Tendance aux saignements

La tendance clinique constitutionnelle aux hémorragies est une réalité. Celle-ci repose à la fois sur des modifications acquises et héréditaires de la coagulation. Les jeunes, qui présentent moins de risques d’exposition que les personnes plus âgées, ne se font pas immédiatement remarquer sur le plan clinique. C’est pourquoi un diagnostic de laboratoire approfondi et précoce est très utile et judicieux.

Abstract: The constitutional clinical bleeding tendency is a reality. This is based on both acquired and hereditary changes in coagulation. Young people with fewer exposure risks compared to the elderly do not immediately stand out clinically. Therefore, thorough early laboratory diagnosis is very helpful and useful.
Key Words: Coagulation, bleedings, thrombocytes

Les mécanismes hémostatiques constituent un système biologique complexe où diverses enzymes de coagulation solubles interagissent avec les structures cellulaires dans une cascade d’ activation mutuelle. Le système reste « piégé « dans le réseau vasculaire et se trouve principalement dans un « état de repos «. Lors d’ une lésion mécanique ou toxique de la paroi vasculaire, une perte de sang se produit en parallèle et déclenche la cascade des interactions de la coagulation. Ceci conduit inévitablement à la formation du thrombus hémostatique. Les partenaires de ces interactions sont aujourd’ hui connus, tant dans leur structure que dans leur fonction (fig. 1).

En cas de déficit d’ un facteur de la coagulation ou d’ une inhibition de sa fonction, la voie physiologique de la coagulation subit un ralentissement qui se traduit cliniquement par une tendance aux saignements.

Les personnes avec tendance aux saignements peuvent présenter comme signes cliniques des pétéchies (taches rouges de la peau de taille d’ une tête d’ épingle), des ecchymoses (taches cutanées de la taille d’ une pièce de monnaie), des suffusions (saignements diffus sur une plus grande surface) ou les hématomes (saignements délimités). Ces présentations cliniques peuvent parfois orienter vers la cause de l’ hémorragie.

Par exemple, les anomalies vasculaires se manifestent généralement par des hématomes, des hémorragies cutanées ou gastro-intestinales. Les anomalies plaquettaires provoquent des pétéchies, des hémorragies gingivales ou nasales, ainsi que des hémorragies gastro-intestinales ou du système nerveux central. Les troubles de la coagulation plasmatique se manifestent souvent par des hématomes dans les ligaments musculaires, des hémorragies cutanées ou intra-articulaires, ainsi que des hémorragies après un traumatisme.

L’ anamnèse détaillée et les antécédents de la personne, en plus de l’ examen clinique et des analyses ciblées de laboratoire permettent presque toujours d’ identifier avec précision le trouble de la coagulation.

Clarification première

Antécédents médicaux

Un historique spécifique et détaillé des saignements est très utile. Comme les patients omettent souvent des épisodes isolés de saignement, ils doivent être interrogés de manière ciblée avant toute intervention diagnostique ou thérapeutique (tab. 1). Par exemple, des saignements menstruels abondants depuis la ménarche nécessitent une clarification pour la maladie de von Willebrand. Plus le taux du facteur de von Willebrand est faible, plus la tendance aux saignements est forte. Des questionnaires structurés au sens d’ un score, comme le score de détection des saignements BAT-ISTH de la Société Internationale sur la Thrombose et l’ Hémostase ISTH, peuvent également être utiles.

Constatations objectives

Dans le cas de déficits légers des facteurs de la coagulation, il n’ y a pas de saignements spontanés. Ces derniers peuvent être provoqués dans le contexte d’ un traumatisme, une chirurgie ou une anticoagulation. Dans le cas de déficits modérés ou graves, les saignements peuvent également se produire spontanément. Par exemple, chez les patients âgés souffrant d’ une hémophilie sévère, on observe des atteintes impressionnantes de l’ appareil locomoteur (arthropathie hémophilique, atrophie musculaire, déformations, contractures, etc.). Ces complications, sont en général absentes chez les patients hémophiles de plus jeune âge en raison de la substitution prophylactique du facteur déficient. En plus du tableau classique des manifestations hémorragiques, les personnes avec une anamnèse personnelle et familiale de tendance aux saignements doivent également être considérées à risque hémorragique jusqu’ à preuve du contraire.

Analyses de laboratoire

Si l’ on suspecte une tendance héréditaire ou acquise hémorragique, un groupe d’ analyses de base doit être prescrit. Cela comprend une formule sanguine et les tests globaux de coagulation et la fonction plaquettaire (test d’ occlusion plaquettaire PFA). En outre, le facteur de von Willebrand et le facteur XIII sont également à prévoir car ils ne sont pas détectés par les tests globaux (tab. 2). En fonction des résultats des analyses de base, les investigations peuvent être complétées par des analyses plus approfondies, telles que la détermination spécifique des facteurs de coagulation ou l’ analyse de la fonction plaquettaire au moyen de l’ agrégation plaquettaire et/ou de l’ immunophénotypage (tab. 3).

Analyses spécialisées

Étude ciblée de l’ agrégation plaquettaire

L’ agrégation plaquettaire permet d’ étudier et de classer les troubles de la fonction plaquettaire et met en évidence les défauts des récepteurs membranaires des plaquettes. La capacité de stimulation plaquettaire par divers agonistes naturels (ADP, collagène, adrénaline, ristocétine, acide arachidonique, thrombine (TRAP) et agoniste du récepteur de la thromboxane) in vitro est déterminée par turbidimétrie.

Caractérisation ciblée des récepteurs membranaires des plaquettes (immunophénotypage)

Cette analyse est prescrite si l’ on soupçonne de thrombopathies héréditaires et aide à diagnostiquer et à caractériser les défauts des récepteurs membranaires des plaquettes. Des anticorps monoclonaux et la méthode de cytométrie en flux sont utilisés pour déterminer de manière semi-quantitative la densité des récepteurs à la surface des plaquettes avant et après l’ activation plaquettaire in-vitro.

Test des multimères du facteur de von Willebrand (VWF-MM)

Le syndrome de von Willebrand est le trouble héréditaire de la coagulation le plus fréquent (incidence de 1 / 200-300) et est diagnostiqué par le dosage du facteur de von Willebrand (activité et antigène) et du facteur VIII. Selon les résultats de ces analyses, la clarification est complétée par l’ analyse du VWF-MM basé sur la caractérisation qualitative et quantitative des multimères de vWF circulants au moyen d’ électrophorèse sur gel.

Présentation clinique et approche diagnostique en cas de tendance aux saignements (tableau 4)

Hémophilie A et B

L’ hémophilie est une diminution héréditaire des facteurs de la coagulation VIII ou IX, liée au chromosome X. Les hommes sont touchés, les femmes sont conductrices. Les hémorragies articulaires et musculaires sont typiques. Une tendance aux saignements massifs est à prévoir en cas de traumatisme ou de chirurgie.

Dans les cas d’ hémophilie A ou B sévère et modérée, le TCA est nettement allongé, alors que dans les cas d’ hémophilie légère, il n’ est que légèrement allongé ou reste dans l’ intervalle de la norme. En cas de suspicion basée sur l’ anamnèse, le TCA normal ne permet donc pas d’ exclure une hémophilie légère. La détermination spécifique du facteur VIII ou IX permet d’ identifier précisément le défaut.

Le syndrome de von Willebrand

Il s’ agit d’ un trouble héréditaire autosomique du facteur de von Willebrand (vWF) avec une variété d’ anomalies du gène du vWF. Le vWF est important pour l’ adhésion des plaquettes à l’ intima du vaisseau abimé et pour leur activation. Il stabilise également le facteur VIII, avec lequel il se lie en complexe et circule dans le plasma. Les formes bénignes du syndrome de von Willebrand sont prédominantes, les patients ne saignent que lors d’ un challenge de l’ hémostase et ont généralement un temps de saignement normal. Tous les types de syndrome de von Willebrand confondus, on estime qu’ ils touchent près de 1 % de la population. La forme la plus grave (type 3) a une incidence de 1 par million.

Le diagnostic repose sur la détermination quantitative du vWF (activité et antigène) et de l’ activité du facteur VIII. La classification des types de syndrome de von Willebrand est en constante évolution, bien que la classification mentionnée ci-dessous ait été jusqu’ à présent suffisante pour répondre aux besoins cliniques.

Type 1 : Réduction concordante du vWF fonctionnel et antigénique à moins de 50 % de la norme (habituellement 5-30 %) et du facteur VIII de 50 % ou moins. Transmis de manière autosomique dominante, ce type représente environ 70 % des patients. Attention : les personnes du groupe sanguin O ont des taux de vWF physiologiquement plus faibles sans tendance clinique aux saignements. Le cut-off est fixé à 35 % au lieu de 50 %.

Type 2A : Diminution de l’ activité du vWF accompagnée d’ un antigène du vWF normal ou seulement légèrement diminué (rapport activité du vWF/antigène du vWF < 0,7). L’ analyse des multimères montre une réduction des chaînes de poids moléculaire élevé particulièrement actives sur le plan fonctionnel. Facteur VIII normal ou légèrement réduit. Transmission autosomique dominante (parfois récessive).

Type 2B : Comme le type 2A, mais accompagné d’ une augmentation paradoxale de l’ agrégation induite par la ristocétine du plasma riche en plaquettes du patient, en raison de l’ affinité accrue des chaînes anormales de vWF pour le récepteur GP Ib/V/IX (récepteur du facteur de von Willebrand) du patient. Dans l’ analyse multimérique du vWF, réduction des grandes et moyennes chaînes du vWF. La stimulation de la libération de vWF anormal entraîne une thrombopénie. Transmission autosomique dominante.

Type 2M : Faible affinité plaquettaire des multimères de vWF. Contrairement aux types 2A et 2B, les grands multimères sont également présents, mais leur fonction est altérée, ce qui se manifeste par une fonction réduite du vWF avec un antigène vWF encore normal et une électrophorèse normale des multimères du vWF (mais une forme anormale des triplets de bandes des multimères). Transmission autosomique dominante.

