcare.ch

Prof. Dr. med. Peter S. Sandor

RehaClinic Bad Zurzach und Universität Zürich
Schweiz

GS-P a reçu des bourses de voyage de Teva.

◆ Les patients présentant une fréquence ou une intensité élevée de crises de migraine ou de migraine chronique ont besoin d’ un traitement prophylactique de la migraine. Les médicaments classiques
utilisés en prophylaxie ne sont efficaces que chez une partie plutôt faible des patients.
◆ En Suisse, trois anticorps monoclonaux sont déjà disponibles pour la prophylaxie de la migraine épisodique (8 jours de migraine et plus par mois) ou chronique (15 jours de migraine et plus par mois) chez les adultes. Les jours de maux de tête doivent être consignés dans un journal pendant au moins trois mois pour que les frais soient remboursés. Les critères de limitation doivent être remplis.
◆ L’ utilisation d’ érénumab, de galcanézumab et de frémanézumab ne peut se faire pour l’ instant qu’ après l’ échec documenté d’ au moins deux autres médicaments pour la prophylaxie de la migraine ou en cas d’ intolérance à ceux-ci.
◆ La prescription et le suivi des anticorps monoclonaux doivent être effectués par un médecin spécialiste en neurologie, conformément
à la Limitatio.
◆ Lors du choix des préparations d’ anticorps, les préférences des patients en matière d’ effets secondaires et de fréquence d’ application peuvent être prises en compte.

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Étude de cas pratique

Risque cardiovasculaire et risque rénal ?
Pour répondre à ces questions, le médecin généraliste a besoin de connaître les dernières études les plus importantes (études personnelles, formations continues). Quelles sont les directives concernant l’ hypertension, les lipides et le diabète ? Quelles sont les valeurs de la patiente, quelles sont les questions importantes à poser ? Quels médicaments ou combinaisons de médicaments sont remboursés par les caisses d’ assurance maladie ?

L’ HbA1c comme valeur de contrôle : un objectif thérapeutique important
Une bonne HbA1c est toujours importante pour éviter les complications micro et macrovasculaires. < 7.0 % chez les patients sans sulfonylurées et/ou insuline, idéalement < 6.5 % (si possible normal) sans risque d’ hypoglycémie. <8.0 % chez les patients âgés (>80 ans) et/ou en cas de comorbidités déjà manifestes (insuffisance rénale, insuffisance cardiaque, maladies cardiovasculaires) et d’ insulinothérapie.

Prévention des lésions rénales et de la survenue d’ un infarctus du myocarde et d’ un accident vasculaire cérébral en cas de DT2 par le GLP-1-RA et les inhibiteurs du SGLT-2. Les GLP-1-RA augmentent la sécrétion d’ insuline et diminuent la sécrétion de glucagon. Ils ont un effet inhibiteur sur l’ appétit et entraînent une perte de poids. Les effets secondaires sont des nausées et des vomissements. Les inhibiteurs du SGLT-2 réduisent la réabsorption du glucose par les reins et augmentent ainsi la sécrétion de glucose (-70g/jour). Les effets secondaires des inhibiteurs du SGLT-2 sont des infections du tractus génital, un volume cardiaque plus important de 300 à 500 ml et une acidocétose (manque d’ insuline).

Situation en Suisse en 2021
1. Manque d’ insuline chez environ 25 % de tous les patients. Question la plus importante, devrait toujours être posée !
2. eGFR <60ml/min : env. 25 % de tous les patients. Néphroprotection par inhibiteur du SGLT-2, GLP-1-RA.
3. Maladie cardiovasculaire : env. 20-25 % de tous les patients, env. 50 % asymptomatiques, diagnostic difficile dans la pratique, inhibiteur du SGLT-2, GLP-1-RA
4. Insuffisance cardiaque env. 10 % de tous les patients, asymptomatique chez env. 25 %, diagnostic difficile dans la pratique, inhibiteurs du SGLT-2. (HFrEF ¼, HFpEF ¾).

Quel traitement initial contre le diabète ? Metformine + inhibiteur SGLT-2 ou Metformine + GLP-1-RA ?
En ce qui concerne la MACE, les deux combinaisons présentent les mêmes avantages, la néphroprotection est un peu plus marquée avec les inhibiteurs du SGLT-2 ; en cas d’ AVC, seule la combinaison avec les GLP-1-RA présente un avantage, en cas d’ insuffisance cardiaque, seule celle avec les inhibiteurs du SGLT-2 en présente un. La perte de poids est plus marquée avec les GLP-1-RA qu’ avec les inhibiteurs du SGLT-2, un traitement oral n’ existe que pour les GLP-1-RA.
Tous les avantages parlent en faveur d’ une combinaison GLP-1- RA + inhibiteur du SGLT-2.

