Le veganisme connart un interet mediatique croissant en pronant un style de vie depassant un regime exclusivement vegetal favorable a la sante pour rejeter toute forme d’exploitation animale. Base sur un recent rapport de la Commission federale sur l’alimentation, cet article decrit l’insuffisance des evidences scientifiques pour recommander ce type de regimes pour la prevention et le traitement des maladies cardiovasculaires ischemiques.
Créé en 1944 en Grande-Bretagne, le végétalisme ou véganisme en tant que style de vie prône un régime exclusivement végé- tal. Au-delà de ce simple choix alimentaire, le véganisme rejette par principes éthiques et philosophiques la légitimité de toute forme d’exploitation animale. Selon ses adeptes les plus militants, le véga- nisme constituerait la solution à privilégier, dans le respect des ani- maux, de l’environnement, tout en favorisant une alimentation équilibrée comme source de santé et de bien-être pour les humains. Au cours de ces dernières années, l’activité et les revendications des mouvements véganes ont trouvé un écho de plus en plus large dans les médias, en suscitant débats et incertitudes chez les consomma- teurs qui montrent un intérêt croissant pour les conséquences sur leur santé de tout ce qu’ils mangent.
La publication récente du rapport de la Commission fédérale de l’alimentation intitulé «Régimes végétaliens: analyse des avanta- ges et des inconvénients sur le plan nutritionnel et pour la santé» a servi de base à la rédaction du présent article focalisé sur le risque cardiovasculaire (CV) des régimes véganes et sur les recomman- dations pour la prévention des maladies cardiovasculaires isché- miques (MCVI) (1).
Caractéristiques des régimes véganes
Par définition, un régime « végane» exclut tout ingrédient d’origine animale, mais dont le spectre des autres nutriments peut varier. Ce type de régime se différencie donc des autres formes de régimes tels que :
- « végétarien » ou « ovo-lacto-végétarien » si aucun ingrédient ni auxiliaire technologique d’origine animale ne sont inclus, à l’exception du lait, des composants du lait tels que le lactose, des œufs, des composants de l’œuf et du miel ;
- « ovo-végétarien» si aucun ingrédient ni auxiliaire technologique d’origine animale ne sont inclus, à l’exception des œufs, des com- posants de l’œuf et du miel ;
- «lacto-végétarien» si aucun ingrédient ni auxiliaire technolo- gique d’origine animale ne sont inclus, à l’exception du lait, des composants du lait et du miel.
- « végétalien» si aucun ingrédient d’origine animale n’est présent.
La suppression de la viande, du poisson, des œufs et des produits laitiers comporte une perte de macro- et micronutriments nécessi- tant d’être remplacés par d’autres sources alimentaires ou par sup- plémentation pour s’assurer d’une alimentation équilibrée (Tab. 1). De nombreuses études européennes publiées depuis 2015 ont exa- miné les régimes véganes et calculé l’apport des nutriments en s’appuyant sur des listes d’aliments spécifiques des pays concernés. En ce qui concerne les macronutriments, les valeurs de consom- mation moyennes satisfont souvent aux recommandations nutriti- onnelles générales. Toutefois, leur variabilité est très importante, ce qui peut s’avérer problématique dans le cas des apports en protéi- nes. Selon le peu d’études ayant collecté des données sur l’ingestion de fruits et légumes, il apparaît qu’en moyenne, l’apport journa- lier recommandé (trois portions de légumes et deux portions de fruits) est couvert, mais là encore avec une très grande variabilité de cette consommation. Ces éléments laissent supposer qu’il n’y a pas de preuve qu’un régime végane soit toujours associé à un apport riche en fruits et légumes. C’est pourquoi, il est difficile de présumer qu’un régime végétalien procure de facto les avantages de ce mode alimentaire sur la santé. Or, il s’agit là d’un des axiomes de la plupart des prises de position en faveur d’un régime végane (1, 2).
Les données relatives aux micronutriments sont souvent limitées par le manque d’informations spécifiques concernant les choix alimen- taires des sujets d’études, ainsi que le type et les doses des supplé- mentations. La plupart des études montrent que la supplémentation en vitamine B12, bien que nécessaire, n’est que partiellement suivie (50-70 % des participants), ce qui peut occasionner un risque CV accru. Si d’autres carences sont possibles (vitamine D, calcium, etc.) à l’inverse, par comparaison aux omnivores, les véganes montrent des apports et un profil sanguin plus riches en micronutriments tels que le magnésium, les vitamines C, B1 et B6, l’acide folique, les caroté- noïdes et les polyphénols, d’où un potentiel bénéfique pour la santé. En somme, les régimes véganes bien planifiés pourraient couvrir les besoins énergétiques et nutritionnels, mais ils exigent de très bon- nes connaissances nutritionnelles, ainsi qu’une supplémentation basée sur un monitoring sanguin régulier des micronutriments les plus importants.
Prévalence du véganisme, caractéristiques et motivations de ses adeptes
En Europe, il est estimé que 2 à 5 % de la population suivent un régime végétarien, végane inclus. En Suisse, la récente enquête de l’association Swissveg a fait état de 11% de végétariens et de 3% de véganes parmi les 1296 personnes âgées de 15 à 74 ans sondées en 2017. Ces résultats contrastent fortement avec les données de l’étude menuCH de 2015 comptant 2000 participants adultes, puisque la prévalence des végétariens s’est chiffrée à 1.77% et celle des véga- nes à 0.38 %. Des données plus précises manquent, mais selon les Enquêtes suisses sur la santé, il apparaît qu’entre 1992 et 2017 la proportion de personnes déclarant ne jamais manger de viande a tout de même triplé, passant de 2 à 6 %.