Type 2N, vWF type Normandie : vWF avec un site de liaison anormal pour le facteur VIII, qui est rapidement éliminé en raison de l’ absence de liaison avec le FvW par ailleurs quantitativement et qualitativement normal. Le tableau clinique d’ une hémophilie A légère est présent (également chez les femmes) avec un VIII autour de 5-30 %. Transmission autosomique récessive.

Type 3 : activité et antigénique indétectable. Le facteur VIII est également réduit en raison de l’ absence de protéine de transport dans le plasma. Transmission autosomique récessive. Temps de saignement considérablement prolongé.

Troubles de la coagulation rares

Les très rares déficits isolés héréditaires des facteurs de la coagulation se manifestent par des tests globaux anormaux : II, V et X par un Quick/INR anormal et un TCA anormal, VII par un Quick / INR anormal avec un TCA normal et les protéines de la phase de contact XII et le facteur XI par un allongement isolé du TCA. Dans l’ afibrinogénémie, la formation de caillots est absente dans tous les tests globaux. Le diagnostic est établi par la détermination du facteur spécifique. Le déficit en facteur XII n’ est pas associé à une tendance aux saignements. De même, le déficit en facteur VII avec un taux résiduel supérieur à 10 % de la norme est asymptomatique.

Dysfonctionnement plaquettaire héréditaire

Les hémorragies les plus graves sont observées dans les troubles plaquettaires classiques et rares, telles que la thrombasthénie de Glanzmann (défaut du récepteur du fibrinogène GP IIb / IIIa) et le syndrome de Bernard-Soulier (défaut du récepteur du vWF GP Ib / V / IX). Le temps de saignement est généralement anormal, les analyses d’ agrégation plaquettaire et la caractérisation des récepteurs de la surface plaquettaire confirment le défaut.

Il existe également d’ anomalies plaquettaires associées à des défauts d’ autres récepteurs de surface, la transduction du signal, la densité des granules alpha et le métabolisme de l’ acide arachidonique.

Dre Leda Leoncini, Dr Mario Uhr
SYNLAB Suisse SA, Via Pianon 7, 6934 Bioggio
(ledaleoncini@ticino.com, mario.uhr@synlab.com)

Dre Yordanka Tirefort
SYNLAB Suisse SA, Ch. d’Entre-Bois 21, 1018 Lausanne
(yordanka.tirefort@synlab.com)

Pr Dr Dimitrios Tsakiris
SYNLAB Suisse SA, Alpenquai 14, 6002 Luzern
(dimitrios.tsakiris@synlab.com)

Article traduit de «der informierte arzt» 12_2021.

Copyright Aerzteverlag medinfo

Dr. med. Leda Leoncini

SYNLAB Suisse SA
Via Pianon 7
6934 Bioggio

leda.leoncini@synlab.com

Prof. Dr. med. Dimitrios Tsakiris

Klinik für Hämatologie
Hämatologische Diagnostik Labormedizin
Universitätsspital Basel und Blutspendezentrum beider Basel SRK
Petersgraben 4
4031 Basel

Les auteurs déclarent n’ avoir aucun conflit d’ intérêts en rapport avec cet article.

◆ Une anamnèse ciblée des saignements est très utile. Comme les patients oublient ou ignorent souvent les épisodes hémorragiques antérieurs isolés, il convient de les interroger spécifiquement.
◆ Chez les personnes à jeune âge, qui présentent moins de risques d’exposition, les hémorragies ne sont pas immédiatement évidentes sur le plan clinique, contrairement aux personnes âgées. Pour cette raison, un diagnostic biologique précoce et approfondi est très utile.
◆ Les analyses de base constituent la première étape en cas de tendance aux saignements. Cela inclut les tests de coagulation globaux Quick/INR, APTT, fibrinogène et la fonction plaquettaire (test d’occlusion plaquettaire PFA), ainsi que le facteur de von Willebrand et le facteur XIII, car ceux-ci ne sont pas détectés par les tests globaux.
◆ En fonction des résultats des analyses de base, la clarification est complétée par des analyses spécifiques, telles que la détermination des différents facteurs de coagulation ou l’analyse de la fonction plaquettaire au moyen de l’agrégation plaquettaire et/ou de l’immunophénotypage.

1. Hayward CPM. How I investigate for bleeding disorders. Int J Lab Hematol. 2018 May;40 Suppl 1:6-14. doi: 10.1111/ijlh.12822. PMID: 29741250.
2. Boender J, Kruip MJ, Leebeek FW. A diagnostic approach to mild bleeding disorders. J Thromb Haemost. 2016 Aug;14(8):1507-16. doi: 10.1111/jth.13368. Epub 2016 Jun 27. PMID: 27208505.
3. Hayward CPM, Moffat KA, Brunet J, Carlino SA, Plumhoff E, Meijer P, ZehnderJL. Update on diagnostic testing for platelet function disorders: What is practical and useful? Int J Lab Hematol. 2019 May;41 Suppl 1:26-32. doi: 10.1111/ijlh.12995. PMID: 31069975.
4. James PD. Women and bleeding disorders: diagnostic challenges. Hematology AmSoc Hematol Educ Program. 2020 Dec 4;2020(1):547-552. doi:10.1182/hematology.2020000140. PMID: 33275722; PMCID: PMC7727580.
5. Rodeghiero F, Tosetto A, Abshire T, Arnold DM, Coller B, James P, Neunert C, Lillicrap D; ISTH/SSC joint VWF and Perinatal/Pediatric Hemostasis Subcommittees Working Group. ISTH/SSC bleeding assessment tool: a standardized questionnaire and a proposal for a new bleeding score for inherited bleeding disorders. J Thromb Haemost. 2010 Sep;8(9):2063-5. doi: 10.1111/j.1538-7836.2010.03975.x. PMID: 20626619

L’ orthorexie nerveuse – un phénomène social répandu

Les troubles alimentaires appartiennent aux affections psychosomatiques ou mentales les plus courantes chez les adolescentes et les jeunes femmes dans les pays industrialisés occidentaux. Ils représentent un lourd fardeau non seulement pour les personnes concernées et leurs proches, mais aussi pour le système de santé. Les troubles alimentaires classiques sont l’anorexie mentale et la boulimie nerveuse. Au cours de ces dernières années, trois nouveaux troubles ont été de plus en plus signalés : le trouble de l’hyperphagie boulimique, le syndrome de l’alimentation nocturne et l’orthorexie nerveuse, celle-ci faisant t l’objet de cet article.

Abstract: Eating disorders are among the most common psychosomatic or psychological illnesses among female adolescents and young women in western industrialised countries. They represent a great burden for those affected and their environment, but also for the care system. The classic eating disorders are anorexia nervosa and bulimia nervosa. In recent years, three new disorders have been increasingly reported: binge eating disorder, night eating syndrome and orthorexia nervosa, which is the focus of this article.
Key Words: Eating disorders, Anorexia nervosa, Bulimia nervosa, Orthorexia nervosa

Le terme orthorexie nerveuse désigne une fixation pathologique sur une alimentation saine, ainsi qu’ une préoccupation obsessionnelle centrée sur des aliments sains. A l’ heure actuelle, il n’ est pas clair si ce comportement alimentaire doit être considéré comme une entité pathologique. L’ objectif de cet article consiste en une mise à jour des connaissances encore incomplètes sur l’ orthorexie et d’ en extraire des implications significatives pour la pratique médicale et psychothérapeutique.

Contexte théorique et prévalence

Les troubles de l’ alimentation sont des maladies à prendre au sérieux, car étant associées à de graves conséquences somatiques, psychologiques et sociales. En Suisse, la prévalence à vie de l’ apparition d’ un trouble alimentaire est d’ environ 3,5 % (1). Les troubles du comportement alimentaire les plus connus sont l’ anorexie mentale (anorexia nervosa) et la boulimie (bulimia nervosa). Au cours des dernières années les thérapeutes, les médecins et les scientifiques ont remarqué trois autres troubles qui, jusqu’ ici, n’ ont reçu que peu d’ attention dans les domaines de la recherche et de la pratique. Ces trois troubles alimentaires plutôt méconnus sont les troubles de l’ hyperphagie boulimique (récemment inclus comme un diagnostic distinct dans le DSM 5), le syndrome de l’ alimentation nocturne (dans le DSM 5 sous la rubrique « autres troubles de l’ alimentation et du comportement alimentaire plus spécifiquement nommés  ») et l’ orthorexie nerveuse (dans le domaine des troubles alimentaires de type évitement-restriction).

Des études épidémiologiques montrent que l’ orthorexie nerveuse est un phénomène transculturel largement répandu. Comme la distinction entre une préoccupation non problématique et une préoccupation compulsive à l’ égard d’ une bonne santé l’ obsession pour des aliments sains n’ est toujours pas claire, il n’ y a pas de données fiables disponibles à ce sujet. Dans la population allemande sa prévalence est estimée entre 1 et 7 % (2). Une étude réalisée sur mandat de l’ OFSP en 2012 a même constaté une prévalence significativement plus élevée, celle-ci atteigant environ 30 %. Cependant, des études comparatives font encore actuellement défaut pour déterminer de manière fiable la prévalence de l’ orthorexie nerveuse en Suisse (1).

Par comparaison aux troubles alimentaires connus, les études épidémiologiques montrent une distribution de l’ orthorexie nerveuse indépendante du sexe. Les résultats sont ambigus en ce qui concerne la répartition selon l’ âge, l’ éducation et le statut socio-économique. Les études portant sur la relation entre le poids corporel et le comportement alimentaire orthorexique donnent aussi des résultats discordants (3). Il semble que l’ insuffisance pondérale et le surpoids soient tous deux corrélés à un risque accru de comportement alimentaire orthorexique. Des corrélations plus importantes du comportement orthorexique se situent au niveau psychologique. Des études ont montré à maintes reprises que certains profils psychologiques tels que le perfectionnisme, l’ orientation santé, le comportement sportif et l’ idéal de beauté sont corrélés significativement avec l’ orthorexie nerveuse (2). Les recherches futures devraient explorer d’ avantage la question des interrelations biologiques. On peut supposer que les personnes qui en souffrent présentent des anomalies de leurs systèmes sérotoninergique et dopaminergique, ainsi que dans leur capacité à réguler les émotions et le stress. Des connaissances plus approfondies de ces facteurs sont particulièrement nécessaires pour le développement d’ options psychothérapeutiques.