Place des inhibiteurs de la DPP-4 : le résumé des critères d’ évaluation primaires des études portant sur les inhibiteurs de la DPP-4 ne révèle aucun effet sur la MACE.
Pourquoi les inhibiteurs de la DPP-4 sont-ils malgré tout si souvent utilisés ?
Les inhibiteurs de la DPP-4 réduisent l’ HbA1c de manière fiable. Ils réduisent ainsi également les complications micro et macrovasculaires (sur une période prolongée). Les inhibiteurs de la DPP-4 n’ ont pas d’ effets secondaires et peuvent être prescrits facilement. Ils ne provoquent pas d’ hypoglycémies ni de prise de poids. Ils constituent une alternative (2e choix) pour le GLP-1-RA (IMC <28). Ils devraient être remplacés progressivement par le GLP-1-RA (également par voie orale).

Recommandations essentielles pour les internistes généralistes (SGED/SSED 2020)
Il est très important de motiver les patients à changer leurs habitudes de vie. Le traitement doit être multifactoriel. En première ligne, il est recommandé d’ utiliser la metformine + le GLP-1-RA ou la metformine + l’ inhibiteur du SGLT-2, en deuxième ligne + l’ inhibiteur du SGLT-2 (en première ligne, metformine + GLP-1-RA) ou + le GLP-1-RA. En troisième ligne, dans les deux cas, + insuline basale ou sulfonylurées (gliclazide). Ensuite, bolus basal d’ insuline ou insuline mixte. Poursuivre avec metformine, inhibiteurs SGLT-2, GLP-1 RA. Arrêt des sulfonylurées et des inhibiteurs de la DPP-4.

(Chez les patients présentant un risque cardiovasculaire faible à modéré ou sans facteurs de risque, les inhibiteurs de la DPP-4 ou les sulfonylurées (gliclazide de préférence) peuvent être utilisés).
Mais les autres facteurs de risque, l’ hypertension et les lipides doivent également être traités. Par rapport à l’ hypertension et au diabète, le LDL-cholestérol fait l’ objet de beaucoup moins d’ attention (objectifs atteints respectivement à 72%, 81% et 20%). Une réduction du LDL-cholestérol sur 50 ans (études de randomisation de Mendel) réduit le risque relatif d’ événement cardiovasculaire d’ environ 50 à 55% par mmol/l de LDL-cholestérol.

Le traitement d’une dyslipidémie comprend un changement de régime alimentaire (moins de glucides et d’alcool), plus d’ exercice physique et, si nécessaire, l’ utilisation d’ une statine. Le changement de régime alimentaire et la limitation de l’ alcool réduisent surtout les triglycérides. Les directives de l’ ESC recommandent, en cas de risque modéré, une valeur cible de LDL-C <2.6mmol/l (I/A)), en cas de risque élevé <1.8mmol/l et au moins 50 % de réduction du LDL-cholestérol (I/A). En cas de risque très élevé <1.4mmol/l et 50 % de réduction du LDL-cholestérol (I/B). Les statines sont le traitement de 1ère ligne privilégié (I/A) ; si l’ objectif n’ est pas atteint, ajout d’ ézétimibe (I/B) et en cas de risque très élevé statine à la dose maximale et ézétimibe ou en cas d’ intolérance aux statines, ajout d’ un inhibiteur de PCSK9 (I/A).

Le traitement optimal chez notre patiente avec un DT2
comprend un IEC + Ca-bloquant (Coveram® 10/10 1-0-0),
statine + ézétimibe (rosuvastatine /ézétimibe 20/10 1-0-0), arrêt inhibiteur de la DPP-4, metformine + inhibiteur du SGLT-2 (Xigduo®XR 10/1000 1-0-0 Jardiance® Met 5/500 1-0-1), GLP-1 RA
(Ozempic® 1 mg/semaine).

Résultats après 4 mois :
Tension artérielle 137/76 mmHg 🙂
LDL-C 1.5 mmol/l 🙂
HbA1c 6.9 % 🙂
Perte de poids 6 kg 🙂

Copyright bei Aerzteverlag medinfo AG

Pr Roger Lehmann

UniversitätsSpital Zürich
Rämistrasse 100
8091 Zurich

Roger.Lehmann@usz.ch

Participation à des Advisory Boards et honoraires de conférencier de Novo Nordisk, Sanofi, MSD, Boehringer Ingelheim, Servier et Astra Zeneca.