Les différents sondages montrent, qu’en Suisse aussi, il s’agit avant tout de femmes jeunes jouissant d’un bon niveau de formation et habitant ou travaillant plutôt en ville. Leurs principales motivations de renoncer à la viande correspondent au bien-être des animaux (78 %), ainsi qu’à des considérations éthiques (60 %) et écologiques (58 %). Mais seuls 35 % d’entre elles ont invoqué la santé.
Régimes véganes et leur impact sur le risque cardiovasculaire
Privilégiant la consommation de fruits, de légumes, de fibres et d’hydrates de carbone, l’apport réduit en graisses et graisses satu- rées, ainsi que l’éviction des protéines animales, notamment de viande rouge et de charcuterie, les régimes véganes ont montré, par comparaison aux régimes omnivores, des effets plutôt positifs sur les lipides sanguins, le poids et le contrôle glycémique. Ceci peut présager d’un impact favorable sur le risque de maladies cardiova-
sculaires ischémiques (MCVI), de type cardiopathie ischémique (CPI) ou acci- dent cérébrovasculaire (AVC). Historiquement, Key TJ et al avaient publié en 1999 les résultats d’une ana- lyse groupée de 5 études prospectives de cohorte faisant état d’une diminution, toutefois non-significative, des taux de mortalité par CPI (-26 %), ainsi que par AVC (-30 %) chez les personnes véganes par comparaison aux personnes omni- vores (3). Largement reportés comme étant favorables, en dépit des limitations méthodologiques majeures, ces don- nées méritent cependant d’améliorer le niveau d’évidence scientifique en faveur du véganisme. Or, la revue de littéra- ture scientifique établie jusqu’en 2018 ne recense malheureusement aucune étude d’intervention de type RCT, ce qui permettrait de valider adéquatement le bénéfice des diètes véganes sur le risque de MCVI. De fait, l’essentiel des con- naissances actuelles repose sur des étu- des observationnelles.
A ce jour, nous ne disposons malheureusement d’aucune étude observation- nelle ayant cherché à déterminer si les régimes véganes pourraient être associés à une incidence réduite d’un premier évènement CV, qu’il s’agisse d’une CPI ou d’un AVC. Bien que l’opinion générale, voire même certaines prises de position, accordent volontiers des ver- tus bénéfiques aux régimes véganes, des recherches plus approfon- dies s’imposent clairement afin de prouver les avantages potentiels de tels régimes pour la prévention ou le traitement des MCVI (2). En revanche, le risque de mortalité CV associé spécifiquement aux régimes véganes a pu être analysé dans les trois études mentionnées dans le tableau 2 (4-5). Se basant sur les données de «l’Adventist Health Study-2», une grande étude prospective de cohorte réali- sée auprès de 73 308 membres de la communauté adventiste nord-américaine, dont 5548 véganes et 35359 omnivores, Orlich MJ et al ont rapporté des résultats contradictoires au terme des 5.6 ans de suivi (4). Alors qu’ils ont observé une réduction statistiquement significative du taux de mortalité CV globale (-42%) et coronari- enne (-55%) chez les hommes, ce fut l’inverse chez les femmes au vu d’une augmentation non significative de ces risques atteignant respectivement + 18 % et + 39 %.
Ces données contrastent fortement avec les résultats d’Appleby PN et al découlant des 2 études de cohortes prospectives «l’Oxford Vegetarian Study»et «l’EPIC-Oxford Cohort Study» (5). Poo- lées pour cette analyse, ces 2 cohortes totalisèrent 60’310 person- nes recrutées au sein de la population de Grande Bretagne, dont 2258 exclusivement véganes et 18431 omnivores suivis pendant 15 ans ou plus. Globalement, le risque de mortalité coronarienne fut légèrement réduit (-10 %) chez les véganes par comparaison aux omnivores, alors que le risque fut nettement accru, mais de manière non significative, tant pour la mortalité par AVC (+ 61 %) que par mortalité CV globale (+ 21 %). Ces études de cohorte comportent toutes trois diverses limitations méthodologiques qui affaiblissent le niveau d’évidence en faveur des bénéfices, voire des désavantages liés aux régimes véganes sur le risque CV.
En conclusion, les données scientifiques acquises à ce jour demeu- rent trop incertaines pour préconiser les régimes véganes tant à titre de prévention que de traitement des MCVI. C’est sans doute une des raisons principales au fait que de tels régimes n’ont pas été inclus dans les recommandations alimentaires pour la prévention des MCVI édictées par les Sociétés suisses, européennes américai- nes de cardiologie.
Chemin des Fleurs 5
1007 Lausanne
roger.darioli@unisante.ch
L’auteur n’a aucun lien d’intérêt financier, ni de connivence avec les ouvements véganes, les défenseurs de la cause animale ou les producteurs de viande, pas plus qu’avec l’industrie alimen- taire. De plus, cet article a été rédigé en toute indépendance, sans aucune contribution financière. De même, le rapport du groupe d’ expert de la Commission fédérale de l’ alimentation a été rédigé en toute indépendance sur la base des connaissances scientifiques publiées entre 2007 et 2018.
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