Explications et causes

L’ orthorexie est considérée comme un phénomène nouveau. En conséquence, on sait peu de choses sur sa fréquence, sa cause et les possibilités de traitement. Les personnes atteintes d’ orthorexie mentale sont très préoccupées par la nourriture. Elles ressentent comme une véritable contrainte le fait de ne devoir manger que des aliments sains. Elles craignent souvent que si elles mangent des aliments «malsains », elles seront atteintes d’ une maladie grave. Généralement, elles ne disposent que d’ un très petit nombre d’ aliments classés comme bons et sains et qui peuvent être consommés sans danger (3).

Cette problématique commence souvent par le désir d’ accroître son bien-être physique, d’ améliorer sa propre santé ou de combattre les symptômes d’ une maladie chronique (4). Mais les changements de leur comportement alimentaire peuvent aussi être déclenchés par des actualités concernant l’ élevage des animaux ou par les scandales survenus dans l’ industrie alimentaire. Cela signifie que le commencement de cette obsession conduit généralement à court terme à des changements positifs, socialement et économiquement souhaitables.

Cependant, à moyen et long terme, la fixation obsessionnelle sur une alimentation saine conduit souvent à une situation dans laquelle les personnes concernées concentrent leur quotidien à l’ achat et à la préparation de la nourriture, se sentent incapables de rompre les habitudes compulsives et, par exemple, de consommer des aliments dans un restaurant ou lorsqu’ elles sont invitées à manger des aliments qu’ elles considèrent comme malsains (3). Une malnutrition, des pensées obsessionnelles, un isolement social et une insuffisance pondérale sont souvent les conséquences à long terme de ces troubles alimentaires. La préoccupation mentale axée sur une alimentation saine domine leur vie quotidienne. Les impacts somatiques de l’ orthorexie sont généralement moins menaçants que ceux de l’ anorexie (4), ce qui rend moins aisé l’ identification et le traitement de ces personnes. Le diagnostic de l’ orthorexie nerveuse est encore plus compliqué car les symptômes sont exprimés de manière qualitative et non quantitative, comme c’ est le cas pour l’ anorexie ou la boulimie, en utilisant par exemple le test d’ orthorexie de Bratman, qui consiste en 10 questions à réponse positive ou négative (1).

À l’ heure actuelle, il n’ est pas encore clair comment classer cette problématique en termes de diagnostic différenciel. Outre la similitude avec les troubles de l’ alimentation, il existe des similitudes évidentes avec les troubles obsessionnels compulsifs et les addictions comportementales (2). En raison de la superposition d’ un style de vie socialement désirable qui recommande et promeut une alimentation saine et consciente, il y a également des voix qui classent ce syndrome principalement comme un phénomène social. La démarcation entre le comportement de santé souhaitable et la fixation persistante et obsessionnelle sur des aliments sains et sur la consommation exclusive de l’ alimentation considérée comme saine ne peut être clairement tracée (3). Le critère de la pertinence clinique est important afin d’ identifier les personnes concernées et de mettre en place des services de soutien adéquats. Strahler et collègues (2) citent les aspects suivants qui permettent de différencier le mode de vie et le comportement alimentaire orthorexique. Il s’ agit par exemple de carences et de malnutrition en raison d’ habitudes alimentaires restrictives, de la peur des aliments «nocifs » et les craintes exagérées pour la santé, de la dépression, de l’ épuisement, l’ isolement social, de l’ inquiétude constante concernant les repas à venir, ainsi que d’ une réduction générale de la qualité de vie. Ces facteurs suggèrent que l’ orthorexie nerveuse devrait être classée comme un trouble, même si certaines des personnes concernées disent qu’ elles n’ en ressentent peu ou pas de conséquences négatives (2).

Les critiques du concept de trouble de l’ orthorexie font référence à l’ omniprésence dans les media des thèmes de la forme physique, de l’ alimentation saine aussi bien que de l’ idéal de beauté alliant beauté et minceur. Ils voient la fixation sur la nourriture saine comme un phénomène de société à une époque où l’ optimisation et le perfectionnisme semblent être encouragés et souhaités.
Les recherches menées ces dernières années ont révélé des corrélations ambiguës avec d’ autres régimes restrictifs, en particulier en ce qui concerne la retenue alimentaire en tant que médiateur potentiel. L’ interprétation de ces corrélations est particulièrement difficile lorsque des facteurs médicaux et sociaux renforcent ce comportement alimentaire. En ce qui concerne le comportement sportif, les recherches existantes montrent des liens avec la dépendance au sport. Le lien entre le sport excessif et le comportement alimentaire orthorexique s’ explique probablement par un idéal socioculturel de beauté et de minceur. Ces données suggèrent que l’ orthorexie ne peut être expliquée de manière adéquate comme un trouble indépendant (2).

Comme ce trouble est encore relativement peu exploré, il y a peu de connaissances sur les causes. Les personnes touchées déclarent que la préoccupation obsessionnelle ultérieure pour une alimentation saine s’ est lentement développée à partir d’ un désir de mener un mode de vie sain et de faire attention à leur alimentation. En outre, avant l’ apparition de cette affection, certaines personnes ont souffert d’ une intolérance ou d’ une maladie ayant nécessité un changement de régime alimentaire. Les normes sociales semblent également être très importantes. Dans les sociétés occidentales en particulier, l’ autodiscipline et une alimentation saine sont reconnues et considérées comme souhaitables (3).

Les premières observations sur le traitement de ce problème montrent qu’ une thérapie multidisciplinaire avec psychothérapie, conseils nutritionnels et un traitement médical sont utiles. Ainsi, les évaluations problématiques des aliments, les rituels compulsifs et le comportement alimentaire peuvent se normaliser tout en favorisant la prise de poids (3).

Implications pour la pratique

En résumé, la littérature existante montre que l’ état des connaissances est actuellement insatisfaisant. Tant la question de l’ importance clinique, ainsi que la demande d’ un diagnostic différentiel, qui est de la plus haute importance pour la pratique médicale et psychothérapeutique, sont actuellement insuffisamment clarifiées. Ce manque de connaissances se manifeste par la difficulté d’ identifier de manière fiable les personnes touchées, d’ une part, et de permettre un traitement approprié, d’ autre part. En raison des taux de prévalence élevés de l’ orthorexie, on peut supposer que les patients vont dans les cabinets des médecins généralistes, mais la souffrance et le potentiel de développer des troubles passent souvent inaperçus. Dans la pratique psychothérapeutique, ce sont des caractéristiques telles que l’ IMC ou un comportement problématique en matière de santé (par exemple, passivité physique, alimentation malsaine ou consommation de substances) qui sont enregistrées. L’ obsession potentielle en comparaison avec les comportements normaux n’ est souvent que peu prise en compte. En conséquence, il est donc recommandé de poser plus de questions aux patients qui déclarent suivre un régime alimentaire sain pour savoir s’ il s’ agit d’ une fixation obsessionnelle avec les conséquences négatives décrites sur la satisfaction dans la vie, les contacts sociaux et, le cas échéant, la santé physique.
En établissant des relations et en menant des conversations avec les personnes concernées, il convient de veiller notamment aux questions touchant à l’ image corporelle, à l’ idéal de beauté, au perfectionnisme et à l’ anxiété face à la santé, qui sont des thèmes liés au sentiment de pudeur. La proximité des troubles obsessionnels compulsifs, des addictions comportementales et des troubles de l’ alimentation suggèrent que le traitement des personnes qui souffrent de détresse psychologique due à l’ orthorexie devrait s’ inspirer des interventions thérapeutiques pour les troubles obsessionnels compulsifs alimentaires.

Les interventions psychothérapeutiques qui sont indiquées pour les patients atteints d’ orthorexie nerveuse sont dérivées de la thérapie cognitivo-comportementale. Les personnes affectées peuvent bénéficier de la restructuration cognitive portant sur les croyances de base dysfonctionnelles, les attentes perfectionnistes de soi, les peurs irrationnelles en matière de santé et le traitement des pensées catastrophiques dysfonctionnelles.

De plus, la promotion de la régulation des émotions et de la capacité à se détendre, apprendre un comportement alimentaire équilibré et non restrictif, ainsi que les compétences sur la pleine conscience, comme compassion personnelle, représentent des atouts qui peuvent être utiles à de tels patients. La promotion et la mobilisation des ressources axées sur des activités positives et de loisirs qui ne sont pas liés à l’ alimentation, au sport et aux comportements de santé sont particulièrement recommandées. En ce qui concerne le soutien médicamenteux en raison de la grande importance d’ un mode de vie sain, il existe souvent des résistances liées aux risques potentiels des médicaments psychotropes sur la santé.

Article traduit de «der informierte arzt» 08_2021

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dr. phil. Dipl. Psych. Melanie Braun

Fachpsychologin für Psychotherapie
Klaus-Grawe-Institut für Psychologische Therapie
Grossmünsterplatz 1
8001 Zürich
https://www.klaus-grawe-institut.ch/ueber-uns/
klinischesteam/dr-phil-dipl-psych-melanie-braun/

mbraun@ifpt.ch

L’ auteure n’ a pas de conflit d’ intérêts en relation avec cet article.

◆ Les recherches existantes montrent clairement que l’ orthorexie nerveuse est un phénomène qui peut entraîner un niveau élevé de souffrance pour les personnes concernées.
◆ À l’ avenir, le système de santé aura la tâche importante d’ identifier les personnes touchées et de les traiter de manière adéquate.
◆ L’ hypothèse selon laquelle l’ orthorexie est un mode de vie et donc un phénomène social, sans aucune valeur de maladie, ne rend pas justice au fardeau et aux différents effets négatifs de ce syndrome.
◆ Ainsi, lors de la prise en charge par le médecin généraliste, il convient d’ être attentif lorsque les patients parlent de l’ importance d’ un régime alimentaire sain et restrictif et, le cas échéant en présence de symptômes de carence, de symptômes dépressifs, de sentiments de solitude ou d’ épuisement.
◆ En regardant uniquement les paramètres somatiques tels que le poids corporel ou l’ IMC seul, l’ orthorexie ne peut être identifiée de manière fiable et par conséquent, aucun traitement approprié ne peut être mis en place.
◆ Il est urgent de développer, dans le système de santé auprès des médecins généralistes, des internistes, des psychothérapeutes ou des spécialistes de domaines connexes, une sensibilité pour ces personnes affectées.
◆ En raison de la proximité des troubles alimentaires bien connus et de leur aspect compulsif, un soutien psychothérapeutique est conseillé.
◆ En outre, il est important que des recherches intensives soient menées à l’ avenir sur ce problème, d’ une part, pour développer une meilleure compréhension de l’ orthorexie et d’ autre part pour optimiser la prise en charge des personnes touchées et les traitements.

1. Schnyder, U., Milos, G., Mohler-Kuo, M., & Dermota, P. (2012). Prävalenz von Essstörungen in der Schweiz. Im Auftrag des Bundesamtes für Gesundheit. Verfügbar unter: file:///C:/Users/lenovo/Desktop/ON/Pr%C3%A4valenz%20von%20 Essst%C3%B6rungen%20in%20der%20Schweiz.pdf/
2. Strahler, J. & Stark, R. (2019). Orthorexia nervosa: Verhaltensauffälligkeit oder neue Störungskategorie? Suchttherapie, 20, 1, 24-34. DOI: 10.1055/a-0707-7722
3. Braun, M. (2016). Orthorexia nervosa: Die unbekannte Essstörung. Verfügbar unter: https://www.klaus-grawe-institut.ch/blog/1226/
4. Kinzl., J. F., Kiefer, I., & Kunze, M. (2004). Besessen vom Essen. Leoben: Kneipp- Verlag.

Rhinosinusite chronique – nouvelles possibilités thérapeutiques

Questions :

Quelle est la pathologie la plus susceptible d’être à l’origine de l’obstruction nasale et de l’hyposmie ?
A. Aspergillome des sinus paranasaux
B. Infection aiguë par le SRAS-Covid 19
C. Rhinosinusite chronique avec récidive de polypes nasaux
D. Rhinite allergique avec intolérance à l’aspirine

Quels sont les symptômes ou les résultats qui vous feraient douter de ce diagnostic (red flags) ?
A. Saignements de nez récurrents et dégagement régulier de croûtes
B. Troubles et résultats unilatéraux apparaissant rapidement en l’espace de quelques semaines
C. Violentes céphalées frontales
D. Vision double, épiphora

Quel traitement recommandez-vous à ce patient souffrant de rhinosinusite chronique avec récidive symptomatique de polypes nasaux et qualité de vie nettement réduite ?
A. Changer le spray stéroïde topique (passer de la mométasone à la fluticasone ou au budésonide) et doubler la dose ?
B. Orientation vers le spécialiste ORL pour une révision chirurgicale
C. Évaluation d’un traitement par un produit biologique
D. Traitement systémique par prednisolone ou bétaméthasone

Discussion

Cliniquement, la rhinosinusite chronique est classée selon son phénotype, à savoir l’aspect sans polypes nasaux et l’aspect avec polypes nasaux. La prévalence de la rhinosinusite chronique est estimée à environ 11% en Europe, dont environ 7% présentent le phénotype sans polypes nasaux et environ 4% le phénotype avec polypes nasaux. Mais aujourd’hui, c’est surtout l’endotype sous-jacent qui nous intéresse, car il détermine le concept de traitement et le pronostic. On part du principe que dans la rhinosinusite chronique avec polypes nasaux, environ 85 % des cas présentent un endotype avec inflammation de type 2 avec une réponse immunitaire Th2. Dans la rhinosinusite chronique sans polypes nasaux, on trouve également une réponse immunitaire Th2 dans 25 à 50 % des cas, bien qu’aucun polype nasal ne soit cliniquement détectable. Les arguments en faveur de la présence d’une réponse immunitaire Th2 dans la rhinosinusite chronique sont le tableau clinique compenante de polypes nasaux, une anosmie et un asthme bronchique concomitant, une augmentation des IgE totales et des éosinophiles dans le sang en laboratoire ainsi qu’une éosinophilie tissulaire à l’histologie des polypes nasaux.

Le traitement de la rhinosinusite chronique avec polypes nasaux, basé sur des données probantes, consiste, comme traitement de base, en un traitement local par stéroïdes nasaux topiques et lavages nasaux, et si nécessaire en des traitements de courte durée par stéroïdes systémiques (au maximum 2 à 3 fois par an) et, en cas de réponse insuffisante, en un traitement complémentaire par une intervention fonctionnelle sur les sinus nasaux. Ce concept de traitement permet de traiter efficacement et de manière rentable plus de 90% des patients atteints de rhinosinusite chronique. Pour les patients souffrant d’une rhinosinusite chronique réfractaire et de polypes nasaux ou d’une inflammation de type 2 / réponse immunitaire de type 2, de nouveaux concepts de traitement prometteurs avec des médicaments biologiques sont en train de s’établir. Ces anticorps monoclonaux sont dirigés contre des cytokines importantes (Il-4, Il-5, Il-13) de la réponse immunitaire Th2 ou directement contre les IgE et sont déjà utilisés depuis longtemps dans le traitement d’autres maladies avec inflammation éosinophile comme l’asthme bronchique ou la dermatite atopique. Actuellement, le dupilumab (anti-IL-4, anti-IL-13), le mépolizumab (anti-IL-5) et l’omalizumab (anti-IgE) sont autorisés en Suisse par Swissmedic pour le traitement de la rhinosinusite chronique avec polypes nasaux. Lors de l’indication de ces traitements onéreux, il convient de suivre les directives établies telles que les EPOS Guidelines ou les recommandations de la Société Suisse d’Oto-Rhino-Laryngologie et de chirurgie cervico-faciale (https://www.orl-hno.ch/fileadmin/user_upload/Dokumente/

Mitgliederbereich/Arbeitsgruppen/Rhinologie/Empfehlungen/IMORHP_Empfehlungen_AG_Rhinologie_Monoklonale_Antikoerpertherapie_chronische_Rhinosinusitis.pdf).

Dans le cas de notre patient, il s’agit en résumé d’une maladie chronique des voies respiratoires à éosinophiles avec intolérance à l’aspirine (AERD : «Aspirin-exacerbated respiratory disease»). En cas d’asthme bronchique sévère et de rhinosinusite chronique résistante aux traitements avec polypes nasaux, l’ensemble des voies respiratoires est touché. En combinaison avec les résultats de laboratoire, on peut supposer comme endotype une inflammation de type 2 avec une réponse immunitaire Th2. De plus, la rhinosinusite chronique n’est pas suffisamment contrôlée malgré les traitements systémiques par stéroïdes et les opérations des sinus, de sorte que le patient se qualifie pour un traitement par un produit biologique (anticorps monoclonal).

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dr. med. Christoph Schlegel-Wagner

Klinik für Hals-Nasen-Ohren- und Gesichtschirurgie (HNO)
Luzerner Kantonsspital
Spitalstrasse
6004 Luzern

christoph.schlegel@luks.ch

L’  auteur n’ a déclaré aucun conflit d’ intérêt en rapport avec cet article.

◆ Dans la rhinosinusite chronique avec ou sans polypes nasaux, outre
le phénotype, l’endotype sous-jacent est également intéressant,
notamment la présence d’une inflammation de type 2 (réponse
immunitaire Th2).
◆ Plus de 90% des patients atteints de rhinosinusite chronique peuvent être traités de manière efficace et rentable par un traitement médicamenteux de base ou par une opération fonctionnelle complémentaire des sinus.
◆ Dans des cas sélectionnés de rhinosinusite chronique résistante au traitement, les médicaments biologiques (anticorps monoclonaux)
représentent une nouvelle forme de traitement prometteuse. L’indication de ce traitement devrait être posée lors d’un conseil interdisciplinaire des voies respiratoires et selon des directives établies.

sur demande auprès de l’ auteur

Bilan d’ un projet de déprescription en EMS

Les résidents d’établissements médico-sociaux (EMS) sont très fréquemment polymédiqués, une situation à laquelle de nombreux professionnels se sont plus ou moins résignés. Simplifier les traitements médicamenteux sans péjorer la situation des résidents est pourtant possible : dans les EMS vaudois et fribourgeois, deux essais cliniques ont testé des interventions de déprescription basées sur la collaboration interprofessionnelle.

Abstract: Residents of medical-social institutions (EMS) are often polymedicated, a situation to which many professionals have more or less resigned themselves. However, it is possible to simplify drug treatments without worsening the situation of residents: in the EMS of the cantons of Vaud and Fribourg, two clinical trials have tested deprescribing interventions based on interprofessional collaboration.
Key Words: Medical-social institutions, polymedication, deprescribing

Les résidents d’ établissements médico-sociaux (EMS) sont majoritairement de grands consommateurs de médicaments : en Suisse, plus de 80 % d’  entre eux reçoivent régulièrement cinq traitements ou plus (1), une situation commune à de nombreux pays (2). Bien que souvent nécessaire pour la prise en charge des situations cliniques complexes, cette polymédication expose néanmoins les patients concernés à de nombreux problèmes potentiels, souvent issus d’ interactions médicamenteuses. La polymédication est ainsi associée à un plus grand risque de chute ou d’ hospitalisation, ainsi qu’ à une mortalité augmentée (3, 4).

Les patients âgés reçoivent également de nombreux médicaments potentiellement inappropriés (MPI), des traitements dont la balance bénéfice/risque est défavorable dans leur tranche d’ âge : 50 % des résidents d’ EMS en Suisse recevaient ainsi au moins un MPI chaque trimestre en 2016 (1). La déprescription, «le processus de retrait d’ un médicament inapproprié […] dans le but de réduire la polymédication et d’ améliorer les résultats de santé», (adapté de (5)) représente ainsi un outil puissant permettant de réduire à la fois la polymédication et l’ utilisation des MPI, et ainsi d’ améliorer de nombreux outcomes cliniques.(6, 7).

Le projet OLD-NH

Dans les EMS de Vaud et de Fribourg, la collaboration entre infirmières, médecins et pharmaciens est structurée par un programme d’ assistance pharmaceutique (PAP) centré sur une méthodologie de cercle de qualité. Ce PAP a créé un contexte de coopération interprofessionnelle favorable à l’ étude d’ interventions de déprescription dans ces EMS. Le projet Opportunities and Limits to Deprescribing in Nursing Homes (OLD-NH), financé par le Programme National de Recherche 74 « Système de santé » du Fond national suisse, a ainsi été lancé en 2016. Ce projet visait à tester deux interventions complémentaires de déprescription ciblant l’ utilisation des MPI, l’ une au niveau des EMS, l’ autre au niveau de leurs résidents.

Des MPI largement utilisés

Avant de tester ces interventions, une analyse épidémiologique de l’ utilisation des MPI dans 166 EMS vaudois et fribourgeois a été réalisée (8). Cette analyse a utilisé les données récoltées en routine pour le suivi des PAP, entre 2014 et 2018. Les MPI ont été identifiées en combinant deux listes validées, les critères du Norwegian General Practice-Nursing Home (NORGEP-NH) et la liste de Beers 2015 (9, 10). L’ utilisation des MPI a été quantifiée avec le système de Defined Daily Dose (DDD) de l’ OMS.

La polymédication était élevée en 2014, les EMS délivrant une médiane de 7.4 DDD par résident moyen et par jour (DDD/res) ; 2.4 de ces DDD/res étaient potentiellement inappropriés. Au cours des cinq années analysées, la polymédication a globalement augmenté (+ 0.087 DDD/res chaque année, p = 0.01), mais l’ utilisation des MPI a diminué (-0.033 DDD/res chaque année, p = 0.001). Bien que statistiquement significative, cette réduction n’ est probablement pas cliniquement pertinente, étant donnée l’ utilisation initiale élevée de MPI : à ce rythme, il faudrait en effet 36 ans pour réduire de moitié l’ utilisation de ces traitements potentiellement problématiques.

Les résidents et les professionnels sont prêts à déprescrire

En parallèle à l’ analyse épidémiologique, deux études qualitatives ont exploré la perception que les résidents, leurs proches et les professionnels en EMS ont de la déprescription. La conclusion principale tirée de ces études, résumée dans une publication précédente (11), est que les résidents aussi bien que les professionnels sont prêts à tenter de déprescrire certains traitements dont le bénéfice est devenu discutable ; il est à noter que les résidents se sont dits particulièrement sensibles à l’ avis de leur médecin, sur lesquels ils se reposent pour ce genre de décisions.

Deux interventions pour déprescrire

La littérature montre que les interventions de déprescription les plus bénéfiques sont celles du type « revue de médication » (6, 7). Ces revues sont toutefois coûteuses à mettre en œuvre car elles nécessitent beaucoup de temps et du personnel spécialisé (p.ex. pharmacien clinicien, gériatre). Dans les EMS vaudois et fribourgeois, les cercles de qualité interprofessionnels sont actifs depuis de nombreuses années et ont montré un bénéfice important sur la consommation en médicaments (12, 13). Le premier essai clinique conduit dans le cadre d’ OLD-NH a donc évalué si une intervention du type cercle de qualité, à mi-chemin entre revue de médication et intervention éducative, peut permettre de réduire l’ utilisation des MPI.

Cet essai randomisé a eu lieu entre 2018 et 2019 dans 56 EMS vaudois et fribourgeois. Les établissements alloués au groupe intervention mettaient en œuvre un consensus de déprescription interne à l’ établissement. Ce consensus, établi lors d’ une séance de cercle de qualité regroupant médecins et infirmières et animée par le pharmacien, portait sur plusieurs classes thérapeutiques proposées par ce dernier (p.ex. IPP, antihypertenseurs, spasmolytiques urinaires). Le consensus était ensuite mis en œuvre selon les modalités définies lors de la séance.

Dans les 26 EMS du groupe intervention, la consommation de certains MPI a diminué significativement, en particulier pour les classes thérapeutiques présentant des risques à long terme, comme les IPP (14). L’ effet n’ était par contre pas significatif sur les MPI posant des problèmes plus aigus, comme les benzodiazépines. L’ intervention n’ a pas eu d’ effet sur le nombre de chutes ou l’ utilisation de mesures de contention physiques. Les analyses statistiques sur la mortalité et les hospitalisations sont contradictoires et différentes entre les EMS gériatriques et psychogériatriques, ce qui rend leur interprétation clinique difficile.

Le second essai clinique a eu lieu dans sept EMS, un an après la mise en œuvre de leur consensus de déprescription (15). Il visait à savoir si l’ ajout de revues de médications individuelles était pertinent dans ce contexte. Soixante-deux résidents y ont pris part ; chez les 30 alloués aléatoirement au groupe intervention, le pharmacien effectuait une revue de médication, dont les résultats étaient ensuite discutés avec les médecins et infirmières pour établir ensemble un plan de modification du traitement. L’ effet sur les participants était ensuite suivi durant quatre mois.

Même si cette intervention individuelle de déprescription n’ a pas diminué le nombre de MPI prescrits, elle en a réduit de manière significative les doses utilisées (incidence rate ratio 0.763, IC95 [0.594 ; 0.979], p = 0.033), en particulier pour les médicaments chroniques (IRR 0.716, IC95 [0.546 ; 0.938], p = 0.015). Aucun effet néfaste n’ a été observé sur les décès, hospitalisations, chutes et l’ utilisation de moyens de contention physique. La qualité de vie a étonnamment augmenté dans les deux groupes, avec une différence non-significative en faveur du groupe contrôle.

Implémentation

Ce type d’ interventions complexes, faisant collaborer plusieurs intervenants, sont souvent difficiles à transposer dans des contextes différents ou à pérenniser une fois les études cliniques terminées. Les deux essais cliniques ont donc été complétés par une évaluation de leur implémentation, qui visait à comprendre les facteurs favorisant ou empêchant une telle démarche.

Les analyses sont encore en cours, mais le point central relevé par les différents acteurs impliqués (médecins, infirmières, pharmaciens) est l’ importance de la collaboration interprofessionnelle. Chaque profession apporte en effet un jeu de compétences spécifique, dont la mise en commun permet une prise en charge optimale des besoins des résidents.

La meilleure preuve de l’ intérêt de la démarche pour les professionnels impliqués est que les interventions testées durant les essais cliniques ont persisté au-delà de la fin du projet dans plusieurs EMS, malgré l’ absence de rémunération spécifique pour ce genre de prestations.

Conclusion

Le projet OLD-NH a démontré que déprescrire en EMS est possible avec la collaboration de tous les professionnels impliqués. Les deux essais cliniques ont confirmé que les interventions de déprescription testées peuvent réduire l’ utilisation de MPI dans les EMS. Il reste à évaluer l’ impact à long terme de ce type d’ intervention sur la santé, le bien-être et la satisfaction des résidents. Une extension de la démarche à tous les EMS vaudois, prévue dans les années à venir à la suite d’ une phase pilote actuellement en cours, permettra de répondre à cette question.

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dr Damien Cateau

Centre universitaire de médecine générale et santé publique (Unisanté)
Université de Lausanne
Rue du Bugnon 44
1011 Lausanne

damien.cateau@unisante.ch

Dre Anne Niquille

Pharmacienne cheffe adjointe,
Pharmacie d’ Unisanté
Centre universitaire de médecine générale et santé publique (Unisanté)
Université de Lausanne
Rue du Bugnon 44
1011 Lausanne

anne.niquille@unisante.ch

Les auteurs n’ ont pas de conflit d’ intérêts à déclarer, hormis le fait qu’ ils étaient les investigateurs principaux du programme OLD-NH qui est résumé dans l’ article.

◆ Les médicaments potentiellement inappropriés représentent une part importante des traitements prescrits aux résidents d’ EMS.
◆ Définir, en équipe interprofessionnelle, un consensus de déprescription au sein d’ une institution permet de réduire l’ utilisation de certains traitements inappropriés, comme les IPP.
◆ L’ effet d’ optimisation de traitement issu de cette approche institutionnelle est complété par une approche interprofessionnelle centrée sur certains résidents complexes.

1. Schneider RR, D.; Blozik, E.; Früh, M.; Signorell, A.; Meier, C.; Schwenkglenks, M. Drug prescription patterns, polypharmacy and potentially inappropriate medication in Swiss nursing homes: A descriptive analysis based on claims data. Swiss Med Wkly. 2019;149(39-40).
2. Morin L, Laroche M-L, Texier G, Johnell K. Prevalence of Potentially Inappropriate Medication Use in Older Adults Living in Nursing Homes: A Systematic Review. J Am Med Dir Assoc. 2016 9/1/;17(9):862.e1-.e9.
3. Fried TR, O’Leary J, Towle V, Goldstein MK, Trentalange M, Martin DK. Health outcomes associated with polypharmacy in community-dwelling older adults:
a systematic review. J Am Geriatr Soc. 2014 Dec;62(12):2261-72.
4. Leelakanok N, Holcombe AL, Lund BC, Gu X, Schweizer ML. Association between polypharmacy and death: A systematic review and meta-analysis. J Am Pharm Assoc (2003). 2017 2017/11/01/;57(6):729-38.e10.
5. Reeve E, Gnjidic D, Long J, Hilmer S. A systematic review of the emerging definition of ‘deprescribing’ with network analysis: Implications for future research and clinical practice. Br J Clin Pharmacol. 2015;80(6):1254-68.
6. Page AT, Clifford RM, Potter K, Schwartz D, Etherton-Beer CD. The feasibility and the effect of deprescribing in older adults on mortality and health: A systematic review. Br J Clin Pharmacol. 2016 Apr 14;82:583–623.
7. Kua CH, Mak VSL, Huey Lee SW. Health Outcomes of Deprescribing Interventions Among Older Residents in Nursing Homes: A Systematic Review and Meta-analysis. J Am Med Dir Assoc. 2018;20:362–72.
8. Cateau D, Bugnon O, Niquille A. Evolution of potentially inappropriate medication use in nursing homes: Retrospective analysis of drug consumption data. Res Social Adm Pharm. 2021 Apr;17(4):701-6.
9. Nyborg G, Straand J, Klovning A, Brekke M. The Norwegian General Practice–Nursing Home criteria (NORGEP-NH) for potentially inappropriate medication use: A web-based Delphi study. Scand J Prim Health Care. 2015 Jun;33(2):
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10. American Geriatrics Society Beers Criteria Update Expert Panel. American Geriatrics Society 2015 Updated Beers Criteria for Potentially Inappropriate Medication Use in Older Adults. J Am Geriatr Soc. 2015 Nov;63(11):2227-46.
11. Cateau D, Foley R-A, Niquille A. Déprescrire en EMS : regards croisés entre les résidents, leurs proches et les professionnels de santé. Rev Med Suisse. 2020;16(714):2169-71.
12. Locca JF, Ruggli M, Buchmann M, Huguenin J, Bugnon O. Development of
pharmaceutical care services in nursing homes: practice and research in a Swiss canton. Pharm World Sci. 2009 Apr;31(2):165-73.
13. Pluss-Suard C, Niquille A, Hequet D, Krahenbuhl S, Pichon R, Zanetti G, et al. Decrease in Antibacterial Use and Facility-Level Variability After the Introduction of Guidelines and Implementation of Physician-Pharmacist-Nurse Quality Circles in Swiss Long-term Care Facilities. J Am Med Dir Assoc. 2020 Jan;21(1):78-83.
14. Cateau D, Ballabeni P, Niquille A. Effects of an interprofessional Quality Circle-
Deprescribing Module (QC-DeMo) in Swiss nursing homes: a randomised
controlled trial. BMC Geriatr. 2021 2021/05/01;21(1):289.
15. Cateau D, Ballabeni P, Niquille A. Effects of an interprofessional deprescribing intervention in Swiss nursing homes: the Individual Deprescribing Intervention (IDeI) randomised controlled trial. BMC Geriatr. 2021 2021/11/19;21(1):655

Lorsque la COVID-19 atteint le quatrième âge

La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) touche de façon disproportionnée la population âgée et met à l’épreuve les Etablissements Médico-Sociaux (EMS). Les hôpitaux étant en crise, avec peu de traitements spécifiques disponibles pendant les premières vagues, il a été souvent décidé de garder les résidents infectés dans leur lieu de vie et de ne pas les transférer à l’hôpital. Les cliniciens responsables de ces patients doivent donc prendre des décisions thérapeutiques. Cette revue résume les traitements à considérer aujourd’hui chez les patients dans les EMS.

Abstract: The coronavirus disease 2019 (COVID-19) is disproportionately affecting the elderly population and is putting a strain on Medical and Social Establishments (EMS). With hospitals in crisis, and with few specific treatments available during the first waves, it was often decided to keep infected residents in their homes and not transfer them to hospital. Clinicians responsible for these patients must therefore make treatment decisions. This review summarises the treatments to be considered today for patients in EMS.
Key Words: Coronavirus disease 2019 (COVID-19), Medical and Social Establishments

Introduction

La pandémie de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) a mis à mal le système de santé. Au niveau mondial, les premières mesures prises pour alléger la charge hospitalière comprenaient la suspension des chirurgies électives (1), la télémédecine (2) et le maintien des résidents infectés dans les Etablissements Médicosociaux (EMS) (3). La population gériatrique a été touchée de manière disproportionnée par la pandémie. Il y a eu transmission de la COVID-19 au sein même des EMS (4) et l’  âge avancé est un facteur important de mauvaise évolution, voire de mortalité (5, 6). De nombreux EMS ont traité leurs résidents sur place, sans les transférer dans des milieux peu adaptés comme les soins intensifs. Certains ont même instauré des équipes mobiles ou des infrastructures spéciales (3, 4). Face à la pandémie qui dure, la recherche a montré de nouvelles options thérapeutiques.
Cette revue se focalise sur les traitements adaptés aux personnes âgées qui pourraient être utilisés en dehors d’ un contexte hospitalier.

Traitements

En prévention :

Anticorps monoclonaux anti-SARS-CoV-2
Un essai clinique a montré une diminution de 81% du taux d’ infection symptomatique à SARS-CoV2 lors d’ administration de casirivimab et imdevimab (REGEN-COV) dans les 96 heures après un diagnostic de COVID-19 chez une personne vivant sous le même toit (1.5% versus 7.8%, p<0.001). Une dose de 1200 mg de REGEN-COV (600 mg casirivimab et 600 mg imdevimab) était administrée par voie sous-cutanée. Ce traitement était bien supporté, la plupart des participants n’ ayant aucun effet secondaire ou des effets secondaires mineurs (7). Notons que dans cette étude, la population âgée de >65 ans était peu représentée (10%).
Ce traitement n’ est actuellement pas approuvé par Swissmedic dans cette indication.

En phase précoce:

Glucocorticoïdes inhalés
Deux essais cliniques ont montré un effet positif des glucocorticoïdes inhalés en stade précoce sur l’ évolution de la COVID-19 sans réduction de la mortalité.

L’ étude STOIC a montré une diminution du nombre d’ hospitalisations ou de traitements d’ urgence de 14% chez les patients recevant le traitement habituel à 1% chez les patients sous budésonide inhalé (p=0.004). Le nombre de patients à traiter (NNT) pour prévenir une hospitalisation ou traitement d’ urgence était de 8 (8).

L’ étude PRINCIPLE a montré une diminution du temps de récupération de 15 jours dans le groupe contrôle à 12 jours chez les patients sous budésonide inhalé. Cette étude n’ a pas montré de réduction du risque d’ hospitalisation ou de décès à 28 jours par rapport aux soins habituels (9). Au vu d’ un certain bénéfice et d’ une bonne tolérance, le budésonide inhalé 800 µg 2x/jour est recommandé par la Société suisse d’ infectiologie (SSI) comme option de traitement ambulatoire chez les patients présentant une toux sèche, en début d’ évolution et ce, jusqu’ au soulagement des symptômes (5-7 jours) (10). Notons toutefois que les populations âgées étaient peu représentées dans ces études.

Anticorps monoclonaux anti-SARS-CoV-2
Une étude de phase 3 a montré une diminution du taux d’ hospitalisation/décès chez les patients traités par 2 dosages différents de REGEN-COV comparés au placebo. Le dosage de 1200 mg a montré une réduction de 70% du taux d’ hospitalisation/décès (1% versus 3,2%) et la dose de 2400 de 71% (1,3% versus 4,6%). Le NNT était de 28. Le temps médian jusqu’ à résolution des symptômes était de 4 jours plus court avec REGEN-COV (10 jours versus 14 jours ; p<0.001). Le traitement est bien toléré avec de rares effets indésirables de gravité modérée (<0.1% – 0.2%), notamment fièvre, frissons, urticaire, prurit, douleurs abdominales. Un seul épisode d’anaphylaxie a été rapporté durant l’ étude (11). Ces résultats sont similaires à ceux d’ une étude évaluant le sotrovimab, un nouvel anticorps monoclonal anti-SARS-CoV-2, montrant une réduction de 85% du risque d’ hospitalisation/décès. Le sotrovimab aurait l’ avantage théorique d’ être actif contre le variant omicron (12).

Le traitement de REGEN-COV ou de sotrovimab est administré en une seule dose intraveineuse [IV] sur 30 minutes (10). Il pourrait aussi être administré par voie sous-cutanée, mais ce n’ est pas recommandé car étudié uniquement pour la prévention/prophylaxie post-expositionelle (7, 12).

Les anticorps monoclonaux dirigés contre le SARS-CoV-2 sont recommandés par la SSI en phase précoce pour tout patient infecté par le SARS-CoV-2 et présentant des facteurs de risque de mauvaise évolution (tab. 1) (10, 13). Pour l’ instant, la perfusion se fait à l’ hôpital de jour, mais une administration à l’ EMS pourrait être envisageable après accord du médecin traitant en charge et des spécialistes en infectiologie.

Plasma convalescent
Une méta-analyse des études chez des patients hospitalisés a montré un bénéfice avec diminution de la mortalité chez les patients recevant du plasma convalescent. Le NNT pour prévenir un décès était calculé a 11. Un autre élément important pour la diminution de la mortalité était la transfusion précoce dans les 3 jours de l’ admission à l’ hôpital (14). Cependant, en ambulatoire, son utilisation est controversée avec une étude importante ne montrant pas d’ impact sur la mortalité (15) et une autre démontrant une diminution de la mortalité lors d’ une administration chez des patients âgés (≥ 75 ans) dans les 3 jours de l’ apparition des premiers symptômes (16).
A l’ heure actuelle, au vu de la disponibilité d’ anticorps monoclonaux pour la même indication, l’ utilisation de plasma convalescent en Suisse est réservée à des situations particulières (patients sévèrement immunosupprimés) et est effectuée en milieu hospitalier et dans le cadre d’ études cliniques.

La fluvoxamine est un anti-dépresseur, inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine. Un essai clinique a montré que son utilisation (100 mg 2x/j per os pendant 10 jours) dans les 7 premiers jours de symptômes chez des patients à risque de mauvaise évolution permet de diminuer de 68% le taux d’ hospitalisation/consultations prolongées aux urgences (16% versus 11%) (17). L’ utilisation de fluvoxamine n’ a pas eu d’ effet sur la mortalité. Le taux d’ effets indésirables était similaire entre les deux groupes. Cependant, l’ âge moyen des participants à l’ étude était de 50 ans (17). La sécurité de l’ emploi de fluvoxamine dans une population plus âgée et polymorbide est à vérifier au vu du risque important d’ interactions médicamenteuses avec la fluvoxamine qui est un puissant inhibiteur du cytochrome P450. La fluvoxamine n’ est aujourd’ hui pas recommandée par la SSI.

Le molnupiravir est un antiviral oral, analogue du ribonucléoside. L’ étude de phase 3 MOVe-OUT, a montré que l’ utilisation de molnupiravir chez des patients ambulatoires à risque de mauvaise évolution dans les 5 jours d’ une COVID légère ou modérée, a réduit le risque d’ hospitalisation/décès de 30 % par rapport au placebo (6.8% versus 9.7%, p=0.02) (18). Le traitement était bien toléré.

Le traitement a été approuvé par l’ Agence Européenne des médicaments (EMA : European Medicines Agency) et l’ Agence Américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA : Food and Drug Administration), mais en exprimant une retenue quant à son efficacité. A noter qu’ au Royaume-Uni, l’ utilisation de ce médicament, n’ est approuvé que dans le cadre d’ un essai clinique
(https://www.panoramictrial.org/). La Task Force Suisse COVID-19 ne s’ est pas encore prononcée sur l’ utilisation du molnupiravir.

En phase tardive :

Dexamethasone
L’ étude RECOVERY a démontré que le traitement par dexaméthasone orale à raison de 6 mg une fois par jour pendant 10 jours réduit de façon significative la mortalité à 28 jours mais uniquement chez les patients hospitalisés nécessitant une supplémentation en oxygène (19). Par contre, chez les patients non-hypoxiques, une méta-analyse montre que leur utilisation peut être néfaste (19, 20).
La dexamethasone fait partie du traitement standard des patients hypoxémiques hospitalisés avec une COVID-19. Il serait envisageable de l’ utiliser chez des résidents d’ EMS devenant oxygéno-dépendants et non-éligibles pour un transfert à l’ hôpital. L’ équipe en charge du patient devra peser le pour et le contre d’ un tel traitement au vu des effets secondaires de la dexamethasone, tels que les états confusionnels ou les décompensations diabétiques (21).

Autres traitements à considérer :

Thromboprophylaxie
La survenue d’ évènements thromboemboliques chez les patients atteints de COVID-19 a bien été démontrée. En milieu hospitalier, divers schémas de thromboprophylaxie à dosage standard et renforcé ont été adoptés. Sauf contre-indication absolue, les recommandations proposent une thromboprophylaxie par héparine sous-cutanée non fractionnée (HNF) deux ou trois fois par jour, héparine de bas poids moléculaire (HBPM) sous-cutanée une fois par jour ou fondaparinux, prophylaxie à adapter au poids des patients (22). En ambulatoire, la thromboprophylaxie reste un sujet débattu et certains experts proposent des algorithmes pour stratification du risque thromboembolique et évaluation de l’ introduction d’ un traitement (23). Une thromboprophylaxie par HBPM ou HNF en sous-cutané chez des cas sélectionnés pourrait être envisagée chez les résidents des EMS avec maladie sévère et/ou facteurs de risque thromboembolique.

Antibiothérapie
La surinfection ou co-infection bactérienne d’ une COVID-19 est rare (<10%) chez les patients hospitalisés (24). Cependant, l’ utilisation d’ antibiotiques est plus importante que les taux réels de co- et surinfection bactérienne sans diminuer la mortalité (25). De ce fait, l’ introduction d’ une antibiothérapie n’ est pas recommandée d’ emblée et reste à corréler à l’ évolution clinique.

Vitamine D
L’ effet immunomodulateur de la vitamine D et son rôle comme booster de l’ immunité innée contre le SARS-CoV-2 est sujet de controverse (26). Une méta-analyse de 3 études montre un certain bénéfice avec une diminution des admissions aux soins intensifs chez les patients recevant une supplémentation en vitamine D sans impact sur la mortalité. Cependant, l’ analyse est limitée par une hétérogénéité importante entre les études (27).

Chez les patients gériatriques, à risque de déclin fonctionnel, atteints de COVID-19, une supplémentation quotidienne en vitamine D est envisageable, compte tenu du potentiel effet bénéfique, bien que controversé, pour la santé musculo-squelettique chez ces patients souvent carencés.

Conclusions

La pandémie a conduit à une utilisation exagérée de traitements contre le SARS-CoV-2 en l’ absence d’ évidence. En tant que médecins, notre rôle est de traiter nos patients mais il est aussi de notre devoir de « primum non nocere ». Les thérapies expérimentales, non-approuvées ou insuffisamment étudiées ne doivent être utilisées que dans le cadre d’ études. Lors de l’ introduction de nouveaux traitements, il est important d’ être conscients de leurs indications, contre-indications et effets indésirables, et ceci encore d’ avantage chez des patients fragiles et polymorbides en EMS.

Abréviations :
ARDS Acute Respiratory Distress Syndrome
COVID-19 nouvelle maladie à coronavirus 2019
EMS Etablissements Médico-sociaux
NNT number needed to treat = nombre de patients à traiter pour prévenir
SSI Société Suisse d’Infectiologie
EMA European Medicines Agency
FDA Food and Drug Administration
HBPM Héparine de bas poids moléculaire
HNF Héparine non fractionnée

Elisavet Stavropoulou1, Dre Eve Rubli Truchard2,
Pr Oriol Manuel1, Dre Noémie Boillat-Blanco1
1 Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Service des maladies
infectieuses, Département de Médecine, Lausanne
2 Centre Hospitalier Universitaire Vaudois ; Service de gériatrie et
réadaptation gériatrique, Département de Médecine, Lausanne
noemi.boillat@chuv.ch

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dre Noémie Boillat-Blanco

Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Service des maladies
infectieuses, Département de Médecine
Lausanne

noemi.boillat@chuv.ch

Elisavet Stavropoulou

Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Service des maladies
infectieuses, Département de Médecine
Lausanne

Les auteurs n’ ont aucun conflit d’ intérêts à déclarer.

◆ Chez les patients atteints de COVID-19 précoce avec des facteurs de risque de progression vers une maladie grave, un traitement par
anticorps monoclonaux anti-SARS-CoV-2 est recommandé dans les
5 jours du diagnostic.
◆ La dexamethasone est indiquée uniquement en cas de COVID-19 hypoxique, sinon risque d’être néfaste. Les effets secondaires sont à prendre en compte dans la balance risques-bénéfices
◆ La co-infection/surinfection bactérienne est rare en cas de COVID-19 et l’administration d’antibiotiques n’est pas recommandée.
◆ Chez des patients atteints d’une maladie sévère ou avec des facteurs de risques thromboemboliques, une thromboprophylaxie par héparine de bas poids moléculaire doit être envisagée.

 

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Comprendre les facteurs comportementaux et traiter les causes

Le sommeil ne s’ améliore généralement pas avec l’ âge. Si nous comprenons les facteurs d’ influence, il est souvent possible d’  apporter une amélioration par des mesures comportementales. Les troubles du sommeil chez les personnes âgées sont-ils un signe de démence naissante ou un phénomène secondaire d’ une maladie cérébrale dégénérative ? Il n’ est pas possible de répondre de manière concluante à cette question, mais le traitement des troubles du sommeil permet non seulement d’ améliorer le pronostic en matière de démence, mais aussi de parvenir à une qualité de vie nettement meilleure.

Le développement du sommeil chez les personnes âgées : Comprendre et reconnaître les facteurs d’ influence

La mauvaise nouvelle dès le début : le sommeil ne s’ améliore généralement pas avec l’ âge. Il y a une diminution de la durée du sommeil et une augmentation de la durée de l’ éveil (1) (fig. 1). Mais malheureusement le sommeil devient également moins stable. Tandis que les enfants dorment profondément, les personnes âgées n’ atteignent plus cette profondeur de sommeil (2). En outre, un changement dans le contrôle du rythme circadien se produit dans la mesure où le rythme veille-sommeil est plus susceptible d’ être perturbé. Avec l’ âge, un décalage en avant du rythme de 24 heures survient (3). Cela débouche souvent sur des heures de coucher précoces. Si une personne âgée se couche donc dès 21 heures, il est généralement irréaliste de penser qu’ elle sera capable de bien dormir jusqu’ à 7 heures le lendemain matin. Et si des somnifères sont ensuite prescrits en raison de plaintes d’ insomnie, cela pose souvent des problèmes. Cela entraîne une dépendance et augmente les troubles cognitifs.

Le fait que nous puissions nous endormir le soir dépend essentiellement de deux facteurs. Si nous connaissons ces facteurs, nous pouvons comprendre les mécanismes qui conduisent aux troubles du sommeil, sur la base du modèle de Borbely (2). Le premier facteur, le processus S, est responsable de la profondeur du sommeil. Il est en corrélation avec combien de temps on est resté éveillé avant d’ aller se coucher. Après une nuit blanche, par exemple, vous vous endormez généralement mieux la nuit suivante. Le deuxième facteur, le processus C, correspond au rythme de 24 heures. Cela conduit, par exemple, au phénomène du décalage horaire (jet lag). Le processus C est influencé par le rythme de vie (périodes de repos régulières), l’ exposition à la lumière et se reflète dans la courbe du taux de mélatonine.

La profondeur du sommeil, qui diminue physiologiquement, est aussi influencée par le comportement. Il est par exemple défavorable de trop dormir ou de dormir en delà de ses besoins. De longues périodes d’ allongement pendant la journée ou un long sommeil diurne pendant la journée dû à un manque de structure ou d’ activité quotidienne entraîne une «dilution» du sommeil. Cela signifie que seule la proportion de sommeil superficiel augmente, tandis que la partie du sommeil profond reste constante ou est même perturbée par ce mécanisme.

Pour le processus C, il est clair que la structure quotidienne joue un rôle essentiel. Des repas réguliers, une occupation et une activité physique suffisantes, ainsi qu’ une exposition suffisante à la lumière sont des facteurs essentiels. Pour la régulation du rythme de 24 heures, l’ exposition à la lumière matinale est importante. La lumière agit en tant que synchronisateur le plus important qui veille à ce que notre horloge interne reste en phase avec l’ heure de la journée. Les facteurs défavorables à cet égard sont l’ immobilisation, des problèmes visuels, une structure quotidienne limitée pendant et une lumière vive dans la soirée. En cas extrême, cela peut conduire à une inversion jour-nuit.

Dans le cas de troubles insomniaques chez les personnes âgées, il s’ agit tout d’ abord d’ examiner dans quelle mesure les facteurs externes discutés ci-dessus sont impliqués et s’ il existe des possibilités de correction. En outre, il est important que le patient et le médecin aient une attente réaliste en matière de sommeil. Des temps d’ éveil plus long la nuit sont normales chez les personnes âgées, et le plus souvent cela n’ a guère de sens d’ attendre d’ un traitement une qualité de sommeil que l’ on avait comme adolescent. Comme nous l’ avons mentionné, avec l’ âge, le rythme de 24 heures est décalé vers l’ avant, en ce sens que l’ impulsion d’ aller dormir est perçue plus tôt. L’ augmentation précoce du taux de mélatonine qui y est associée peut être supprimée par un repas plus tardif, une activité plus intense le soir et, si nécessaire, par l’ exposition à la lumière le soir.

En plus de ces facteurs comportementaux quotidiens – et de facteurs évidents tels que la douleur, le dysfonctionnement de la vessie, etc. – le sommeil des personnes âgées peut être compromis par d’ autres problèmes somatiques et psychologiques. Des troubles du sommeil spécifiques sont connus (par exemple, le syndrome des jambes sans repos), qui sont des problèmes particulièrement fréquents chez les personnes âgées. La démence et les troubles psychiatriques, le plus souvent la dépression, entraînent des troubles du sommeil importants et la consommation de substances psychoactives joue souvent un rôle (l’ alcool).

Troubles du sommeil et démence

Les changements décrits ci-dessus concernant le sommeil chez les personnes âgées, avec en particulier la faiblesse croissante du rythme circadien et la diminution de la stabilité du sommeil sont plus prononcés chez les personnes atteintes de démence, ce qui soulève la question de la causalité. La fragmentation accrue du sommeil, la diminution du sommeil profond et l’ insomnie sont associées à un risque accru de démence. Ou bien, les troubles du sommeil sont-ils des conséquences secondaires de la maladie cérébrale dégénérative ? En faveur de la première hypothèse, citons le fait que l’ on a réussi à influencer l’ évolution de la démence en améliorant la qualité du sommeil (voir le chapitre sur l’ apnée du sommeil). Mais les patients qui sont plus fatigués ou somnolents ont également un risque accru de démence. Les patients atteints de la maladie de Parkinson, en particulier, sont souvent plus fatigués et peuvent même développer une somnolence similaire à la narcolepsie.

Syndrome des jambes sans repos (SJSR) :
La cause la plus courante d’ insomnie pouvant être traitée

Le SJSR est un trouble qui se manifeste avec une incidence d’ environ 3 à 7 % dans la population. L’ incidence augmente avec l’ âge. Mais pas toutes les personnes affectées ont des symptômes suffisamment sévères pour nécessiter un traitement. La société internationale du SJSR (International Restless Legs Syndrome Study Group, IRLSSG) a établi cinq critères diagnostiques essentiels en se basant uniquement sur l’ anamnèse. La preuve de mouvements périodiques des jambes (Periodic Limb Movement Syndrome, PLMS) dans le laboratoire de sommeil peut aider à confirmer le diagnostic. Mais le PLMS n’ est détectable que chez 80  % des patients atteints de SJSR. Il convient également de noter que, surtout dans la vieillesse, le PLMS est très souvent détecté comme un phénomène non spécifique (chez les personnes sans symptômes). Une réponse positive à une thérapie dopaminergique supporte également le diagnostic de PLMS. Toutefois, cette observation n’ est aujourd’ hui plus une bonne raison pour commencer le traitement par une substance dopaminergique. Dans le passé, la lévodopa (Madopar) était souvent utilisée pour cette raison, alors même qu’ un résultat négatif du traitement n’ exclut pas un SJSR, mais que la lévodopa peut rapidement amener à une perte d’ efficacité, voire une augmentation des symptômes. L’ augmentation est une complication dans le traitement du SJSR, principalement avec des agonistes de la dopamine (pramipexole, ropinirole, rotigotine), qui est associée à une perte d’ efficacité, à une propagation des symptômes aux bras et aux jambes et une extension temporelle des symptômes dans la journée. L’ incidence de l’ augmentation est d’ environ 8 % par an (4). C’ est pourquoi, au début, non pas des agonistes de la dopamine, mais les ligands alpha-delta (gabapentine, prégabaline) doivent être utilisés (5). Il faut d’ ailleurs veiller à ce que l’ apport en fer soit suffisant. Chez les patients atteints de SJSR la valeur de la ferritine devrait être supérieure à 75 μg / ml. Des patients avec des symptômes légers peuvent aussi être traités dans un premier temps avec une substitution en fer. Il faut de plus noter que certains médicaments peuvent exacerber le SJSR. Avant tout les antidépresseurs (tous sauf la trazodone et le bupropion).

Cinq critères essentiels pour le Syndrome des jambes sans repos (6)
1. Besoin impérieux de bouger les jambes, accompagné souvent, mais pas toujours, de sensations désagréables.
2. Le besoin de bouger et les troubles de la sensibilité se manifestent ou s’ aggravent dans des situations calmes, comme en position assise ou allongée.
3. Le besoin de bouger et les troubles de la sensibilité cessent ou s’ atténuent lors de la marche ou de mouvements d’ étirement, au moins aussi longtemps que l’ activité de ce mouvement dure.
4. Le besoin de bouger et les perturbations sensorielles sont plus intenses ou se produisent exclusivement le soir ou la nuit.
5. Les plaintes ne peuvent être expliquées avec certitude par une autre maladie ou par une anormalité de comportement (douleurs ou crampes musculaires).

L’ apnée obstructive du sommeil : en prendre note et la traiter

L’ apnée obstructive du sommeil est souvent méconnue à l’ âge avancé. Cela est probablement dû à plusieurs facteurs. Souvent, le /la partenaire de la personne concernée s’ est habitué au ronflement prononcé, ou le couple dort en chambres séparées. L’ apnée du sommeil n’ entraîne pas toujours les symptômes classiques du sommeil non réparateur et une somnolence diurne accrue. Elle peut également entraîner des insomnies et des crises de panique nocturnes. En outre, les maux de tête sont souvent un symptôme supplémentaire. On tend à oublier que chez les personnes âgées l’ apnée du sommeil peut provoquer des troubles cognitifs. Il s’ agit cependant d’ une maladie qui est généralement traitable, ce qui peut avoir un impact important sur la qualité de vie. L’ apnée obstructive du sommeil est en outre un facteur de risque de démence (7). La ventilation par CPAP constitue le traitement standard et il a été démontré que la détérioration cognitive chez les patients atteints de MCI (Mild Cognitive Impairment) peut être ralentie par cette mesure (8). Il est intéressant de noter que cela a été observé dans une population de patients qui n’ était pas significativement somnolente. Cela confirme une fois de plus que chez les patients âgés, l’ attention ne doit pas se concentrer uniquement sur le symptôme principal de la somnolence. Le traitement de l’ apnée du sommeil par la CPAP a également une influence favorable sur les biomarqueurs (augmentation du sommeil profond et diminution de l’ amyloïde-β) (9). Il n’ est évidemment pas facile de motiver les personnes âgées dont le niveau de détresse est subjectivement faible à commencer une thérapie CPAP, mais il vaut la peine d’ insister. Notre expérience montre que le traitement est souvent faisable chez les personnes âgées, avec parfois et contre toute attente, un résultat subjectivement positif. Il est cependant important de suivre ces patients de près et de renoncer au traitement par CPAP en cas de détérioration du sommeil pendant le traitement.

Quand clarifier les troubles du sommeil au centre spécialisé ?

  • SJSR : absence de réponse à deux substances ou présentation atypique.
  • Altération grave de la vie quotidienne ou résistance au traitement secondaire (augmentation)
  • Apnée du sommeil : test de dépistage pathologique, nécessité prévisible d’ un traitement et consentement prévisible du patient au traitement
  • RBD : Le trouble du comportement REM
  • Troubles du sommeil sévères, entraînant une altération significative de la qualité de vie diurne

Copyright Aerzteverlag medinfo AG

Dr. med.Matthias Strub

Zentrum für Schlafmedizin Basel
Gellertstrasse 142
4052 Basel

matthias.strub@hin.ch

L’ auteur a déclaré n’ avoir aucun conflit d’ intérêts en relation avec cet article.

◆ Les troubles du sommeil et l’ augmentation de la fatigue chez les personnes âgées sont souvent dus à des comportements défavorables.
◆ La modification de l’ occupation, de l’ activité physique, des horaires de sommeil et l’ exposition à la lumière permettent souvent d’ améliorer la qualité du sommeil.
◆ Le syndrome des jambes sans repos est fréquent et peut généralement être bien traité.
◆ L’ apnée obstructive du sommeil se présente souvent de manière atypique chez les personnes âgées. Son traitement est réalisable et conduit à une influence favorable sur l’ évolution de la maladie, notamment chez les patients atteints de démence légère.

 

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